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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1322/2008

ATA/566/2008 du 04.11.2008 ( CE ) , REJETE

Descripteurs : ; AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE ; PLAN D'AFFECTATION SPÉCIAL ; MESURE DE PROTECTION ; GARANTIE DE LA PROPRIÉTÉ ; INTÉRÊT PUBLIC ; PROPORTIONNALITÉ ; ÉGALITÉ DE TRAITEMENT
Normes : LPMNS.35 ; LPMNS.38 ; Cst.26.al1
Parties : MOSER Isabelle / CONSEIL D'ETAT
Relations : A/1331/2008
Résumé : Recours contre l'adoption du plan de site "les squares de Montchoisy" rejeté. L'adoption d'un plan de site est la mesure la plus adaptée au vu de l'importance du périmètre et de la volonté de protéger tant les bâtiments que les aménagements extérieurs. Cette mesure qui vise à préserver la valeur d'ensemble présentée par les quatre squares, répond à un intérêt public et respecte le principe de proportionnalité.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1322/2008-CE ATA/566/2008

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 4 novembre 2008

 

dans la cause

 

Madame Isabelle MOSER-VERNET
représentée par Me Jean-Marc Siegrist, avocat

contre

CONSEIL D'éTAT


 


EN FAIT

1. Le périmètre situé entre la rue de Montchoisy, la route de Frontenex, l'avenue William Favre et la rue Ernest-Bloch comprend quatre squares, les squares de Montchoisy, séparés au centre par les avenues Théodore-Flournoy et Ernest-Hentsch. Les immeubles qui délimitent chacun de ces squares ont été réalisés entre 1927 et 1957 par les architectes Maurice Braillard, Louis Vial, les frères Honegger, Jean Erb et Louis Paré.

Le square compris entre la rue de Montchoisy, l'avenue Théodore-Flournoy, l'avenue Ernest-Hentsch et l'avenue William Favre (square A) est composé de quatre barres d'immeubles, réalisées par Maurice Braillard et Louis Vial.

Le square B est délimité par trois blocs d'habitation sis rue de Montchoisy, rue Ernest-Bloch et avenue Ernest-Hentsch. Le premier a été édifié par Maurice Braillard et les deux autres par les frères Honegger. Le long de l'avenue Théodore-Flournoy se trouve un garage.

Quant aux deux derniers squares, ils se composent chacun de quatre barres d'immeubles. Les constructions sont l'œuvre des frères Honegger, à l'exception des immeubles sis aux nos 10 à 14 avenue Ernest-Hentsch (square C), construits par Jean Erb et Louis Paré et de ceux sis aux nos 31 et 33 rue Ernest-Bloch (square D), édifiés par Charles Braillard.

2. Madame Isabelle Moser-Vernet est propriétaire de l'immeuble sis au n° 59, route de Frontenex sur la parcelle n° 2063 de la commune de Genève, section Eaux-Vives.

3. Lors de sa séance plénière du 28 octobre 2003, la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : CMNS ou la commission) s'est prononcée en faveur de la mise sous protection d'une cinquantaine d'objets d'architecture du 20ème siècle. Parmi les objets recensés figuraient les squares de Montchoisy.

4. Le 7 octobre 2005, les propriétaires des bâtiments sis aux nos 12 et 14 avenue Ernest-Hentsch, respectivement sur les parcelles nos 1992 et 1991 de la commune de Genève, ont déposé, auprès du département de l’aménagement, de l’équipement et du logement, devenu depuis lors, le département des constructions et des technologies de l’information (ci-après : DCTI ou le département), des requêtes en autorisation de construire pour la surélévation de leur immeuble et la création d'un appartement.

5. a. Ces requêtes ont fait l'objet, le 26 octobre 2005, d'un préavis défavorable de la CMNS, sous-commission monuments et antiquités (ci-après : SCMA).

Les bâtiments se trouvaient dans le périmètre d’un plan de site en cours d’étude. Les squares de Montchoisy possédaient une grande valeur patrimoniale et architecturale. Le gabarit des immeubles découlait d’une étude attentive de la relation des places, avenues et rues avec les constructions. Or, la surélévation projetée ne tenait pas compte du langage architectural des façades du bâtiment d’origine et changeait le type de toiture ainsi que l’expression du couronnement de la façade. De plus, elle briserait l’homogénéité et la cohérence des gabarits voulus à l’origine pour cet ensemble.

b. Le 16 décembre 2005, le service des monuments et des sites (ci-après : SMS), direction du patrimoine et des sites, a également confirmé la nécessité de préserver le caractère d’ensemble des squares où se trouvaient les immeubles concernés, afin d’en sauvegarder les qualités urbaines et architecturales. Toutefois, en l’absence d’un plan de site, il n’était pas possible de se prononcer sur l’hypothèse d’une surélévation. Il paraissait ainsi justifié de prononcer un refus conservatoire.

c. La direction du patrimoine et des sites a, quant à elle, relevé, le 11 avril 2006, la qualité exceptionnelle des immeubles des squares de Montchoisy qui formaient un ensemble architectural et urbain unique à Genève, d’une typologie originale articulée autour de squares paysagés et dans lequel tout se conjuguait harmonieusement, volumes, gabarits, proportions, espaces libres jusqu’aux détails constructifs et décoratifs.

Six immeubles construits par Braillard, Vial et Honegger avant la guerre étaient protégés au titre de l’article 89 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05). En revanche, les autres immeubles, dont ceux de la rue Ernest-Hentsch, avaient été bâtis après la guerre par les frères Honegger et Jean Erb et ne bénéficiaient pas de protection patrimoniale au titre de la loi sur les ensembles du 19ème, début du 20ème siècle. Toutefois, ils faisaient incontestablement partie de l’ensemble Montchoisy tel que planifié par Maurice Braillard en 1927, car ils obéissaient au même dispositif urbanistique et leurs gabarits étaient alignés sur ceux des immeubles antérieurs dans un souci évident de compléter l’unité. C’était d’ailleurs pour reconnaître cette appartenance à l’ensemble formé par les deux squares et pallier à l’absence de mesure de protection spécifique que la CMNS les avait inscrits, en octobre 2003, sur une liste de cinquante-quatre objets importants d’architecture du 20ème siècle pour lesquels elle demandait l’ouverture de procédures d’inscription à l’inventaire ou d’élaboration de plans de site.

6. Le 25 avril 2006, le département a refusé les demandes de surélévation des immeubles sis aux nos 12 et 14, avenue Ernest-Hentsch.

7. Une étude de plan de site des squares de Montchoisy a été réalisée en décembre 2006. Après avoir abordé le contexte historique, urbanistique et architectural, elle a évalué les bâtiments et les a répertoriés en "exceptionnel", "intéressant", "intérêt secondaire" et "sans intérêt". Le SMS concluait que l’adoption d’un plan de site permettait de répondre aux objectifs de sauvegarde en conciliant les dimensions urbanistiques, architecturales, paysagères et artistiques de l’ensemble. La préservation de ce quartier exemplaire passait par une attention portée au respect de la cohérence de l’ensemble (gabarit, volumes, matériaux et aménagements extérieurs), et à la substance architecturale des bâtiments (modénature des façades, profil des toitures, aménagements et décors dans les espaces partagés tels que les halls d’entrée et les cages d’escalier). La protection de l’ensemble urbain de Montchoisy formé par les quatre squares, pour son exemplarité et ses indéniables qualités, appuyait la démarche des concepteurs du plan de morcellement de 1927 dans leur volonté initiale d’élaboration d’un quartier modèle.

8. Dans un préavis adopté en séance plénière du 27 février 2007, la CMNS a soulevé la qualité de l’étude qui était exhaustive et mettait en exergue les évidentes qualités patrimoniales de l’ensemble des squares ainsi que la nécessité, voire l’urgence de mesures de protection, que seul un plan de site pouvait garantir. Elle s’exprimait favorablement sur l’ensemble des objectifs poursuivis, notamment la préservation des qualités urbanistiques, architecturales et paysagères des quatre squares. Enfin, elle estimait que le plan de site devait clairement indiquer que le gabarit de l’ensemble des bâtiments, à l’exception du garage, devait être maintenu. S'agissant du garage, en cas de démolition/reconstruction de celui-ci, son gabarit devait respecter celui des bâtiments du square.

9. a. Un projet de plan de site n° 29559A-133, situé entre les avenues de Frontenex et William-Favre et les rues de Montchoisy et Ernest-Bloch, ainsi qu'un règlement ont été élaborés par le département afin d'assurer la protection de l'ensemble des squares de Montchoisy pour leurs qualités urbanistiques, architecturales et paysagères, dans l'esprit du plan de morcellement établi en 1927 (art. 1 règlement).

Pour ce faire, le caractère de l'ensemble du site devait être préservé, en particulier, les bâtiments dans leurs principes architecturaux, notamment le gabarit, le volume, les matériaux et les teintes ainsi que les aménagements extérieurs, notamment la végétation des squares et l'arborisation des avenues (art. 3 al. 1 règlement). Les travaux effectués dans le but d'améliorer le confort des habitants ou de réaliser des économies d'énergie devaient faire l'objet d'une étude préalable menée en coordination avec les services concernés, de manière à respecter l'architecture des bâtiments (art. 3 al. 2 règlement).

Le règlement distinguait quatre catégories de bâtiments, à savoir :

les bâtiments maintenus de catégorie A, de caractère exceptionnel en raison de leur qualité urbaine, architecturale et historique,

les bâtiments maintenus de catégorie B, de caractère intéressant en raison de leur qualité urbaine et architecturale,

les bâtiments avec éléments intéressants, principalement en raison de leur qualité urbaine,

les autres bâtiments.

Les éléments dignes de protection caractérisant la valeur des bâtiments de catégorie A devaient être sauvegardés, il en allait ainsi de la modénature des façades, du profil des toitures, des structures intérieures, des aménagements et des décors des halls d'entrée et des cages d'escalier (art. 4 al. 2 règlement). La même règle s'appliquait aux bâtiments de catégorie B ; les éléments à sauvegarder devaient toutefois être "particulièrement" dignes de protection et les structures intérieures n'en faisaient pas partie (art. 4 al. 3 règlement).

Pour les bâtiments avec éléments intéressants, le département, sur préavis favorable de la Ville de Genève et de la CMNS, pouvait autoriser leur reconstruction au même emplacement et dans leur gabarit initial (art. 5 règlement). Enfin, les autres bâtiments pouvaient être transformés ou reconstruits au même emplacement sous réserve de l'article 3 du règlement (art. 6 règlement).

Par ailleurs, les demandes d'autorisation de construire portant sur des travaux susceptibles de modifier les typologies, les éléments de construction ou les matériaux des bâtiments de catégorie A et B devaient être accompagnées d'une étude d'ensemble comprenant des relevés et des photos de l'état existant et d'une description du projet de modification (art. 8 règlement).

Le règlement prévoyait encore que les rez-de-chaussée des bâtiments affectés à des activités qui contribuaient directement à l'animation du quartier conservaient cette destination et que ceux situés le long de la rue de Montchoisy étaient destinés aux activités commerciales ouvertes au public, à l'exclusion des activités administratives, conformément aux dispositions de l'article 8 du règlement transitoire relatif au plan d'utilisation du sol de la Ville de Genève du 21 juin 1988 (art. 7 règlement).

Enfin, selon l'article 9 du règlement, en règle générale, les aménagements extérieurs devaient être préservés. Les squares étaient ouverts au public. A l'intérieur des squares, les clôtures étaient prohibées. Toute modification des éléments qui participaient à la qualité des lieux devait faire l'objet d'une étude d'ensemble préalablement à toute demande d'autorisation.

b. Ce projet de plan a fait l'objet d'une enquête publique du 21 mars au 19 avril 2007.

10. En date du 19 avril 2007, Mme Moser-Vernet a fait part de ses observations au département. Elle contestait la nécessité de prendre des mesures de protection pour son bâtiment.

11. Suite à certaines observations de propriétaires, le département a renoncé à consacrer l’ouverture des squares au public et a modifié l’article 9 du projet de règlement dans ce sens.

12. Le 9 octobre 2007, le conseil municipal de la Ville de Genève a préavisé favorablement le projet de plan de site.

13. Une procédure d’opposition a été ouverte du 23 novembre au 22 décembre 2007.

14. Mme Moser-Vernet a fait opposition au projet de plan de site le 12 décembre 2007.

15. a. Le 17 mars 2008, le Conseil d’Etat a approuvé le plan de site n° 29559A-133, « les squares de Montchoisy, situés sur le territoire de la commune de Genève, section Eaux-Vives ».

b. Par arrêté du même jour, il a rejeté l'opposition de Mme Moser-Vernet.

En substance, le plan de morcellement conçu en 1927 par Maurice Braillard fixait très précisément l’implantation des bâtiments autour des quatre squares. Acceptés par l’Etat, le plan et son règlement avaient été déposés au registre foncier. Les demandes d’autorisation de construire autorisées par la suite avaient respecté ce plan. En novembre 2003, la CMNS avait sélectionné une cinquantaine d’objets dignes d’intérêt, jugés prioritaires, en recommandant leur protection dans le cadre de l’une ou l’autre des mesures consacrées par la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05). Tout en indiquant que, si l’inscription à l’inventaire (voire le classement) représentait une mesure de protection appropriée pour la plupart des objets sélectionnés, l’intérêt de certains d’entre eux découlait notamment des ensembles que ceux-ci formaient à l’échelle urbaine, dans la mesure où ils englobaient parfois des espaces publics. Vu toutefois l’étendue du territoire à prendre en considération pour la protection de telles entités, le recours à l’instrument du plan de site s’était très vite imposé comme la mesure la plus adéquate. Cet instrument offrait l'avantage de permettre une protection affinée des abords des constructions, fondée sur des critères à la fois architecturaux, urbains et paysagers.

Les mesures de protection prévues distinguaient plusieurs catégories de bâtiments et fixaient des règles de protection particulières pour chacun d'entre eux. Elles avaient pour but de protéger les bâtiments formant les squares de Montchoisy et leurs alentours, en tant que ceux-ci étaient l’expression d’un nouveau modèle d’espace public, le premier à l’échelle d’un îlot entier et, à ce titre, étaient emblématiques d’un urbanisme qui intégrait une dimension paysagère.

S'agissant plus particulièrement de l'immeuble de Mme Moser-Vernet, il avait été réalisé en exécution du plan d’ensemble dessiné par Maurice Braillard. Or, seules les restrictions énoncées aux articles 3 et 4 du projet de règlement permettaient de garantir la valeur d’ensemble que ce bâtiment formait avec les autres bâtiments des squares de Montchoisy. Ces mesures, en particulier celles relatives au gabarit et au volume avaient précisément pour but de maintenir la substance originelle des bâtiments et de faire ainsi obstacle à leur surélévation. Au demeurant, ces restrictions n’étaient en rien contradictoires avec le souhait des pouvoirs publics de modifier la législation sur les constructions afin de permettre la surélévation de bâtiments situés en Ville de Genève ou à sa périphérie, mais qui ne présentaient pas de caractéristiques patrimoniales particulières. D’ailleurs, l'immeuble sis au n° 59, route de Frontenex faisait partie des constructions marquantes réalisées par les frères Honegger dans le canton de Genève et s’inscrivait dans l’histoire de l’architecture du canton.

L’objectif visé à l’article 3 du projet du règlement était de maintenir dans toute la mesure du possible une certaine unité dans l’expression visuelle des bâtiments. Toutefois cette prescription ne saurait avoir une portée absolue, tant il était vrai que les teintes des bâtiments pourraient évoluer et revêtir une autre expression, si elles étaient insérées dans un projet de rénovation ou de transformation à même de garantir la valeur d’ensemble des bâtiments.

Les transformations nécessaires d'isolation phonique des logements pourraient être exécutées sous l'unique réserve que les principes architecturaux existants pour les parties extérieures des bâtiments soient respectés. L'intérieur des appartements pourrait être réaménagé au gré des utilisateurs sous réserve des prescriptions de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20).

Les restriction prévues par les mesures de protection envisagées n'étaient ainsi pas excessives et participaient à l'objectif de protection recherché.

Par ailleurs, l'article 7 du projet de règlement ne visait pas l'activité déployée au rez-de-chaussée par Mme Moser-Vernet, celle-ci bénéficiant d’un droit acquis. Quant à l’interdiction de poser des clôtures à l’intérieur du square, le contenu de la prescription réglementaire ne faisait que se conformer à l’esprit du règlement de copropriété. Enfin, Mme Moser-Vernet s'en prenait en vain à d'autres dispositions du règlement, notamment à celles qui soumettaient l'exécution de certains travaux à l'établissement d'une étude d'ensemble. En effet, cette exigence s'inscrivait parfaitement dans le cadre de l'objectif de protection poursuivi. Il s'agissait d'une préoccupation de nature à limiter ou à réduire d'éventuels contentieux judiciaires générés par un projet qui n'aurait pas été examiné ou traité avec toute l'attention requise.

16. Mme Moser-Vernet a recouru contre l'arrêté du Conseil d’Etat statuant sur son opposition ainsi que sur celui approuvant le plan de site n° 29559A-133 auprès du Tribunal administratif en date du 17 avril 2008. Elle conclut à leur annulation.

A l’exception des bâtiments qui composaient le premier des quatre squares concernés, soit celui réalisé par MM. Braillard et Vial, les bâtiments des autres squares ne présentaient aucun intérêt architectural particulier. Les dispositions de la LPMNS n’étaient dès lors pas applicables. Si la protection souhaitée par le Conseil d’Etat visait l’ordonnancement des bâtiments dans le périmètre concerné, il n’était dès lors pas nécessaire d’adopter des règles aussi contraignantes pour l'entretien ou la transformation des immeubles.

Le Conseil d’Etat ne pouvait justifier l'adoption d'un plan de site par le projet de surélévation de deux bâtiments, car, quelques années auparavant, certains immeubles construits par MM. Braillard et Vial avaient été surélevés ou avaient vu leurs combles aménagées. Dans le même square, un parking pour véhicules automobiles de cinq niveaux en sous-sol avait également été réalisé, entraînant la modification des abords des bâtiments et de la configuration du square. Le bâtiment dont elle était propriétaire était, de surcroît, suffisamment en retrait de la route de Frontenex et éloigné des bâtiments du quartier pour pouvoir être facilement rehaussé de deux niveaux sans causer la moindre gêne pratique ou esthétique. De même, le Conseil d’Etat ne pouvait pas se référer au gabarit d’origine des bâtiments. En effet, le gabarit du groupe de bâtiments auquel appartenait son immeuble était celui applicable selon la LCI. Pour maintenir l’unité architecturale et urbanistique du périmètre considéré, il serait aujourd’hui admissible d’interdire toute modification portant sur le gabarit, le volume, les matériaux, les teintes, la modénature des façades, le profil des toitures ou les aménagements et décors des halls d’entrée et des cages d’escalier alors que plusieurs bâtiments du périmètre considéré avaient changé de couleur au fil des dernières années sans que des procédures particulières ne soient suivies à cet effet, et sans soulever la moindre réprobation de la part des autorités ou de la population genevoises. Elle-même avait rénové et transformé le hall d’entrée de son immeuble il y avait à peine dix ans. Ces éléments attestaient que les mesures de protection voulues par le Conseil d’Etat n’étaient pas appropriées à la situation.

Les restrictions au droit de la propriété devaient notamment répondre à un intérêt public suffisant et respecter le principe de la proportionnalité. En l’espèce, ces deux conditions n’étaient pas satisfaites, son immeuble ne présentant pas de caractéristiques architecturales suffisamment intéressantes pour justifier l’arsenal de mesures que le plan de site contesté comportait. La législation existante empêchait d’ores et déjà la réalisation d’une opération ayant pour objet la démolition du bâtiment et son remplacement par une autre construction. La moindre intervention d’entretien nécessitait l’octroi d’une autorisation de construire. La liberté de disposer de son bien se trouvait ainsi d’ores et déjà considérablement restreinte. L’article 3 du règlement constituait l’illustration d’un cas de disproportion évidente entre l’intérêt public recherché et la garantie constitutionnelle de la propriété. Une telle disposition pourrait être maintenue si son bâtiment présentait un intérêt historique et architectural, ce qui n’était pas le cas. Les exigences posées par le règlement du plan de site contesté s’avéraient ainsi manifestement trop lourdes pour être justifiées en regard de l’intérêt public avancé.

Conformément à une autorisation de construire délivrée par le département, le rez-de-chaussée de son bâtiment accueillait des bureaux. Elle n’était dès lors pas concernée par l’article 7 du règlement du plan de site. Toutefois, elle relevait que vouloir maintenir telle activité plutôt que telle autre dans le lieu donné, au moyen de mesures de protection du patrimoine, constituait manifestement un détournement du but de la loi, inadmissible et inconstitutionnel, car contraire à la liberté économique. L’article 7 dudit règlement devait dès lors être annulé.

Si le Conseil d’Etat avait supprimé la référence à l’ouverture des squares au public qui figurait à l’article 9 du règlement, il avait maintenu l’interdiction de poser des clôtures à l’intérieur des squares. Or, l’installation de clôtures pouvait s’avérer être la seule mesure permettant d’assurer la sécurité dans le square. L’article 9 du règlement était ainsi manifestement contraire aux libertés des garanties que la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) lui conféraient. La préservation des aménagements extérieurs, telle qu’imposée par le règlement était également trop restrictive pour être admissible. Elle rendrait impossible, par exemple, la création d’un parking souterrain dans la partie du square qui lui appartenait. Or, un tel aménagement avait été effectué dans le square formé par les bâtiments construits par MM. Braillard et Vial sans que cela entraîne la moindre réaction négative.

Enfin, les articles 3 alinéa 2, 8 et 9 du règlement rendaient complexe à l’extrême la réalisation de travaux d’entretien et/ou de transformation. Un tel objectif ne répondait à aucun intérêt public particulier. Les restrictions imposées par ces dispositions étaient également injustifiées et contraires au principe de la proportionnalité.

17. Protex S.A. a également interjeté recours auprès du Tribunal administratif le 18 avril 2008 contre l'arrêté du Conseil d’Etat du 17 mars 2008 approuvant le plan de site n° 29559A-133 (cause n° A/1331/2008).

18. Le Conseil d’Etat s’est opposé au recours de Mme Moser-Vernet le 29 mai 2008. Il a repris et développé les arguments exposés dans son arrêté rejetant l'opposition.

19. Le 2 septembre 2008, le tribunal de céans a procédé, en plénum, à un transport sur place en présence de toutes les parties aux deux procédures.

a. Le SMS a expliqué que les immeubles des squares C et D exprimaient la construction urbanistique après guerre. Ils ne comportaient pas de retrait en toiture, comme c'était le cas sur les immeubles Braillard. Ils étaient en revanche surmontés d'une corniche à toit plat et en escalier. Ce souci de respecter la pente naturelle du terrain expliquait, par exemple, que l'extrémité ouest de l'immeuble sur l'avenue Théodore-Flournoy qui fermait le square C avait un étage de moins que son extrémité est. De manière générale, tous les immeubles compris dans le plan de site respectaient la pente naturelle du terrain.

b. Devant la barre d'immeubles 10-14, avenue Ernest-Hentsch le tribunal de céans a pu constater que la couleur de l'immeuble du n° 10 était différente de celle des nos 12-14.

c. Le tribunal de céans est monté sur le toit de l'immeuble n° 14, avenue Ernest-Hentsch où il a pu observer les différents gabarits des immeubles des squares. Le toit de l'immeuble 10-14, avenue Ernest-Hentsch correspondait à l'avant-dernier niveau de l'immeuble Braillard qui lui faisait face. Le gabarit de l'immeuble Braillard sur l'avenue Ernest-Hentsch se mesurait au bas du niveau du balcon en fer forgé. Les aménagements supérieurs sur deux niveaux correspondaient à des superstructures d'origine aménagées depuis lors.

Le SMS a expliqué que, concernant le gabarit, la construction de l'immeuble 10-14 avenue Ernest-Hentsch devait s'analyser à l'aune de la loi de 1940, en application de laquelle la construction de superstructures était théoriquement possible.

L'immeuble qui fermait le square C sur l'avenue William Favre illustrait particulièrement bien la construction d'une toiture en escalier, qui reprenait la pente du terrain naturelle. Cet immeuble dépassait d'un étage et demi le sommet de la barre d'immeubles 10-14 avenue Ernest-Hentsch.

Quant à l'immeuble qui fermait le square A sur l'avenue William Favre, il était moins élevé que celui qui fermait le même square sur l'avenue Ernest-Hentsch.

Enfin, l'immeuble qui fermait le square D sur l'avenue Ernest-Bloch avait une hauteur sensiblement identique à celui du bâtiment 10-14 avenue Ernest-Hentsch.

Le Conseil d'Etat a souligné que si la surélévation de la barre d'immeubles 10-14, avenue Ernest-Hentsch était autorisée, cela porterait atteinte au concept de base des quatre squares et de son architecture. Il s'agissait de langages architecturaux différents, celui d'avant-guerre (Braillard) et après guerre (Honegger entre autres, qui recherchait plus de légèreté).

Les recourants ont relevé que l'immeuble qui fermait le square D, avenue Théodore-Flournoy avait visiblement des nouvelles fenêtres.

d. Le tribunal de céans s'est rendu dans le hall d'entrée de l'immeuble 14, avenue Ernest-Hentsch. Il s'agissait d'un hall traversant, vitré de part et d'autre qui était, selon le DPS, représentatif des immeubles englobés dans le plan de site.

e. En traversant le square C, le tribunal a noté que le dénivelé de la pente se retrouvait au rez-de-chaussée des immeubles. Le terrain sur lequel étaient implantés les quatre squares avait une double pente, l'une en direction du lac et l'autre en direction de la place des Eaux.Vives.

Le square était réservé aux piétons, son accès était délimité par des bornes et des chaînes. A l'intérieur, il y avait un espace grillagé renfermant un ancien bassin en pierre, les restes d'une balançoire et des socles qui devaient servir d'assises à des bancs.

f. Le tribunal de céans s'est rendu au n° 59, route de Frontenex. Il a constaté que le hall d'entrée avait été transformé il y avait une dizaine d'années. Il n'avait plus son aspect d'origine. En revanche, la structure traversante avait été conservée.

M. Moser a expliqué que les fenêtres étaient changées au fur et à mesure de la demande des locataires. Certains locaux du rez-de-chaussée utilisés autrefois comme locaux de service avaient été transformés en bureau, il y avait environ une dizaine d'années. Pour des questions de sécurité, les portes donnant sur le square restaient fermées.

Le SMS a rappelé que le premier projet de plan de site soumis à l'enquête publique prévoyait que les squares devaient rester ouverts au public. A la suite de plusieurs oppositions, cette clause avait été retirée. La teneur actuelle du plan de site n'excluait pas qu'ils soient par la suite fermés sous réserve de l'état existant. Le plan de site ne prévoyait pas de clôturer les squares. Son objectif était de maintenir la notion d'ensemble et pas de maintenir à tout prix des éléments d'origine, ce qui correspondrait à une procédure de classement.

g. Le tribunal de céans s'est déplacé sur la route de Frontenex où s'élèvent des immeubles construits par les frères Honegger de l'autre côté de la route, de couleur blanche avec des extrémités noires. Le tribunal de céans a observé que l'immeuble 59, route de Frontenex était, quant à lui, de couleur béton, les montants de la façade étaient marrons pour le 59-61 et ocres pour le 63-65.

h. Le tribunal de céans a traversé le square D. Il a remarqué que les quatre immeubles le composant ne présentaient pas d'homogénéité au niveau de la couleur. En bas du square, il y avait une barrière en treillis sur vingt à trente mètres.

i. Le tribunal de céans s'est rendu dans le square B. Il a également noté qu'il n'y avait pas d'homogénéité dans la couleur des immeubles. La quatrième barre d'immeubles prévue à l'origine par Maurice Braillard avait été remplacée par un bâtiment bas qui servait de garage. Il était masqué par des grands arbres et une haie vive.

Le conseil de Mme Moser-Vernet a expliqué que l'immeuble 3bis, avenue Ernest-Hentsch avait été rénové il y avait moins de dix ans. De couleur grise, il avait été repeint en jaune pâle, ton que l'on retrouvait sur l'immeuble bordant l'avenue Ernest-Bloch. L'immeuble Braillard, côté rue de Montchoisy, était gris. Il comportait sept niveaux. Le septième niveau était en retrait. Il était surmonté d'un autre niveau, également en retrait, qui abritait les locaux de service. Son plancher correspondait au gabarit de l'immeuble.

Le tribunal de céans a constaté que l'immeuble sur la rue de Montchoisy était moins élevé que celui de l'avenue Ernest-Bloch.

j. Dans le square A, le tribunal de céans a pu observer la présence d'un parking souterrain. L'architecture des toitures des deux immeubles (avenues Ernest-Hentsch et Théodore Flournoy) reprenait la notion d'escaliers pour respecter la pente naturelle du terrain. Ce concept avait été repris par les immeubles du square C.

Le conseil de Mme Moser-Vernet a indiqué qu'avant la construction du parking, le square était utilisé comme parking par les habitants des immeubles.

k. Au terme du transport sur place, le juge délégué a donné aux parties un délai pour produire leurs observations et les a informées que la cause serait ensuite gardée à juger.

20. Le 25 septembre 2008, le conseil de Mme Moser-Vernet a fait part de ses observations.

S'agissant de la déclaration du SMS, selon laquelle la teneur actuelle du plan de site n'excluait pas qu'il soit par la suite fermé sous réserve de l'état existant, devait être comprise comme signifiant qu'il sera possible, le cas échéant, de fermer les squares au public par la pose de clôture. En revanche, les différents propriétaires des immeubles composant les squares ne pourront pas installer de nouvelles barrières à l'intérieur de ceux-ci pour fermer leurs parcelles, celles qui s'y trouvaient aujourd'hui pouvant toutefois être maintenues.

Des membres de la famille Honegger avaient récemment changé la couleur des immeubles sis de l'autre côté de la route de Frontenex qui leur appartenaient.

21. Le 30 septembre 2008, le Conseil d'Etat a apporté deux modifications au procès-verbal et a fait part de ses observations. Il maintient ses précédentes conclusions.

Le transport sur place avait démontré que le bâtiment de la recourante, classé dans la catégorie B du règlement annexé au plan de site, revêtait un caractère digne d'intérêt, notamment du fait qu'il émanait du plan d'ensemble conçu par Braillard. Comme souligné lors du transport sur place, l'objectif du plan de site était de maintenir la notion d'ensemble et non pas de maintenir à tout prix des éléments d'origine, ce qui équivaudrait à une mesure de classement. D'ailleurs, M. Moser avait expliqué que les fenêtres étaient changées au fur et à mesure de la demande des locataires. Les différentes autorisations de construire qui lui avaient été délivrées dans un passé récent démontraient que les prescriptions instituées par le règlement annexé au plan de site n'étaient pas de nature à figer la situation.

EN DROIT

1. Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 40 al. 9 LPMNS ; art. 35 al. 1 et 2 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 - LaLAT - L 1 30 ; art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

En tant que propriétaire d'immeuble compris dans le périmètre du plan de site n° 29'559A-133, Mme Moser-Vernet a qualité pour recourir. Elle a préalablement utilisé la voie de l'opposition (art. 35 al. 4 LaLAT). Son recours est donc recevable.

2. La recourante conclut à l’annulation, d'une part, de l'arrêté du Conseil d’Etat rejetant son opposition au plan de site 29'559A-133 et, d’autre part, à celui approuvant ledit plan de site.

3. Le recours peut être formé pour violation du droit y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation et pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (art. 61 al. 1 let. a et b LPA et 35 al. 5 LaLAT). Les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA et art. 6 al. 9 LGZD).

4. Les plans d'affectation du sol soulèvent essentiellement des questions d'opportunité alors que l'exercice du pouvoir d'appréciation intervient en principe dans le cadre de la délivrance de l'autorisation de construire. C'est alors à ce stade que l'autorité devra déterminer si le projet répond aux prescriptions particulières du plan d'affectation du sol qui régit le secteur en cause.

S'agissant plus particulièrement de l'opportunité, il découle de l'article 33 alinéa 3 lettre b de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin l979 (LAT - RS 700) que les plans d'affectation doivent pouvoir être soumis, sur recours, à une autorité jouissant d'un libre pouvoir d'appréciation. Le Tribunal administratif n'est cependant pas habilité à examiner l'opportunité des mesures d'aménagement dont il a à connaître sur recours (art. 61 al. 2 LPA et 35 LaLAT ; J.-C. PAULI, L'élargissement des compétences du Tribunal administratif en matière d'aménagement du territoire et ses premières conséquences sur la conduite des procédures à Genève, RDAF 2000, vol. I, p. 526 ; T. TANQUEREL, Le contentieux de l'aménagement du territoire, in 3ème journée du droit de la propriété, 2000, p. 10).

5. L'assujettissement d'un immeuble à des mesures de conservation ou de protection du patrimoine naturel ou bâti constitue une restriction du droit de propriété garanti par l'article 26 alinéa 1 Cst. ; pour être compatible avec cette disposition, l'assujettissement doit donc reposer sur une base légale, être justifié par un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst. ; ATF 126 I 219 consid. 2a p. 221 et les arrêts cités).

6. a. La LPMNS a notamment comme buts la conservation des monuments de l'histoire, de l'art ou de l'architecture et des antiquités immobilières ou mobilières situés ou trouvés dans le canton (art. 1 let. a LPMNS) et la préservation de l'aspect caractéristique du paysage et des localités, des immeubles et des sites dignes d'intérêt, ainsi que des beautés naturelles (art. 1 let. b LPMNS). Dans ce cadre, la loi divise la matière en deux grandes parties : la conservation des monuments et des antiquités, d'une part, et la protection de la nature et des sites, d'autre part (MGC 1974, IV, p. 3245 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1P.44/2004 du 12 octobre 2004).

b. Les monuments et antiquités sont traités au chapitre II de la loi (art. 4 à 25 LPMNS) qui énonce en premier lieu le principe de la "protection générale" de monuments, d'antiquités, d'immeubles et de sites dignes d'intérêt (art. 4 LPMNS) et qui prévoit en outre des instruments pour la protection concrète de certains objets, à savoir l'inscription à l'inventaire (art. 7 ss LPMNS) et le classement par un arrêté du Conseil d'Etat (art. 10 ss LPMNS).

c. La nature et les sites sont, quant à eux, traités au chapitre V (art. 35 à 41 LPMNS). Sont protégés les sites et paysages, espèces végétales et minéraux qui présentent un intérêt biologique, scientifique, historique, esthétique ou éducatif (art. 35 al. 1 LPMNS). Constituent notamment des sites, les paysages caractéristiques, tels que les rives, les coteaux et les points de vue (art. 35 al. 2 let. a LPMNS) ainsi que les ensembles bâtis qui méritent d'être protégés pour eux-mêmes ou en raison de leur situation privilégiée (art. 35 al. 2 let. b LPMNS).

Le Conseil d'Etat peut édicter les dispositions nécessaires à l'aménagement ou à la conservation d'un site protégé par l'approbation d'un plan de site assorti, le cas échéant, d'un règlement (art. 38 al. 1 LPMNS). Ce plan et ce règlement déterminent notamment les mesures propres à assurer la sauvegarde ou l'amélioration des lieux tels que maintien des bâtiments existants, alignement aux abords des lisières de bois et forêts ou de cours d'eau, angles de vue, arborisation ; les conditions relatives aux constructions, installations et exploitations de toute nature (implantation, gabarit, volume, aspect, destination) ; les cheminements ouverts au public ainsi que les voies d'accès à un site ou à un point de vue ; les réserves naturelles (art. 38 al. 2 LPMNS). Un tel plan, qualifié de plan d’affectation spécial, déploie des effets contraignants pour les particuliers (Arrêt du Tribunal fédéral 1P.801/1999 du 16 mars 2000 ; T. TANQUEREL, La participation de la population à l'aménagement du territoire, 1988, p. 260).

d. Le projet de plan de site est élaboré par le département de sa propre initiative ou sur demande du Conseil d'Etat, du Grand Conseil ou d'une commune ; il est mis au point par le département dans le respect de la demande et en collaboration avec la commune et la CMNS, sur la base d'un avant-projet étudié par le département, la commune ou des particuliers (art. 39 al. 1 LPMNS).

e. Dans le cadre de l’adoption d’un plan de site, les préavis de la commune et de la CMNS sont obligatoires (art. 40 al. 3 LPMNS et 5 al. 2 let. l du règlement général d’exécution de la loi sur la protection des monuments de la nature et des sites du 29 novembre 1976 – RPMNS - L 4 05 01 ; ATA/884/2003 du 2 décembre 2003).

7. Le plan de site litigieux a pour but d'assurer la protection de l'ensemble des squares de Montchoisy pour leurs qualités urbanistiques, architecturales et paysagères, dans l'esprit du plan de morcellement établi en 1927 (art. 1 règlement). Délimité par la route de Frontenex, l'avenue William-Favre et les rues de Montchoisy et Ernest-Bloch, il comprend les quatre squares imaginés par MM. Braillard et Vial.

L'élaboration de ce plan a fait l'objet d'une étude complète et détaillée dont la CMNS a relevé la qualité. Au terme de celle-ci, le SMS a estimé que l’adoption d’un plan de site permettait de répondre aux objectifs de sauvegarde en conciliant les dimensions urbanistiques, architecturales, paysagères et artistiques de l’ensemble.

Au préalable, la CMNS avait considéré, le 28 octobre 2003, que les squares de Montchoisy faisaient partie des objets importants de l'architecture du 20ème siècle et méritaient d'être mis au bénéfice d'une mesure de protection. Lors de l'examen des demandes de surélévation des bâtiments sis aux nos 12 et 14 avenue Ernest-Hentsch, le directeur du patrimoine et des sites avait souligné la qualité exceptionnelle des immeubles de ces squares qui formaient un ensemble architectural et urbain unique à Genève, d’une typologie originale articulée autour de squares paysagés et dans lequel tout se conjuguait harmonieusement, volumes, gabarits, proportions, espaces libres jusqu’aux détails constructifs et décoratifs.

Par ailleurs, les préavis requis par la loi, soit celui de la CMNS du 27 février 2007, pris en séance plénière, et celui du conseil municipal de la Ville de Genève du 18 avril 2007, sont tous deux favorables.

Ainsi, tant les autorités appelées à se prononcer dans le cadre de la procédure que d'autres spécialistes ont reconnu les qualités patrimoniales, urbanistiques et historiques des squares de Montchoisy et la nécessité d'adopter un plan de site. Le tribunal de céans a également pu se rendre compte, lors du transport sur place, de la valeur du périmètre, composé des quatre squares et des immeubles les entourant. Cette mesure est la plus adaptée au vu de l'importance du périmètre concerné et de la volonté de protéger tant les bâtiments que les aménagements extérieurs.

Il est vrai que certains immeubles, dont celui de la recourante, ne sont pas l'œuvre de Maurice Braillard et ont été réalisés ultérieurement. Toutefois, cet élément n'est pas pertinent car les squares de Montchoisy restent une réalisation d'ensemble que le plan de site entend préserver. Le Conseil d'Etat était dès lors fondé à adopter un plan de site pour le périmètre concerné.

8. La recourante conteste l'existence d'un intérêt public justifiant l'assujettissement de son immeuble aux mesures de protection instituées par le plan de site et son règlement et invoque l'intérêt public à la construction de logements.

9. a. D'après la jurisprudence, les restrictions de la propriété ordonnées pour protéger les monuments et les sites naturels ou bâtis sont en principe d'intérêt public (ATF 126 I 219 consid. 2c p. 221 ; 119 Ia 305 consid. 4b p. 309 et les arrêts cités). Tout objet ne méritant pas une protection, il faut procéder à une appréciation d'ensemble, en fonction de critères objectifs ou scientifiques. Pour le classement d'un bâtiment, la jurisprudence prescrit de prendre en considération les aspects culturels, historiques, artistiques et urbanistiques. La mesure ne doit pas être destinée à satisfaire uniquement un cercle restreint de spécialistes ; elle doit au contraire apparaître légitime aux yeux du public ou d'une grande partie de la population, pour avoir en quelque sorte une valeur générale (ATF 120 Ia 270 consid. 4a p. 275 ; 118 Ia 384 consid. 5a p. 389).

b. Dans la pratique, la balance d’intérêts publics divergents est souvent extrêmement délicate et à la limite de ce que l’on peut encore qualifier de juridique : il s’agit d’arbitrages aux retombées diverses, importantes et durables, où les valeurs à respecter ou à réaliser se trouvent enchevêtrées dans des considérations politiques, financières et techniques. Ainsi, lorsque l’administration est appelée à prendre une décision concrète et que la loi applicable n’a pas elle-même préalablement fixé la hiérarchie des valeurs, elle devra d’abord identifier les intérêts en jeu, privés ou publics, puis les confronter, en rapport avec les effets prévisibles des mesures qu’elle envisage, pour déterminer lequel doit prévaloir (P. MOOR, Droit administratif, vol. 1 : Les fondements généraux, Berne 1994, pp. 399 et 414 ss).

10. Comme vu précédemment, en tant qu'ensemble les squares de Montchoisy présentent une valeur patrimoniale, urbanistique et historique qui est appréciée en particulier par la CMNS et par le directeur du patrimoine et des sites. Le tribunal de céans a lui-même pu observer notamment les différents gabarits des immeubles et apprécier la reproduction, tant au niveau des toitures qu'au niveau des rez-de-chaussée, du dénivelé de la pente qui confère une cohérence à l'ensemble du site. L'étude réalisée en décembre 2006 relève également que l'ensemble de Montchoisy est représentatif de l'urbanisation de certains grands domaines aux abords de la ville et exprime un nouveau modèle d'espace public. Elle a évalué la qualité architecturale et urbanistique des édifices, leur état ainsi que les inscriptions et les décors présents dans les halls. Les bâtiments formant les quatre squares ont ainsi fait l'objet d'un examen attentif au terme duquel ils ont été répertoriés en "exceptionnel", "intéressant", "intérêt secondaire" ou encore "sans intérêt". S'agissant de l'immeuble sis au n° 59 route de Frontenex, il s'insère dans le plan d'ensemble tel qu'établi par Maurice Braillard et Louis Vial et a été jugé "intéressant". Il n'existe aucun motif de s'écarter de cette appréciation et de dénier à l'immeuble de la recourante la valeur que des personnes compétentes lui ont reconnue.

L'adoption du plan de site et de son règlement vise dès lors à préserver les squares de Montchoisy et répond à un intérêt public.

11. S'agissant du besoin de logements, s'il est incontestable que Genève connaît dans une situation de pénurie et que la construction de logements répond à un intérêt public important, il n'existe pas d'éléments concrets qui permettent, en l'état, de considérer que l'adoption du plan querellé empêche la réalisation d'un nombre important de logements, contrairement à une affaire jugée précédemment par le tribunal de céans (ATA/151/2007 du 27 mars 2007). Le Conseil d'Etat n'a dès lors pas mésusé de son pouvoir d'appréciation dans le cas d'espèce en faisant primer l'intérêt au maintien d'un élément du patrimoine important sur l'intérêt à la construction de logements.

12. La recourante invoque également la violation du principe de la proportionnalité.

Le principe de la proportionnalité exige qu'une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive ; en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 124 I 40 consid. 3e p. 44/45 ; 119 Ia 348 consid. 2a p. 353 ; 118 Ia 394 consid. 2b p. 397). Sous ce dernier aspect (principe de proportionnalité au sens étroit), une mesure de protection des monuments est incompatible avec la Cst. si, dans la pesée des intérêts en présence, elle produit des effets insupportables pour le propriétaire. Savoir ce qu'il en est ne dépend pas seulement de l'appréciation des conséquences financières de la mesure critiquée, mais aussi de son caractère nécessaire : plus un bâtiment est digne d'être conservé, moins les exigences de la rentabilité doivent être prises en compte (ATF 118 Ia 384 consid. 5e p. 393).

13. Aux termes de l'article 3 du règlement, le caractère du site doit être préservé, en particulier les principes architecturaux et les aménagements extérieurs. Pour les travaux améliorant le confort ou réalisant des économies d'énergie, une étude préalable menée en coordination avec les services concernés est nécessaire, de manière à respecter l'architecture des bâtiments. Par ailleurs, les demandes d'autorisation de construire portant sur des travaux susceptibles de modifier les typologies, les éléments de construction ou les matériaux des bâtiments maintenus, de catégorie A et B, doivent être accompagnées d'une étude d'ensemble (art. 8 règlement). Pour les bâtiments de catégorie B, les éléments particulièrement dignes de protection caractérisant la valeur des bâtiments, à savoir la modénature des façades, le profil des toitures, les aménagement et les décors des halls d'entrée et des cages d'escalier, doivent être sauvegardés (art. 4 règlement).

Le règlement distingue quatre catégories de bâtiments en fixant des règles propres à chacune. Il tient ainsi compte de l'évaluation faite par l'étude du plan de site et permet des solutions nuancées. De plus, les mesures de protection qu'il institue sont destinées à sauvegarder la valeur et la substance des bâtiments. Leur but n'est ni d'empêcher toute intervention, ni de figer les édifices mais de maintenir la cohérence et de sauvegarder la qualité d'ensemble du site. Les restrictions apportées à la garantie de la propriété par le plan de site et son règlement restent dès lors adaptées et adéquates pour atteindre le but poursuivi. Par ailleurs, aucun élément ne permet de considérer qu'elles engendreraient des sacrifices trop importants pour les propriétaires.

Quant aux craintes exprimées par rapport à la possibilité de fermer les squares au public, comme l'a indiqué le SMS, la teneur actuelle du plan de site n'exclut pas que ceux-ci soient par la suite fermés.

Enfin, le grief soulevé par rapport à l'article 7 du règlement sera écarté, cet article ne faisant que reprendre la règle figurant dans le règlement transitoire relatif au plan d'utilisation du sol de la Ville de Genève du 21 juin 1988.

La recourante ne peut dès lors se prévaloir ni d'une violation du principe de la proportionnalité, ni d'une expropriation matérielle.

14. La recourante se plaint encore d'inégalité de traitement. Elle se prévaut de la construction d'attiques sur des immeubles réalisés par Maurice Braillard et de modifications intervenues qui ont été autorisées par le département. Ce grief doit toutefois être rejeté dans la mesure où il met en cause les conditions des autorisations délivrées et qu'il ne porte pas sur la mesure de protection, objet de la présente procédure. De plus, les bâtiments cités par la recourante sont également inclus dans le périmètre du plan, aucune inégalité de traitement ne peut dès lors être invoquée.

15. Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté. Un émolument de CHF 2'500.- sera mis à la charge de Mme Moser-Vernet. Aucune indemnité ne sera allouée au Conseil d'Etat (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 17 avril 2008 par Madame Isabelle Moser-Vernet contre les arrêtés du 17 mars 2008 du Conseil d'Etat ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de Madame Isabelle Moser-Vernet un émolument de CHF 2'500.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d'indemnité ;

dit que, conformément aux articles 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF-RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'article 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jean-Marc Siegrist, avocat de Madame Isabelle Moser-Vernet, ainsi qu'au Conseil d'Etat.

Siégeants : M. Thélin, président, Mmes Bovy, Hurni et Junod, M. Dumartheray, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

le vice-président :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :