Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/3430/2014

ATA/653/2015 du 23.06.2015 ( FPUBL ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3430/2014-FPUBL ATA/653/2015

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 23 juin 2015

 

dans la cause

 

M. A______
représenté par Me Christian Bruchez, avocat

contre

VILLE DE GENÈVE



EN FAIT

1) M. A______ a été engagé par la Ville de Genève (ci-après : la ville) en qualité de gestionnaire du domaine public le 1er novembre 2001 et a été confirmé à ce poste le 1er novembre 2004.

La qualité de son travail a toujours fait l’objet d’évaluations positives.

2) Par décision du 28 mai 2014, la ville a ouvert une enquête administrative à l’encontre de l’intéressé, qui aurait contrevenu aux directives régissant l’utilisation des systèmes d’information en consultant des sites Internet à caractère érotique et/ou pornographique au moyen du matériel informatique appartenant à la ville, en utilisant ledit matériel pour stocker et manipuler des fichiers ayant le même caractère et en ayant, pendant ses heures de travail, déployé une occupation étrangère à son activité professionnelle.

3) Le 5 septembre 2014, les enquêteurs ont rendu leur rapport.

La direction des systèmes d’information et de communication de la ville avait découvert que de nombreuses annonces érotiques avaient été consultées au moyen d’ordinateurs professionnels. Des investigations complémentaires avaient été réalisées dont il ressortait que l’intéressé naviguait de manière régulière sur un site de petites annonces érotiques et qu’il y publiait des annonces. Il se rendait quotidiennement sur les sites de petitesannonces.ch et anibis.ch pour une durée allant de quelques dizaines de minutes à 1h30. Entre le 11 novembre 2013 et le 7 février 2014, il avait consulté 8’700 pages. Il avait inséré, sur une période de neuf mois, 182 annonces. L’intéressé avait expliqué qu’il publiait ses annonces tant pour lui-même que pour vingt ou trente femmes, cela dans le dessein non seulement de bénéficier d’une certaine importance à leurs yeux, mais également de pouvoir bénéficier de contacts plus intimes avec elles. M. A______ avait souligné que son travail n’avait jamais pâti de ces activités. De plus, la ville avait édicté une directive relative à l’utilisation des systèmes d’information et de communication le 8 octobre 2003, laquelle tolérait l’utilisation de ces systèmes à des fins privées pour autant qu’elle reste occasionnelle, qu’elle se trouve dans les limites résultant de l’obligation de consacrer tout son temps à son travail et qu’elle n’entraîne pas la consultation ou la transmission de représentations obscènes ou violentes. L’intéressé avait signé un engagement à respecter ce texte, le 24 janvier 2004.

Selon les conclusions de ce document, l’intéressé n’avait pas eu un comportement adéquat dans le cadre de son activité professionnelle. Il avait consulté, inséré et répondu à des annonces érotiques durant ses heures de travail, sur une période de onze mois, tant pour lui-même que pour vingt à trente personnes de sexe féminin. Il avait téléchargé des images à caractère érotique et n’avait ainsi pas respecté ses devoirs de fonction. En revanche, M. A______ n’avait pas consulté de sites pornographiques ni stocké des fichiers de cette nature.

4) Le 10 septembre 2014, la ville a accordé à M. A______ un délai afin que ce dernier exerce son droit d’être entendu.

5) Par courrier électronique du 23 septembre 2014, M. A______ s’est déterminé. Il précisait un ou deux éléments terminologiques. Son attitude n’avait pas été intelligente, il en avait honte et il regrettait son comportement. Le fait qu’il se sente bien au travail ne lui donnait pas le droit d’agir ainsi. Il espérait qu’une dernière chance lui serait donnée pour prouver son sérieux et sa motivation.

Il renonçait à être entendu par le conseil administratif.

6) Le 8 octobre 2014, le conseil administratif de la ville a résilié, pour motifs objectivement fondés, le contrat de travail de M. A______, avec effet au 30 avril 2015.

L’intéressé était libéré de son obligation de travailler jusqu’au terme du délai de congé.

L’intéressé avait, dès le mois de juillet 2013, utilisé son ordinateur professionnel pour consulter, insérer et répondre à de nombreuses annonces érotiques, en particulier pendant ses heures de travail.

7) Par acte déposé au guichet le 11 novembre 2014, M. A______ a saisi la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) d’un recours contre la décision précitée.

Il n’avait pas porté atteinte à la considération et à la confiance dont la ville doit être l’objet de la part de ses employés car il avait toujours agi en son nom propre. Il n’avait pas non plus porté atteinte à la sécurité des systèmes d’information. Son écran d’ordinateur n’avait jamais été visible par des tiers et des collègues de travail.

Dès qu’il avait appris l’ouverture de l’enquête, il avait cessé de consulter des annonces érotiques. D’autres employés de son service consultaient des sites Internet à titre privé pendant les heures de travail et depuis leur poste de travail, sans qu’une sanction ne soit prononcée.

Ses agissements avaient été commis à une époque où il était en proie à des difficultés d’ordre relationnel sur son lieu de travail.

Au vu de ces éléments, la décision violait le principe de la proportionnalité et était dès lors contraire au droit.

La ville devait être invitée à le réintégrer, et, à défaut, une indemnité de licenciement égale à vingt-quatre mois du dernier traitement brut de base devait lui être allouée.

8) Le 30 janvier 2015, la ville a conclu au rejet du recours.

M. A______ avait admis les faits qui lui étaient reprochés. Il avait répondu à des annonces érotiques et consulté un nombre important de pages Internet. Un tel comportement portait gravement atteinte à l’image de la ville au sein du public et à la considération dont celle-ci doit être l’objet. De plus, M. A______, qui avait des contacts réguliers dans sa fonction avec le public et avec les agents de la police municipale, devait avoir un comportement irréprochable.

L’utilisation des moyens informatiques avait été massive. Dans cette situation, la décision querellée respectait tant le principe de l’adéquation que celui de la subsidiarité et celui de la nécessité.

La ville excluait toute possibilité de réintégration.

9) Le 23 février 2015, la chambre administrative a entendu les parties en audience de comparution personnelle.

M. A______ a indiqué que la consultation des sites non autorisés avait été réalisée uniquement depuis sa propre station de travail professionnelle.

À l’époque des faits, il y avait des tensions au sein du service et dans son foyer, qui s’étaient réglées depuis lors.

Au terme de cette audience, les parties ont indiqué qu’elles n’avaient pas d’autres actes d’instruction à solliciter et ont pris note que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Fonctionnaire de la ville, le recourant est soumis aux dispositions du statut du personnel de la Ville de Genève du 29 juin 2010 (ci-après : le statut).

3) La décision litigieuse respecte la procédure de licenciement régie par les art. 96 et ss du statut et par la LPA, à laquelle renvoie à l'art. 37 du statut.

4) Les communes disposent d’une très grande liberté de décision dans la définition des modalités concernant les rapports de service qu’elles entretiennent avec leurs agents (arrêt du Tribunal fédéral 2P.46/2006 du 7 juin 2006 ; François BELLANGER, Contentieux communal genevois, in : L’avenir juridique des communes, 2007, p. 149). Ainsi, l’autorité communale doit bénéficier de la plus grande liberté d’appréciation pour fixer l’organisation de son administration et créer, modifier ou supprimer des relations de service nécessaires au bon fonctionnement de celles-ci, questions relevant très largement de l’opportunité et échappant par conséquent au contrôle de la chambre administrative. Ce pouvoir discrétionnaire ne signifie pas que l’autorité est libre d’agir comme bon lui semble. Elle ne peut ni renoncer à exercer ce pouvoir ni faire abstraction des principes constitutionnels régissant le droit administratif, notamment la légalité, la bonne foi, l’égalité de traitement, la proportionnalité et l’interdiction de l’arbitraire (Bernard KNAPP, Précis de droit administratif, 4ème éd., 1991, n. 161 ss). Le juge doit ainsi contrôler que les dispositions prises se tiennent dans les limites du pouvoir d’appréciation de l’autorité communale et qu’elles apparaissent comme soutenables au regard des prestations et du comportement du fonctionnaire ainsi que des circonstances personnelles et des exigences du service (ATA/329/2013 du 28 mai 2013 ; ATA/707/2011 du 22 novembre 2011).

5) a. Les membres du personnel de la ville qui violent leurs devoirs de service intentionnellement ou par négligence peuvent se voir infliger un avertissement, un blâme ou la suppression de l’augmentation annuelle de traitement pour l’année à venir (art. 93 du statut). En tout état de cause, si la violation des devoirs de service le justifie, le changement d’affectation d’office au sens de l’art. 41 al. 4 du statut ou le licenciement sont réservés (art. 94 du statut, intitulé « autres mesures »).

Selon l’art. 34 al. 1 du statut, après la période d’essai, un employé peut être licencié, par décision motivée du conseil administratif, pour motif objectivement fondé pour la fin d’un mois, moyennant un délai de préavis de six mois dès la onzième année de service.

b. Le licenciement est contraire au droit s’il est abusif au sens de l’art. 336 de la loi fédérale complétant le Code civil suisse du 30 mars 1911 (Livre cinquième : Droit des obligations - CO - RS 220) ou s’il ne repose pas sur un motif objectivement fondé. Est considéré comme objectivement fondé tout motif dûment constaté démontrant que les rapports de service ne peuvent pas se poursuivre en raison notamment d’un manquement grave ou répété aux devoirs de service (art. 34 al. 2 let. b du statut).

c. Le licenciement pour motif objectivement fondé doit respecter les principes constitutionnels régissant le droit administratif, notamment l’égalité de traitement, la proportionnalité et l’interdiction de l’arbitraire.

6) Selon l’art. 82 du statut, les membres du personnel sont tenus au respect des intérêts de la ville et doivent s’abstenir de tout ce qui peut lui porter préjudice. Ils doivent, par leur attitude, justifier et renforcer la considération et la confiance dont le personnel de la ville doit être l’objet (art. 83 let. c du statut). Pendant les heures de travail, ils doivent s’abstenir de toute occupation étrangère au service (art. 84 let. c du statut) et se conformer aux règlements et directives les concernant (art. 84 let. f du statut).

7) En l’espèce, les devoirs du personnel rappelés ci-dessus ont manifestement été violés par le recourant. L’utilisation qu’il a faite des systèmes informatiques mis à disposition par son employeur ne respecte en aucune manière la directive édictée par la ville au sujet des moyens informatiques, ni l’engagement signé par l’intéressé en 2004. De plus, le temps passé quotidiennement à cette activité est totalement incompatible avec l’obligation de s’abstenir de toute activité étrangère au travail pendant les heures de service. Le fait, non contesté, que l’intéressé ait toujours agi en son nom et non en celui de la ville est inapte à l’exonérer des reproches qui lui sont faits dans la mesure où les traces informatiques laissées par l’intéressé, notamment dans les serveurs des sites qu’il consultait et dans lesquels il publiait des annonces, permettaient ou auraient permis de faire un lien entre les services de la ville et le contenu de ces annonces.

8) a. Au vu de ce qui précède, la ville n’a pas abusé de son pouvoir d’appréciation en considérant que le comportement du recourant était constitutif d’un motif fondé et que les rapports de service ne pourraient se poursuivre en raison des manquements graves et répétés de l’intéressé.

b. Le recours sera dès lors rejeté.

9) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 11 novembre 2014 par M. A______ contre la décision de la Ville de Genève du 8 octobre 2014 ;

 

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de M. A______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Christian Bruchez, avocat du recourant, ainsi qu'à la Ville de Genève.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Junod, M. Dumartheray, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Pagan, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :