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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1391/2006

ATA/237/2007 du 15.05.2007 ( DCTI ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 04.07.2007, rendu le 19.11.2007, ADMIS, 1C_184/07, 1C_186/07
Descripteurs : AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE; CONSTRUCTION ET INSTALLATION; CONSTRUCTION PROVISOIRE; INTÉRÊT PUBLIC; INTÉRÊT PRIVÉ; PESÉE DES INTÉRÊTS; PROPORTIONNALITÉ; ORDRE DE DÉMOLITION
Normes : LCI.129.let4 ; LCI.130
Parties : FONJALLAZ Gérald, LONGCHAMP Jean-Louis, LAVALL YANNICK, ANSAH Lucie et autres / DEPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION
Résumé : Recours contre un ordre de remise en l'état antérieur concernant deux yourtes installées en zone agricole. La décision du DCTI est annulée au regard du principe de la proportionnalité. En l'espèce, l'intérêt public au rétablissement d'une situation conforme au droit ne l'emporte pas sur l'intérêt privé des recourants au maintien des installations litigieuses. En raison du matériau employé pour leur construction, la durée de vie des yourtes est limitée et elles devront être démontées dans un bref délai. En outre, l'installation ne laissera aucune empreinte sur le terrain en zone agricole, impropre à la culture par manque d'ensoleillement.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1391/2006-DCTI ATA/237/2007

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 15 mai 2007

dans la cause

Monsieur Jean-Louis LONGCHAMP

Madame Lucie ANSAH

Monsieur Yannick LAVALL

contre

DÉPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION


 


EN FAIT

1. Monsieur Jean-Louis Longchamp est propriétaire de la parcelle n° 1294, feuille 17 de la commune de Meinier. Il s’agit d’un verger, sis en zone agricole, le long de la route de Gy, où l’intéressé détient des moutons ; la ferme où il habite se trouve en face.

2. Deux yourtes ont été installées dans le verger. Il s’agit de tentes en feutre, posées à même le sol, qui servent à l’habitat des nomades en Asie centrale. L’une a un diamètre de quatre mètres et l’autre de six mètres.

Avec l’accord du propriétaire, Madame Lucie Ansah et Monsieur Yannick Lavall occupent régulièrement l’une des deux yourtes (ci-après : la yourte « maison »). La seconde sert de dépôt à M. Longchamp pour le matériel nécessaire à l’élevage des moutons (ci-après : la yourte « dépôt »).

3. Suite à une dénonciation téléphonique, un inspecteur de la police des constructions du département des constructions et des technologies de l’information (ci-après : le département ou le DCTI) s’est rendu sur place, où il a constaté l’installation sans autorisation des deux yourtes.

4. Par décision du 21 mars 2006, le DCTI a ordonné l’évacuation des objets litigieux.

5. Le 19 avril 2006, Mme Ansah, M. Lavall et M. Longchamp ont saisi le Tribunal administratif d’un recours contre cette décision. Ils ont reproché au DCTI d’avoir violé leur droit d’être entendus et fait une constatation inexacte et incomplète des faits pertinents, abusant ainsi de son pouvoir d’appréciation.

6. Le 23 mai 2006, le DCTI conclut au rejet du recours, reprenant et développant les arguments figurant dans la décision querellée.

L'ordre d’évacuation respectait le principe de proportionnalité, dans la mesure où l’intérêt privé des recourants n’était pas prépondérant, eu égard à l’intérêt public au respect de l’affectation de la zone agricole.

7. Le Tribunal administratif a organisé un transport sur place le 4 septembre 2006.

Les recourants ont exposé que les deux yourtes avaient été rapportées de Mongolie. Elles reposaient sur des planches surélevées par des poutres. Elles étaient constituées de feutre, un matériau adapté aux climats très secs, et recouvertes de bâches destinées à les protéger des intempéries. Elles ne disposaient ni d’électricité ni d’eau courante et le mobilier était sommaire.

Le jour du transport sur place, des moutons paissaient sur la partie de la parcelle longeant la route de Gy.

8. Suite à la demande que les recourants ont adressée au département le 20 novembre 2006, celui-ci a indiqué, trois jours plus tard, qu’il refusait d’entrer en matière au sujet du maintien à titre précaire des installations.

9. a. Le 8 décembre 2006, les recourants ont sollicité un délai visant à compléter leur recours, considérant que le courrier du 23 novembre 2006 du département constituait un fait nouveau.

b. Le 14 février 2007, les recourants ont souligné que les yourtes étaient des tentes, constituées d’un matériaux périssable, le feutre. Elles étaient installées dans un verger. La dérogation à la règle qu’ils sollicitaient était mineure et l’intérêt public lésé n’était pas de nature à justifier l’évacuation des yourtes. De plus, ils ont insisté sur le fait qu’ils n’étaient pas juristes et qu’ils avaient cru de bonne foi être autorisés à procéder aux installations litigieuses. Enfin, M. Longchamp, dans son activité professionnelle, devait pouvoir entreposer du matériel destiné à l’élevage des moutons. La yourte « dépôt » avait l’avantage d’être proche du bétail à moindre coût.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. a. Les zones agricoles servent à garantir la base d'approvisionnement du pays à long terme, à sauvegarder le paysage et les espaces de délassement et à assurer l'équilibre écologique (art. 16 al. 1 de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 22 juin 1979 - LAT - RS 700).

Selon l’article 16a alinéas 1 et 2 LAT,  sont conformes à l’affectation de la zone agricole les constructions et installations qui sont nécessaires à l’exploitation agricole ou à l’horticulture productrice, ainsi que les constructions et installations qui servent au développement interne d’une exploitation agricole ou d’une exploitation pratiquant l’horticulture productrice.

A teneur de l’article 20 de la loi d’application de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30), ne sont autorisées en zone agricole que les constructions et installations qui sont destinées durablement à cette activité et aux personnes l’exerçant à titre principal et qui respectent la nature et le paysage ainsi que les conditions fixées par les articles 34 et suivants de l’ordonnance sur l’aménagement du territoire du 28 juin 2000 (OAT - RS 700.1).

b. Selon l’article 1 alinéa 1 lettre a de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), nul ne peut, sur tout le territoire du canton, sans y avoir été autorisé, élever en tout ou en partie une construction ou une installation.

L’article 1 du règlement d’application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 27 février 1978 (RaLCI - L 5 05. 01) définit comme constructions ou installations toutes choses immobilières ou mobilières édifiées au-dessus ou au-dessous du sol ainsi que toutes leurs parties intégrantes et accessoires.

c. En l’espèce, aucune autorisation de construire n’a été délivrée au recourant pour l’installation des deux yourtes.

3. Pour que le département puisse ordonner, sur la base de l’article 129, lettre e LCI, la libération des surfaces en cause et leur restitution à un usage conforme à la zone, il faut en premier lieu que les installations qui y sont érigées illicitement soient effectivement inappropriées et qu’elles ne puissent pas bénéficier d’une dérogation, eu égard au droit applicable au moment de la décision (ATA/678/2006 du 19 décembre 2006).

Cela étant, pour être valable, l’ordre de mise en conformité, qui comporte celui de démanteler les installations existantes, doit en outre respecter les conditions suivantes, en application des principes de la proportionnalité et de la bonne foi (RDAF du 8 février 1994 et références citées ; ATA/678/2006 précité):

l’ordre doit être dirigé contre le perturbateur ;

les installations en cause ne doivent pas avoir été autorisables en vertu du droit en vigueur au moment de leur réalisation ;

un délai de plus de trente ans ne doit pas s’être écoulé depuis l’exécution des travaux litigieux ;

l’autorité ne doit pas avoir créé chez l’administré concerné, notamment par des promesses, des informations, des assurances ou un comportement, des expectatives dans des conditions telles qu’elle serait liée par le principe de la bonne foi. En particulier, les installations litigieuses ne doivent pas avoir été tolérées par l’autorité d’une façon qui serait constitutive d’une autorisation tacite ou d’une renonciation à faire respecter les dispositions transgressées ;

l’intérêt public au rétablissement d’une situation conforme au droit doit l’emporter sur l’intérêt privé de l’intéressé au maintien des installations litigieuses ;

le rétablissement de l’état antérieur ne doit pas porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété des recourants.

4. A première vue, la yourte « dépôt » n’est pas inautorisable en zone agricole, dès lors qu’elle est utilisée pour y stocker du matériel nécessaire à l’élevage des moutons, selon les dires du recourant. Cet aspect n’a toutefois pas été étudié par le département, en particulier au regard des exigences de l’OAT. En conséquence, l’ordre de démolition sera annulé sur ce point et le dossier renvoyé au département pour qu’il instruise le litige sous cet angle.

5. a. La destination de la yourte « maison » n’est certes pas conforme à la zone agricole, de sorte que le département n’a pas mésusé de son pouvoir d’appréciation en ordonnant la mesure litigieuse.

b. Toutefois, la durée de vie de la yourte « maison » est limitée dans le temps, en raison du matériau utilisé, à savoir du feutre, qui n’est pas adapté à l’humidité de notre climat. En conséquence, elle devra immanquablement être démontée dans les prochaines années. Une fois défaite, l’installation ne laissera pas d’empreinte visible dans le verger, car sa structure est très légère. Il sera au demeurant rappelé que la yourte en question n’entrave pas l’exploitation de la parcelle en cause.

Dans ces circonstances, l’intérêt public au rétablissement d’une situation conforme au droit plus rapidement que ce que la nature réalisera par elle-même n’est pas prédominant, étant précisé que le recourant ne pourra pas la remplacer ou la reconstruire sans être au bénéfice d’une autorisation.

L’ordre de démolition, qui ne respecte pas le principe de la proportionnalité, sera annulé. Le recours sera donc admis sur ce point.

6. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1’000.- sera mis à la charge du département, qui succombe (art. 87 LPA). Aucune indemnité ne sera octroyée aux recourants, qui ont agi en personne.

* * * * *


PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 19 avril 2006 par Madame Lucie Ansah, Monsieur Yannick Lavall et Monsieur Jean-Louis Longchamp contre la décision du département des constructions et des technologies de l’information du 21 mars 2006 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule la décision attaquée en ce qu’elle concerne la yourte « maison » ;

renvoie le dossier au département pour qu’il tranche la question de la conformité de la yourte « dépôt » à la zone agricole ;

met à la charge du département un émolument de CHF 1’000.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité ;

dit que, conformément aux articles 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’article 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Madame Lucie Ansah, à Monsieur Yannick Lavall et à Monsieur Jean-Louis Longchamp ainsi qu’au département des constructions et des technologies de l’information et à l’office du développement territorial.

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Bovy et Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.


Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. a.i. :

 

 

P. Pensa

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :