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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1314/2004

ATA/668/2004 du 24.08.2004 ( FIN ) , ADMIS

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1314/2004-FIN ATA/668/2004

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 24 août 2004

dans la cause

 

Hoirie de feu Madame P.__________
représentée par Me Dominique Gay, avocate

contre

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIERE D'IMPOTS

et

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE


 


1. Madame P.__________, de son vivant domiciliée à Genève, est décédée le 25 septembre 2000. Elle avait rédigé deux testaments, l’un relatif à ses biens en France et l’autre à ses biens en Suisse, ainsi qu’un codicille.

a. Le testament déposé en France, daté du 24 juillet 1990, comportait notamment les termes suivants :

« Je lègue par préciput et hors part à ma petite-nièce G.__________, née le 4 mars 1964, demeurant à Chens sur Léman, ma maison à Chens sur Léman (… ) Je lègue à mes trois neveux, F.__________, G.__________ et P.__________, enfants de M G.__________ et de G.__________ mes terrains (…).

b. D’autre part, Mme P.__________ avait déposé en mains d’un notaire suisse un testament, daté du 28 novembre 1991, indiquant notamment :

« Je fais tout d’abord les legs suivants par préciput et hors part francs de tous droits et frais de succession :

à ma nièce J.__________ la somme de Frs 300'000 (…)

à mon neveu F.__________ la somme de Frs 50'000 (…)

à mon neveu G.__________ la somme de Frs 50'000 (…)

à mon neveu P.__________ la somme de Frs 50'000 (…)

 

Sous réserve des legs ci-dessus j’institue pour mes seuls héritiers pour la totalité des autres biens dépendant de ma succession :

 

15% à ma nièce par alliance L.__________

15% à ma nièce par alliance G.__________

10% à ma nièce par alliance S._________

15% à ma nièce J.__________

10% à mon neveu J.__________

10% à mon neveu P.__________

5% à ma nièce par alliance S.__________

10% à mon neveu G.__________

5% à mon neveu par alliance P.__________

5% à ma belle-sœur Madame L.__________ (par alliance) (…) »

c. Le 15 mai 1997, Mme P.__________ avait encore rédigé un codicille à son testament du 28 novembre 1991, indiquant :

« Je lègue mes deux actions SI Hesse ainsi que celle découlant de la succession de l’hoirie P.__________ (71/2 actions) à ma nièce Madame S.__________.

De plus, je résilie la disposition prise en faveur de ma belle-sœur, Mme P.__________ (…) et reporte le 5% prévu au bénéfice de ma nièce par alliance S._________, portant ainsi sa part à 15% ».

d. De plus, Mme P.__________ avait désigné comme exécuteur testamentaire M M.__________, expert comptable à Genève, et l’étude de Mes Gampert et Demierre, notaires à Genève.

2. La déclaration de succession, établie par Me Gampert, a été déposée le 9 avril 2001.

A ce document était jointe une liste dont il ressortait que Mme G.__________, MM.F.________, E.________ et P.________ G.__________ étaient petite-nièce et petits-neveux de la défunte. Mmes L._________ G.__________, G.__________ , L.________ C.________ B._________, S._________ F.________ P.__________ et M. P.__________ étaient nièces et neveu par alliance.

3. Le 28 mai 2001, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC) a remis à l’hoirie de Mme P.__________ (ci-après : l’hoirie), domiciliée chez M M.__________, un bordereau dont le montant total ascendait à CHF 7'561'088,45. La feuille de taxation annexée au bordereau indiquait que tous les héritiers étaient en cinquième catégorie.

4. Le 1er novembre 2001, Me Gampert a informé l’AFC que Mme J._________, MM. F.__________, G.__________ et P.__________, respectivement la petite-nièce et les petits-neveux de la défunte, étaient des héritiers de sang, et non pas des parents par alliance. Me Gampert a sollicité la rectification du bordereau.

5. Le 25 janvier 2002, l’hoirie a nanti l’AFC d’une demande en restitution des droits de succession, subsidiairement d’une demande en révision et, encore plus subsidiairement, d’une demande en répétition de l’enrichissement illégitime.

La demande en restitution des droits de succession était fondée sur une erreur essentielle de la part des déclarants, de l’hoirie et de l’autorité de taxation, qui avaient considéré à tort que quatre des héritiers l’étaient par alliance et non de sang. Le déclarant et l’AFC auraient pu, de la même manière, se rendre compte de cette erreur : le testament de la défunte mentionnait en effet clairement le nom des héritiers de sang et de ceux qui l’étaient par alliance.

Subsidiairement, la décision devait être révisée, car l’AFC avait omis de tenir compte de faits établis par pièces et ressortant du testament. Il s’agissait d’une inadvertance de sa part, due à la difficulté, partagée par les exécuteurs testamentaires, de reconnaître le degré de parenté des petits-neveux et petites-nièces avec la défunte en raison du décès de MM. L._________ et R.__________, neveux de sang de cette dernière.

L’AFC pouvait rouvrir, vingt-sept mois après la taxation, des décisions entrées en force si, suite à une erreur de calcul ou d’une indication inexacte, les qualités et degrés des parents et ayants-droit avaient entraîné une taxation trop faible. Dans ces circonstances, le fait de maintenir la taxation entraînerait une situation inéquitable.

Même en l’absence de base légale, une action en restitution de l’enrichissement illégitime était ouverte et les quatre conditions nécessaires à son admission étaient remplies.

6. Le 20 juin 2002, le conseil de l’hoirie a annoncé à l’AFC un fait nouveau important, justifiant la réouverture de la procédure de taxation. Dans la déclaration de succession, les actions de __________ avaient été estimées à CHF 1'091'815.-. Or, ces actions avaient été cédées, en juin 2002, pour la somme de CHF 1'864'000.-, dont il fallait déduire une commission de CHF 47'000.-. Dès lors, il y avait un supplément d’assiette, pour le calcul des droits de succession, de CHF 725'185.- et les droits de succession devaient être recalculés, conformément à l’article 73 de la loi sur les droits de succession du 26 novembre 1960 (LDS - D 3 25). A cette occasion, Mme J.__________, MM .F._________, et P.__________, devaient appartenir à la quatrième catégorie.

7. Le 7 octobre 2002, l’AFC a confirmé le bordereau de droits de succession notifié le 28 mai 2001.

a. La requête en restitution des droits de succession était recevable à la forme. L’exactitude des liens de parenté aurait pu être invoquée soit au moment de la déclaration de succession, soit par la voie d’une réclamation, formée dans le délai, contre le bordereau litigieux.

La recevabilité de la demande en révision était laissée ouverte, cette dernière devant en tout état être rejetée au fond pour des motifs similaires à ceux justifiant le rejet de la demande en restitution des droits de succession.

Il n’y avait pas eu d’enrichissement illégitime, puisque les sommes payées étaient fondées sur un bordereau définitif et exécutoire.

En dernier lieu, l’AFC renonçait à rectifier le bordereau pour tenir compte de la valeur réelle des actions de ____________ . L’article 73 LDS permettait uniquement de percevoir un supplément d’impôt et non de corriger le bordereau quant aux catégories d’imposition des héritiers.

8. a. Le 7 novembre 2002, l’hoirie a recouru auprès de la commission cantonale de recours en matière d’impôts (ci-après : la commission), en reprenant et développant les éléments figurant dans sa réclamation.

b. L’AFC a maintenu sa position, par écriture du 29 août 2003.

c. Un deuxième échange d’écriture a eu lieu, sans que ce dernier n’apporte d’éléments fondamentalement nouveaux.

9. Le 10 mai 2004, la commission a déclaré le recours recevable et l’a rejeté. La demande de rectification du bordereau des droits de succession fondée sur l’article 73 alinéa 1 LDS ne permettait pas de revoir le bordereau initial dans son intégralité, mais uniquement en ce qui concernait l’élément nouveau, soit la valeur des actions de __________. L’AFC y avait renoncé et la commission ne pouvait procéder à une reformatio in pejus dans le domaine du droit de succession.

La révision, telle que prévue à l’article 70 LDS, ne pouvait être admise. Le testament de la défunte n’indiquait pas exactement le lien de parenté de chacun des héritiers légataires et ne permettait pas à l’AFC de connaître la réalité familiale de l’hoirie. Le procès-verbal de l’inventaire, signé par les trois exécuteurs testamentaires et une héritière, ainsi que la liste annexée à la déclaration de succession, étaient sans équivoque : L’erreur essentielle n’était dès lors pas imputable à l’AFC et la demande de restitution des droits n’était pas fondée.

Quant à la procédure de révision fondée sur la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), il s’agissait d’un moyen de droit extraordinaire. Le lien de parenté entre les quatre petites-nièce/neveux de sang et la défunte ne s’était pas modifié depuis le décès de cette dernière et il n’y avait dès lors pas de fait nouveau. L’erreur aurait pu être corrigée par le dépôt d’une réclamation, mais un tel acte n’avait pas été réalisé.

10. Le 18 juin 2004, l’hoirie a recouru auprès du Tribunal administratif.

En refusant de procéder à la correction du degré de parenté des héritiers, la décision de la commission était arbitraire et créait une inégalité de traitement. Elle aurait dû rectifier le bordereau de succession en tenant non seulement compte du prix de vente réel des actions de __________, mais aussi des catégories exactes des héritiers. De plus, elle avait violé le principe de la bonne foi en refusant de faire application de l’article 70 alinéa 1 lettre a LDS. L’AFC avait eu en mains les mêmes pièces que les exécuteurs testamentaires et, au vu de l’ambiguïté relative au degré de parenté des héritiers, elle aurait dû prendre contact avec les exécuteurs testamentaires pour éclaircir la situation. En cas d’erreur essentielle, la voie de la révision devait être ouverte, même si un motif de révision n’était pas prévu dans la loi fiscale. L’AFC avait profité de l’erreur commise par le contribuable, et refusait de le reconnaître et d’en tirer les conséquences.

En dernier lieu, la commission avait commis un déni de justice formel en n’examinant pas le moyen tiré de l’article 70 alinéa 1 lettre c LDS, qui permettait aux contribuables de demander la restitution de l’indu s’il était établi qu’une erreur de calcul ou de taux avait été commise par l’AFC.

11. Le 22 juillet 2004, l’AFC a conclu au rejet du recours, en rappelant que les contribuables étaient responsables des actes et omissions de leurs mandataires. Au surplus, elle a repris son argumentation antérieure.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. a. Selon l’article 70 al. 1 LDS, intitulé « Restitution des droits », le débiteur ou l’ayant droit peut demander, dans le délai d’une année à compter de la notification du bordereau, restitution de l’indu, avec intérêts au taux légal, s’il établit :

a) qu’il a payé par suite d’une erreur essentielle, dont il lui était manifestement impossible de se rendre compte au moment du dépôt de la déclaration de succession;

b) qu’il a payé une somme supérieure au montant qui lui était réclamé;

c) qu’une erreur de calcul ou de taux a été commise par l’administration de l’enregistrement et du timbre concernant la taxation de la succession;

d) que tout ou partie de la taxation constitue manifestement un déni de justice.

b. Cette disposition a été introduite par le Grand Conseil lors de l’adoption de la loi, le 26 novembre 1960. Il ressort des travaux législatifs que le Conseil d’Etat, lorsqu’il a déposé le projet de loi, avait proposé de ne restituer les droits indûment versés que si le débiteur ou l’ayant droit établissait qu’il les avait payés par suite d’une erreur essentielle, telle que définie aux articles 23 et suivants du Code des obligations du 30 mars 1911 (CO - RS 220 ; Mémorial des séances du Grand Conseil, 1954, 18/II 1667). Cette proposition avait sa source dans le texte de la disposition légale en vigueur antérieurement (Mémorial 1954, 18/II 1630).

La commission du Grand Conseil a amendé le projet et rédigé le texte applicable à la présente affaire, expliquant avoir décidé d’insérer dans la loi « les principes dits de révision, tels qu’ils ressortent de la jurisprudence fédérale en la matière » (Mémorial 1959 23/III 2218, 2258 et 2259).

c. L'obligation de restituer l'indu est traité de manière assez brève par les auteurs d'ouvrages généraux sur le droit administratif.

Selon A. GRISEL (Traité de droit administratif, vol. II, 1984, p. 618 à 623), l'obligation de restituer se fonde en premier lieu sur les dispositions légales qui prévoient une telle obligation et subsidiairement en l'absence de tout texte pertinent, sur une règle générale, qui s'impose aux deux parties à la relation de droit administratif. En l'espèce, il y a lieu de considérer l'article 182 LDE comme la règle spéciale et l'article 63 alinéa 1 CO comme la règle générale. Il convient de rappeler qu'une prestation indue repose sur une cause illégitime, soit notamment sur une cause non valable, comme l'erreur  quel que soit son caractère excusable ou non  et que, cas échéant, la restitution doit être pleine et entière (eodem loco p. 620 à 621).

Selon P. MOOR (Droit administratif : Les actes administratifs et leur contrôle, 2ème éd. vol. II 2002, point 1.5.3 p. 147), l'action en répétition de l'indu est une institution générale du droit et par conséquent "donnée" quand bien même la législation applicable en la matière serait muette. Cet auteur suit sur cette question la jurisprudence du Tribunal fédéral qu'il cite.

Selon L. MULLER (Die Rückerstattung rechtswidriger Leistungen als Grundsatz des öffentlichen Rechts, 1978, p. 115 ss), on ne saurait considérer que la demande de remboursement d'une prestation faite à titre volontaire est de manière générale un abus de droit (eodem loco, p. 122). Quant à la question de l'erreur de la partie qui a fourni la prestation, elle n'est pas déterminante en matière de droit public et doit plutôt être analysée à la lumière du principe de la bonne foi.

d. Si le Tribunal administratif n’a pas eu l’occasion de trancher d’affaires concernant la restitution de l’indu en matière de droits de succession, il a rendu récemment deux arrêts concernant l’article 182 de la loi sur les droits d’enregistrement du 9 octobre 1969 (LDE D 3 30) qui est similaire à l’article 70 LDS, sous réserve de sa lettre a).

Il a ainsi considéré que l’Etat commettait un déni de justice en refusant de restituer à un locataire le montant de la taxe d’enregistrement, alors qu’il n’avait pas pu faire annoter son bail au Registre foncier du fait que le bailleur n’était pas propriétaire de l’immeuble loué (ATA/509/2002 du 3 septembre 2002). Il a de même considéré que les droits d’enregistrement perçus pour l’annotation d’un bail, non reportée au Registre foncier suite à l’acquisition par le locataire de l’immeuble, devaient être remboursés (ATA/741/2002 du 26 novembre 2002). Dans ce dernier cas, le Tribunal administratif avait retenu qu’en vertu des principes généraux applicables notamment en droit fiscal, il y avait lieu à restitution de l’impôt lorsque le fait générateur c’est-à-dire la cause de l’impôt ne survenait pas.

4. a. En l’espèce, les deux premiers motifs prévus par l’article 70 alinéa 1 LDS ne sont manifestement pas applicables : l’erreur essentielle qui a entraîné une augmentation des droits pouvait être repérée par l’hoirie recourante au moment de la déclaration de succession, avec un minimum d’attention. Il n’est d’autre part pas soutenu qu’elle ait payé une somme supérieure à celle qui lui était réclamée.

En ce qui concerne le troisième terme prévu par cette disposition, le Tribunal administratif relève que l’administration n’a pas commis d’erreur de taux : elle a appliqué le taux exact au regard des informations figurant sur la déclaration de succession, selon laquelle tous les héritiers ou légataires étaient en cinquième catégorie.

b. Les principes rappelés ci-dessus doivent entraîner l’admission du recours, en application de l’art. 70 al. 1 let. d LDS. En effet, le bordereau de taxation est fondé sur des données erronées, quatre des héritiers ayant été taxés au taux d’une catégorie à laquelle ils n’appartiennent pas. Le fait générateur du taux appliqué, soit en l’espèce l’appartenance à la cinquième catégorie, n’est pas réalisé. Dans ces circonstances, le refus par l’Etat de restituer les droits perçus indûment constitue un déni de justice. Au surplus, la demande de restitution, avec intérêts au taux légal, a été formée dans le délai prévu à l’article 70 LDS.

5. Le recours sera donc admis et l’Etat invité à rembourser la somme litigieuse avec intérêts au taux légal.

Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera perçu. Une indemnité de procédure, en CHF 1'500.-, à la charge de l’Etat de Genève, sera allouée à l’hoirie recourante, qui obtient gain de cause.

 

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 18 juin 2004 par l’hoirie de feu Madame P.__________ contre la décision de la commission cantonale de recours en matière d'impôts du 10 mai 2004;

au fond :

admet le recours;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à l’hoirie recourante une indemnité en CHF 1'500.- à la charge de l’Etat de Genève ;

communique le présent arrêt à Me Dominique Gay, avocate de l'hoirie recourante ainsi qu'à la commission cantonale de recours en matière d'impôts et à l'administration fiscale cantonale.

Siégeants :

M. Paychère, président, Mme Bovy, M. Schucani, Mme Hurni, M. Thélin, juges.

Au nom du Tribunal Administratif :

la greffière-juriste adj. :

 

 

M. Tonossi

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :