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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1666/2012

ATA/334/2012 du 05.06.2012 ( PATIEN ) , ADMIS

Descripteurs : QUALITÉ POUR RECOURIR; QUALITÉ DE PARTIE; SANTÉ; PATIENT; DROIT DU PATIENT; MÉDECIN; FAUTE PROFESSIONNELLE; FAUTE; PROFESSION SANITAIRE; INTERVENTION(PROCÉDURE); DÉROULEMENT DE LA PROCÉDURE; PROCÉDURE; OBJET DU LITIGE
Normes : LCompPS.9 ; LCompPS.19 ; LCompPS.20 ; LCompPS.21 ; LCompPS.22 ; LCompPS.34 ; LPA.7 ; LPA.60 ; LS.42 ; LPMéd.40
Résumé : Lorsqu'elle est saisie d'une plainte émanant d'un patient, la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients doit statuer, avant la prise de toute sanction à l'encontre du praticien concerné, sur l'existence ou l'inexistence d'une violation des droits de patients, afin que le plaignant puisse faire valoir son point de vue sur la violation alléguée, au stade de la procédure contentieuse, étant précisé que le patient-plaignant ne disposent pas de la qualité de partie dans la procédure de recours engagée contre la sanction disciplinaire.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1666/2012-PATIEN ATA/334/2012

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 5 juin 2012

 

 

dans la cause

Monsieur X______
représenté par Me Jacques Roulet, avocat

 

contre

Département des affaires régionales, de l’économie et de la santé

et


Madame Z______, appelée en cause

représentée par Me Mauro Poggia, avocat



EN FAIT

1. Le 17 février 2008, Madame Z______ a déposé une plainte auprès de la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients (ci-après : la commission).

Elle avait fait appel à SOS médecins les 7, 8, 9 et 10 janvier 2008 alors qu’elle s’était trouvée mal suite à son retour d’un voyage au Mali.

Les quatre médecins l’ayant successivement examinée n’avaient pas apprécié la gravité de l'affection pour laquelle elle avait finalement été hospitalisée, échappant ainsi à la mort.

Ces praticiens avaient commis des fautes professionnelles.

Elle remerciait la commission de prendre « toutes les mesures appropriées afin que personne ne connaisse les problèmes médicaux qui auraient pu entraîner [son] décès, à la suite des interventions de SOS médecins ». Elle souhaitait être informée des décisions qui seraient prises conformément à l’art. 21 de la loi sur la santé du 7 avril 2006 (LS - K  3 03), « au cas où [elle] souhaiterait faire valoir des prétentions d’indemnisations vis-à-vis de SOS médecins ».

2. Le deuxième médecin ayant examiné Mme Z______ était le Docteur X______, qui exerçait la médecine d’urgence auprès de SOS Médecins depuis 2005.

3. La commission a instruit la plainte et entendu tous les intéressés.

Les auditions et les écritures ont porté sur la question de savoir si une erreur médicale avait été commise par les médecins précités à l’égard de Mme Z______.

4. A de nombreuses reprises durant cette procédure, cette dernière a persisté dans sa demande tendant à ce que l’existence d’une faute professionnelle desdits médecins soit constatée.

5. Au terme de cette procédure, la commission n’a pas formellement statué sur l’existence ou non d’une violation des droits de patiente de Mme Z______.

6. Le 3 février 2010, la commission a émis un préavis à l’intention du département des affaires régionales, de l’économie et de la santé (ci-après : le département).

Elle proposait que diverses sanctions soient prises à l’égard de ces praticiens et, notamment, qu’un retrait de l’autorisation de pratiquer d’une durée d’un mois soit prononcé à l’égard du Dr X______.

7. Par arrêté du 26 avril 2010, le département a retiré au Dr X______ l’autorisation de pratiquer pour une durée d’un mois, en se fondant sur les art. 40 let. a de la loi fédérale sur les professions médicales universitaires du 23 juin 2006 (LPMéd - RS 811.11) et 128 al. 1 let. b LS.

Il retenait, dans ses motifs, l’existence d’une faute professionnelle (n’avoir pas reconnu les signaux de gravité de l’état septique, hospitalisé la patiente ou investigué davantage à domicile la malaria suspectée, ne s’être pas assuré de l’existence d’un suivi médical).

8. Par acte du 27 mai 2010, le Dr X______ a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif, devenu depuis le 1er janvier 2011 la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), en concluant à son annulation, ainsi qu’à l’octroi d’une indemnité de procédure.

Il contestait, sur le fond, la commission d’une faute professionnelle.

9. Le 16 juillet 2010, le département a conclu au rejet du recours.

10. Le 28 juillet 2010, le juge délégué a ordonné l’appel en cause de Mme Z______, sur une demande de celle-ci.

11. La plaignante a conclu au rejet du recours le 7 septembre 2010.

12. Le 4 novembre 2010, le Dr X______ a répliqué en persistant dans ses conclusions.

13. Les 8 et 14 décembre 2010, Mme Z______, respectivement le département, ont dupliqué et campé sur leurs positions.

14. La cause a alors été gardée à juger.

EN DROIT

1. Depuis le 1er janvier 2011, suite à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), l’ensemble des compétences jusqu’alors dévolues au Tribunal administratif a échu à la chambre administrative, qui devient autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative (art. 131 et 132 LOJ).

Les procédures pendantes devant le Tribunal administratif au 1er janvier 2011 sont reprises par la chambre administrative (art. 143 al. 5 LOJ). Cette dernière est ainsi compétente pour statuer.

2. Interjeté en temps utile devant la juridiction alors compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 -aLOJ ; 63 al. 1 let. a LPA dans sa teneur au 31 décembre 2010).

3. Par décision du 28 juillet 2010, le juge délégué a admis la demande d’appel en cause de Mme Z______. La portée de cette admission doit être explicitée.

a. Selon l’art. 9 de la loi sur la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients du 7 avril 2006 (LComPS - K 3 03), le patient dispose de la qualité de partie dans la procédure non contentieuse (soit dès l’ouverture de la procédure faisant suite à sa plainte et jusqu’à la prise de la décision de l’autorité de première instance). A l’issue de cette procédure, la commission classe la plainte (art. 22 al. 3 LComPS), constate la violation ou l’absence de violation de l’un des droits des patients énoncés aux art. 42 ss LS (art. 22 al. 1 in fine LComPS), émet une injonction au praticien (art. 22 al. 1 ab initio LComPS), prononce un avertissement, un blâme ou une amende (art. 22 al. 2 LComPS) ou émet un préavis à l’intention du département lorsqu’elle constate qu’un professionnel de la santé ou qu’une institution de santé a commis une violation de ses obligations susceptible de justifier une interdiction temporaire ou définitive de pratique (art. 19 LComPS).

Le patient-plaignant a le droit de se faire notifier la décision prise au terme de cette procédure (art. 21 al. 1 LComPS).

b. S’ouvre alors la phase contentieuse qui se scinde en deux procédures distinctes, les aspects disciplinaires de la décision étant traités indépendamment des violations relevant des droits des patients.

En effet, à teneur de l’art. 22 al. 2 LComPS (applicable par renvoi de l’art. 34 LComPS), le patient-plaignant ne peut pas recourir contre les sanctions administratives prononcées par la commission (ATA/171/2012 du 27 mars 2012 ; ATA/523/2011 du 30 août 2011 ; ATA/573/2010 du 31 août 2010 ; ATA/259/2010 du 20 avril 2010). Cette absence de qualité pour recourir du patient-plaignant emporte celle de sa qualité de partie dans la procédure disciplinaire lorsque le médecin sanctionné recourt (ATA/171/2012 du 27 mars 2012, et les références citées).

A contrario, et conformément aux art. 22 al. 1, 7 al. 1 let. a LComPS, 132 al. 2 LOJ, 7 et 71 LPA, le patient dispose de la qualité de partie dans la procédure de recours ayant pour objet la constatation de ses droits de patient énoncés aux art. 42 ss LS.

4. En raison de cette dichotomie imposée par la loi au stade de la procédure contentieuse et de la présence, dans la présente cause, de griefs relevant de ces deux volets distincts, la cause sera disjointe sous les nos de cause A/1666/2012-PATIEN et A/1885/2010-PROF.

Il sera statué sur la sanction disciplinaire par arrêt séparé de ce jour (ATA/333/2012).

5. Pour les raisons qui précèdent, Mme Z______ ne dispose pas de la qualité de partie dans la procédure disciplinaire. Sa demande d’appel en cause ne pourrait être admise que dans le cadre d’une violation alléguée de ses droits de patiente (A/1666/2012-PATIEN).

6. En l’espèce, le dispositif de la décision attaquée ne comporte que la sanction disciplinaire infligée au recourant.

A juste titre, Mme Z______ n’a pas recouru contre celle-ci (art. 22 al. 2 LComPS).

Dans sa demande d’appel en cause, Mme Z______ a conclu à la confirmation de cette décision, qui forme le seul objet du litige.

Il est douteux que Mme Z______ puisse, dans ces conditions, se prévaloir de la qualité de partie.

Cette question peut toutefois souffrir de rester ouverte pour les raisons suivantes.

7. Lorsqu’elle est saisie d’une plainte dans laquelle la violation d’un droit de patient est alléguée, la commission émet une injonction impérative au praticien concerné, prend une décision constatatoire ou procède au classement de la procédure (art. 20 al. 1 LComPS). Si aucune violation n’est constatée, elle classe la procédure (art. 20 al. 3 LComPS).

Cette compétence lui appartient dans tous les cas. Elle n’est pas transférée au département lorsque ce dernier est compétent pour prononcer la sanction envisagée (art. 19 LComPS).

En l’espèce, la commission a été saisie par une patiente, qui s’est plainte d’avoir été prise en charge de façon inadéquate d’un point de vue médical.

Au terme de cette procédure, la commission ne s’est pas prononcée sur l’existence d’une violation relevant des droits des patients. En ne statuant pas sur ce point, elle a commis un déni de justice à l’égard de Mme Z______.

En effet, même lorsque le patient ne qualifie pas ses griefs dans sa plainte et qu’il n’allègue pas formellement la violation de l’un des droits que lui confère la loi aux art. 42 ss LS à ce titre, mais qu’il demande clairement à la commission de constater l’existence d’une violation par le médecin de ses devoirs professionnels ou des règles de l’art médical - dont la conséquence première est une atteinte à son intégrité physique ou psychique - cette autorité doit, avant de prononcer une sanction, rendre une décision sujette à recours, statuant sur l’existence (ou l’inexistence) d’une violation des droits du patient.

Si, comme en l’espèce et conformément à sa pratique, la commission se borne à statuer sur la sanction, elle prive le patient de toute possibilité de contester cette appréciation devant la juridiction administrative.

Dans la présente cause, le département - suivant en cela la commission - a justifié la sanction infligée au Dr X______ par le fait que ce dernier n’avait pas exercé son activité avec soin et conscience professionnelle (art. 40 let. a LPMéd). Le patient ne peut être exclu sans justification de la procédure menant à ce constat. S’il ne dispose pas de la qualité pour recourir contre la conséquence juridique de la violation constatée (la sanction), il n’en va pas de même pour l’existence de la violation elle-même, lorsque celle-ci touche ses droits de patient. Le plaignant doit ainsi savoir, au terme de la procédure non-contentieuse (avant ou parallèlement à la décision statuant sur l’absence ou la quotité de la sanction), si ces droits sont violés ou non, afin de pouvoir les faire valoir, cas échéant.

8. Dans un arrêt récent mettant en cause un patient victime d’une violation par un médecin de son devoir d’information, la chambre administrative a considéré que, bien que la commission n’ait pas statué formellement sur cette violation dans le dispositif de la décision entreprise - qui ne traitait que de la sanction - elle l’avait fait implicitement. La qualité de partie du patient a ainsi été reconnue s’agissant de cette violation (ATA/171/2012 du 27 mars 2012).

Dans le cas d’espèce, ce raisonnement ne peut être tenu, car le département n’est pas compétent pour statuer sur la violation par le médecin des droits d’un patient (art. 20 al. 2 a contrario LComPS).

9. Ainsi, pour assurer le contrôle efficace de ses décisions et de celles du département, et pour permettre aux parties de défendre utilement leurs droits, la commission doit, au terme de toute procédure de plainte, statuer préalablement sur la violation des droits du patient-plaignant, sauf si ce dernier exprime clairement qu’il ne se plaint pas d’une telle violation (art. 20 al. 1 LS ; ATA/1464/2012 du 22 mai 2012).

Ensuite seulement, la commission - cas échéant le département - peut prononcer la sanction disciplinaire à l’encontre du médecin concerné (ATA précité).

10. L’absence d’une telle décision préalable rend impossible, en l’espèce, l’examen de la validité matérielle de la décision attaquée.

11. Ce vice de procédure ne peut dès lors qu’entraîner l’annulation de la décision entreprise, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les arguments de fond des parties.

En conséquence, le recours sera admis et le dossier renvoyé à la commission pour qu’elle statue préalablement sur l’éventuelle violation des droits de patiente de Mme Z______ (art 64 al. 2 LPA applicable par analogie).

12. Aucun émolument ne sera mis à la charge du département. Une indemnité de CHF 1’500.- à la charge de l’Etat de Genève sera allouée au Dr X______ qui obtient gain de cause (art. 87 LPA).

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

préalablement :

disjoint la cause A/1885/2010-PROF sous les nos de causes A/1885/2010-PROF et A/1666/2012- PATIEN ;

dit que Madame Z______ n’a pas la qualité de partie dans la procédure A/1885/2010-PROF ;

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 27 mai 2010 par Monsieur X______ contre l’arrêté du 26 avril 2010 du département des affaires régionales, de l’économie et de la santé ;

au fond :

l’admet ;

annule l’arrêté du 26 avril 2010 du département des affaires régionales, de l’économie et de la santé ;

transmet le dossier à la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients pour qu’elle statue au sens de considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à Monsieur X______ une indemnité de CHF 1’500.- à la charge de l’Etat de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jacques Roulet, avocat du recourant, à Me Mauro Poggia, avocat de Madame Z______, appelée en cause, au département des affaires régionales, de l’économie et de la santé, ainsi qu’à la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients.

Siégeants : M. Thélin, président, Mmes Hurni et Junod, MM. Dumartheray et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière de juridiction :

 

 

M. Tonossi

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

la greffière :