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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1731/2004

ATA/63/2005 du 01.02.2005 ( JPT ) , REJETE

Descripteurs : TAXI; REVOCATION; REFUS DE L'AUTORISATION; RETRAIT; INSOLVABILITE; INTERET PUBLIC; PROPORTIONNALITE; ARBITRAIRE
Normes : RLST.4 al.1 litt.b; LST.6 al.1; LST.6 al.2 litt.b; LST.18 litt.c
Résumé : Refus d'accorder une carte de chauffeur de taxi indépendant avec employé à une personne insolvable, qui fait l'objet de neuf poursuites et de deux actes de défauts de biens. L'autorisation accordée sous l'empire de l'ancien droit doit être retirée. La délivrance d'une carte de chauffeur indépendant mais sans employé apparaît proportionnée au but d'intérêt public visé par la loi.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1731/2004-JPT ATA/63/2005

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 1er février 2005

1ère section

dans la cause

 

Monsieur T__________
représenté par Me Stéphane Rey, avocat

contre

DEPARTEMENT DE JUSTICE, POLICE ET SECURITE


 


1. Monsieur T__________, né le __________ 1955, de nationalité suisse, domicilié à Genève, est titulaire de la carte professionnelle de chauffeur de taxi depuis le 21 décembre 1994.

2. Il a exercé la profession de chauffeur de taxi en tant qu’employé pendant un peu plus de trois ans puis a obtenu, le 19 février 1998, conformément aux dispositions légales alors en vigueur, l’autorisation d’exploiter un service de taxis avec permis de stationnement.

3. A la suite de l’entrée en vigueur, le 1er juin 1999, de l’actuelle loi régissant le service des taxis, M. T__________ a sollicité, le 31 mars 2000, une carte professionnelle de chauffeur indépendant avec employé(s), requête qu’il a complétée ultérieurement, le 19 janvier 2004, par le dépôt d’une demande d’autorisation d’exploiter un service de taxis avec permis de stationnement et avec un ou plusieurs employés.

4. Un contrôle effectué par le service des autorisations et patentes du département de justice, police et sécurité (ci-après : le département), le 10 mai 2004 auprès de l’office des poursuites a fait apparaître que l’intéressé faisait l’objet de neuf poursuites en cours pour un montant total de CHF 12'727,65 et de deux actes de défaut de biens totalisant CHF 5'310,70. Leur détail sera précisé en tant que de besoin dans le considérant en droit 2c ci-après.

5. Par arrêté du 16 juillet 2004, le département a :

- révoqué l’autorisation d’exploiter un service de taxis avec permis de stationnement, délivrée le 19 février 1998 à M. T__________ ;

- refusé l’autorisation d’exploiter un service de taxis avec permis de stationnement, sollicitée par M. T__________ le 19 janvier 2004 ;

- refusé de délivrer la carte professionnelle de chauffeur indépendant avec employé(s) sollicitée par M. T__________ le 31 mars 2000 ;

- délivré, en lieu et place de cette dernière, une carte professionnelle de chauffeur indépendant sans employé de telle sorte qu’il pouvait uniquement poursuivre son activité de chauffeur de taxi indépendant avec permis de stationnement sans employé.

Cette décision est motivée par le fait que l’intéressé ne remplissait manifestement plus la condition de solvabilité requise pour continuer à bénéficier d’une autorisation d’exploiter un service de taxis avec permis de stationnement et un ou plusieurs employés, vu les actes de défaut de biens et les poursuites en cours à son encontre.

6. Par acte du 16 août 2004, M. T__________ a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif, concluant à son annulation et à l’octroi d’une autorisation d’exploiter un service de taxis avec permis de stationnement et avec un ou plusieurs employés.

Le département avait abusé de son pouvoir d’appréciation en refusant l’autorisation sollicitée car d’une part, les dettes étaient d’ordre strictement privé et ne concernaient pas son activité professionnelle et d’autre part, il était actuellement en pourparlers pour racheter les actes de défaut de biens et avait contesté les poursuites en cours, son assurance-maladie n’ayant pas tenu compte de certains versements. Par ailleurs, il avait toujours tiré un certain bénéfice de son activité professionnelle, le bilan produit pour l’année 2003 faisant apparaître un bénéfice de CHF 5'758,80, pour un chiffre d’affaires de CHF 51'063.-.

A supposer qu’elle fut fondée dans son principe, la décision était disproportionnée, n’étant pas adéquate pour atteindre l’intérêt public poursuivi par la loi – soit la protection des employés - , ni subsidiaire, ni nécessaire : le bilan produit démontrait qu’était à même d’assumer des employés (sic) et le département aurait pu se contenter d’exiger une garantie financière. Il n’existait pas d’intérêt public prépondérant justifiant qu’on lui refuse le droit d’exploiter un service de taxis avec des employés. La décision était arbitraire et fondée sur une loi qui violait la liberté économique garantie par la Constitution fédérale.

7. Dans ses observations du 15 septembre 2004, le département s’est opposé au recours.

La décision attaquée reposait sur une base légale formelle permettant à l’autorité de subordonner l’autorisation d’exploiter une entreprise de taxis avec un ou plusieurs employés à des conditions de capacité, de moralité et de solvabilité. Cette dernière exigence répondait à un intérêt public, soit la prévention des abus dans un domaine où les relations professionnelles étaient fondées sur la confiance. Elle respectait le principe de la proportionnalité : elle permettait d’atteindre l’intérêt public visé ; la loi imposait la révocation de l’autorisation d’exploiter d’un titulaire insolvable, mais cela n’était pas définitif, le retour à meilleure fortune permettant d’en solliciter une nouvelle ; le recourant pouvait continuer à exercer sa profession de chauffeur de taxi indépendant ; les atteintes aux intérêts privés et publics découlant de l’application de la loi n’étaient pas si graves qu’il faille renoncer à la décision prise.

8. Un second échange d’écritures, les 25 octobre et 24 novembre 2004, n’a pas apporté d’éléments nouveaux et le 26 novembre 2004, la cause a été gardée à juger.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. a. L’article 5 alinéa 1 de la loi sur les services de taxis du 26 mars 1999 (LTaxis – H 1 30) dispose que la carte professionnelle de chauffeur indépendant confère au chauffeur le droit d’exercer son activité comme indépendant sans employé. Sa délivrance n’est pas subordonnée à une exigence de solvabilité. En revanche, l’exploitation d’un service de taxis sous la forme d’une entreprise avec un ou plusieurs employés est subordonnée à l’obtention préalable d’une autorisation d’exploiter dont le titulaire doit être solvable (art. 6 al. 1 et al. 2 let. b LTaxis). Il doit à cet égard produire des attestations de l’office des poursuites et de l’office des faillites certifiant sa solvabilité (art. 4 al. 1 let. b du règlement d’exécution de la LTaxis du 8 décembre 1999 – RTaxis – H 1 30 01).

b. Cette exigence de solvabilité se justifie afin de s'assurer que l'exploitant, appelé à diriger un ou plusieurs employés, dispose de capacités de gestionnaire et qu'il soit en mesure d'exploiter son entreprise dans le respect des lois sociales et du droit du travail. Un exploitant endetté pourrait être tenté de ne pas effectuer les retenues usuelles sur salaire, par exemple.

Cette exigence existe dans d'autres lois. La loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 23 juin 2000 (LLCA - RS 935.61) prévoit en son article 8 alinéa 1 lettre c que l'avocat ne doit pas faire l'objet d'un acte de défaut de biens pour être inscrit au registre des avocats. La loi genevoise sur les agents intermédiaires du 20 mai 1950 (I 2 12) institue également une condition semblable. L'autorisation est refusée à celui qui a suspendu ses paiements pour cause d'insolvabilité générale et durable (art. 3 let. b). Même exigence figure à l'article 8 alinéa 1 lettre c du Concordat sur les entreprises de sécurité du 18 octobre 1996 (I 2 15).

L'exigence de solvabilité répond à un but d'intérêt public, soit la prévention des abus dans un domaine de relations professionnelles fondées sur la confiance (ATA L. du 12 avril 1994, résumé in Sem. Jud 1995 p. 585). Dans le cas de l’exploitant d’un service de taxis, il y a lieu de relever qu’elle constitue une atteinte moindre à la liberté économique puisqu’elle est distincte de la délivrance de la carte professionnelle de chauffeur de taxi et n’est donc pas une condition d’accès à la profession.

c. Dans le cas d’espèce, force est de constater que le recourant fait l’objet de deux actes de défaut de biens pour des poursuites de 2002 dont le montant à lui seul équivaut quasiment à celui de son bénéfice de son activité professionnelle en 2003. Il allègue être en pourparlers pour les racheter mais ne fournit aucune pièce ni offre de preuve à cet égard. Quant aux poursuites en cours, au nombre de neuf, pour un montant total de CHF 12'727,65, il apparaît que seules deux d’entre elles ont fait l’objet d’une opposition et sur ces dernières, une seulement émane d’une compagnie d’assurance, pour un montant de CHF 403,30. Les autres en sont à des stades divers de la procédure de poursuite, allant de la remise du commandement de payer à la poste pour la plus récente – émanant de la caisse interprofessionnelle d’assurance vieillesse et survivants – à la saisie exécutée pour la plus ancienne. Eu égard au caractère personnel de l’autorisation d’exploiter un service de taxis avec employés(s) et au fait que le recourant exerce son activité sous forme d’entreprise individuelle, l’origine des dettes ayant donné lieu aux poursuites est sans pertinence.

Au vu de ce qui précède, le département a considéré à juste titre que le recourant ne remplissait pas la condition de solvabilité fixée par l’article 6 alinéa 2 lettre b LTaxis.

3. Le recourant soutient que la décision querellée serait disproportionnée.

 Traditionnellement, le principe de la proportionnalité se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé -, de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés - et de proportionnalité au sens étroit - qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 1P. 269/2001, consid. 2c ; ATF 125 I 474 consid. 3 p. 482).

Dès lors que le recourant ne remplit pas l’une des conditions à la délivrance de l’autorisation d’exploiter un service de taxis avec employé(s), le refus de cette dernière et la révocation de celle délivrée le 19 février 1998, conformément à l’article 18 lettre c LTaxis, constituent le seul moyen d’obtenir une situation conforme au droit.

En délivrant au recourant une carte professionnelle de chauffeur indépendant sans employé, le département lui permet de continuer à exercer sa profession et par là-même d’obtenir un revenu régulier.

Le grief doit ainsi être écarté.

4. Le recourant allègue – sans démonstration aucune - que la Ltaxis violerait la liberté économique garantie par l’article 27 de la Constitution fédérale du 18 avril 1999 (Cst RS 101).

Toutefois, force est de constater qu’il demeure titulaire d’une carte professionnelle de chauffeur indépendant sans employé, de sorte qu’il peut continuer à exercer sa profession. Le grief doit ainsi être rejeté.

5. Enfin, le recourant prétend que la décision querellée serait arbitraire.

Une décision est arbitraire lorsqu’elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté ou lorsqu’elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l’équité. A cet égard, le Tribunal fédéral ne s’écarte de la solution retenue par l’autorité cantonale de dernière instance que lorsque celle-ci est manifestement insoutenable, qu’elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, si elle a été adoptée sans motif objectif ou en violation d’un droit certain. L’arbitraire ne résulte pas du seul fait qu’une autre solution pourrait entrer en considération ou même qu’elle serait préférable. Pour qu’une décision soit annulée pour cause d’arbitraire, il ne suffit pas que la motivation formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 128 I 177consid. 2.1 p. 182 ; ATF n.p. du 2 avril 2001, 4P.149/2000, consid. 2 et arrêts cités).

Appelé à examiner le caractère arbitraire d’une décision, le Tribunal administratif suit le raisonnement du Tribunal fédéral en la matière.

b. Le recourant n’indique pas quelle norme ou quel principe juridique indiscuté la décision querellée violerait gravement, ni de quelle manière le sentiment de la justice et de l’équité serait heurté, se contentant de rappeler qu’il conteste en partie les poursuites et qu’il serait en pourparlers pour le rachat des actes de défaut de bien. Ce grief sera donc ainsi écarté.

6. Entièrement mal fondé, le recours sera rejeté. Aucun émolument ne sera perçu, le recourant étant au bénéfice de l’assistance juridique.

 

* * * * *

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 août 2004 par Monsieur T__________ contre la décision du département de justice, police et sécurité du 16 juillet 2004;

au fond :

le rejette;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument;

communique le présent arrêt à Me Stéphane Rey, avocat du recourant ainsi qu'au département de justice, police et sécurité.

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Hurni, Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la secrétaire-juriste :

 

 

M. Vuataz-Staquet

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :