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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4534/2015

ATA/232/2016 du 15.03.2016 ( MARPU ) , REJETE

Parties : GINOX SA / OFFICE DES BATIMENTS, SERVICE EQUIPEMENT WESCHER SA
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4534/2015-MARPU ATA/232/2016

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 15 mars 2016

 

dans la cause

 

GINOX SA
représentée par Me Philippe Ciocca, avocat

contre

OFFICE DES BÂTIMENTS

et

SERVICE ÉQUIPEMENT WESCHER SA
, appelée en cause



EN FAIT

1. Le 1er septembre 2015, l’office des bâtiments rattaché au département des finances de l’État de Genève (ci-après : OBA), a lancé un appel d’offres en procédure ouverte sur le marché de fournitures, soumis à l’accord GATT/OMC, respectivement aux accords internationaux, à l’accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 (AIMP - L 6 05), ainsi qu’au règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01), pour la fourniture d’agencement de cuisines dans le cadre de la construction des 5ème et 6ème étages du centre médical universitaire (ci-après : CMU), pour l’aménagement d’une cafétéria.

2. Dans le cadre de ce marché, l’OBA a reçu deux offres, soit une offre de la société GINOX SA (ci-après : Ginox), société ayant son siège à Chailly-Montreux, d’un montant de CHF 288'475.- plus CHF 25'920.- de maintenance, et une autre offre de la société Service Équipement Wescher SA (ci-après : Wescher), sise au Petit-Lancy à Genève, d’un montant de CHF 265'000.- plus CHF 18'900.- de maintenance.

3. Le dossier K2 du document d’appel d’offres demandait à chacun des soumissionnaires de fournir différentes attestations énoncées à l’annexe P2, soit notamment les attestations requises par l’art. 32 al. 1 RMP, destinées à établir que son personnel était couvert en matière d’assurances sociales et d’impôts à la source, qu’il était à jour avec le paiement de ses cotisations, qu’il respectait les usages de sa profession en vigueur à Genève pour son personnel, et qu’il s’engageait à respecter le principe de l’égalité entre femmes et hommes.

4. Il est admis par les parties que dans ce cadre, Ginox avait fourni avec son offre une attestation de l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT) du 28 septembre 2015, certifiant qu’elle était signataire d’un engagement à respecter les usages en vigueur à Genève dans le secteur de la métallurgie, du bâtiment et des constructions métalliques.

5. À l’issue du processus d’évaluation, Ginox s’est vu attribuer un total de 389.90 points pour son offre, et Wescher un total de 385.50 points.

6. Par décision du 3 décembre 2015, le pouvoir adjudicateur a attribué le marché à Ginox pour le montant de sa soumission. Dans le courrier l’informant de cette nouvelle, il lui demandait, en vue d’établir le contrat et de régler le détail d’adjudication, de lui faire parvenir dans un délai de quinze jours une attestation confirmant qu’elle était à jour avec le paiement des cotisations sociales, de même qu’un justificatif du paiement de sa prime d’assurance responsabilité civile 2016. À défaut, cette décision serait caduque.

7. a. Le 8 décembre 2015, l’OCIRT a rendu à l’encontre de Ginox une décision dont le dispositif est le suivant :

« refuse de délivrer à l’entreprise Ginox les attestations lui permettant de soumissionner des marchés publics ;

fixe à deux ans la durée du refus de délivrance de toute attestation permettant de soumissionner des marchés publics ;

exclut l’entreprise de tout marché public pour une période de deux ans au plus ;

(.....)

réserve les procédures de contrôles et de mise en conformité au droit public. ».

Cette décision pouvait faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Le recours n’avait pas d’effet suspensif, ainsi que la jurisprudence de cette juridiction l’avait rappelé à plusieurs reprises. 

b. La décision de l’OCIRT était fondée sur les éléments suivants : le 2 décembre 2014, cette autorité avait constaté que Ginox était active dans le canton de Genève et lui avait rappelé, par courrier de cette date, qu’en cas de détachement de personnel dans le canton de Genève, elle devait respecter les conditions minimales dans son secteur d’activité. Il lui avait demandé la production, d’ici au 2 janvier 2015, d’une documentation lui permettant de contrôler qu’elle s’était soumise à cette obligation, notamment les formulaires d’engagement. La seule réponse reçue de l’entreprise le 5 décembre 2014 avait été de lui indiquer que les travaux commenceraient au printemps 2015, sans qu’aucun document justificatif y soit joint. L’OCIRT avait adressé à Ginox un rappel le 12 août 2015, avec fixation d’un nouveau délai au 4 septembre 2015, rappelant l’éventualité de sanctions en cas de non-respect des délais.

À l’échéance du délai précité, l’OCIRT avait adressé un avertissement à Ginox le 15 septembre 2015 pour qu’elle s’exécute. À la date du 8 décembre 2015, l’entreprise n’avait pas donné suite au courrier de l’OCIRT et n’avait pas fait valoir d’observations. Décision avait donc été prise d’ordonner les sanctions précitées à son encontre.

Celles-ci étaient motivées par le fait que l’entreprise n’avait pas retourné les documents permettant de contrôler le respect des usages. Par son comportement, elle avait dès lors manifesté son intention de les contester.

La décision de l’OCIRT précisait ceci : « Cette mesure sera portée sur une liste accessible au public en application de l’art. 45 al. 3 de la loi sur l'inspection et les relations du travail du 12 mars 2004 (LIRT - J 1 05). En cas de demande formelle de reconsidération, nous précisons que cette sanction peut être réduite, voire levée, si l’entreprise accepte de se soumettre au contrôle de l’OCIRT et est en mesure de prouver que les usages qui lui sont applicables ont été respectés. ».

Selon une impression de la liste précitée dans son état au 21 décembre 2015 (tiré du site www.ge.ch/relations-travail/doc/liste_entreprise_infraction.pdf) versée à la procédure, celle-ci était intitulée « liste des entreprises en infraction aux usages (entreprises faisant l’objet d’une décision exécutoire en vigueur fondée sur les art. 45 LIRT et 9 de la loi fédérale du 8 octobre 1999 sur les mesures d'accompagnement applicables aux travailleurs détachés et aux contrôles des salaires minimaux prévus par les contrats-types de travail (LDét - RS 823.20) ou 13 de la loi fédérale du 17 juin 2005 concernant des mesures en matière de lutte contre le travail au noir LTN - RS 822.41) ». La raison sociale de la recourante y figurait avec son adresse, la période d’interdiction, soit du 8 décembre 2015 au 8 décembre 2017, ainsi que le motif de la décision de l’OCIRT, soit «  45 LIRT ».

8. Le 16 décembre 2015, l’OBA a adressé un pli recommandé à Ginox. Il avait constaté qu’elle figurait sur la liste des entreprises en infraction aux usages de l’OCIRT. L’OBA se trouvait dans l’impossibilité de lui adjuger le marché de l’agencement de cuisine relatif à la cafétéria du CMU. Dès lors, le marché pour lequel Ginox avait déposé une offre serait attribué à Wescher, pour un montant de CHF 289'028.90. Cette décision annulait et remplaçait celle qui lui avait été notifiée le 3 décembre 2015. Le courrier mentionnait les voies de droit disponibles pour la contester.

9. Le 16 décembre 2015, l’OBA a adressé un second courrier à Ginox pour l’informer qu’il n’avait plus la possibilité de prendre en compte les offres qu’elle pourrait déposer dans le cadre des marchés publics de l’État de Genève. En outre, il n’avait plus la possibilité de souscrire de nouveaux contrats, ni d’honorer de nouvelles factures. Dès lors, il résiliait tous les contrats en cours avec effet immédiat. Une liste des contrats concernés était annexée à ce courrier.

10. Par acte posté le 28 décembre 2015, mais reçu le 4 janvier 2016, Ginox a interjeté un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision de l’OBA du 16 décembre 2015, reçue le 17 décembre 2015, qui révoquait la décision d’adjudication du 3 décembre 2015. Sur le fond, elle concluait à son annulation et au rétablissement de la décision d’adjudication du 3 décembre 2015. Préalablement, elle sollicitait la restitution de l’effet suspensif.

Elle avait été autorisée à soumissionner et n’avait pas été écartée de la procédure d’adjudication. Elle répondait donc à toutes les exigences imposées par le RMP, et respectait notamment les usages locaux à la date de la décision d’adjudication. En outre, à la date du dépôt de son offre et durant toute la procédure d’adjudication, date de la décision d’adjudication incluse, elle ne faisait l’objet d’aucune mesure prononcée en application de l’art. 45 LIRT. En revenant sur sa décision d’adjudication, l’OBA avait violé le principe de la bonne foi. Subsidiairement, la décision du 8 décembre 2015 de l’OCIRT, postérieure à la décision d’adjudication du 3 décembre 2015, n’avait pas d’effet sur les adjudications antérieures.

11. Le 28 décembre 2015, Ginox a formellement requis de l’OCIRT qu’il reconsidère sa décision du 8 décembre 2015 en lui transmettant tous les documents permettant de constater le respect des usages applicables au secteur d’activité de la métallurgie du bâtiment. Ginox s’est en outre engagée à respecter les usages dudit secteur et a accepté de se soumettre au contrôle de l’OCIRT.

En outre, par acte du même jour, elle a formé un recours auprès de la chambre administrative contre la décision de l’OCIRT du 8 décembre 2015.

12. Par acte du 4 janvier 2016, le juge délégué a appelé en cause la société Wescher.

13. Par décision du 28 janvier 2016, après que l’intimé et l’appelé en cause se sont déterminés sur la requête en mesures provisionnelles, le président de la chambre administrative a rejeté la requête en restitution de l’effet suspensif (ATA/84/2016).

14. Le 5 février 2016, l’OBA a conclu au rejet du recours. Si la recourante avait effectivement fourni avec son offre une attestation de l’OCIRT datée du 28 septembre 2015 certifiant qu’elle s’était engagée à respecter les usages en vigueur à Genève, elle avait entre-temps fait l’objet le 8 décembre 2015 d’une sanction de la part de l’OCIRT, laquelle n’avait pas d’effet suspensif, et qui l’empêchait de remplir les conditions pour être admise à soumissionner pour une collectivité publique. Suite à cette décision, le nom de cette société avait été porté sur la liste des entreprises en infraction à la LIRT accessible au public. Elle était exclue de tout marché public avec effet immédiat pour une période de deux ans au plus, et ceci pouvait avoir des effets sur les adjudications et contrats en cours.

Selon le droit des marchés publics, une offre était écartée d’office lorsque le soumissionnaire ne répondait pas ou plus aux conditions pour être admis à soumissionner. En outre, un tel défaut constituait un motif de révocation d’une adjudication. L’OCIRT étant l’autorité compétente pour contrôler le respect des usages au sein des entreprises signataires d’un engagement, et pour sanctionner les contrevenants. Dès lors que cette autorité avait décidé d’exclure la recourante des marchés publics et que cette décision était exécutoire nonobstant recours, le pouvoir adjudicateur était contraint d’en tenir compte et se devait de révoquer sa décision d’adjudication.

15. Wescher, qui s’en était rapporté à justice sur effet suspensif, ne s’est pas déterminée et n’a pas pris de conclusions sur le fond du recours.

16. Le 8 février 2016, Ginox a informé le juge que l’OCIRT avait reconsidéré sa décision du 8 décembre 2015 par une nouvelle décision du 3 février 2016 dont le dispositif était le suivant :

« - annule la décision de refus de délivrance de l’attestation rendue à l’encontre de l’entreprise Ginox le 8 décembre 2015 ;

-          dit que l’entreprise Ginox peut de nouveau obtenir les attestations de l’office ;

(…..) ».

Avec son courrier, Ginox a transmis une copie d’une lettre adressée à l’intimée, pour l’informer que l’ensemble des équipements professionnels annoncés dans son offre du 5 octobre 2015 était construit et serait livré aux alentours du 22 février 2016. Dès lors, elle était à même de respecter le planning en livrant la cafétéria du CMU dans le délai prévu pour fin février 2016.

17. Le 29 février 2016, après l’envoi aux parties par le juge délégué d’un avis de clôture de l’instruction, Ginox a adressé une réplique, en persistant dans ses conclusions principales et en concluant à titre subsidiaire à la condamnation de la direction des constructions de l’OBA à lui verser une indemnité de CHF 10'000.- plus intérêts à 5 % dès le 3 décembre 2015.

L’intimée avait répondu à son courrier du 8 février 2016 en l’avisant qu’elle avait le jour même passé commande auprès de Wescher de l’agencement qui faisait l’objet de l’adjudication.

Elle n’avait à aucun moment cessé de respecter les usages applicables à son secteur d’activité, ce que l’OCIRT avait constaté dans sa décision de reconsidération du 3 février 2016. La décision du 8 décembre 2015 n’avait pas d’effet sur les adjudications antérieures. L’intimée avait violé le principe de la bonne foi en révoquant sa décision d’adjudication. Celle-ci était illicite.

Wescher ne pourraient vraisemblablement pas tenir le délai de livraison imposée dans l’offre. La cafétéria du CMU ne pourrait pas être livrée dans les temps requis. Cela renchérirait les coûts du chantier. Il y avait un intérêt public à l’exécution du chantier dans le respect des délais.

Sur ce, après transmission de la réplique précitée, le juge délégué a confirmé aux parties que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile et devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Toute entreprise soumise au respect des usages en vertu d’une disposition légale, règlementaire ou conventionnelle doit en principe signer auprès de l’OCIRT un engagement de respecter les usages. L’OCIRT délivre à l’entreprise une attestation, laquelle est de durée limitée (art. 25 al. 1 LIRT), soit trois mois (art. 40 al. 1 du règlement d'application de la loi sur l'inspection et les relations du travail du 23 février 2005 - RIRT - J 1 05.01). Elle est réputée liée par un tel engagement dès l’instant où son personnel est amené à travailler sur un marché public (art. 25 al. 3 LIRT).

L’OCIRT est également compétent pour exercer le contrôle du respect des usages pour le compte du département de la sécurité et de l’emploi (ci-après : DSE). Les entreprises en infraction aux usages font l’objet de sanctions prévues à l’art. 45 LIRT.

Ainsi, à teneur de l’art. 45 al. 1 LIRT, lorsqu’une entreprise visée par l’art. 25 LIRT ne respecte pas les conditions minimales de travail et de prestations sociales en usage, l’OCIRT peut prononcer une décision de refus de délivrance de l’attestation visée à l’art. 25 LIRT, pour une durée de trois mois à cinq ans laquelle est exécutoire nonobstant recours (art. 45 al. 1 let. a LIRT). L’OCIRT peut également prononcer l’exclusion de tout marché public pour une période de cinq ans au plus (art. 45 al. 1 let. c LIRT).

Dans le cadre du contrôle du respect des usages, l’employeur est tenu de collaborer avec l’OCIRT (art. 42 RIRT). Il doit notamment tenir à leur disposition ou fournir à leur demande toute pièce utile à l’établissement du respect des usages (art. 42 al. 2 RIRT). La sanction d’une violation de l’obligation de collaborer dans le délai imparti, notamment suite au prononcé d’un avertissement au sens de l’art. 42 A RIRT est le refus de délivrer l’attestation à l’employeur. En cas d’avertissement, au sens de la disposition précitée, s’il n’est pas donné suite dans les délais à la demande de l’OCIRT, celui-ci prononce les sanctions prévues à l’art. 45 al. 1 LIRT.

Une liste des entreprises faisant l’objet d’une décision exécutoire de la part de l’OCIRT est établie, qui est accessible au public (art. 45 al. 3 LIRT).

3. Pour être admis à soumissionner et pouvoir prendre part à la procédure d’évaluation de leur offre, chaque soumissionnaire qui a déposé une offre, doit établir qu’il remplit les conditions de participation. Dans le canton de Genève, ces conditions sont énumérées à l’art. 32 RPM. En particulier, pour le personnel appelé à travailler sur territoire genevois, le soumissionnaire doit fournir, soit une attestation certifiant qu’il est lié par la convention collective de travail de sa branche applicable à Genève (art. 32 al. 1 let. b ch. 1 RMP), soit une attestation certifiant qu’il a signé auprès de l’OCIRT un engagement à respecter les usages de sa profession en vigueur à Genève, notamment en ce qui concerne la couverture du personnel en matière de retraite, de perte de gain en cas de maladie, d’assurance-accident et d’allocations familiales (art. 32 al. 1 let. b ch.2 RMP). Pour obtenir cette dernière attestation, il doit prendre connaissance auprès de l’OCIRT des usages locaux de sa profession (art. 32 al. 2 let. a RMP), puis signer un engagement officiel à respecter ces usages à l’égard de son personnel appelé à travailler sur territoire genevois (art. 32 al. 2 let. b RMP), tout en lui remettant lors de la signature les attestations mentionnées à l’art. 32 al. 1 let. a RMP. C’est l’OCIRT qui délivre cette attestation, en tant qu’autorité compétente chargée d’établir les documents qui reflètent les conditions de travail et prestations sociales en usage à Genève (art. 23 al. 1 LIRT). En outre, pour être valables, les attestations visées à l’art. 32 al. 1 RMP ne doivent pas être antérieures de plus de trois mois à la date fixée pour leur production, sauf dans les cas où elles ont, par leur contenu, une durée de validité supérieure (art. 32 al. 3 RMP).

4. L’art. 42 al. 1 RMP énonce plusieurs situations dans lesquelles une offre est écartée d’office de la phase d’évaluation. Tel est le cas, selon l’art. 42 al. 1 let. f ch. 3 RMP, lorsqu’à la date du dépôt de l’offre ou en cours de procédure, il fait l’objet d’une mesure exécutoire prononcée en application de l’art. 45 al. 1 let. a ou let. c LIRT.

5. Selon l’art. 48 RMP, une décision d’adjudication peut être révoquée lorsque l’un des motifs d’exclusion figurant à l’art. 42 est réalisé. Il peut notamment s’agir de motifs propres à l’adjudicataire, telles les exigences générales de participation à un marché public, relatives au respect des conditions sociales de travail, de paiement des impôts et des cotisations sociales (Étienne POLTIER, Droit des marchés publics, 2014, p. 230 n. 364 ; Martin BEYELER, der Geltungsanspruch des Vergaberechts, 2012, p. 1501 n. 2738). Il doit s’agir de motifs qui rendent la conclusion d’un contrat avec l’adjudicataire impossible, inexigible ou contraire au droit des marchés publics (Martin BEYELER, ibid.).

L’art. 48 RMP utilisant une formule potestative concernant l’exercice du droit de révocation, une liberté d’appréciation est reconnue au pouvoir adjudicateur dans la prise d’une telle décision, que celui-ci l’exerce à la suite d’une pesée des intérêts pour respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Etienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, n. 2.4.3.1, p. 383). En matière de marchés publics, pour déterminer si une telle mesure est proportionnée, le motif justifiant la mesure doit être pris en considération ; toutefois, la découverte de faits nouveaux importants postérieurs à l’adjudication, apparaît déterminante et devrait conduire à la révocation. (Étienne POLTIER, op. cit., p. 232 n. 365 ; Martin BEYELER, op. cit. p. 262).

6. La décision querellée est fondée sur la décision de l’OCIRT prise en application de l’art. 45 al. 1 let. a, mais aussi de l’art. 45 al. 1 let. c LIRT. Ainsi que le mentionne cette décision, cette double sanction a été prononcée par l’OCIRT en raison du non-respect par la recourante de ses obligations de collaborer au contrôle du respect des usages locaux de sa profession. Cette décision a été prise, non sans que, préalablement, l’intéressée ait fait l’objet d’un rappel, puis d’un avertissement, et après que plusieurs semaines se sont écoulées sans réaction de sa part.

L’OCIRT ayant déclaré sa décision exécutoire nonobstant recours, en application de l’art. 45 al. 1 let. a LIRT, mais aussi de l’art. 66 al. 1 LPA, celle-ci déployait pleinement ses effets le jour où l’autorité intimée a pris la décision de révoquer sa décision d’adjudication. Ainsi, le 16 décembre 2015, le pouvoir adjudicateur était fondé à prendre une telle décision, en vertu de l’art. 48 RMP, dès lors qu’il avait découvert que, nonobstant l’attestation du 28 septembre 2015 accompagnant son offre, l’adjudicataire venait de faire l’objet, de la part de l’OCIRT le 8 décembre 2015 d’une mesure d’exclusion des marchés publics prise en vertu de l’art. 45 LIRT. La faculté prévue à l’art. 48 RMP est certes facultative. Toutefois, en apprenant cette information, le pouvoir adjudicateur était en droit de décider sans attendre de révoquer la décision qu’il venait de prendre. Les circonstances le lui imposaient. D’une part, la décision de l’OCIRT d’écarter la recourante était exécutoire, et son respect s’imposait à toute autorité ou collectivité publique, conduisant l’attribution et l’exécution d’un marché public. D’autre part, en tant que pouvoir adjudicateur, l’intimé se devait de prendre sans attendre les dispositions nécessaires permettant le respect des délais imposés par le planning du chantier, de même que le court délai de livraison de l’agencement de la cafétéria faisant l’objet du marché. En outre, constatant que l’OCIRT avait pris une décision qui remettait en question la validité de l’attestation du 28 septembre 2015 produite par la recourante avec son offre, il se devait également de réagir, par respect du principe d’égalité de traitement entre soumissionnaires garanti par l’art. 16 RMP à tous les stades de la procédure. Ainsi, au vu des circonstances, sa décision de révoquer la décision d’adjudication qu’il venait de prendre et d’attribuer le marché à la concurrente de la recourante, dont l’offre avait obtenu quelques points de moins à l’issue de l’évaluation, n’est pas critiquable.

7. La recourante soutient que la décision de l’autorité intimée la privant du marché contrevient au principe de la bonne foi, dès lors qu’elle avait été autorisée à soumissionner, qu’elle avait répondu à toutes les exigences imposées par le règlement et qu’elle s’était vue attribuer le marché.

Découlant directement de l'art. 9 Cst. et valant pour l’ensemble de l’activité étatique, le principe de la bonne foi protège le citoyen dans la confiance légitime qu’il met dans les assurances reçues des autorités lorsqu'il a réglé sa conduite d'après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l'administration (ATF 137 II 182 consid. 3.6.2 p. 193 ; 137 I 69 consid. 2.5.1 ; 131 II 627 consid. 6.1 p. 637 et les arrêts cités ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_151/2012 du 5 juillet 2012 consid. 4.2.1 ; 2C_1023/2011 du 10 mai 2012 consid. 5).

Le grief formulé par la recourante frise la témérité. La décision d’adjudication prenait en compte la production par la recourante avec son offre de l’attestation de l’OCIRT du 28 septembre 2015. Si, à cette date, l’OCIRT a pu délivrer une telle attestation, c’est que les délais accordés à la recourante pour produire la documentation sollicitée dans le cas de contrôle couraient encore. Si le pouvoir adjudicateur avait su, avant de prendre sa décision d’adjudication, que la recourante était en défaut vis-à-vis de l’OCIRT, elle aurait pu être exclue du marché et celui-ci ne lui aurait pas été adjugé. Si la recourante n’avait pas attendu d’être écartée sans délai des marchés publics du canton de Genève pour se mettre en règle, et qu’elle avait notamment donné suite sans attendre à l’avertissement du 15 septembre 2015, elle ne se serait pas trouvée frappée d’une telle décision le 8 décembre 2015, avec la conséquence de voir le marché litigieux lui échapper. Aucun grief tiré de la garantie de la bonne foi vis-à-vis des administrés ne peut être reproché à l’autorité intimée. Celle-ci n’a fait que se conformer à une décision exécutoire prise par l’autorité chargée de faire respecter les usages en vigueur à Genève sur le marché du travail.

Le fait que, le 3 février 2016, l’OCIRT ait reconsidéré sa décision du 8 décembre 2015 est sans influence sur le bien-fondé de la décision de révocation prise le 16 décembre 2015 par le pouvoir adjudicateur, dans la mesure où la nouvelle décision de l’OCIRT ne déploie qu’un effet ex nunc, ainsi qu’elle le précise.

8. Entièrement mal-fondé, le recours sera rejeté. Vu cette issue, il n’y a pas lieu d’entrer en matière sur les prétentions en indemnisation de la recourante, indemnisation au demeurant exclue par l’art. 48 al. 1 RMP. Vu l’issue de la procédure, un émolument de CHF 2'000.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée à l’autorité intimée ou à l’appelée en cause, qui n’y ont pas conclu, au demeurant (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 28 décembre 2015 par GINOX SA contre la décision de l’office des bâtiments du 16 décembre 2015 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 2'000.- à la charge de GINOX SA ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF-RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n’est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

s’il soulève une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt (la présente décision) et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Philippe Ciocca, avocat de la recourante, à l'office des bâtiments, ainsi qu’à Service Équipement Wescher SA.

Siégeants : M. Verniory, président, M. Thélin, Mme Junod, M. Dumartheray, Mme Payot Zen-Ruffinen, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le la greffière :