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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1887/2009

ATA/384/2010 du 08.06.2010 ( LDTR ) , REJETE

Recours TF déposé le 16.08.2010, rendu le 18.01.2011, REJETE, 1C_358/2010
Parties : DEPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION, I.I.G GROUP SA / ASLOCA ASSOCIATION GENEVOISE DE DEFENSE DES LOCATAIRES, COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIERE DE CONSTRUCTIONS, VILLE DE GENEVE, DUCA Giovanni
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1887/2009-LDTR ATA/384/2010

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 8 juin 2010

dans la cause

 

I.I.G. GROUP S.A.

représentée par Me Jean Orso, avocat

 

et

 

DÉPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION

contre

 

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE DE CONSTRUCTIONS

 

et

 

ASLOCA, ASSOCIATION GENEVOISE DE DÉFENSE DES LOCATAIRES

représentée par Me Nils de Dardel, avocat

 

et

 

Monsieur Giovanni DUCA

représenté par Me Jean-Franklin Woodtli, avocat

 

et

 

VILLE DE GENÈVE



EN FAIT

1. I.I.G. Group S.A. est propriétaire de la parcelle n° 1293, feuille 61 de la commune Genève-Cité à l’adresse 12, rue des Alpes, à l’angle de la rue de Berne.

Cette parcelle comporte un bâtiment édifié en 1959. Elle est située en zone 2 au sens de l'art. 19 al. 1 let. b de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30).

2. a. L'immeuble était précédemment propriété de la SI rue des Alpes 12 et était affecté à l’activité hôtelière. La SI rue des Alpes 12 est devenue I.I.G. Group S.A. (ci-après : la propriétaire) le 14 août 2007.

b. La société propriétaire avait obtenu le 13 mai 1991 une autorisation de construire (DD 90’570) pour que les chambres de cet immeuble puissent être aménagées en bureaux et que des logements soient créés, notamment dans les combles. Les travaux ainsi autorisés n’ont jamais été entrepris. L’autorisation de construire précitée est devenue caduque.

c. Selon une attestation du service du commerce, une autorisation d'exploiter l'hôtel avait été octroyée à Madame Lydia Porta du 11 février 1987 au 31 décembre 1993 et à Monsieur Luc Stitzel du 27 septembre 1996 au 5 janvier 1998.

3. Le 20 octobre 1999, la propriétaire a sollicité une autorisation de construire en procédure accélérée (ci-après : APA) 16’395, portant sur le "changement d’affectation de cet hôtel pour l'affecter à des chambres meublées pour l’Hospice général".

L’autorisation octroyée le 6 décembre 1999 portait sur la réfection des salles de bains ainsi que l’installation de cuisinettes dans les chambres. Aucun permis d'habiter n'a été délivré.

4. De 1999 jusqu’au 30 avril 2005, l’Hospice général a loué toutes les chambres pour y loger les bénéficiaires de prestations sociales. Dès cette dernière date, la société propriétaire a reconduit quelques baux avec des particuliers au prix de CHF 1'100.- par mois la chambre et CHF 1'350.- par mois pour les deux pièces. Le 30 avril 2008, il restait vingt-cinq locataires selon l'état locatif produit et quinze au 30 septembre 2008. Les derniers baux ont été conclus pour trois mois jusqu'au 30 septembre 2008.

Les chambres libérées ont été peu à peu occupées illégalement et l'immeuble a subi de nombreuses déprédations. Dès le 1er octobre 2008, il restait dans l’immeuble trois occupants illicites.

5. Le 21 avril 2008, I.I.G. Group S.A. a déposé une demande d’autorisation de construire portant sur la transformation de l’hôtel en résidence meublée et sur la création d’un appartement dans les combles (DD 102’071-7). Le projet supposait la surélévation du bâtiment, la réalisation de transformations intérieures et la réfection des façades. Il était également prévu d’aménager le rez-de-chaussée au gré du preneur en conservant l’activité commerciale existante.

6. Dans le cadre de l’instruction de la demande, le département des constructions et des technologies de l’information (ci-après : DCTI) a recueilli divers préavis, dont celui de la commission d’architecture. Après diverses modifications, tous les préavis recueillis étaient favorables au projet dans sa dernière version telle qu'elle résulte des plans datés du 17 octobre 2008, à l'exception de celui de la Ville de Genève (ci-après : la ville).

Cette dernière s’y est opposée, au motif que les travaux envisagés devaient être soumis à la LDTR, compte tenu du changement d’affectation intervenu le 6 décembre 1999 lors de la délivrance de l'APA 16'395. La ville requérait également un soin particulier pour le traitement des façades.

7. Le 13 août 2008, le DCTI a informé la propriétaire que, malgré l’opposition de la ville, la transformation projetée n’était, à son sens, pas soumise à la LDTR.

8. Le DCTI a délivré le 14 novembre 2008 l’autorisation sollicitée (DD 102’071-7) qui a été publiée le 19 novembre 2008 dans la Feuille d’Avis Officielle (ci-après : FAO).

9. Le 10 décembre 2008, la ville a recouru contre cette décision auprès de la commission cantonale de recours en matière de constructions, devenue depuis le 1er janvier 2009 la commission cantonale de recours en matière administrative (ci-après : la commission). Le DCTI avait violé la LDTR et n’avait pas tenu compte du règlement transitoire relatif au plan d’utilisation du sol de la ville du 21 juin 1988 (LC 21.211 - RTPUS) et notamment de son art. 4 al. 3.

10. Le 18 décembre 2008, l’Association genevoise de défense des locataires (ci-après : Asloca) a également interjeté recours.

Le 19 décembre 2008, M. Duca en a fait de même.

Pour la première, l’autorisation violait la LDTR. Quant à M. Duca, il alléguait être privé de ses droits, les arcades qu’il exploitait étant certainement destinées à une activité bancaire.

11. I.I.G. Group S.A. est intervenue dans la procédure et a fait valoir le 3 février 2009 que cet immeuble ne devait pas être soumis à la LDTR : depuis sa construction, son affectation n’avait pas changé. Elle consistait en l’exploitation d’un hôtel, à l’exception de la période pendant laquelle les chambres avaient été louées à l’Hospice général.

12. Après avoir entendu les parties en audience de comparution personnelle le 6 février 2009, la commission a admis les recours formés par la ville et l’Asloca et annulé l’autorisation définitive de construire DD 102-071-7 par décision du 31 mars 2009. Elle a rejeté le recours de M. Duca.

Le 6 décembre 1999, le DCTI avait autorisé un changement d’affectation pour passer d’une activité hôtelière à la location de chambres meublées par l’Hospice général. Ces chambres étaient devenues des logements, pourvus d’espaces cuisine, et leurs locataires étaient au bénéfice de baux conclus avec l’Hospice général jusqu’au 30 avril 2005, puis au-delà de cette date de baux conclus avec la société propriétaire elle-même. Il s’agissait bien d’un changement d’affectation définitif à usage d’habitation tel qu’il résultait d’ailleurs de l’inscription au registre foncier. L’autorisation définitive de construire délivrée le 14 novembre 2008 violait les art. 7 et 8 LDTR et l’art. 4 al. 3 RTPUS et devait être annulée. Le bâtiment concerné étant un immeuble d’habitation, les surfaces brutes de plancher supplémentaires obtenues par des travaux de surélévation ou l’aménagement des combles devaient être affectées au logement, ce qui n’était pas le cas dans le projet.

13. Par acte posté le 28 mai 2009, le DCTI a recouru auprès du Tribunal administratif contre cette décision qu'il avait reçue le 28 avril 2009, en concluant à son annulation et au rétablissement de l’autorisation DD 102’071-7.

14. Le 3 juin 2009, I.I.G. Group S.A. a également recouru auprès du Tribunal administratif contre ladite décision qu'elle avait reçue le 4 mai 2009. Elle concluait à l'annulation de la décision et au rétablissement de l'autorisation de construire ainsi qu'au versement d'une indemnité de procédure.

15. Par décision du 8 juin 2009, le juge délégué a joint les deux causes sous le n° A/1887/2009 et invité les intimés à répondre.

16. Le 30 juin 2009, le DCTI a persisté dans les termes de son recours et de ses conclusions. Malgré l’autorisation DD 90’570 délivrée en 1991, la propriétaire n’avait procédé à l’aménagement d’aucune cuisine dans les chambres d’hôtel, ce qui démontrait qu’elle n’avait jamais eu l’intention de changer de manière définitive l’affectation de ce bâtiment. Le DCTI en voulait pour preuve la situation géographique particulière de cet immeuble, situé à proximité de la gare Cornavin et les prix proposés à la location, soit CHF 13’000.- par chambre, à l’année. Certes, la propriétaire avait accepté, à titre exceptionnel, de reconduire certains des baux en vigueur tant que l’Hospice général louait des chambres, mais cela s’était fait dans l’attente de la rénovation du bâtiment et afin que la vacance de ces locaux ne lui soit pas reprochée. D’ailleurs, les prolongations de ces baux étaient faites pour des durées limitées. Si l'on ne considérait pas ce changement d'affectation comme temporaire, cela revenait à vider de sa substance l’art. 3 al. 4 LDTR. L’application du RTPUS ne contredisait en rien l’argumentation que la propriétaire et le DCTI avaient développée. D’ailleurs, l’art. 7 al. 2 RTPUS précisait que les hôtels, destinés principalement à recevoir des gens de passage, comme cela avait toujours été le cas de ce bâtiment, n’étaient pas soumis à une interdiction de changement d'affectation.

Même s'il fallait considérer que ce bâtiment avait, depuis l’accord intervenu avec l’Hospice général, une vocation d’habitation, la délivrance de l’autorisation de construire sollicitée ne serait pas contraire au RTPUS. L’hôtel devant être transformé en chambres meublées, les clés de répartition prévues aux art. 4 et 5 RTPUS seraient respectées.

17. Le 30 juin 2009, le conseil de M. Duca a indiqué que ce dernier avait renoncé à recourir à l’encontre de la décision de la commission et qu'il s’en rapportait à justice.

18. L’Asloca, a répondu le 29 juin 2009. Le libellé de la demande d’APA 16’395, déposée le 25 octobre 1999, était "changement d’affectation hôtel en chambres meublées pour Hospice général".

Quant au bail à loyer, dont elle produisait un exemplaire, soit celui conclu le 14 novembre 2006 pour trois mois avec Madame Monique Guignard, ses clauses particulières prévoyaient que la locataire ne devait pas cuisiner dans le logement mais qu’elle pouvait disposer de la cuisine commune située au 1er étage.

La notion de changement d’affectation provisoire n’existait pas. L’immeuble avait bien un statut d’immeuble d’habitation, à l’exclusion des arcades du rez-de-chaussée. Le changement d’affectation découlant de l’autorisation de construire DD 102’071-7 violait les art. 3 et 7 LDTR. Enfin, le RPUS ne prévoyait pas de dérogation. Les prix pratiqués tels qu’ils résultaient du bail produit étaient excessifs, le loyer mensuel perçu s’élevant à CHF 1’350.- pour un studio, ce qui permettait de le considérer comme illicite. D’ailleurs, la locataire n’avait pas reçu d’avis de fixation de loyer ni d’avis de majoration de celui-ci. Dès 1999 au moins, l’exploitation hôtelière avait cessé et les chambres étaient depuis lors louées par le biais de baux conclus par l’Hospice général, et cela pour de longues périodes.

19. Le 30 juin 2009, la ville a persisté dans sa position et mis en doute la recevabilité du recours d’I.I.G. Groupe S.A. qui semblait avoir été déposé tardivement. Elle a notamment conclu à la condamnation des recourants "à tous les frais et dépens".

20. Le 6 août 2009, I.I.G. Group S.A. a contesté les allégations de la ville et de l’Asloca.

Elle n’avait jamais eu l’intention de renoncer à l’affectation hôtelière du bâtiment, même si le caractère provisoire du changement d'affectation avait duré du fait exclusif de l’Etat. Les chambres avaient été habitées par des personnes qui se trouvaient soit en séjour temporaire à Genève, soit en attente d’un logement durable, mais qui avaient des difficultés à en trouver un, compte tenu de leur situation personnelle. En aucun cas I.I.G. Group S.A. n’avait renoncé définitivement à l’affectation hôtelière de l’immeuble en 1999. Le changement d’affectation tel qu’il figurait au registre foncier n’était pas déterminant. Prétendre que des chambres de 17 m2, y compris la salle de bains et les W.C., correspondaient à des habitations ou des studios standards était erroné. Par ailleurs, l’Hospice général avait continué à payer les loyers de certains bénéficiaires et cela jusqu’en 2008. Les chambres d’hôtel n’avaient pas été transformées en chambres d’habitation, contrairement aux allégués de l’Asloca. D’ailleurs, les logements n’étaient pas pourvus de kitchenette. La propriétaire n’allait pas offrir toutes les prestations hôtelières classiques aux bénéficiaires de l’Hospice général.

Elle sollicitait un transport sur place. Elle a produit l'avis émis par la poste attestant que son conseil avait reçu le 4 mai 2009 la décision de la commission.

21. Le 6 août 2009 la ville a fait savoir au juge délégué qu’elle n’avait pas d’acte d’instruction complémentaire à requérir.

22. Le 6 août 2009 également, le DCTI a insisté sur le fait que l’autorisation APA 16’395 délivrée à la SI 12, rue des Alpes le 6 décembre 1999 démontrait que le changement d’affectation autorisé ne l’avait été que pour les besoins de l’Hospice général, lesquels étaient urgents et provisoires. Si tel n’avait pas été le cas, aucune mention de l’Hospice général n’aurait été faite.

De plus, il ne saurait être reproché à I.I.G. Groupe S.A. d’avoir proposé des baux d’une durée limitée aux anciens bénéficiaires des prestations de l'Hospice général logeant dans l'hôtel. Cela ne saurait être interprété comme une volonté de sa part d’affecter de manière définitive son hôtel à du logement. Si ces personnes ne s’étaient pas vu proposer des baux à cette échéance, leur présence dans ces chambres vacantes, tout comme celle des délinquants du quartier n’auraient d’ailleurs jamais pu être mises en avant par l’Asloca et la ville pour défendre leur position. Le DCTI n’avait jamais envisagé ni autorisé une telle situation.

23. Le 7 octobre 2009 la commission a déposé ses dossiers.

24. Le 13 novembre 2009, le juge délégué a procédé à un transport sur place, au cours duquel il a constaté que le dernier étage mansardé était auparavant occupé par les bureaux de la société propriétaire. Toutes les parois avaient été cassées et le sol était jonché de gravats, comme le démontrent les photos figurant au dossier. Côté rue de Berne, une partie du sous-bassement était carrelé car il y a avait une douche mais pas de cuisine.

Au 5ème étage, qui avait la même disposition que les étages inférieurs à l’exception du rez-de-chaussée, les parois et les galandages étaient cassés et les débris laissés sur le sol. Une seule chambre de 11 m2 était encore habitée quinze jours auparavant par Monsieur Thierry Monbaron, présent lors de cet acte d'instruction. Ce dernier a indiqué qu’il n’avait ni eau chaude, ni électricité depuis février 2009 et qu’il louait cette chambre CHF 1'100.- par mois, charges comprises. Il disposait d’une salle de bains dans laquelle il avait installé un frigo, un micro-ondes et deux plaques électriques, aucune kitchenette n’étant aménagée. La salle de bains mesurait 3,30 m2 et était pourvue d’une baignoire à sabot, d’un lavabo et d'un W.C. Il était tout d’abord locataire par le biais de l’Hospice général, puis directement auprès d'I.I.G. Group S.A.

Toutes les chambres de l’étage comportaient une salle de bains avec une baignoire sabot. A chaque étage, l’une des chambres communiquait avec une autre comportant une fenêtre pourvue de plots de verre laissant passer la lumière mais ne pouvant être ouverte.

Au 1er étage se trouvait la seule cuisine comportant une seule pièce correspondant à deux chambres, sans galandage les séparant.

Contre la façade, à l’angle de la rue de Berne et de la rue des Alpes était apposée une enseigne verticale « Hôtel Motte ».

A l'issue du transport sur place, les parties ont été informées que la cause serait gardée à juger après le dépôt de leurs observations.

25. Le 4 décembre 2009, la ville a fait part de sa détermination. Le transport sur place avait permis de constater que des travaux avaient débuté sans autorisation. La propriétaire avait renoncé à l‘affectation commerciale du bâtiment pour y créer des logements de manière définitive. L'annotation figurant au registre foncier démontrait que le bâtiment était voué à l’habitation dans les étages et à une activité commerciale au rez-de-chaussée. Elle persistait dans ses conclusions.

Le 16 décembre 2009, la ville a encore fait parvenir au juge délégué un extrait du registre foncier pour cet immeuble et l’état des contenances mentionnant une destination d’habitation pour celui-ci.

26. Le 18 décembre 2009, le DCTI a déposé des observations en persistant dans son recours. Le dernier locataire à avoir quitté les lieux avait confirmé qu’aucune cuisine n’avait été aménagée dans les chambres de l’hôtel. Malgré la délivrance le 6 décembre 1999 de l’APA 16'395, la propriétaire n'avait jamais eu l’intention de changer définitivement l’affectation de ces locaux.

27. Le 22 décembre 2009, I.I.G. Group S.A. a déposé ses observations. Suite à la délivrance de l’APA 16'395, les travaux n’avaient jamais été réalisés et aucun permis d’habiter n’avait été délivré. Les chambres étaient donc demeurées des chambres d’hôtel meublées pour les besoins de l’Hospice général et des requérants d’asile. Après fin 2005, l’Hospice général n’avait plus placé de bénéficiaires.

Comme les chambres devenues vacantes après le départ des bénéficiaires de l’Hospice général étaient squattées par des délinquants, des baux d’une durée de trois mois avaient été conclus, pour des raisons de sécurité, avant de rénover l’immeuble. Dès le 1er octobre 2008, seuls des occupants illicites demeuraient dans ces chambres.

La propriétaire n'avait pas demandé d'autorisation d'exploiter, dès lors que l’Hospice général avait réquisitionné l’Hôtel Motte pour une durée forcément provisoire. Les chambres étaient meublées mais toutes avaient été évacuées en décembre 2009.

L’immeuble n’avait jamais changé d’affectation et la LDTR n’était pas applicable. L’art. 4 RTPUS non plus, car l’hôtel ne répondait pas aux besoins prépondérants de la population en raison des prix pratiqués.

EN DROIT

1. Interjetés en temps utile devant la juridiction compétente, les recours sont recevables (art. 56A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. La question litigieuse est celle du changement d'affectation des locaux du bâtiment appartenant à la recourante. Pour cette dernière, le bâtiment a conservé son affectation hôtelière ou ne l'a perdue que temporairement, alors que pour la ville et l'Asloca, les locaux avaient été affectés au logement et aucun changement d'affectation ne pourrait être autorisé, en application de la LDTR et du RTPUS.

3. a. La LDTR a pour but de préserver l'habitat et les conditions de vie existant ainsi que le caractère actuel de l'habitat dans les zones visées expressément par la loi (art. 1 al. 1 LDTR). La loi prévoit notamment à cet effet, et tout en assurant la protection des locataires et des propriétaires d'appartements, des restrictions à la démolition, à la transformation et au changement d'affectation des maisons d'habitation (art. 1 al. 2 let. a LDTR).

b. Nul ne peut, sous réserve de l'octroi d'une dérogation, changer l'affectation de tout ou partie d'un bâtiment au sens de l'art. 2 al. 1, occupé ou inoccupé (art. 7 LDTR).

c. La LDTR s’applique à tout bâtiment situé dans l’une des zones de construction prévues par l’art. 19 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30) et qui comporte des locaux qui, par leur aménagement et leur distribution, sont affectés à l’habitation (art. 2 al. 1 LDTR). Ne sont pas assujetties, les maisons individuelles ne comportant qu’un seul logement (art. 2 al. 2 LDTR).

d. Tout changement d'affectation d'un bâtiment destiné à l'habitation, au sens de l'art. 2 al. 1 de la loi, nécessite l'octroi préalable d'une dérogation. Par changement d'affectation, on entend toute modification, même en l'absence de travaux, qui a pour effet de remplacer des locaux à destination de logements par des locaux à usage commercial, administratif, artisanal ou industriel (art. 3 al. 3 LDTR). Est également assimilé à un changement d'affectation le remplacement de locaux à destination de logements par des résidences meublées ou des hôtels (art. 3 al. 3 let. a LDTR) et le remplacement de résidences meublées ou d'hôtels par des locaux commerciaux, lorsque ces résidences ou ces hôtels répondent aux besoins prépondérants de la population (art. 3 al. 2 let. b LDTR). En revanche, il n'y a pas de changement d'affectation lorsque des locaux à usage commercial, administratif, artisanal ou industriel ont été temporairement affectés à l'habitation et qu'ils retrouvent leur destination commerciale, administrative, artisanale ou industrielle antérieure, pour autant qu'ils n'aient jamais été précédemment affectés au logement (art. 3 al. 4 LDTR).

c. La résidence meublée est un logement qui est loué meublé à des fins commerciales dans une maison d'habitation (art. 4 al. 1 règlement d'application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation du 29 avril 1996 - RDTR - L 5 20.01).

Les résidences sont des établissements hébergeant principalement des hôtes en studios ou en appartements meublés, avec ou sans service de restauration, mais en principe avec mise à disposition de prestations de service (art. 52 la loi sur la restauration, le débit de boissons et l’hébergement du 17 décembre 1987 (LRDBH - I 2 21) et leur exploitation est soumise à autorisation (art. 4 LRDBH) comme l'est celle des hôtels.

4. Le Tribunal administratif a déjà jugé qu'une affectation d'hôtel avait été perdue, de fait, au profit d'une affectation au logement, dans le cas d'un immeuble dont les quelque vingt studios avaient été loués par l'Hospice général, non meublés, avec des contrats d'une durée d'un an et le versement d'une garantie bancaire. Aucun service supplémentaire n'était fourni aux résidents (ATA/96/2007 du 6 mars 2007).

5. En l'espèce, il est constant que le bâtiment avait une affectation hôtelière jusqu'au 5 janvier 1998.

Depuis 1999, aucune autorisation d'exploiter n'a été délivrée par les services compétents pour une exploitation hôtelière ou de résidence.

La différence entre la location de logements et l'exploitation d'une résidence meublée ou d'un hôtel, réside notamment dans la mise à disposition par l'exploitant d'un certain nombre de services, tels que nettoyage des chambres, réception, centrale téléphonique, literie, téléphone dans les chambres, service de repas, etc. En l'espèce, aucun service n'était proposé aux résidents. En particulier, l'existence d'une cuisine à usage commun, palliant l'absence de cuisine dans les studios, ne correspond pas à un tel service.

Le fait que les locaux aient été loués meublés ne permet pas de trancher la question de leur qualification, la location de locaux meublés n'étant pas une particularité des seules résidences hôtelières. Il en va de même de l'absence de cuisine.

Il faut également prendre en compte le fait que la propriétaire a conclu des baux d'une certaine durée, d'abord avec l'Hospice général puis avec les locataires directement. Elle a aussi mis à bail des logements constitués de deux pièces, soit une chambre et un ancien débarras converti en chambre.

Au vu de ces éléments, il apparaît que les locaux ont perdu leur affectation hôtelière et seule la qualification de locaux à destination de logement peut être retenue.

Le bâtiment est ainsi, en principe, soumis aux restrictions prévues par la LDTR.

6. Les recourants estiment que le changement d'affectation n'a été que temporaire, le bâtiment ayant conservé son affectation antérieure en application de l'art. 3 al. 4 LDTR.

a. Il n'y a pas de changement d'affectation lorsque des locaux à usage commercial, administratif, artisanal ou industriel ont été temporairement affectés à l'habitation et qu'ils retrouvent leur destination commerciale, administrative, artisanale ou industrielle antérieure, pour autant qu'ils n'aient jamais été précédemment affectés au logement (art. 3 al. 4 LDTR).

A teneur de texte, cette disposition n'est pas applicable en l'espèce, le bâtiment n'ayant jamais eu une destination strictement commerciale, administrative, artisanale ou industrielle, mais une affectation hôtelière, catégorie distincte selon l'art. 3 LDTR, intitulé "définitions". Il ressort des travaux du Grand Conseil y relatifs que seules les surfaces commerciales, dont l'offre dépassait alors largement la demande, étaient visées. L'ajout de cette disposition avait pour but de permettre aux propriétaires de mettre sur le marché locatif du logement, des surfaces commerciales, vacantes, reconverties temporairement dans ce but, et ce, sans perdre l'affectation commerciale (Mémorial des séances du Grand Conseil 1994 25/III 2378ss relatif à l'adoption d'un art. 3 al. 3 dans la LDTR du 22 juin 1989, devenu depuis l'art. 3 al. 4 LDTR). Lors d'une modification ultérieure de la disposition, l'exigence de l'absence antérieure d'affectation au logement a été ajoutée.

b. A supposer que l'on puisse interpréter l'art. 3 al. 4 LDTR de façon à assimiler les hôtels à des locaux commerciaux, encore faudrait-il que le caractère temporaire du changement d'affectation en logements soit donné.

Or, rien dans le dossier n'indique qu'il se soit agi d'un changement temporaire d'affectation des locaux. Notamment, la mise à disposition des logements à l'Hospice général n'était pas limitée dans le temps. Elle a duré de 1999 à fin avril 2005. Ensuite, pendant près de trois ans, une partie des locaux a été donnée à bail à des particuliers. Le fait que les logements n'aient finalement plus été reloués au fur et à mesure des départs et que la propriétaire ait fixé à fin septembre 2008 l'échéance des derniers baux ne prouvent pas le caractère temporaire de l'affectation mais uniquement la volonté de transformation des locaux, près de dix ans après leur mise à disposition pour la location. En outre, aucun document datant de 1999 et émanant du département compétent ne confirme le caractère provisoire ou temporaire du changement d'affectation. En particulier, ni la demande d'autorisation déposée par la propriétaire ni l'autorisation de construire délivrée à l'époque n'en font mention.

Au vu de ce qui précède, il apparaît que le changement d'affectation n'a pas le caractère temporaire que voudraient lui attribuer les recourants. En conséquence, le département n'ayant pas examiné les conditions d'octroi d'une dérogation à l'interdiction de changement d'affectation au sens des art. 7 et 8 LDTR, c'est à juste titre que la commission a annulé l'autorisation de construire querellée. Les recours seront rejetés et la décision de la commission de recours confirmée.

7. Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la propriétaire et un autre de CHF 1'000.- à celle du DCTI. Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à l'Asloca, à charge, pour moitié, de la recourante et de l'Etat de Genève. Aucun émolument ne sera mis à la charge de M. Duca qui s'en est rapporté à justice (art. 87 LPA). En application de la jurisprudence du Tribunal administratif, aucune indemnité ne sera allouée à la ville (ATA/263/2006 du 2 mai 2006).

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevables les recours interjetés les 28 mai et 3 juin 2009 par le département des constructions et technologies de l'information et I.I.G. Group S.A. contre la décision de la commission cantonale de recours en matière de constructions du 31 mars 2009 ;

au fond :

les rejette ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge d'I.I.G. Group S.A et un émolument de CHF 1'000.- à celle du département des constructions et technologies de l'information ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à l'Asloca, à la charge, pour moitié de l'Etat de Genève et d'I.I.G. Group S.A. ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jean Orso, avocat de I.I.G. Group S.A., au département des constructions et technologies de l'information, à la commission cantonale de recours en matière administrative, à Me Nils de Dardel, avocat de l'Association genevoise de défense des locataires ainsi qu'à la Ville de Genève et à Me Jean-Franklin Woodtli, avocat de M. Duca, pour information.

Siégeants : M. Thélin, président, Mmes Bovy, Hurni et Junod, M. Dumartheray, juges.

 

 

 

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. :

 

 

F. Glauser

 

le vice-président :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :