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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2093/2006

ATA/542/2006 du 10.10.2006 ( CE ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : VOTATION(DROITS POLITIQUES); RÉFÉRENDUM; RÉCOLTE DE SIGNATURES
Normes : Cst.34 ; Cst.53 ; LEDP.86 ; LEDP.89 ; LEDP.90 ; LEDP.91 ; LEDP.180
Parties : FERRIER Daniel / CONSEIL D'ETAT
Résumé : Conditions d'admission d'un référendum cantonal dirigé contre une loi cantonale (surélévation d'immeubles existants) lorsque le referendum est initié par plusieurs auteurs. Obligation pour le service des votations et des élections de faire vérifier les doublons (signatures apposées deux fois par le même électeur) qui pourraient se trouver sur les listes des deux mouvements ayant initié la demande de référendum.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2093/2006-CE ATA/542/2006

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 10 octobre 2006

dans la cause

 

Monsieur Daniel FERRIER

contre

CONSEIL D'ETAT


 


1. Le 17 février 2006, le Grand Conseil de la République et canton de Genève a adopté une modification de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) concernant la surélévation d'immeubles existants.

2. La loi a été adoptée par 56 voix pour et 24 voix contre. Elle a été publiée dans la Feuille d'Avis Officielle de la République et canton de Genève (ci après : FAO) le 6 mars 2006.

3. Le 7 mars 2006, le syndicat des services publics SSP/VPOD (ci-après : SSP) a communiqué au Conseil d'Etat son intention de lancer un référendum contre ladite loi.

4. Le 15 mars 2006, l'Association de défense des locataires (ci-après : Asloca) en a fait de même.

5. Le 18 avril 2006 à 11h35, le SSP et l'Asloca ont déposé conjointement, au service des votations et élections, leurs listes de signatures.

6. Les listes du SSP comptaient 5'542 signatures, celles de l'Asloca 6'786.

7. L'office cantonal de la population (ci-après : OCP) a procédé séparément à la vérification des signatures. 4'731 ont été jugées valables pour les listes du SSP, 6'209 pour les listes de l'Asloca.

8. Par arrêté du 31 mai 2006, publié dans la FAO le 2 juin 2006, le Conseil d'Etat a constaté l'aboutissement du référendum, au motif que le nombre de 7'000 signatures exigé par la Constitution de la République et canton de Genève du 24 mai 1874 (Cst/GE - A 2 00) avait été atteint.

9. Par acte du 8 juin 2006, Monsieur Daniel Ferrier, électeur inscrit à Genève, a formé un recours contre cet arrêté auprès du tribunal de céans.

Le SSP et l'Asloca avaient communiqué au Conseil d'Etat leur intention de lancer un référendum de manière distincte et avaient chacun désigné un mandataire. Les listes de signatures réunies par chacune des associations avaient été déposées séparément. Or, la loi sur l'exercice des droits politiques du 15 octobre 1982 (LEDP - A 5 05) exigeait qu'il n'y ait qu'un seul mandataire par référendum ; si deux comités référendaires décidaient de lancer un référendum et nommaient chacun un mandataire à cette fin, chaque référendum devait réunir les 7'000 signatures requises par la Cst/GE. L'addition des signatures opérée par le Conseil d'Etat était ainsi contraire à l'article 53 Cst/GE et à l'article 89 LEDP.

Cette interprétation de la LEDP était confortée par le fait que le mandataire d'un référendum pouvait publier une prise de position au nom du comité référendaire dans la publication précédant la votation populaire. Or, cette faculté ne pouvait être utilisée par plusieurs mandataires à la fois dans le cadre d'un seul référendum.

En outre, la volonté populaire avait été violée, car les électeurs de chacune des listes n'avaient pas demandé le référendum pour les mêmes motifs.

Enfin, même si l'on admettait le cumul des signatures, celles-ci avaient été vérifiées séparément par l'OCP, sans prendre garde au fait que des électeurs avaient pu apposer leur signature sur les listes des deux groupements (doublons).

Le Conseil d'Etat a déposé ses observations le 17 juillet 2006 et conclu au rejet du recours.

La loi n'empêchait pas qu'un référendum soit initié par plusieurs auteurs. Du moment que 7'000 électeurs manifestaient leur intention de soumettre une loi à la votation populaire, il fallait constater l'aboutissement du référendum.

En revanche, il était vrai que le contrôle des listes des deux groupements avait été effectué sans égard aux doublons qui pouvaient s'y trouver. Cela étant, le nombre des signatures recueillies était tellement supérieur à celui requis qu'on pouvait sans autres considérer que ce dernier avait été atteint. S'il le fallait cependant, l'OCP pouvait relever sur les listes du SSP les quelques 791 signatures manquant aux listes de l'Asloca pour garantir que le nombre de 7'000 signatures avait été atteint.

 

1. Selon l'article 180 alinéa 2 LEDP, le recours au Tribunal administratif est ouvert contre les violations de la procédure des opérations électorales, indépendamment de l’existence d’une décision (article 56A al. 3 de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 180 al. 1 LEDP). L'article 63 alinéa 1 lettre c de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), précise que le délai de recours est de six jours en matière de votations et d'élections.

L'arrêté attaqué, qui date du 31 mai 2006, a été publié le 2 juin 2006. Le recours interjeté auprès du tribunal de céans le 8 juin 2006 a donc été déposé en temps utile devant l'autorité compétente.

2. Par ailleurs, M. Ferrier est enregistré au registre des électeurs du canton de Genève. Il a ainsi la qualité pour recourir en matière de votations et d'élections.

Le recours est donc recevable.

3. Selon l'article 53 Cst/GE, les lois votées par le Grand Conseil sont soumises à la sanction du peuple lorsque le référendum est demandé par 7’000 électeurs au moins dans le cours des 40 jours qui suivent celui de la publication de ces lois. Dans le cas où le nombre de 7’000 signatures valables exigé par la Cst/GE est atteint, le Conseil d'Etat soumet la loi à la votation populaire (art. 58 al. 1 Cst/GE).

4. La procédure de référendum est fixée par la LEDP, aux articles 85 et suivants.

a. Aux termes de l'article 86 alinéa 1 lettres a à c de ladite loi, les auteurs d'une demande de référendum doivent, avant de procéder à la quête des signatures :

a) informer par écrit le Conseil d'Etat de leur décision ou, en matière communale, le maire de leur commune ;

b) désigner un mandataire chargé d'agir en leur nom et auquel les communications officielles sont adressées valablement ;

c) soumettre à l'approbation préalable du service des votations et élections un spécimen des listes destinées à recevoir les signatures.

b. L'article 89 alinéa 1 lettre a LEPD précise que, pour un référendum cantonal, le dépôt des listes doit être effectué en une seule fois par le mandataire ou son remplaçant, le cas échéant par un groupement auteur d'un référendum au service des votations et élections, avant la fermeture des bureaux, dans les 40 jours à dater de la publication officielle de la loi.

c. L'inobservation de l'une des formalités prévues aux articles 86, 87 et 89 entraîne la nullité du référendum (art. 90 LEDP).

En l'espèce, contrairement à ce que soutient le recourant, les auteurs du référendum ont entièrement satisfait aux conditions posées par la loi. Ils ont informé le Conseil d'Etat de leur décision de lancer un référendum avant de procéder à la quête des signatures. Ils ont chacun désigné un mandataire chargé d'agir en leur nom et auxquels les communications ont pu être adressées valablement. Ils ont soumis à l'approbation préalable du service des votations et élections un spécimen des listes destinées à recevoir les signatures.

Une fois en possession des signatures, leurs mandataires en ont effectué le dépôt conjointement, en une seule fois, le 18 avril 2006 à 11h35, soit avant la fermeture des bureaux. Le dernier jour du délai pour déposer les listes tombant le lundi de Pâques 17 avril 2006, le délai de 40 jours est venu à échéance le 18 avril 2006, en application des articles 17 alinéa 3 LPA et 180 alinéa 1 LEDP. Ce dépôt a donc été effectué dans les délais.

Le point de vue du recourant, selon lequel l'article 86 alinéa 1 lettre b LEDP imposerait aux auteurs du référendum la désignation d'un mandataire commun ne ressort nullement du texte de la loi. Comme l'indique l'article 86 alinéa 1 ab initio, un référendum peut être initié par plusieurs auteurs. Il paraît normal que ces auteurs, lorsqu'ils proviennent de groupes différents, nomment chacun un mandataire qui les représente. Cela est d'autant plus compréhensible que le statut de mandataire comporte des devoirs et des responsabilités. Ainsi, le mandataire d'un groupement n'aura pas à répondre des actes d'un autre groupement, auquel il n'est pas affilié. De plus, l'information que le mandataire a pour fonction de centraliser, puis de diffuser, pourra mieux circuler dans les différents groupements si chaque auteur du référendum dispose de son propre mandataire. Enfin, l'administration s'accommode très bien de cette circonstance qui ne l'empêche pas de faire son travail normalement. On ne voit pas, dès lors, pourquoi le recourant persiste à voir dans le texte légal des conditions qui ne ressortent ni de sa lettre, ni de son esprit.

5. Selon l'article 91 LEDP, après le dépôt au service des votations et élections des référendums et initiatives, celui-ci fait vérifier sans frais la qualité d'électeur des signataires, dans le plus bref délai (al. 1). Le service des votations et élections certifie que les listes ont été déposées dans les délais légaux (al. 2). Les inscriptions sur les listes sont annulées lorsqu'elles proviennent d'électeurs non inscrits dans le canton ou la commune (al. 3 let. a), dont l'identité ne peut être déterminée (al. 3 let. b) ou dont la signature a été obtenue contrairement à la loi (al. 3 let. c). Quand un électeur a signé plusieurs fois, il n'est tenu compte que d'une seule signature (al. 4).

Le recourant conteste que le nombre de signatures ait été atteint. Selon lui, les deux groupements qui ont lancé la demande de référendum devaient réunir chacun 7'000 signatures. Le cumul fait par le Conseil d'Etat serait ainsi contraire à la loi.

Cette argumentation ne résiste pas à l'examen. Il est vrai que la formulation utilisée dans l'arrêté "relatif aux référendums populaires cantonaux", porte quelque peu à confusion en mettant le terme "référendums" au pluriel, car elle laisse entendre que plusieurs auteurs ont lancé plusieurs référendums qui devraient, chacun pris individuellement, respecter les conditions légales auquel est subordonné leur aboutissement. Or, il n'en va pas ainsi. En effet, comme l'indique l'article 86 alinéa 1 LEDP, une demande de référendum peut être lancée par plusieurs auteurs, séparément. Du moment qu'elles visent le même objet et qu'elles rassemblent 7'000 signatures, le Conseil d'Etat doit constater leur aboutissement (art. 53 Cst/GE). Peu importent, à cet égard, les motifs qui ont pu pousser les électeurs ou les groupements concernés à demander ce référendum. Seul compte le fait qu'ils en ont manifesté la volonté et que celle-ci se soit exprimée librement (art. 34 de la constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 [Cst. - RS 101]).

6. Cela étant, le Conseil d'Etat n'a pas établi à satisfaction de droit que le nombre des 7'000 signatures avait été atteint. Il admet n'avoir pas vérifié les doublons qui pouvaient se trouver sur les différentes listes. Or, comme l'indique l'article 91 alinéa 4 LEDP, lorsqu'un électeur a signé plusieurs fois, il n'est tenu compte que d'une seule signature.

7. En conséquence, l'arrêté sera annulé au motif que le comptage des signatures effectué avant la publication de l'arrêté n'apporte pas de garanties suffisantes quant au respect des exigences posées à l'article 91 alinéa 4 LEDP, tous les autres griefs soulevés par le recourant étant écartés.

8. La cause sera donc renvoyée au Conseil d'Etat pour qu'il relève, conformément à sa proposition, 791 signatures valables sur les listes du SSP qui ne se trouvent pas déjà sur celles de l'Asloca et procède à la publication d'un nouvel arrêté.

9. Le recourant ayant plaidé en personne, aucune indemnité ne lui sera allouée (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 juin 2006 par Monsieur Daniel Ferrier contre l'arrêté du Conseil d'Etat du 31 mai 2006 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

annule l'arrêté du Conseil d'Etat du 31 mai 2006 ;

renvoie la cause au Conseil d'Etat pour nouvelle décision, dans le sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité ;

communique le présent arrêt à Monsieur Daniel Ferrier ainsi qu'au Conseil d'Etat.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, Mme Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges, M. Grant, juge suppléant

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. :

 

 

M. Tonossi

 

la vice-présidente :

 

 

L. Bovy

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :