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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/105/2018

ATA/353/2018 du 17.04.2018 ( FORMA ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/105/2018-FORMA ATA/353/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 17 avril 2018

1ère section

 

dans la cause

 

Mesdames A______ et B______, mineures, agissant par leur mère Madame  C______

et

Madame C______

contre

SERVICE DES BOURSES ET PRÊTS D'ÉTUDES

 



EN FAIT

1) Madame A______, née le ______ 2000, a déposé une demande de bourse d’études pour l’année scolaire 2017-2018 auprès du service des bourses et prêts d’études (ci-après : SBPE) en vue de financer sa deuxième année au Collège D______ (ci-après : le collège).

Elle vivait avec sa mère, Madame C______, à Carouge, dans un appartement dont le loyer mensuel, charges comprises, s’élevait à CHF 796.- pour un quatre pièces. Sa mère était femme de ménage.

Son père, Monsieur E______, vivait à Villars-sur-Glâne dans un trois pièces et demi pour un loyer mensuel, charges comprises, de CHF 1'210.-. Il était remarié et percevait des rentes de l’assurance-invalidité (ci-après : AI).

Elle avait une sœur, B______, née le ______ 2002, en première année dans le même collège. Elle avait par ailleurs deux demi-frère et sœur, respectivement nés le ______ 2007 et le ______ 2011, enfants de son père.

2) Le même jour, Mme B______, née le ______ 2002, a déposé une même demande en vue de financer sa première année de collège.

3) Par décision du 1er novembre 2017, le SBPE a informé Mme C______ qu’elle pouvait bénéficier d’une bourse de CHF 6'066.- pour chacune de ses deux filles. Son attention était attirée sur le fait qu’en l’absence d’une copie de la convention ratifiée qui lui avait été demandée à plusieurs reprises concernant le montant d’une pension alimentaire fixée en faveur de ses filles, le père avait été pris en considération dans le calcul de l’aide financière.

Une première tranche de CHF 3'033.- par enfant serait versée au mois de novembre 2017. La seconde, d’un même montant, serait versée à la fin du mois de mai 2018.

4) Mme C______ a formé réclamation contre la décision précitée le 27 novembre 2017. Il n’existait pas de convention ratifiée pour une pension alimentaire pour ses filles. Elle n’avait jamais été mariée avec le père de celles-ci. Il avait été victime d’un accident à l’issue de ses études et n’avait jamais pu exercer d’activité lucrative. Il bénéficiait depuis lors d’une rente entière de l’AI et de prestations complémentaires fédérales. Dans le canton de Fribourg, où il était domicilié et avait une famille, les prestations complémentaires cantonales n’existaient pas. A______ et B______ bénéficiaient d’une rente complémentaire pour enfant par son intermédiaire et recevaient également des prestations complémentaires fédérales, versées par la caisse de compensation du canton de Fribourg. Le père n’avait aucun moyen de verser une contribution d’entretien, même minime. Ces prestations sociales palliaient l’impossibilité de leur père invalide de contribuer à l’entretien de ses filles. En 2013, la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci-après : la chambre des assurances sociales) avait statué en sa faveur, relevant qu’il était établi avec un degré de vraisemblance prépondérant que le père des enfants ne serait pas condamné au paiement d’une contribution à leur entretien et qu’il n’était pas exigible que la mère agisse par la voie judiciaire pour le prouver. Il convenait de retenir que l’impossibilité du père de subvenir à l’entretien de ses enfants était suppléée par les rentes complémentaires AI et les prestations complémentaires.

5) Par décision du 19 décembre 2017, le SBPE a rejeté la réclamation. Il était obligé de prendre en considération les revenus et les charges liés au père de la personne en formation, dès lors qu’il n’existait pas de décision judiciaire. Lors de l’étude de la demande pour 2016-2017, le service s’était retrouvé face à une absence d’information. Il avait considéré, à tort, qu’une pension alimentaire avait été fixée par jugement. Il aurait dû persister dans sa demande de pièces complémentaires, ce qui aurait impliqué que la situation du père aurait également été prise en compte dans la décision. Il était décidé de ne pas revenir sur cette décision, mais de modifier sa pratique en l’absence du document demandé. La jurisprudence citée par les recourantes ne liait pas le SBPE.

6) Par acte du 15 janvier 2018, Mme C______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision sur réclamation. Elle a conclu à l’annulation de la décision du 1er novembre 2017 et de la décision sur réclamation du 19 décembre 2017, et à l’octroi d’une bourse de CHF 10'438.- à chacune de ses filles pour l’année scolaire 2017-2018. Elle a persisté pour le surplus dans ses arguments.

7) Par réponse du 14 février 2018, le SPBE a conclu au rejet du recours. Le fait que des rentes AVS ou AI soient versées en lieu et place de pension alimentaire ne soustrayait pas les bénéficiaires à présenter une décision judiciaire fixant les montants des pensions alimentaires dues afin que le budget du parent débiteur puisse être écarté. À défaut, il conviendrait de s’interroger sur la pratique à adopter lorsque, pour des parents non mariés dont les enfants en formation perçoivent des rentes AVS ou AI (comme dans la situation des enfants A______ et B______), la personne en formation percevait des rentes alimentaires à bien plaire non fixées par une convention ratifiée ou que la personne en formation percevait des rentes AVS ou AI en lieu et place de pension alimentaire par le biais d’un des parents au bénéfice de rentes AVS ou AI partielles.

8) Par réplique du 5 mars 2018, Mme C______ a persisté dans ses conclusions.

9) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. Si les revenus de la personne en formation, de ses parents (père et mère), de son conjoint ou partenaire enregistré et des autres personnes qui sont tenus légalement au financement de la formation, ainsi que les prestations fournies par des tiers ne suffisent pas à couvrir les frais de formation, le canton finance, sur demande, les besoins reconnus par le biais de bourses ou de prêts (art. 18 al. 1 LBPE).

b.  Si l’un des parents est tenu de verser à la personne en formation une pension alimentaire fixée par décision judiciaire, aucun budget n’est établi pour le parent débiteur (art. 18 al. 4 LBPE).

Cet alinéa est entré en vigueur le 5 octobre 2013. Il devait faciliter les situations de familles monoparentales. Dans l’ancien système il était exigé la production des documents attestant de la situation des deux parents, même séparés, divorcés ou non mariés. Le fait qu’une convention d’entretien pour l’enfant concerné par la demande ait été conclue ne modifiait pas ce qui précède, ni l’impossibilité de contacter l’autre parent ou d’avoir les documents suite à des tensions. Enfin, les deux revenus étaient pris en compte.

Dans le cadre des travaux préparatoires, les cas où aucune convention n’aurait été conclue ont été abordés. À la question des députés de savoir si de telles situations étaient fréquentes, les représentants du SBPE avaient indiqué que « l’estimation est impossible, bien que ces cas existent. Tel est notamment le cas pour les parents qui ne sont pas mariés » (Rapport du 11 juin 2013 de la Commission des affaires sociales chargée d'étudier le PL 11’166-A p. 27/42).

c. En l’espèce, il n’est pas contesté que l’entretien des recourantes mineures n’a jamais fait l’objet d’une convention au sens de l’art. 287 al. 2 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210), selon lequel les conventions relatives aux contributions d'entretien n'obligent l'enfant qu'après avoir été approuvées par l'autorité de protection de l'enfant.

C’est en conséquence à juste titre que l’autorité intimée a envisagé de prendre en compte la situation financière du père (art. 18 al. 4 LBPE).

Il ressort toutefois des documents produits par la recourante qu’elle est au bénéfice d’un arrêt de la chambre des assurances sociales de la Cour de justice (ci après : CJCAS) du 17 décembre 2013 (ATAS/1246/2013), lequel précise : 

«  En refusant toute prestation sans déterminer de montant de la pension alimentaire qui aurait le cas échéant été mise à la charge du père des enfants, le SPC a violé la loi. Cela étant, il s'avère que cet examen aurait conduit à renoncer à toute contribution hypothétique.

Certes, il est possible qu'un bénéficiaire de prestations complémentaires soit astreint au paiement d'une contribution d'entretien en faveur de ses enfants, auquel cas celle-ci est prise en compte au titre des dépenses. Tel est le cas si le débirentier a été condamné à payer la contribution avant d'être invalide et bénéficiaire de prestations complémentaires. Par contre, une action alimentaire contre un père déjà invalide et bénéficiaire de prestations complémentaires est dans la plupart des cas vouée à l'échec. Dans cette hypothèse, le juge civil prend en général acte du fait que les enfants bénéficieront des rentes complémentaires pour enfant de l'AI et de la LPP, le cas échéant des prestations complémentaires, au titre de contribution de leur père, suppléant ainsi son incapacité contributive propre. Le cas échéant, il condamne le père à les verser à la mère des enfants. Au demeurant, c'est plus fréquemment lorsque le conjoint du bénéficiaire est tenu au paiement d'une contribution pour ses enfants issus d'une précédente union que celle-ci est prise en compte au titre de dépenses.

Cela ne permet pas pour autant au SPC de retenir, dans le cas d'espèce, que le père des enfants disposerait d'une capacité contributive. En effet, s'il perçoit des prestations complémentaires fédérales de CHF 3'405.- par mois, c'est manifestement que sa rente d'invalidité (faible au vu du montant de celle pour enfant) et les revenus de son épouse - voire le gain potentiel retenu par le service compétent du canton de Fribourg - ne leur permettent pas de couvrir leurs propres besoins vitaux. Il est ainsi établi au degré de la vraisemblance prépondérante que le père des enfants ne serait pas condamné au paiement d'une contribution à leur entretien, en 2012, qui est l'année déterminante pour le calcul des prestations familiales. Ainsi, conformément à la jurisprudence et aux directives, si l'absence de capacité contributive est établie par l'autorité administrative, il n'est pas exigible de l'assurée qu'elle agisse par la voie judiciaire pour le prouver. Il faut donc retenir que l'impossibilité du père de subvenir à l'entretien de ses enfants est suppléée par les rentes complémentaires AI et les prestations complémentaires » (ATAS/1246/2013 consid. 10).

La recourante est en conséquence au bénéfice d’un arrêt prononcé par la dernière instance judiciaire cantonale en matière d’assurance sociales. Certes, cet arrêt ne lie pas le SBPE. Il a toutefois déterminé le droit à des prestations cantonales familiales des recourantes en application de la loi sur les prestations complémentaires cantonales (LPCC - J 4 25).

De surcroît, l’arrêt de la CJCAS fait mention d’une situation où le père contribue malgré tout à l’entretien de ses filles, par le biais des rentes qu’il perçoit à leur attention. Dans ces conditions, le raisonnement tenu par la CJCAS, qui concernait l’année 2012, peut être considéré comme toujours pertinent dans le cadre du présent litige. En effet, il n’est pas contesté que les deux mineures continuent à percevoir les rentes complémentaires de l’AI et qu’à ce titre la situation financière de leur père n’a très probablement pas évolué. Seule pourrait se poser la question de la situation financière de l’épouse de celui-ci, l’arrêt de la CJCAS considérant qu’à l’époque le peu de revenus de cette dernière justifiait le fait qu’aucune contribution ne serait due aux filles en sus des rentes complémentaires. Or, l’art. 18 al. 4 LBPE exige la production de la convention. Elle n’impose pas forcément la réactualisation de celle-ci avant une demande de bourse.

Dès lors, compte tenu des caractéristiques très particulières du cas d’espèce, l’autorité intimée a abusé de son pouvoir d’appréciation en exigeant des recourantes la production d’une convention fixant l’entretien des recourantes mineures. L’intimé aurait dû ne pas établir de budget pour le père, indépendamment de l’absence dudit document.

Le recours sera partiellement admis et la cause renvoyée au SBPE pour le calcul des droits des recourantes mineures, en application de l’art. 18 al. 4 LBPE et des considérants qui précèdent.

3) Vu l’issue de la procédure, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité ne sera allouée, les recourantes plaidant en personne (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 15 janvier 2018 par Madame C______ contre la décision sur réclamation du service des bourses et prêts d’études du 19 décembre 2017 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule la décision sur réclamation du service des bourses et prêts d’études du 19 décembre 2017 ;

renvoie la cause au service des bourses et prêts d’études pour nouvelle décision au sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Madame C______ ainsi qu'au service des bourses et prêts d'études.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, MM. Thélin et Pagan, juges.


 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :