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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/821/2012

ATA/302/2014 du 29.04.2014 sur JTAPI/12/2013 ( ICC ) , ADMIS

Descripteurs : ; TAXE D'INSCRIPTION AU REGISTRE ; INTERPRÉTATION(SENS GÉNÉRAL)
Normes : LDE.63
Résumé : Les droits d'enregistrement sur un partage de succession se perçoivent sur la valeur vénale des biens sans déduction du passif.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/821/2012-ICC ATA/302/2014

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 29 avril 2014

1ère section

 

dans la cause

 

Madame A______

 

contre

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE


et

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

contre

 

Madame A______

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 7 janvier 2013 (JTAPI/12/2013)


EN FAIT

1) Feu Monsieur A______ (ci-après: le défunt), époux de Madame  A______ (ci-après: la contribuable) est décédé le ______ 1998.

2) Par bordereaux non contestés et définitifs du 22 mai 2000, l'administration fiscale cantonale (ci-après: AFC) a prélevé CHF 241'267,50.- pour les droits relatifs à la succession. L'actif brut successoral s'élevait à CHF 4'958'751.- et à CHF 4'468'074.- après déduction du passif successoral. Un montant de CHF 2'228'158.- revenait à la contribuable.

3) Le 20 décembre 2010, l'hoirie du défunt, soit la contribuable et ses deux enfants, a procédé au partage de la succession. La convention établie ne précise ni le montant partagé ni sa répartition.

4) Le 22 mars 2011, l'AFC a demandé à la contribuable un justificatif de la diminution de sa fortune au 31 décembre 2010.

5) Par courrier du 14 avril 2011, la contribuable a expliqué qu'elle avait effectué une répartition de sa fortune en faveur de ses deux enfants.

6) Le 16 mai 2011, l'AFC a sollicité des précisions à la contribuable concernant ses donations : les dates, les montants, les bénéficiaires et les justificatifs y relatifs, comme des avis de débits bancaires.

7) Le 7 juillet 2011, la contribuable a déposé la convention de partage de la succession du 20 décembre 2010.

8) Le 4 août 2011, l'AFC a indiqué à la contribuable que le document susnommé ne contenait ni le montant de l'actif successoral brut, ni le détail de l'actif partagé, ni les sommes perçues par les héritiers. Elle demandait également des justificatifs.

9) Par bordereau du 14 septembre 2011, l'AFC a réclamé aux trois héritiers CHF 10'226,95.- au titre de droits d'enregistrement basés sur le partage d'une valeur de CHF 4'838'751.-.

10) Le 28 octobre 2011, la contribuable a élevé réclamation à l’encontre de ce bordereau. Elle avait déjà payé des droits successoraux. Elle ne comprenait pas qu'elle dût payer des droits d'enregistrement treize ans après le décès de son époux. Finalement, le dernier bordereau concernant la succession faisait état d'un montant de CHF 4'468'074.- et non de CHF 4'838'751.-.

11) Le 23 janvier 2012, l'AFC a rejeté la réclamation. Les droits d'enregistrement concernaient tout partage de biens entre héritiers quelle que soit la forme. Il y avait bien eu partage comme l'avait confirmé la contribuable. L'assiette des droits était fixée par rapport à l'actif successoral brut après déduction des assurances (CHF 100'000.-) et des biens hors canton (CHF 20'000.-).

12) Par acte du 22 février 2012, la contribuable a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après: TAPI). L'assiette du calcul des droits d'enregistrement était erronée. L'AFC aurait dû prendre comme base de calcul l'actif successoral net, déduction faite du passif successoral.

13) Le 18 juin 2012, l'AFC a conclu au rejet du recours. La taxation devait se faire sur la base de l'actif successoral brut sous déduction de l'assurance-vie et de l'immeuble hors canton. Cette définition de l'assiette fiscale était fondée sur l'exposé des motifs de la loi sur les droits d'enregistrement du 9 octobre 1969 (LDE – D 3 30). Il était indiqué que la déduction des dettes était exclue du calcul.

14) Le 5 juillet 2012, la contribuable a relevé que, selon la loi, le partage devait être taxé à la valeur vénale au jour du partage, ce qui n'avait pas été le cas dans le bordereau du 14 septembre 2011.

15) Le 17 juillet 2012, l'AFC a persisté dans ses conclusions, sans répondre au nouveau grief soulevé par la contribuable.

16) Le 7 janvier 2013, le TAPI a admis partiellement le recours et renvoyé le dossier à l'AFC pour nouvelle décision de taxation. Selon la lettre de la loi, le passif successoral devait être exclu du calcul des droits d'enregistrement. L'assiette de taxation était donc la valeur nette de l'actif successoral, soit CHF 4'468'074.-. Pour ce qui était de la prise en compte de la valeur vénale au jour du partage, l'AFC n'avait pas pu l'établir car la contribuable n'avait pas fourni de justificatifs, bien que le fardeau de la preuve lui incombât. Le recours était rejeté sur ce point.

17) Le 12 février 2013, la contribuable a saisi la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) du litige. La décision sur réclamation de l'AFC devait être annulée et les droits d'enregistrement devaient être calculés sur une valeur de CHF 830'733,20.-. Les biens faisant l'objet du partage successoral devaient être taxés à la valeur vénale de la date du partage, qu'il appartenait à l'AFC de déterminer. Elle avait répondu aux demandes de cette administration, et envoyé un courrier le 8 septembre 2011 pour indiquer la somme précitée. Cependant, elle n'avait pas gardé une copie de cette lettre, mais seulement un brouillon. Ses bordereaux d'impôts pour les années 2002 à 2010 montraient une diminution de la fortune, de laquelle l'AFC aurait pu déduire le montant des donations.

18) Le 13 février 2013, l'AFC a également recouru auprès de la chambre administrative. Le TAPI avait mal interprété la LDE. Il ressortait du texte de la loi et de son exposé des motifs que la déduction du passif successoral était exclue de l'estimation des biens.

19) Le 18 avril 2013, l'AFC a répondu au recours de la contribuable. Elle s'était basée sur l'actif brut de la succession en date du 23 mars 2000. La contribuable ne pouvait pas démontrer que l'actif avait diminué pour atteindre CHF 830'733,20.-, alors qu'elle supportait le fardeau de la preuve.

20) Le 3 juin 2013, la contribuable a persisté intégralement dans ses conclusions. Les droits d'enregistrement devaient être calculés à leur valeur vénale à la date du partage.

21) A la suite de ce courrier, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjetés en temps utile devant la juridiction compétente, les recours sont recevables (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

La recourante, cohéritière solidairement responsable du paiement des droits litigieux, dispose de la qualité pour agir (art. 163 al. 1 et 165 LDE).

2) Toute pièce, constatation, déclaration, condamnation, convention, transmission, cession et en général toute opération ayant un caractère civil ou judiciaire, soumises soit obligatoirement soit facultativement à la formalité de l’enregistrement sont frappés d'un impôt appelé « droits d'enregistrement » (art. 1 al. 1 LDE). Les actes, écrits et pièces portant partage de successions ouvertes dans le canton de Genève soumis aux droits de succession dans ce canton doivent obligatoirement être enregistrés (art. 3 let. f LDE), sous une réserve non réalisée en l'espèce (art. 6 let. t LDE).

Le partage entre héritiers de biens dépendants d'une succession, quelle que soit leur nature, est soumis obligatoirement à un droit d’enregistrement de 1‰ et au minimum de CHF 10.- (art. 62 al. 1 let. a LDE).

Les biens faisant l’objet du partage successoral, du changement ou de la liquidation du régime matrimonial sont taxés à leur valeur vénale à la date du partage sans tenir compte du passif successoral (art. 63 LDE). Le droit de partage n’est applicable qu’une seule fois sur les biens faisant l’objet des opérations prévues aux art. 62 et 63 LDE, qu’il s’agisse d’un partage total ou de partages partiels et à condition que tous les ayants droit participent à l’opération ou y soient représentés (art. 64 LDE).

3) Selon une jurisprudence constante du Tribunal fédéral, la loi s’interprète en premier lieu d’après sa lettre (interprétation littérale). Si le texte légal n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge recherchera la véritable portée de la norme en la dégageant de sa relation avec d’autres dispositions légales, de son contexte (interprétation systématique), du but poursuivi, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique), ainsi que de la volonté du législateur telle qu’elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique) (ATF 138 II 557 consid. 7.1 ; 138 II 105 consid. 5.2 ; 132 V 321 consid. 6 ; 129 V 258 consid. 5.1 et les références citées). Le Tribunal fédéral utilise les diverses méthodes d’interprétation de manière pragmatique, sans établir entre elles un ordre de priorité hiérarchique (ATF 138 II 217 consid. 4.1 p. 224 ; 133 III 175 consid. 3.3.1 p. 178 ; 125 II 206 consid. 4a p. 208/209 ; ATA/422/2008 du 26 août 2008 consid. 7). Enfin, si plusieurs interprétations sont admissibles, il faut choisir celle qui est conforme à la Constitution (ATF 119 Ia 241 consid. 7a p. 248 et les arrêts cités) ou plus généralement au droit supérieur.

Le juge est, en principe, lié par un texte légal clair et sans équivoque. Ce principe n’est cependant pas absolu. En effet, il est possible que la lettre d’une norme ne corresponde pas à son sens véritable. Ainsi, l’autorité qui applique le droit ne peut s’en écarter que s’il existe des motifs sérieux de penser que le texte ne correspond pas en tous points au sens véritable de la disposition visée. De tels motifs peuvent résulter des travaux préparatoires, du fondement et du but de la prescription en cause, ainsi que de sa relation avec d’autres dispositions (ATF 138 II 557 consid. 7.1 ; 138 V 445 consid. 5.1 ; 131 I 394 consid. 3.2 ; 131 II 13 consid. 7.1 ; 130 V 479 consid. 5.2 ; 130 V 472 consid. 6.5.1). En dehors du cadre ainsi défini, des considérations fondées sur le droit désirable ne permettent pas de s’écarter du texte clair de la loi, surtout si elle est récente (ATF 118 II 333 consid. 3e ; 117 II 523 consid. 1c).

4) En l'espèce, les biens faisant l'objet du partage successoral sont taxés à la valeur vénale sans tenir compte du passif successoral (art. 63 LDE). Le doute existe sur la signification de « sans tenir compte ». La première lecture possible mène à exclure du calcul la déduction du passif : le passif n'est pas déduit de la valeur brute des biens. La seconde lecture mène à inclure la déduction du passif dans le calcul : le passif est soustrait de la valeur brut des biens. Au moment de l'adoption de la LDE, dans le commentaire article par article de l'exposé des motifs, il était précisé que l'art. 63 LDE exprimait « les règles d'estimation des biens à la date du partage, excluant, comme c'était le cas en application des art. 141 et 142 LCP (loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre 1887), la déduction des dettes » (MGC 1965/II, A 906). En outre, à l'art. 62 al. 2 let. b et c LDE, il est précisé qu'aucun droit n'est perçu sur la « valeur nette » des biens du conjoint survivant ou des époux, démontrant une volonté claire du législateur de s'écarter de la valeur brute, ce qui n'est pas le cas à l'art. 63 LDE. Dès lors, la lettre du texte combinée à une approche historique et systématique montre que c'est la valeur de l'actif successoral brut qui doit être la base du calcul des droits d'enregistrement sur le partage de la succession sans que le passif et les dettes n'en soient déduits.

Les biens faisant l'objet du partage successoral sont taxés à la valeur vénale sans tenir compte du passif successoral (art. 63 LDE).

La lettre de cette disposition est équivoque, les termes « sans tenir compte » pouvant soit concerné le verbe (sont taxés), soit les mots « à la valeur vénale ». Dans la première hypothèse, le passif doit être déduit de la valeur vénale avant le calcul des droits d'enregistrement, alors que, dans la seconde, une telle déduction est interdite.

Il ressort toutefois d'une analyse historique qu'au moment de l'adoption de la LDE, le commentaire article par article de l'exposé des motifs précisait que cette disposition exprimait « les règles d'estimation des biens à la date du partage, excluant, comme c'était le cas en application des art. 141 et 142 LCP (loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre 1887), la déduction des dettes » (MGC 1965/II, A 906).

Une approche systématique aboutit au même résultat. L'art. 62 al. 2 let. b et c LDE, qui concerne des avoirs exempts de droits d'enregistrement, précise qu'aucun droit n'est perçu sur la « valeur nette » des biens concernés, démontrant une volonté claire du législateur de s'écarter de la valeur brute, ce qui n'est pas le cas à l'art. 63 LDE.

Il ressort de ce qui précède que la base du calcul des droits d'enregistrement lors du partage d'une succession est la valeur de l'actif successoral brut, sans que le passif n'en soit déduit.

Partant, le recours de l'AFC sera admis sur ce point.

5) La contribuable remet en cause la valeur de référence pour la taxation du partage.

6) La taxation se fait sur la valeur vénale à la date du partage (art. 63 LDE).

Selon un principe général en droit fiscal, il incombe à l’autorité fiscale de démontrer l’existence d’éléments créant ou augmentant la charge fiscale, alors que le contribuable supporte le fardeau de la preuve des éléments qui réduisent ou éteignent son obligation fiscale. S’agissant de ces derniers, il appartient au contribuable non seulement de les alléguer, mais encore d’en apporter la preuve et de supporter les conséquences de l’échec de cette preuve (ATF 133 II 153 consid. 4.3 ; ATF 121 II 257 consid. 4 c/aa ; Arrêt du Tribunal fédéral 2C_111/2012 du 25 juillet 2012 consid. 4.6 ; ATA/56/2014 du 4 février 2014 consid. 4 c ; ATA/672/2013 du 8 octobre 2013 consid. 3 c).

7) En l'espèce, la contribuable n'a pas démontré que la valeur des biens partagés se montait à CHF 830'733,20.- au moment du partage, ce qui aurait eu pour effet de baisser le montant des droits d'enregistrement. Malgré les sollicitations précises, allant jusqu'à expliciter le type de justificatif requis, et répétées de l'AFC, elle n'a pas produit de document infirmant le montant retenu par l'AFC. La convention de partage n'apporte aucun élément chiffré. Devant le TAPI, elle n'a pas non plus produit de pièces prouvant ses dires, comme l'a relevé ce dernier. Elle a certes présenté devant la chambre de céans un brouillon d'un courrier qu'elle aurait envoyé le 8 septembre 2012 à l'AFC. Cependant, rien ne confirme que cette lettre a réellement été envoyée. De plus, même si ce courrier a existé, il ne démontre pas que le montant partagé était bien celui allégué par la contribuable. Elle a également produit ses bordereaux d'impôts pour les années 2002 à 2010. S'ils montrent une diminution de sa fortune personnelle, ils ne donnent aucune indication sur l'utilisation des fonds de l'hoirie et leur éventuelle répartition en faveur des deux enfants de la contribuable. Dès lors, l'AFC, à défaut de pouvoir s'appuyer sur le montant à la date du partage, ne pouvait que baser sa taxation sur la valeur des biens fixée par bordereau de succession définitif du 22 mai 2000.

Ce grief sera donc rejeté.

8) C'est donc à raison que l'AFC a calculé les droits d'enregistrement sur le partage de succession à partir d'une valeur de CHF 4'838'751.-.

9) Au vu de ce qui précède, le recours de l'AFC sera admis et le recours de Mme A______ rejeté. La décision sur réclamation de l'AFC du 23 janvier 2012 sera rétablie. Un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de Mme A______, qui succombe, et il ne lui sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 LPA).

 

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevables les recours interjetés les 12 février 2013 par Madame A______ et 13 février par l'administration fiscale cantonale contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 7 janvier 2013 ;

au fond :

rejette le recours de Madame A______ ;

admet le recours de l'administration fiscale cantonale ;

annule le jugement du Tribunal de première instance du 7 janvier 2013 ;

rétablit la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 23 janvier 2012 ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de Mme A______ ;

dit qu'il ne lui est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à administration fiscale cantonale, au Tribunal administratif de première instance, ainsi qu'à Madame A______.

Siégeants : M. Thélin, président, MM. Verniory et Pagan, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :