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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2547/2004

ATA/468/2005 du 28.06.2005 ( TPE ) , ADMIS

Parties : DEPARTEMENT DE L'AMENAGEMENT, DE L'EQUIPEMENT ET DU LOGEMENT / COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIERE DE CONSTRUCTIONS, SOCIETE DE L'EGLISE RUSSE DE GENEVE, VILLE DE GENEVE
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2547/2004-TPE ATA/468/2005

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 28 juin 2005

dans la cause

 

DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DE L'ÉQUIPEMENT ET DU LOGEMENT

contre

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIERE DE CONSTRUCTIONS

et

SOCIÉTÉ DE L’ÉGLISE RUSSE DE GENÈVE
représentée par Me Philippe Neyroud, avocat

et

VILLE DE GENÈVE


 


1. L’association « Société de l’Eglise russe de Genève » (ci-après : la société) est propriétaire de la parcelle n° 4152, feuille 7 de la commune de Genève-Cité, à l’adresse 9, rue Rodolphe-Toepffer.

Sur ce terrain, situé dans le secteur sud des anciennes fortifications, a été édifiée, entre 1862 et 1866, l’église orthodoxe russe de Genève.

Par arrêté du 24 janvier 1979, le Conseil d’Etat a classé ce monument, de style dit moscovite, considérant qu’il s’agissait d’un exemple original d’une architecture sacrée orientale à Genève.

2. Le 5 août 2002, la société a déposé au département de l’aménagement, de l’équipement et du logement (ci-après : le DAEL) une demande définitive visant à construire une salle de réunion au sous-sol de l’église. Selon les plans déposés, cette salle, de 137 m2, prendrait place dans l’espace sis entre la rue Toeppfer et la façade de l’église, en partie sous le parvis de cette dernière. L’accès était prévu par deux escaliers d’une largeur de 140 cm, le long de la rue Rodolphe-Toepffer.

3. Au cours de la procédure d’instruction de la requête, la commission d’architecture (ci-après : la CA) a émis un préavis « sans observation », sous réserve du réglage de l’accessibilité en faveur des personnes handicapées et du remplacement de deux W.-C. en sous-sol par un seul adapté à ces personnes.

Le service forêts, nature et paysage du département de l’intérieur, de l’agriculture et de l’environnement (ci-après : le DIAE) a émis un préavis favorable.

La Ville de Genève a émis un préavis défavorable, relevant que les inévitables saillants, tels que balustrades et bancs, ainsi que la perception de la trémie des escaliers n’était pas souhaitable sur le parvis d’un bâtiment classé monument historique.

4. Le 11 septembre 2002, la société d’art public, section genevoise de la ligue du patrimoine nationale (ci-après : la SAP), a indiqué ne pas s’opposer à la réalisation de la salle de réunion en question, pour autant qu’il n’y ait pas d’émergences techniques dans la cour de l’église et que les trémies d’accès ne soient pas couvertes dans un deuxième temps.

5. Le 11 septembre 2002, la sous-commission « monuments et antiquités » (ci-après : la sous-commission) de la commission des monuments, de la nature et des sites, (ci-après : la CMNS) a émis un préavis défavorable à tout aménagement qui modifierait cet environnement et porterait atteinte à la typologie ainsi qu’à la qualité spatiale (escaliers d’accès) et matérielle de cet ensemble. Le dossier serait évoqué à la séance plénière suivante de la CMNS.

Dans sa séance plénière du 23 septembre 2002, la CMNS a confirmé le préavis défavorable du 11 septembre précédent, pour des motifs similaires.

Le 11 juin 2003, la sous-commission a reçu l’architecte du projet, ainsi que les représentants de la requérante.

Le 24 juin 2003, la CMNS, en séance plénière, a confirmé son préavis négatif. Eu égard à la qualité exceptionnelle de l’édifice et de son environnement, tout nouvel aménagement en sous-sol ne saurait être envisagé sans que les points suivants ne soient respectés de manière rigoureuse :

le volume à créer devait être tenu à distance des fondements du bâti existant et de l’ensemble du dispositif caractéristique de l’enceinte (murets, piliers, barrières, portails ainsi que parterre végétal et arbres) ;

un éventuel réaménagement de l’esplanade devait se traduire par la mise en valeur du site, dans le respect des qualités d’aménagement de la parcelle et dans la recherche de détails et de matériaux adaptés à un des sites les plus remarquables et les plus visités de Genève.

Le dossier qui lui avait été soumis ne satisfaisait pas aux exigences précitées et ne revêtait pas les qualités justifiant une intervention importante sur ce lieu historique. Les travaux envisagés ne semblaient pas pouvoir s’inscrire dans le cadre des contraintes patrimoniales évoquées.

6. Par décision du 12 janvier 2004, le DAEL a refusé l’autorisation sollicitée en se fondant sur l’article 15 de la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05).

7. Le 10 février 2004, la société a recouru auprès de la commission cantonale de recours en matière de constructions.

Après avoir rappelé l’historique du bâtiment, et souligné le développement de la paroisse de Genève, entraînant un besoin de disposer de locaux annexes pour respecter les rites orthodoxes, elle a soutenu que le préavis de la CMNS était arbitraire, qui avait retenu que l’église russe constituait un ensemble, et qu’elle abusait de son pouvoir d’appréciation.

Le principe de l’égalité de traitement était également violé, au vu des autorisations délivrées dans des situations très similaires (église anglaise, musée de la fondation Baur, banque Frank, synagogue).

Au surplus, le projet répondait à un intérêt public et non privé.

8. Le 12 avril 2004, la Ville de Genève s’est opposée au recours. Contrairement à ce que soutenait la société, la position de la CMNS n’était pas arbitraire. Les exemples qu’elle citait à l’appui d’une prétendue inégalité de traitement n’étaient pas comparables : l’église anglaise ne se trouvait pas dans le secteur sud des anciennes fortifications ou dans un périmètre protégé ; les sous-sols réalisés à la fondation Baur et à la banque Frank n’avaient pas d’accès direct à l’extérieur. Quant à l’intervention réalisée à la synagogue, elle était antérieure à la création de la zone protégée, qui datait de 1980, alors que celle de la Vieille Ville avait été étendue en 1989. L’autorisation délivrée à l’époque ne le serait plus aujourd’hui.

9. La commission de recours a entendu les parties en comparution personnelle le 10 juin 2004 et a procédé à un transport sur place le 23 septembre suivant et, le 25 octobre 2004, elle a admis le recours.

En substance, elle a retenu que les abords immédiats de l’église russe ne faisaient pas l’objet d’une protection, le Conseil d’Etat n’ayant pas fait usage de l’article 15 alinéa 4 LPMNS. Seul le bâtiment était classé à l’exclusion de ses abords immédiats. Le projet n’était dès lors pas soumis à la LPMNS.

Face aux préavis divergents de la CA et de la CMNS, la commission de recours a considéré qu’elle disposait d’un plein pouvoir d’appréciation. Elle a retenu que le projet n’aurait quasiment aucun impact sur l’aspect esthétique de l’esplanade, et que sa finalité constituait un intérêt privé prépondérant.

10. Le DAEL a saisi le Tribunal administratif d’un recours le 15 décembre 2004. La commission de recours avait apprécié les faits de façon arbitraire. Le projet impliquait une intervention sur un bâtiment classé ou sur ses fondements, puisque le perron monumental devait être déposé et une excavation de 3,5 mètres réalisée, ce qui dégarnirait partiellement les fondations du bâtiment.

De plus, la décision litigieuse violait les articles 83 et suivants de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) s’appliquant à la zone protégée de la Vieille Ville. Le préavis de la CMNS était dès lors nécessaire.

Il était erroné de considérer que les préavis recueillis étaient opposés : celui de la CA était « sans observation » et non favorable.

11. La société s’est opposée au recours le 31 janvier 2005, reprenant et développant les arguments qu’elle avait fait valoir devant la commission de recours.

L’appréciation des faits par la commission de recours n’était pas arbitraire, ce que confirmait d’ailleurs les deux rapports produits par la société, l’un portant sur la nature et la qualité du sol et l’autre sur la manière de réaliser les travaux pour qu’ils ne présentent pas de risques pour le bâtiment.

C’était à juste titre que la commission de recours avait admis qu’elle disposait d’un plein pouvoir d’appréciation : les préavis « sans observation » devant être considérés comme étant favorables.

La position de la commission de recours était de plus confortée par l’analyse des travaux législatifs ayant précédé l’adoption de la nouvelle version de l’article 15 LPMNS.

Le refus d’autorisation violait de plus le principe de l’égalité de traitement, ainsi que celui de la proportionnalité.

12. La Ville de Genève a répondu au recours le 31 janvier 2005. Le DAEL, compétent depuis 2001 pour délivrer des autorisations pour des travaux d’entretien d’immeubles classés, l’était également pour interdire de modifier les abords immédiats de tels bâtiments.

Le préavis de la CMNS devait être suivi, dans la mesure où la trémie d’accès dénaturerait les qualités de la cour de l’église et aurait un impact esthétique important.

13. Le 14 mars 2005, le juge délégué à l’instruction de la cause a procédé à un transport sur place, afin de repérer les travaux en question.

14. Suite à cet acte d’instruction, le DAEL a encore transmis au tribunal les observations du conservateur cantonal des monuments au sujet des rapports produits par la société. Selon lui, les deux rapports comblaient certes une lacune, mais comportaient beaucoup de généralités tout en passant comme chat sur braise sur les questions posées dans le cadre du recours.

Aucune réponse n’était apportée au fait que la réalisation du projet nécessiterait une reprise en sous-œuvre sous le mur extérieur de l’église, de même qu’un démontage complet du perron – constitutif du monument classé – et le remplacement de la végétation en pleine terre par des plantes en bacs, ce qui en limiterait la taille.

15. Le 18 avril 2005, la Ville de Genève a indiqué que, suite au transport sur place, elle persistait dans ses conclusions.


1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. a. L’article 1 lettre a LPMNS indique que cette loi a pour but de conserver les monuments de l’histoire, de l’art ou de l’architecture et les antiquités immobilières ou mobilières situés ou découverts dans le canton. L’article 4 lettre a de cette loi prévoit que lesdits biens qui présentent un intérêt archéologique, historique, artistique, scientifique ou éducatif, ainsi que les terrains contenant ces objets et leurs abords, sont protégés. La protection est assurée par le classement de l’objet, décidé par le Conseil d’Etat au moyen d’un arrêté, assorti, au besoin, d’un plan approprié (art. 10 al. 1 LPMNS).

De plus, l’article 15 LPMNS intitulé « Protection » a la teneur suivante :

« 1. L’immeuble classé ne peut, sans l’autorisation du Conseil d’Etat, être démoli, faire l’objet de transformations importantes ou d’un changement dans sa destination.

2. Sont assimilés à la démolition le déplacement et l’enlèvement de parties de l’immeuble.

3. Les simples travaux ordinaires d’entretien et les transformations de peu d’importance peuvent être autorisés par l’autorité compétente, pour autant qu’ils aient fait l’objet d’un préavis favorable de la part de la Commission des monuments, de la nature et des sites et d’une demande d’autorisation ordinaire au sens de l’article 3, alinéa 1, de la loi sur les constructions et installations diverses, à l’exclusion des procédures accélérées prévues à l’article 3, alinéas 7 et 8 de ladite loi.

4. Le Conseil d’Etat peut interdire de modifier les abords immédiats de l’immeuble, jusqu’à une distance déterminée dans chaque cas ».

L’alinéa 3 de cette disposition est entré en vigueur le 2 juin 2001. Antérieurement, seul le Conseil d’Etat pouvait autoriser – ou refuser – des travaux dans un immeuble classé. L’alinéa 4 actuel était l’alinéa 3.

b. Il ressort de l’analyse des dispositions précitées que, lorsque le Conseil d’Etat décide de classer un monument, il peut soit classer le seul bâtiment, soit définir, au moyen d’un plan, le périmètre fixant les abords de l’objet ; ceux-ci sont alors aussi protégés par l’arrêté (art. 4 let. a in fine et art. 10 al. 1 LPMNS).

En vertu de l’article 15 alinéa 4 LPMNS, l’autorité peut également interdire des travaux aux abords immédiats du bâtiment ou du périmètre protégé.

En l’espèce, l’arrêté de classement de 1979 vise uniquement le bâtiment de l’église russe ; aucun périmètre de protection n’a été défini. Quant aux travaux litigieux, ils jouxtent directement le bâtiment protégé et doivent être considérés comme étant situés dans ses abord immédiats, au sens de l’article 15 alinéa 4 LPMNS. Le projet litigieux doit donc être examiné à la lumière de cette disposition.

3. Il ressort des travaux législatifs qui ont abouti à l’introduction du nouvel alinéa 3 de l’article 15 LPMNS que cette modification avait pour but d’alléger la procédure d’autorisation de construire portant sur un immeuble classé, en cas de travaux de peu d’importance. Le Conseil d’Etat entendait éviter de devoir statuer par arrêté pour des travaux mineurs, tels qu’une rénovation de façades, une modification de menuiseries, un remplacement de chaudière, une rénovation de salle de bains, une installation de chauffage, etc. (Mémorial du Grand-Conseil 2001, 17/III 2716). Le Conseil d’Etat proposait de confier au DAEL la possibilité d’autoriser les travaux ordinaires d’entretien et les transformations de peu d’importance (Mémorial 2001 17/III 2717).

En l’espèce, le projet litigieux ne peut être qualifié de peu d’importance, tant en raison du volume de l’ouvrage – même s’il est en grande partie souterrain – que des difficultés techniques posées par sa réalisations, telles qu’elles ressortent des rapports versés à la procédure par la société intimée.

De ce fait, le projet litigieux n’a pas les qualités qui permettraient au DAEL de statuer en application de l’article 15 alinéa 3 LPMNS. C’est au Conseil d’Etat que cette compétence appartient, conformément à l’article 15 alinéas 1 et 4 LPMNS.

4. Au vu de ce qui précède, le recours sera admis pour des motifs autres que ceux mis en avant par le DAEL. Tant la décision rendue le 25 octobre 2004 par la commission de recours que celle du 12 janvier 2004 du DAEL refusant l’autorisation sollicitée seront annulées. Seul le Conseil d’Etat a la compétence de statuer.

5. Quand bien même le recours est admis, aucun émolument ne sera mis à la charge de la société de l’Eglise russe, vu les motifs de cette issue.

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 15 décembre 2004 par le département de l'aménagement, de l'équipement et du logement contre la décision de la commission cantonale de recours en matière de constructions du 25 octobre 2004 ;

au fond :

admet le recours ;

annule la décision de la commission de recours du 25 octobre 2004 ;

annule la décision du département de l’aménagement, de l’équipement et du logement du 12 janvier 2004 ;

transmet le dossier au Conseil d’Etat comme objet de sa compétence ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

communique le présent arrêt au département de l'aménagement, de l'équipement et du logement ainsi qu'à la commission cantonale de recours en matière de constructions, à Me Philippe Neyroud, avocat de la société de l’Eglise russe de Genève, et à la Ville de Genève.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, M. Paychère, Mme Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. :

 

 

M. Tonossi

 

la vice-présidente :

 

 

L. Bovy

 

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :