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A/1710/2012

ATA/377/2014 du 20.05.2014 sur JTAPI/1545/2012 ( PE ) , ADMIS

Descripteurs : DROIT DES ÉTRANGERS ; REGROUPEMENT FAMILIAL ; AUTORISATION DE SÉJOUR ; ACCORD SUR LA LIBRE CIRCULATION DES PERSONNES ; UNION CONJUGALE ; MARIAGE ; ABUS DE DROIT ; MARIAGE DE NATIONALITÉ
Normes : CEDH.8; ALCP.7.letd; ALCP.3§1.leta.Annexe; Cst.13; LEtr.43; LEtr.51.al2.leta; CCS.2.al2
Résumé : Octroi d'une autorisation de séjour au titre de regroupement familial à un ressortissant pakistanais marié à une ressortissante portugaise qui bénéficie d'un permis de travail en Suisse. Pas de preuve du caractère fictif de la vie commune des époux. Recours admis.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1710/2012-PE ATA/377/2014

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 mai 2014

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS

_________


 

Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 18 décembre 2012 (JTAPI/1545/2012)


EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1985, est ressortissant du Pakistan.

2) Il est arrivé en Suisse en ______ 2006, au bénéfice d’une autorisation de séjour pour études, afin de suivre une école hôtelière à B______.

3) Au mois de janvier 2007, il a déménagé à Genève pour y suivre un enseignement de français à l’école Ber, puis auprès de VM Institut, école qu’il a cessé de fréquenter dès mars 2007.

4) Le 21 novembre 2007, l’office cantonal de la population, devenu depuis lors l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM), a refusé de renouveler son permis d’étudiant et lui a imparti un délai pour quitter la Suisse. Cette décision a cependant été annulée par la commission cantonale de recours de police des étrangers, sur recours de l’intéressé.

5) Le 17 mai 2010, la société C______ SA, exploitant le restaurant D______ à Genève, a adressé à l’office cantonal de l’emploi une demande urgente de permis avec prise d’activité lucrative pour M. A______.

6) Le 16 juin 2010, la commission tripartite de l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT) a refusé de préaviser favorablement cette demande. Cette décision a fait l’objet d’un recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI).

7) Le 31 mai 2011, M. A______ a épousé Madame E______, née le ______ 1980, de nationalité portugaise, domiciliée officiellement à l’époque au Portugal. Le mariage a eu lieu à Copenhague.

8) Le 2 juin 2011, son épouse a rejoint M. A______ à Genève. L’OCPM l’a mise au bénéfice d’un permis de séjour en vertu des dispositions de l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP - RS 0.142.112.681). Elle a indiqué être domiciliée ______, rue I______.

9) Le 27 juin 2011, l’OCPM a prolongé l’autorisation de séjour pour études de M. A______. Il avait requis celle-ci pour pouvoir passer ses examens de dernière année d’études. À cette date, il était domicilié ______, rue F______, selon ce qu’il avait annoncé à l’OCPM.

10) Le 25 août 2011, M. A______ a requis, avec son employeur, un permis de travail afin de pouvoir travailler comme chef de rang au sein du restaurant D______, sis à la rue G______. Sa demande d’autorisation de séjour a été traitée par l’OCPM comme une demande d’autorisation au titre du regroupement familial.

Sur le formulaire de la requête remise à l’OCPM, il a mentionné habiter chez Monsieur H______, ______, rue I______.

11) M. A______ a retiré son recours contre la décision de l’OCIRT du 16 juin 2010 à la suite du changement de sa situation engendré par le mariage.

12) Dans le cadre de l’instruction de la demande d’autorisation de séjour de M. A______, l’OCPM a effectué des enquêtes afin d’examiner la situation conjugale de ce dernier et de son épouse.

Selon le rapport d’un enquêteur du 11 novembre 2011, le nom de M. A______ figurait encore à cette date sur la boîte aux lettres de l’appartement situé à son ancienne adresse, ______, rue F______. Il était titulaire du bail de l’appartement en question, dans lequel deux autres ressortissants pakistanais logeaient, selon les indications ressortant des registres de l’OCPM.

Selon un second rapport du 14 novembre 2011, l’enquêteur s’était rendu à cette date à l’appartement précité. Il y avait rencontré M. A______ en compagnie d’autres ressortissants pakistanais. M. A______ lui avait confirmé faire ménage commun avec son épouse ______, rue I______, en lui précisant qu’à cette date, celle-ci était en vacances au Portugal. Il se trouvait à son ancienne adresse car il avait gardé son appartement, dans lequel logeaient ses amis.

13) Les époux ont été entendus tous deux par l’OCPM le 30 novembre 2011.

Le contenu de l’entretien de chacun des deux époux a été consigné sous forme de questions-réponses dans un document non signé indiquant le nom des personnes qui avaient conduit l’entretien. Les deux comptes rendus étaient rédigés en français. Ils n’étaient pas signés. Leur contenu sera repris en tant que de besoin dans la discussion juridique.

14) Le 16 décembre 2011, l’OCPM a refusé d’accorder à M. A______ une autorisation de séjour dans le cadre du regroupement familial. Pour cette autorité, M. A______ avait contracté un mariage de complaisance. Ce constat était fondé sur la confrontation de leurs réponses aux questions similaires qui avaient été posées aux époux lors de leur audition respective. Des divergences sur les circonstances de leur rencontre à Copenhague, sur leur façon de communiquer et la difficulté que cela représentait, sur la réalité de leur logement commun, la méconnaissance complète de la composition de leur famille respective, le flou sur leurs projets communs. Le mariage de M. A______ était intervenu alors que celui-ci avait dû recourir contre le refus de l’OCIRT de préaviser favorablement l’octroi d’une autorisation de séjour et la conclusion dudit mariage venait à point pour lui permettre de résider en Suisse.

Compte tenu de ce refus, M. A______ était renvoyé de Suisse et un délai au 15 mars 2012 lui était imparti pour quitter la Suisse.

15) M. A______ a recouru contre cette décision auprès du TAPI le 22 décembre 2011. L’OCPM a cependant retiré cette décision « en raison d’une erreur de droit », si bien que le recours de l’intéressé a été rayé du rôle du TAPI.

16) Le 17 février 2012, l’OCPM a délivré à M. A______ un visa valable pour la France, le Portugal et le Pakistan. L’intéressé avait mentionné ce dernier pays dans sa requête car il devait y retourner en raison de problèmes de santé d’un membre de sa famille.

17) Le 30 avril 2012, l’OCPM a adressé à M. A______ une nouvelle décision lui refusant la délivrance d’une autorisation de séjour fondée sur des motifs similaires à la précédente. Cette décision, notifiée à M. A______ au______, rue J______, soit à l’adresse qu’il avait annoncée en dernier lieu à l’OCPM, a été retournée à ce dernier avec la mention « destinataire introuvable à l’adresse indiquée ».

18) Par acte posté le 1er juin 2012, M. A______ a recouru auprès du TAPI contre la décision de l’OCPM précitée. Il avait reçu ladite décision le 16 mai 2012 en se rendant au guichet de l’OCPM car elle lui avait été mal adressée. Il a confirmé être domicilié ______, rue J______, mais « chez Monsieur », comme il l’avait mentionné dans son formulaire d’annonce de changement d’adresse du 23 décembre 2011. Il concluait à l’annulation de ladite décision et à l’octroi d’un délai pour compléter son recours par le biais de l’avocat qu’il venait de mandater. Il contestait avoir contracté un mariage de complaisance.

19) Le 13 juin 2012, il a requis la délivrance d’un visa pour raisons familiales afin de lui permettre de voyager au Portugal d’ici à la fin du mois de juillet.

20) Le 21 juin 2012, il a complété son recours. Il avait toujours séjourné légalement en Suisse et avait toujours travaillé dans les limites autorisées par la loi. Il avait rencontré son épouse en octobre 2010 à Copenhague et ils entretenaient depuis lors une relation amoureuse. Après leur rencontre, chacun d’entre eux était retourné dans son pays. Il était resté en contact avec son épouse. Celle-ci lui avait rendu visite à Genève et ils avaient décidé de se marier au plus vite. Lui-même, en raison de ses convictions religieuses, ne voulait pas entretenir de relation hors mariage. Sa femme était venue à Genève après le mariage et y avait trouvé un emploi auprès d’un restaurant iranien.

Après son mariage, il avait déclaré habiter avec son épouse dans un appartement sis ______, rue I______, fourni par l’employeur de celle-ci. Ils avaient pu déménager le 23 décembre 2011 pour habiter ensemble ______, rue J______ dans un appartement sous-loué par K______. Concernant sa relation conjugale, il en affirmait la réalité, concrétisée au-delà de la vie commune par des activités communes. Le 23 juin 2012, ils allaient se rendre tous deux à Braga pour rendre visite à la famille de son épouse.

Juridiquement, leur situation remplissait les conditions posées par l’ALCP et il avait droit à un titre de séjour au titre du regroupement familial.

21) Dans ses observations du 6 août 2012, l’OCPM a conclu au rejet du recours. À l’instar des autorités administratives responsables de l’état civil, l’OCPM ne pouvait refuser de reconnaître un mariage que si l’absence de volonté de former une communauté conjugale était manifeste. Il persistait à considérer qu’en l’espèce ces conditions étaient réunies. Les époux se connaissaient à peine lorsqu’ils avaient décidé de se marier et les divergences de leurs propos au sujet de leur couple, telles qu’elles ressortaient de leur audition, ne faisaient que confirmer qu’ils n’avaient jamais eu la volonté de former une véritable communauté conjugale. Celle-ci ne visait qu’à permettre à M. A______ de résider en Suisse. L’annonce qu’il avait faite le 23 décembre 2011 de son déménagement à la rue J______ et la production de courriers pré-rédigés et signés par des connaissances, annexés à son recours dans le but d’attester de la réalité de son couple, ne changeaient rien à l’appréciation négative qui devait être faite de cette situation.

22) Le 1er octobre 2012, l’OCPM a accordé à M. A______ un visa pour qu’il puisse se rendre au Portugal.

23) Le 18 décembre 2012, le TAPI a rejeté le recours de M. A______. L’OCPM avait à juste titre considéré que son mariage avait un caractère de complaisance, ne servant qu’à éluder les dispositions sur le séjour des étrangers en Suisse. De nombreux indices pouvaient fonder une telle conviction, soit les divergences des déclarations des époux sur des questions simples, les circonstances de leur rencontre, le choix du lieu de célébration du mariage, la réaction des parents de Mme E______ à l’annonce du mariage. Il en allait de même des divergences sur leurs conditions d’habitation à la rue F______ ou à la rue I______, ainsi qu’à la rue J______, adresse à laquelle le recourant n’avait pas pu être atteint par l’OCPM.

24) Le 1er février 2013, M. A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement du TAPI précité, qui lui avait été notifié conformément à l’adresse qu’il avait communiquée. Il a conclu à son annulation. La décision de l’OCPM du 30 avril 2012 devait être annulée, y compris celle de le renvoyer de Suisse. Il devait être autorisé à séjourner en Suisse. Il sollicitait préalablement son audition et celle de son épouse.

La requête en autorisation de séjour n’avait pas été instruite correctement. La décision de refus était fondée sur des documents intitulés « procès-verbaux », mais qui n’avaient été signés ni par lui ni par son épouse. Ils n’avaient donc aucune valeur probante. La décision de l’OCPM et, partant, le jugement du TAPI, étaient nuls.

25) L’OCPM a conclu au rejet du recours. Sa décision de refus était effectivement fondée en majeure partie sur les auditions effectuées par ses collaborateurs. Le recourant n’avait pas contesté jusque-là la validité de ces procès-verbaux, son avocate d’alors insistant sur le fait que, même si ceux-ci pouvaient ne pas concorder sur certains points, les réponses formulées étaient cohérentes. Le fait que ces procès-verbaux ne soient pas signés ne les rendait pas invalides. En effet, l’exigence d’une signature n’existait que pour les procès-verbaux en procédure contentieuse.

Sur le fond du litige, le droit au regroupement familial découlant des art. 7d ALCP et 3 § 1 et 2 let. a de l’annexe I ALCP ne pouvait être invoqué en cas de mariage de complaisance ou lorsque l’époux non communautaire se prévalait d’un lien conjugal vidé de toute substance pour conserver ou obtenir une autorisation de séjour. En l’espèce, les divergences des époux et leurs contradictions sur leur lieu de résidence ne permettaient pas de conclure à l’effectivité de leur union conjugale.

26) Le 6 mai 2013, le juge délégué a procédé à l’audition des parties.

Selon l’OCPM, les procès-verbaux ou comptes rendus d’entretiens des personnes entendues étaient rédigés au fur et à mesure de l’entretien. Ils étaient en règle générale signés par les personnes entendues après soumission pour relecture. L’OCPM avait rarement recours à des interprètes. Les personnes qu’il interrogeait parlaient en effet souvent les langues étrangères, notamment l’anglais ou l’espagnol. En l’espèce, le chef de service avait assisté à l’entretien avec une collaboratrice. La représentante de l’OCPM ne s’expliquait pas les raisons pour lesquelles les deux procès-verbaux n’avaient pas été signés par les personnes entendues.

Le recourant ne contestait pas la teneur du procès-verbal de son audition. Il lui avait été remis à relire et il l’avait fait corriger.

Concernant sa situation personnelle, il travaillait à temps partiel dans un restaurant à Renens et il était au chômage pour le surplus. Il envisageait de reprendre l’exploitation dudit restaurant après avoir obtenu son diplôme de cafetier. Il était toujours marié et vivait toujours avec son épouse au ______, rue J______.

Il était resté titulaire du bail de son studio ______, rue F______. Il n’avait pas résilié celui-ci à la demande des amis avec lesquels il y cohabitait à l’époque de ses études et qui continuaient à y résider. Il ne leur sous-louait pas le logement avec bénéfice. Concernant l’appartement sis ______, rue I______, il confirmait y avoir emménagé avec son épouse en juin 2011. Toutefois, ils n’y étaient pas restés car il s’agissait d’un appartement mis à disposition par le patron de sa femme. Ce studio était composé de deux chambres, dont l’une était occupée par un autre couple de de travailleurs du restaurant. Ils n’avaient eu l’opportunité de retrouver un logement qu’en décembre 2011. Un de ses amis, M. K______, voulait quitter son studio. Il avait accepté de garder le bail et de le lui laisser en sous-location. Depuis lors, il habitait seul avec son épouse dans ce studio. Il était allé deux fois au Portugal depuis son mariage, la dernière en décembre 2012 durant une semaine. À chaque fois, il avait résidé dans la famille de son épouse. Il contestait avoir produit devant le TAPI des attestations d’amis rédigées « pour les besoins de la cause ». Ceux-ci étaient réellement des amis, avec lesquels son épouse et lui partageaient des moments. Il avait renoncé à se rendre avec son épouse au Pakistan. Vu la situation régnant dans le pays, il n’avait pas envie de mettre en danger la vie de celle-ci. Il venait d’une famille traditionnelle et elle n’était pas musulmane. Son épouse avait quatre enfants qui habitaient dans un foyer à Vizella, où habitaient également ses parents. Il avait eu des contacts surtout avec sa grande fille qui avait 16 ans et qui parlait bien le français et l’anglais.

27) a. Le 6 juin 2013, le juge délégué a procédé à l’audition de l’épouse du recourant, à titre de renseignements. Celle-ci avait effectivement rencontré le recourant au Danemark, à la suite de l’invitation d’une amie. Avant de se marier, elle l’avait revu à Genève. Lorsqu’elle était arrivée à Genève, ils avaient partagé un appartement avec un autre couple. Par la suite, ils avaient trouvé le studio où ils vivaient. Ils y menaient une vie de couple normale, sortaient ensemble et allaient se promener au bord du lac. La vie conjugale n’était pas simple, il y avait des hauts et des bas, mais elle aimait beaucoup son mari. Elle l’avait emmené deux fois au Portugal, où il avait rencontré sa famille.

Elle avait été interrogée en portugais par l’OCPM et avait répondu dans cette langue. Elle n’avait pas signé la déclaration et on ne la lui avait pas traduite. Lorsqu’elle communiquait avec son mari, elle parlait portugais et lui parlait sa langue ou quelques mots de portugais. Pour communiquer avec lui, elle utilisait un logiciel pour traduire les mots qu’elle formulait en portugais. Elle avait mangé à deux reprises avec leur loueur et son épouse. Elle l’avait également rencontré à plusieurs reprises seul en compagnie de son mari car c’était un bon ami à lui.

b. Selon M. K______, entendu en qualité de témoin, le recourant était l’un de ses amis. Il avait travaillé avec lui durant une année et demie dans un restaurant indien. Il connaissait son épouse, il l’avait d’ailleurs connue à Genève avant leur mariage. Il n’avait pas participé à celui-ci mais au repas de mariage qu’ils avaient organisé dans le restaurant iranien où elle travaillait. Il avait échangé son studio avec celui du recourant ______, rue F______. Il logeait à cette dernière adresse avec d’autres personnes.

c. Selon Madame L______, épouse séparée de M. K______, entendue comme témoin, le recourant était un ami de son mari. Elle l’avait rencontré à deux reprises avec son épouse. La première fois, c’était au restaurant M______. La deuxième fois, c’était à leur domicile. Cette dernière ne parlait pas français.

28) A l’issue de l’audience, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le recourant soutient que les procès-verbaux de son audition et de celle de son épouse du 30 novembre 2011 n’ont aucune validité dès lors qu’ils ne sont pas signés, si bien qu’ils ne peuvent constituer une base permettant à l’autorité intimée de fonder son refus de lui délivrer une autorisation de séjour lui permettant de vivre à Genève avec son épouse.

3) Dans le cas de l’instruction des procédures qu’elle conduit, l’autorité administrative établit les faits d’office (art. 19 LPA). Pour ce faire, elle recourt aux moyens de preuve énoncés à l’art. 28 al. 2 let. a à e LPA, parmi lesquels l’interrogatoire et l’audition des parties (let. b) ou celui de tiers (let. c). Seules les auditions des parties ou de tiers effectuées dans le cadre de la procédure contentieuse (ou les auditions de témoins en procédure non contentieuse effectuée par certaines autorités spécifiquement désignées à l’art. 28 al. 1 let. a et b LPA) doivent être transcrites suivant une procédure formelle, soit par l’établissement d’un procès-verbal signé de la personne entendue par l’autorité (art. 20 al. 3 LPA).

4) En l’occurrence, le procédé auquel l’OCPM a recouru pour entendre le recourant et son épouse, consistant à effectuer cette audition directement dans la langue de la personne entendue en transcrivant les questions et les réponses en français, n’est pas prohibé par la loi. Un tel mode de faire équivaut à verser à la procédure un rapport d’entretien valant rapport de renseignement. Dans la mesure où le document en question ne renseigne pas sur les conditions dans lesquelles l’entretien s’est déroulé, la présence ou non ainsi que l’intervention d’un interprète pour en traduire le contenu à la personne entendue à l’issue de l’entretien de celui-ci afin de lui permettre d’exercer son droit d’être entendu, sa valeur probante reste relative et son contenu nécessite à tout le moins d’être corroboré par d’autres éléments du dossier.

Le grief tiré de l’invalidité des procès-verbaux d’audition sera rejeté, étant rappelé que la question d’un éventuel vice de forme ne se pose que pour l’audition de l’épouse du recourant, ce dernier ayant en définitive admis lors de l’audience de comparution personnelle qu’il avait pu relire son rapport d’entretien et en faire rectifier certaines réponses et ne pas en contester la teneur.

5) Selon les art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) et 13 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale.

6) À teneur de la loi fédérale sur les étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr – RS 142.20), seul le conjoint étranger d’une personne titulaire d’une autorisation d’établissement peut obtenir de l’autorité compétente une autorisation de séjour en Suisse à condition qu’il vive en ménage commun avec celle-ci (art. 43 LEtr). Ces droits s’éteignent ou peuvent être révoqués, en particulier lorsqu’ils sont invoqués abusivement, notamment pour éluder les dispositions de la présente loi sur l’admission et le séjour ou ses dispositions d’exécution (art. 51 al. 2 let. a LEtr).

7) En dérogation aux dispositions de la LEtr précitées, le conjoint d’une personne ressortissante de la communauté européenne qui est autorisée à séjourner en Suisse a lui-même un droit de séjour en Suisse dans la mesure où ladite personne dispose d’un logement convenable (art. 7 let. d ALCP ; art. 3 § 1 let. a de l’annexe I ALCP).

Ainsi que le Tribunal fédéral l’a rappelé (ATF 131 II 1 ; RDAF 2005 I p. 621), le but de l’ALCP est de réaliser la libre circulation des ressortissants des États membres sur le territoire des autres États contractants, sur la base des dispositions en vigueur de la Communauté européenne (art. 1 et 16 al. 1 ALCP). Les règles sur le regroupement familial sont d’ailleurs calquées sur les dispositions communautaires, soit sur l’art. 10 du règlement n° 1612/68 du Conseil relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté (CEE - RS 0.831.109.268.1). Cette dernière disposition et l’art. 7 let. d ALCP trouvent leur justification dans le droit au respect de la vie privée et familiale consacrée par l’art. 8 CEDH (ATF 131 II 113 consid. 7.1).

8) Ainsi, à l’instar des étrangers mariés à un citoyen suisse, les étrangers mariés à un travailleur communautaire jouissent, en principe, d’un droit de séjour en Suisse pendant toute la durée formelle du mariage. Selon la jurisprudence communautaire, ce droit existe même si le couple ne vit pas en permanence sous le même toit (ATF 130 II 113 consid. 8. 3).

9) Le droit pour le conjoint étranger de séjourner en Suisse pendant la durée du mariage n’est cependant pas absolu. Il trouve sa limite dans l’interdiction de l’abus de droit, érigée en principe général par l’ordre juridique suisse (art. 2 al. 2 du Code civil suisse du 10 décembre l907- CCS - RS 210 ), notamment, en cas de mariage de complaisance, lorsque les époux s’efforcent de donner l’apparence d’un certain contenu au lien conjugal, quitte à faire temporairement ménage commun (ATF 131 II 113 consid. 9.4) ou en cas de mariage fictif, lorsque le mariage n’existe plus que formellement alors que l’union conjugale est rompue définitivement, quels que soient les motifs de cette rupture (ATF 131 II 113 consid. 4.2 ; 121 II 5 consid. 3a, rendu sous l’égide de l’art. 7 al. 1 de la loi fédérale sur le séjour et l’établissement des étrangers du 26 mars 1931- aLSEE – RS 142.20, dont les principes restent applicables, et la jurisprudence citée).

10) a. Selon le Tribunal fédéral, la jurisprudence concernant l’abus de droit précité peut également être appliquée dans le cadre de l’art. 3 annexe I ALCP, dans la mesure où la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes (ci-après : CJCE), devenue depuis lors la Cour de justice de l’Union européenne, semble admettre que l’interdiction de l’abus de droit avait valeur de principe général du droit dans la communauté européenne et que cette même cour admettait que les facilités créées par le droit communautaire, telle la libre circulation des travailleurs, ne sauraient avoir pour effet de permettre aux personnes qui en bénéficient de se soustraire frauduleusement ou abusivement à l’emprise des législations nationales et d’interdire aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour empêcher de tels abus (ATF 130 II 113 consid. 9.1 à 9.3).

b. En définitive, ce qui compte pour que le conjoint d’un travailleur communautaire puisse bénéficier du droit au regroupement familial c’est le fait qu’il ait l’intention de vivre durablement en ménage commun, intention qui doit en principe exister en tout cas au moment de l’entrée dans le pays d’accueil (ATF 131 II 113 consid. 9.5). Si l’autorité de police des étrangers considère qu’il y a pratique abusive sur ce point, il lui revient de l’établir conformément aux règles sur la preuve du droit national (ATF 130 II consid. 9.2 ; Arrêt de la CJCE du 14 décembre 2000, Emsland-Stärke GmbH, ces-110/1999, Rec. 2000, p. I-11569, point 54), dite preuve pouvant, dans le domaine considéré, être apportée par différents éléments concrets permettant de dire que les époux ne veulent pas ou ne veulent plus mener une vie conjugale et que leur mariage n’est maintenu que pour des motifs de police des étrangers (ATF 131 II consid. 10.2 ; 127 II 49 consid. 5a).

11) L’autorité intimée, suivie en cela par l’autorité de recours de première instance, fonde son refus d’accorder le permis de séjour sollicité sur l’absence fondamentale de volonté de la part du recourant de fonder une réelle communauté conjugale avec son épouse. Elle en veut pour preuve, outre les explications contradictoires que les époux lui ont fournies lors de leur audition, la chronologie des démarches effectuées par le recourant depuis son arrivée en Suisse pour trouver un moyen lui permettant de conserver un titre de séjour, de même que les circonstances peu crédibles dans lesquelles le couple a fait connaissance et la rapidité de leur décision de se marier.

L’autorité de police des étrangers ne se trouve pas dans la situation classique de devoir refuser une autorisation de séjour à un étranger marié qui a maintenu artificiellement un semblant de vie conjugale avec son conjoint autorisé à résider en Suisse dans le but d’éviter le non-renouvellement de son titre de séjour. Sa décision litigieuse vise l’un des membres d’un couple, dont elle remet en question la volonté intime de vivre comme mari et femme, dont le mariage est reconnu par l’état civil du canton de Genève et qui est inscrit comme tel dans le registre cantonal de la population. Or, une telle démarche implique, au regard de la protection de la sphère privée consacrée par les art. 8 al. 2 CEDH et 13 Cst., l’administration d’indices solides permettant d’établir l’absence d’une telle volonté.

En l’occurrence, le fait que les époux se soient rencontrés à Copenhague dans les circonstances fortuites indiquées ne constitue pas en soi une situation démontrant l’absence d’une telle volonté. Une rencontre dans de telles circonstances peut en effet constituer l’une des situations à partir desquelles des êtres humains peuvent se rencontrer sur la base de sentiments éprouvés et sincères. La formation d’un couple dans ces circonstances n’est pas moins étrange que celle de conjoints qui ont fait connaissance au travers d’une agence de rencontre, par le biais de petites annonces ou par l’intermédiaire de mariage arrangé par leur famille, pratiques non proscrites en Suisse s’il ne s’agit pas de mariages contraints.

La rencontre du recourant avec son épouse les a décidés de se marier dans les mois qui ont suivi pour des motifs qui ressortissent strictement à leur sphère privée. Les difficultés de communication mises en évidence ne permettent pas d’établir qu’ils n’aient jamais eu l’intention de fonder une communauté conjugale. À l’arrivée en Suisse de l’épouse du recourant, le couple s’est domicilié à l’adresse de l’appartement fournie par l’employeur de celle-ci. L’autorité intimée ne peut déduire l’absence d’une telle volonté du fait que le recourant ait conservé son studio de la rue F______. Les explications qu’il a apportées lors de l’audience de comparution personnelle à ce sujet, en rapport avec la présence de sous-locataires qui désiraient continuer à résider dans son studio, ne sont pas dénuées de sens, eu égard à la situation difficile du logement à Genève. Ainsi, l’existence des différents appartements, comme les éventuelles contradictions ou imprécisions qui ont pu émailler les explications données par les époux à l’OCPM, ne permettent pas de démontrer le caractère fictif de leur vie commune. C’est d’autant plus vrai que, dès le mois de décembre 2011, le couple a emménagé dans un studio fourni par une tierce personne, qu’il y réside encore et que l’épouse du recourant a confirmé devant le juge délégué, trois ans après le mariage, sa volonté de poursuivre la vie commune.

Il est indéniable que le recourant, au moment où il a contracté mariage, se trouvait en situation de séjour incertaine en Suisse. Il n’empêche que son épouse, ressortissante de la Communauté européenne, devenue depuis lors l’Union européenne, et qui avait trouvé du travail à Genève, avait le droit de s’installer à Genève, en vertu des dispositions de l’ALCP. Or, même si le recourant pouvait se trouver en situation de séjour incertaine en Suisse au moment où il a contracté mariage, son union a fait naître pour lui un droit au regroupement familial qui lui permet d’obtenir pour lui-même un titre de séjour. Comme il n’est pas établi à satisfaction de droit que le mariage contracté n’a aucune réalité, l’autorité intimée ne pouvait pas lui refuser le titre de séjour qu’il requérait.

Le recours sera admis et le jugement du TAPI qui confirme la décision de refus de l’OCPM ainsi que cette dernière seront annulés. La cause sera renvoyée à l’OCPM pour qu’il octroie l’autorisation de séjour requise au titre du regroupement familial.

12) Vu l’issue du recours, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Le recourant n’ayant pas pris de conclusions dans ce sens, aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 1er février 2013 par Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 18 décembre 2012 ;

au fond :

l’admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 18 décembre 2012 ;

annule la décision de l’office cantonal de la population et des migrations du 16 décembre 2011 ;

renvoie la procédure à l’office cantonal de la population et des migrations pour nouvelle décision, au sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______, à l’office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance, ainsi qu’à l’office fédéral des migrations.

Siégeants : M. Verniory, président, M. Thélin, M. Dumartheray, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Rodriguez Ellwanger

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

___________________________________________

 

Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.