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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/151/2006

ATA/343/2006 du 20.06.2006 ( DI ) , REJETE

Recours TF déposé le 23.08.2006, rendu le 19.12.2006, REJETE, 2P.205/2006
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/151/2006-DI ATA/343/2006

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 20 juin 2006

dans la cause

 

Monsieur S______
représenté par Me Grégoire Mangeat, avocat

contre

COMMISSION D'EXAMENS DES AVOCATS


 


1. Après avoir obtenu une licence en droit à l’université de Fribourg en juin 2001, Monsieur S______ a effectué son stage d’avocat à Genève entre avril 2002 et avril 2004. Il s’est présenté sans succès aux examens de brevet d’avocat en juin et décembre 2004, et s’est inscrit pour la troisième fois à la session du mois de novembre 2005.

2. Par décision du 6 décembre 2005, la commission d’examen des avocats (ci-après : la commission) a informé l’intéressé de son échec définitif. Il avait obtenu les notes suivantes :

Procédure civile 3,75
Procédure pénale 4,25
Procédure administrative 3,25
Déontologie 5,75

Moyenne 4,25

Epreuve écrite du 1er novembre 2005 (coeff. 2) 4,25
Epreuve orale du 16 novembre 2005 2,00
Epreuve orale du 23 novembre 2005 4,00

Total 18,75

3. Par acte posté le 16 janvier 2006, M. S______ a saisi le Tribunal administratif d’un recours. La note qu’il avait obtenue à l’examen oral du 16 novembre 2005 était arbitraire, dans la mesure où il avait bien compris les problèmes dans leur ensemble.

A l’appui de sa position, il a produit ses propres notes de préparation, une retranscription de l’examen oral qu’il avait faite de mémoire, ainsi que les notes de préparation d’autres candidats.

Il n’y avait pas d’intérêt public à limiter à trois le nombre de tentatives aux examens de brevet d’avocat, surtout si l’on comparait le taux d’échecs définitifs dans le canton de Genève à celui dans les autres cantons romands. Cette limitation violait en outre le principe de la liberté économique.

Enfin, il s’est plaint d’une « discrimination à rebours » par rapport aux avocats de l’Union européenne (UE) et de l’Association européenne de libre échange (AELE), qui n’étaient pas limités dans leurs possibilités de se présenter à des examens d’aptitude. Cette « discrimination à rebours » violait le principe de l’égalité de traitement.

4. Le 3 mars 2006, la commission s’est opposée au recours. Elle détaillait les points accordés à M. S______ et les lacunes de l’exposé de ce dernier. Les deux examinateurs s’étaient accordés sur le fait que M. S______ méritait la note 2,00 à l’examen oral du 16 novembre 2005. Les notes de préparation qu’il avait versées à la procédure et la retranscription de l’examen ne permettaient pas de démontrer le contraire.

La décision attaquée ne violait ni le principe de la liberté économique ni celui de l’interdiction de l’arbitraire. Si le tribunal admettait une « discrimination à rebours », le département des institutions (ci-après : le département) examinerait les modifications réglementaires nécessaires.

5. Un deuxième échange d’écritures ayant été autorisé par le tribunal, M. S______ a maintenu sa position le 2 mai 2006. Au vu des éléments ressortant de la séance de correction publique, il estimait mériter une note lui permettant d’obtenir le brevet d’avocat, soit 3,25 au moins. Les documents produits à l’appui de son recours avaient force probante.

Il conclut préalablement à ce que le tribunal ordonne l’apport à la procédure du procès-verbal de l’examen oral, de la grille de réponses et du barème de points dont la commission s’était servie. De plus, les parties devaient être entendues en comparution personnelle.

6. Le 2 juin 2006, la commission a persisté dans sa décision.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. a. Le droit d'être entendu comprend en particulier le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 122 I 53 consid. 4a p. 55; 119 Ia 136 consid. 2d p. 139; 118 Ia 17 consid. 1c p. 19; 116 Ia 94 consid. 3b p. 99; ATA/651/2004 du 24 août 2004; H. du 2 décembre 1997). Le droit de faire administrer des preuves n'empêche pas cependant le juge de procéder à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont offertes, s'il a la certitude qu'elles ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 120 Ib 224 consid. 2b p. 229 et les arrêts cités). Le droit d'être entendu ne contient pas non plus d'obligation de discuter tous les griefs et moyens de preuve du recourant; il suffit que le juge discute ceux qui lui paraissent pertinents (ATF 121 I 54 consid. 2c p. 57; ATA/388/1997 du 24 juin 1997).

b. Ce droit, déduit directement de l'article 29 alinéa 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), implique aussi l'obligation pour l'autorité de motiver ses décisions, afin que le justiciable puisse les comprendre et exercer ses droits de recours à bon escient. Il suffit cependant, selon la jurisprudence, que l'autorité mentionne, au moins brièvement, les motifs qui l'ont guidée et sur lesquels elle a fondé sa décision, de manière à ce que l'intéressé puisse se rendre compte de la portée de celle-ci et l'attaquer en connaissance de cause (ATF 122 IV 8 consid. 2c p. 14/15; 121 I 54 consid. 2c p. 57; 119 Ia 264 consid. 4d p. 269 et les arrêts cités). Conformément à ces principes, lorsque la décision porte sur le résultat d'un examen et que l'appréciation des experts est contestée, l'autorité satisfait aux exigences de l'article 29 alinéa 2 Cst. si elle indique au candidat, de façon même succincte, les défauts qui entachent ses réponses et la solution qui était attendue de lui et qui eût été tenue pour correcte. Par ailleurs, si le droit cantonal n'en dispose pas autrement, la constitution n'exige pas que la motivation soit fournie par écrit; selon les circonstances, elle peut être orale. De même, l'article 29 alinéa 2 Cst. ne permet pas à un candidat d'exiger des corrigés-types et des barèmes (SJ 1994 161 consid. 1b p. 163).

c. S'agissant plus particulièrement des examens oraux, le Tribunal fédéral a estimé qu'on ne saurait exiger des examinateurs qu'ils tiennent un procès-verbal de l'examen de chaque candidat dont l'utilité serait en soi douteuse, car il serait pratiquement impossible de faire une juste appréciation de la prestation d'un étudiant sur cette seule base; seule une personne ayant assisté à l'examen peut en estimer la valeur d'où, selon le Tribunal fédéral, l'utilité de la présence d'un co-examinateur (ATF 105 Ia 200 consid. 2c p. 204).

En l’espèce, le recourant conclut à ce que le tribunal ordonne à la commission de produire le procès-verbal de l’examen oral, la grille de réponses et le barème de points dont elle s’est servie ; les parties devaient également être entendues en comparution personnelle.

Le recourant n'est pas autorisé à réclamer une correction écrite, des corrigés-types ou des barèmes. Il doit toutefois pouvoir connaître ses erreurs. En l'occurrence, il a pu prendre connaissance du barème de l’examen oral, des points qui lui ont été attribués et des remarques des examinateurs figurant dans la réponse de la commission du 3 mars 2006. Il a également pu se déterminer à leur propos lors du deuxième échange d’écritures ordonné par le tribunal. Ainsi, les parties ont pu s’exprimer par écrit, comme le prévoit l’article 18 LPA, de sorte que leur comparution personnelle ne permettrait pas de mieux éclairer la procédure.

En conséquence, le Tribunal refusera de procéder aux actes d’instruction sollicités par le recourant dans sa réplique du 2 mai 2006.

3. a. Toute personne a le droit d'être traitée par les organes de l'Etat sans arbitraire et conformément aux règles de la bonne foi (art. 9 Cst.).

b. Une décision est arbitraire lorsqu'elle contredit clairement la situation de fait, lorsqu'elle viole gravement une norme ou un principe juridique clair et indiscuté ou lorsqu'elle contredit d'une manière choquante le sentiment de la justice et de l'équité ; à cet égard, le Tribunal fédéral ne s'écarte de la solution retenue par l'autorité cantonale de dernière instance que si elle apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée sans motifs objectifs ou en violation d'un droit certain. En outre, il ne suffit pas que les motifs de la décision critiquée soient insoutenables, encore faut-il que cette dernière soit arbitraire dans son résultat (ATF 119 Ia 113 consid. 3a p. 117 et 433 consid. 4 p. 439 ; 118 Ia 20 consid. 5a p. 26, 28 consid. 1b p. 30 129 consid. 2 p. 130, 497 consid. 2a p. 499). Il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'une autre interprétation de la loi soit possible, ou même préférable (ATF 119 Ia 113 consid. 3a p. 117 ; 118 Ia 20 consid. 5a p. 26, 129 consid. 2 p. 130 et 497 consid. 2a p. 499).

c. Toujours selon sa jurisprudence, le Tribunal fédéral ne revoit l'évaluation des résultats d'un examen - et d’un examen oral en particulier - qu'avec retenue, parce qu'une telle évaluation repose notamment sur une comparaison des candidats et qu'elle comporte aussi une composante subjective propre aux experts ou examinateurs. En principe, il n'annule donc le prononcé attaqué que si l'autorité intimée s'est laissée guider par des motifs sans rapport avec l'examen ou d'une autre manière manifestement insoutenable (ATF 121 I 225 consid. 4d p. 230 ; 118 Ia 488 consid. 4c p. 495).

d. Conformément à cette jurisprudence du Tribunal fédéral, le tribunal de céans a considéré que l'évaluation des résultats d'examens entre tout particulièrement dans la sphère des décisions pour lesquelles l'administration ou les examinateurs disposent d'un très large pouvoir d'appréciation et ne peut donc faire l'objet que d'un contrôle judiciaire limité (ATA/78/2006 du 28 mars 2006 ; ATA/137/1998 du 10 mars 1998; ATA C. du 9 février 1993).

En l’espèce, les conclusions du recourant tendant à ce qu’une note supérieure lui soit attribuée pour l’examen oral du 16 novembre 2005 doivent être rejetées. L’affirmation de sa compréhension du problème posé par les examinateurs ne résiste pas face aux éléments développés par la commission pour expliquer la note qui lui a été accordée. En particulier, le Tribunal administratif ne saurait se fonder sur les documents produits par le recourant - soit ses notes de préparation et la retranscription de l’examen oral qu’il a rédigée de mémoire - qui n’établissent pas ce que le candidat a réellement dit lors de son examen oral. Toute autre solution - qui reviendrait à transformer un examen oral en examen écrit - violerait à la fois le pouvoir d’appréciation reconnu à la commission et l’égalité de traitement par rapport aux autres candidats.

4. a. La profession d'avocat bénéficie de la liberté économique consacrée par l'article 27 Cst. qui comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice.

b. Aux termes de l'article 36 Cst. toute restriction à un droit fondamental doit être fondée sur une base légale, les restrictions graves devant être prévues par une loi (al. 1). Elle doit, en outre, être justifiée par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui et proportionnée au but visé (al. 2 et 3). Enfin, l'essence des droits fondamentaux est inviolable (al. 4).

c. Le Tribunal fédéral a eu l'occasion de considérer que la prescription d'un régime d'autorisation pour l'exercice d'une profession est une atteinte grave à la liberté économique et requiert une base légale formelle. Cela n'exclut toutefois pas que la loi formelle se limite à définir les grandes lignes de la restriction et délègue au gouvernement le soin de régler les détails (ATF 122 I 130 consid. 3 bb).

5. M. S______ soutient que l’article 30 alinéa 4 du règlement d’application de la loi sur la profession d’avocat du 5 juin 2002 (E 6 10.01 - ci-après : le règlement) qui limite à trois le nombre de tentatives d’un candidat à l’examen du brevet, n’est pas justifié par un intérêt public.

La commission relève avec pertinence que le dispositif mis sur pied a pour but de garantir que les personnes titulaires d’un brevet d’avocat ont les compétences nécessaires pour exercer cette profession, ce qui ne serait plus le cas si le nombre de tentatives était multiplié à l’infini. En effet, dans ce cas, l’obtention du brevet reposerait plus sur un coup de chance, le candidat tombant par hasard sur une question qu’il maîtrise, que sur la connaissance de l’intégralité de la matière nécessaire à l’exercice de la profession en question. Or, il existe de nombreuses circonstances où l’erreur n’est tout simplement pas permise : par exemple, le recours déposé devant une juridiction doit être de bonne qualité dès le départ, sans possibilité de le corriger ultérieurement, la plaidoirie en Cour d’Assises ne peut être refaite si l’avocat s’est trompé, etc.

De plus, la limitation du nombre de tentatives pour les examens est une constante dans de très nombreuses professions et formations (voir notamment art. 10 al. 4 du règlement concernant la formation des maîtresses et maîtres de disciplines spéciales de l’enseignement primaire du 9 février 1983 - C 1 10.14 ; art. 10 al. 6 du règlement d’exécution de la loi sur le notariat du 11 décembre 1989 - E 6 05.01 ; art. 9 du règlement sur l’exercice de la profession d’huissier judiciaire du 3 juillet 19064 - E 6 15.04 ; art. 22 al. 4 du règlement d’exécution de la loi sur la restauration, le débit de boissons et l’hébergement du 31 août 1988 - I 2 21.01 ; art. 13 al. 1 du règlement concernant les examens pour la profession de chiropraticien du 19 janvier 1977 - K 3 05.28).

Au vu des éléments qui précèdent, ce grief doit dès lors être écarté, la limitation du nombre de tentatives répondant à un intérêt public.

6. M. S______ se plaint en dernier lieu d’une « discrimination à rebours » par rapport aux avocats de l’UE et de l’AELE, qui ne seraient pas limités dans leurs possibilités de se présenter aux examens d’aptitude.

Cet argument tombe à faux : si aucune limitation n’existe dans la réglementation cantonale, elle figure cependant à l’article 31 alinéa 4 de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 23 juin 2000 (LLCA - RS 935.61), selon lequel l’épreuve d’aptitude en question peut être repassée à deux reprises.

7. Le recours sera dès lors rejeté. Un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge du recourant qui succombe (art. 87 LPA).

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 janvier 2006 par Monsieur S______ contre la décision commission d'examens des avocats du 6 décembre 2005 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge du recourant un émolument de CHF 1’000.- ;

communique le présent arrêt à Me Grégoire Mangeat, avocat du recourant ainsi qu'à la commission d'examens des avocats.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, M. Paychère, Mme Hurni, M. Thélin, juges, M. Torello, juge suppléant.


Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. :

 

 

M. Tonossi

 

la vice présidente :

 

 

L. Bovy

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :