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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4474/2006

ATA/658/2006 du 07.12.2006 ( DETEN ) , ADMIS

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4474/2006-DETEN ATA/658/2006

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 7 décembre 2006

2ème section

dans la cause

 

Monsieur B_____
représenté par Me Jessica Dentella, avocate

contre

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS DE POLICE DES ÉTRANGERS

et

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION


 


1. Monsieur B_____, né en 1981, est originaire de Guinée. Il s’est vu refuser l’asile par décision du 11 juillet 2001 de l’office fédéral des réfugiés qui lui a ordonné de quitter le territoire helvétique jusqu’au 25 juillet de cette année-là. Malgré plusieurs tentatives de renvoi, l’intéressé n’a pas obtempéré.

2. Par décision du 23 août 2006, un officier de police a prononcé la mise en détention administrative de M. B_____ pendant trois mois ; cette décision a été confirmée le lendemain par la commission cantonale de recours de police des étrangers (ci-après : la commission de recours).

3. Les tentatives de renvoi de M. B_____ vers la Guinée ayant toutes échoué, l’office cantonal de la population (ci-après : OCP) a sollicité, le 17 novembre 2006, la prolongation de la détention de l’intéressé.

4. Le 20 novembre 2006, la commission de recours, composée notamment de Monsieur L_____, a prolongé la détention administrative de M. B_____ jusqu’au 4 mars 2007, en se fondant sur les articles 13b alinéa 1 lettre c et 13f de la loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers du 26 mars 1931(LSEE - RS 142.20) .

5. Le 30 novembre 2006, M. B_____ a recouru auprès du Tribunal administratif. Selon l’article 4 alinéa 1 de la loi d’application de la LSEE du 15 août 1988 (LaLSEE - F 2 10), la commission de recours était composée d’un président et de deux assesseurs de formation juridique. A sa connaissance, M. L_____ n’avait pas de licence en droit, ni de baccalauréat ou de maîtrise universitaire dans ce domaine. Il ne semblait pas non plus disposer d’une formation d’agent d’affaires, d’huissier judiciaire ou encore de clerc d’avocat.

Si ces informations étaient exactes, la composition de la commission de recours était incorrecte et la décision rendue était nulle. M. B_____ devait être immédiatement libéré.

6. Le 1er décembre 2006, la commission de recours a indiqué ne pas avoir d’observations à formuler.

7. Le 4 décembre 2006, l’OCP s’est opposé au recours. Il s’en rapportait à justice quant à la composition de la commission de recours. Il a toutefois relevé que lors de la comparution personnelle des parties, M. B_____ n’avait pas demandé la récusation de M. L_____. Cette requête était dès lors tardive et, partant, irrecevable. Au surplus, la prolongation de la détention était fondée.

8. Par télécopie du 30 novembre 2006, le Tribunal administratif a prié M. L_____ de lui envoyer un curriculum vitae exhaustif, ainsi qu’une copie des titres qu’il avait obtenus, notamment pendant son cursus universitaire. A la demande de l’intéressé, ce délai a été prolongé jusqu’au mardi 5 décembre 2006 à midi.

Par télécopie du 5 décembre 2006, M. L_____ a indiqué qu’il avait commencé ses études universitaires à la faculté de droit à Genève lors de l’année académique 1999/2000. Il avait réussi la première série d’examens lors de la session de juin 2000 et la deuxième série lors de celles de juin et de septembre 2001. Il n’avait en revanche pas réussi l’intégralité des examens de la troisième série. Entre 2000 et 2004, il avait présenté et réussi son mémoire de licence, ainsi que les cinq matières optionnelles nécessaires à l’obtention de la licence en droit. Il avait toutefois renoncé, pour des raisons personnelles et juste avant la fin de sa formation, à se présenter aux derniers examens.

Cette situation était connue de la présidence du parti libéral genevois, qui l’avait présenté comme candidat à l’élection de juge assesseur de la commission de recours ; cette dernière l’avait régulièrement convoqué depuis le mois de septembre 2006.

M. L_____ a encore indiqué qu’il allait adresser au tribunal les procès-verbaux d’examens qu’il n’avait pas réunis à temps, dans les meilleurs délais.

9. Le même jour, à midi, le juge délégué à l’instruction de la cause a pris contact avec M. L_____ par téléphone, en lui demandant de lui faire parvenir son curriculum vitae pendant l’après-midi de la même journée.

10. Par télécopie du 6 décembre 2006, le juge délégué à l’instruction de la cause a demandé à Madame la sautière du Grand-Conseil de lui adresser le dossier de candidature déposé par M. L_____ en vue de son élection.

Répondant à cette demande, et avec l’accord du Grand-Conseil, Mme la sautière du Grand-Conseil a transmis au tribunal les documents suivants :

Le dossier déposé le 14 novembre 2005 par M. L_____ pour l’élection d’un membre de la commission de recours de formation juridique. L’intéressé indiquait exercer la profession de directeur ;

Le curriculum-vitae de l’intéressé, dont il ressort qu’il était titulaire d’un certificat de maturité économique obtenu en 1999, et qu’il prévoyait d’obtenir une licence en droit en 2006. Dans la rubrique « expérience professionnelle », il mentionnait être collaborateur régulier de la fiduciaire G______ depuis 1995, fiduciaire dont il était le directeur depuis septembre 2005. En 2002 et en 2003, il avait été attaché parlementaire de Madame Barbara Polla, conseillère nationale ;

Une lettre adressée le 29 mars 2006 par la présidente de la commission de recours au bureau du Grand-Conseil, dont il ressortait que trois des membres élus par le Grand-Conseil - dont M. L_____ - n’étaient pas porteurs d’une licence en droit. M. L_____ avait indiqué qu’il se présenterait aux examens pour l’obtention de ce titre en droit en automne 2006. Les présidents de la commission de recours, réunis en plénum, avaient alors décidé que ces personnes ne siégeraient pas en l’état, étant précisé que le cas de M. L_____ serait résolu par l’obtention de son titre universitaire ;

La réponse du bureau du Grand-Conseil au document précédent, daté du 28 avril 2006. Les personnes mentionnées avaient acquis, par un biais ou un autre, une formation juridique. Selon les débats au Grand-Conseil, la question se posait davantage en termes de compétence et de sensibilité que d’exercice en tant que professionnel du droit. L’article 4 alinéa 1 LaLSEE, en évoquant la « formation juridique », ne faisait pas expressément référence à une licence en droit. Si la commission de recours estimait que les personnes en question ne devaient pas siéger, il lui incombait de le communiquer formellement au bureau du Grand-Conseil, afin que les responsables des groupes concernés en soient informés. Il était encore précisé que l’une des personnes concernées avait démissionné ;

Un courrier adressé par la présidente de la commission au bureau du Grand-Conseil, le 19 mai 2005, prenant note du fait que le Grand-Conseil considérait que la formation des personnes concernées correspondait aux exigences légales.

11. Par télécopie datée du 5 décembre 2006, mais reçue au tribunal deux jours plus tard seulement, à 11h49, M. L_____ a transmis son curriculum vitae. Aux activités déjà mentionnées, il fallait ajouter que, depuis septembre 2006, il avait fait inscrire au Registre du commerce la société L______, dont il était au début du processus de création. Il a donné des détails sur ses activités politiques au parti libéral ainsi qu’au parti appelé « La droite libérale », créé en novembre 2006. Il a de plus détaillé diverses autres activités qu’il a exercées auprès de la Ville de Genève, de SSR Idée Suisse, etc.

12. Tant la détermination de l’OCP que la réponse de M. L_____ et celle de Mme la sautière ont été transmises aux parties.


1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente loi d’application, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 alinéa 5 et 10 alinéa 1 de la de la LaLSEE; art 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. En application de l’article 10 alinéa 2 LaLSEE, le Tribunal administratif statue dans les dix jours qui suivent sa saisine. En statuant le 7 décembre 2006, ce délai, qui vient à expiration le dimanche 10 décembre 2006, est respecté.

3. Lorsqu’une décision de renvoi ou d’expulsion de première instance a été notifiée, l’autorité cantonale compétente peut, aux fins d’en assurer l’exécution, mettre la personne en détention lorsque les conditions prévues aux article 13A et suivants LSEE sont remplies et ce, pour une durée de trois mois. Lorsque des obstacles particuliers s’opposent à l’exécution du renvoi ou de l’expulsion, la détention peut être prolongée de six mois au maximum avec l’accord de l’autorité judiciaire cantonale.

L’article 13C alinéas 1 et 2 LSEE précise que la détention est ordonnée par l’autorité du canton, compétent pour l’exécution du renvoi ou de l’expulsion ; la légalité et l’adéquation de cette détention doivent être examinées dans les nonante-six heures au plus tard par une autorité judiciaire au terme d’une procédure orale.

4. Dans le canton de Genève, l’autorité compétente pour prolonger la détention en vue de refoulement au-delà de trois mois est la commission de recours (art. 7 al. 4 let. e LaLSEE). Cette commission, nommée pour quatre ans au début de chaque législature, siège dans une composition constituée d’un président, juge ou ancien juge de carrière, et de « deux assesseurs de formation juridique ». Ces derniers sont nommés par le Grand-Conseil (art. 4 al. 1 et 2 LaLSEE).

5. Le recourant se plaint de la composition irrégulière de la commission.

a. Le droit des parties à une composition régulière d’un tribunal découle des articles 30 alinéa 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et 6 paragraphe 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) (ATF 129 V 198 consid. 4 ; ATF 129 V 339 consid. 1, ainsi que les arrêts cités).

b. Selon une jurisprudence constante du Tribunal fédéral, la loi s'interprète en premier lieu d'après sa lettre (interprétation littérale). Si le texte légal n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge recherchera la véritable portée de la norme en la dégageant de sa relation avec d'autres dispositions légales, de son contexte (interprétation systématique), du but poursuivi, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique), ainsi que de la volonté du législateur telle qu'elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique) (ATF 129 V 258 consid. 5.1 p. 263/264 et les références citées). Le Tribunal fédéral utilise les diverses méthodes d'interprétation de manière pragmatique, sans établir entre elles un ordre de priorité hiérarchique (ATF 125 II 206 consid. 4a p. 208/209). Enfin, si plusieurs interprétations sont admissibles, il faut choisir celle qui est conforme à la Constitution (ATF 119 Ia 241 consid. 7a p. 248 et les arrêts cités).

c. En ce qui concerne l’interprétation littérale, le Tribunal fédéral a récemment rappelé que le terme « formation » signifiait l’ensemble des connaissances théoriques et pratiques dans une technique ou un métier, ainsi que l’acquisition de ces connaissances. Ce terme recouvrait non seulement les formations professionnelles initiales et supérieures sanctionnées par un examen et un certificat, un brevet ou un diplôme, mais aussi la formation continue ainsi que toute expérience professionnelle acquise en dehors des filières habituelles (Arrêt du Tribunal fédéral 1P 615/2005 du 23 décembre 2005, concernant la « licence en droit suisse ou une formation jugée équivalente », exigées pour les assesseurs du Tribunal cantonal des assurances sociales).

d. Pour ce qui est de l’interprétation historique, il sied de relever que, lors des travaux législatifs ayant précédé l’adoption de la loi, les termes « formation juridique » ou « juriste » figurent indifféremment aussi bien dans le rapport de la commission du Grand-Conseil que dans la transcription des interventions des députés lors des débats (Mémorial du Grand-Conseil, 1996, 51/VIII, 7600 ; 7616 ; 7617 et 7618).

e. Au vu de ces éléments, le Tribunal administratif retiendra que les termes « formation juridique » n’impliquent pas que le candidat au poste de juge assesseur à la commission de recours soit obligatoirement titulaire d’une licence ou d’un baccalauréat universitaire en droit. Les connaissances juridiques pour occuper ce poste peuvent avoir été acquises soit dans d’autres formations, soit au cours d’une expérience professionnelle ou de formation continue. Toutefois, les connaissances obtenues lors de formations continues ou dans l’exercice d’une profession doivent permettre de considérer que le niveau atteint correspond à celui d’un licencié en droit.

6. En l’espèce, il ressort des renseignements obtenus par le Tribunal administratif que M. L_____ a poursuivi les cours de la faculté de droit entre 2000 et 2004, sans toutefois obtenir de titre universitaire. De plus, les expériences professionnelles et les activités dont il fait état dans son curriculum vitae ne permettent pas d’admettre qu’il aurait, par la pratique, acquis des connaissances juridiques complétant celles reçues à l’université et qu’il dispose de la formation juridique exigée pour les membres de la commission de recours. Enfin, il n’a pas obtenu le titre dont il se prévalait dans son dossier de candidature.

En conséquence, la décision litigieuse a été rendue par une autorité constituée d’une manière non conforme à la loi.

7. La composition irrégulière d’un tribunal constitue une cause d’annulabilité du jugement qui a été rendu, et non de nullité (Arrêt du Tribunal fédéral du 15 mars 2004 dans la cause I 688/03 consid. 3, ainsi que la jurisprudence et la doctrine citées).

Contrairement à ce qu’allègue l’OCP, le grief soulevé par le recourant a été formulé dans des délais acceptables. On ne peut en effet exiger du recourant ou de son représentant qu’il exprime, au cours de l’audience, les doutes qu’il pourrait nourrir quant à la capacité à siéger de l’un des membres de la commission de recours. De tels griefs nécessitent, avant d’être formulés, un minimum de contrôle et, à tout le moins, la possibilité de consulter le texte de la loi et des travaux législatifs, qui ne sont pas disponibles au cours de la procédure orale devant la commission de recours.

8. Au vu de ce qui précède, le recours sera admis et la décision litigieuse annulée. La détention de M. B_____ n’ayant pas été contrôlée dans le délai de nonante-six heures prévu par la législation fédérale, sa relaxe immédiate sera ordonnée.

Une indemnité en CHF 1'000.- lui sera allouée, à la charge de l’Etat de Genève.

9. Vu les spécificités du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 LPA).

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 30 novembre 2006 par Monsieur B_____ contre la décision de la commission cantonale de recours de police des étrangers du 20 novembre 2006 ;


au fond :

admet le recours ;

annule la décision de la commission cantonale de recours de police des étrangers du 20 novembre 2006 ;

ordonne la relaxe immédiate de Monsieur B_____ ;

alloue au recourant une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge de l’Etat de Genève ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

dit que, conformément aux articles 97 et suivants de la loi fédérale d'organisation judiciaire, le présent arrêt peut être porté, par voie de recours de droit administratif, dans les trente jours dès sa notification, par-devant le Tribunal fédéral ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé en trois exemplaires au moins au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14 ; le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyen de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jessica Dentella, avocate du recourant ainsi qu'à la commission cantonale de recours de police des étrangers, à l’office cantonal de la population, à la direction de la maison de Frambois, établissement concordataire de détention administrative, à l’office fédéral des migrations, et, pour information, à Monsieur - L_____.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, Mme Hurni, M. Thélin, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

la juge :

 

 

Eliane Hurni

 

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :