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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/917/2009

ATA/227/2010 du 30.03.2010 ( PATIEN ) , REJETE

Descripteurs : ; MESURE DISCIPLINAIRE ; PATIENT ; DEVOIR PROFESSIONNEL ; COMPÉTENCE ; DROIT TRANSITOIRE
Normes : LComPS.1 ; LComPS7 ; LS.3.al2 ; LPMéd.40.litta
Résumé : Compétence de la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients admise alors même que la dénonciatrice n'est pas patiente de la recourante. La commission est en effet compétente pour connaître tant de la violation des droits des patients que de la violation des règles professionnelles.
En fait
En droit

 

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/917/2009-PATIEN ATA/227/2010

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 30 mars 2010

2ème section

dans la cause

 

Madame J______
représentée par Me Alain Berger, avocat

contre

COMMISSION DE SURVEILLANCE DES PROFESSIONS DE LA SANTÉ ET DES DROITS DES PATIENTS



EN FAIT

1. Madame C_____ (ci-après : la dénonciatrice), domiciliée à Nyon, s’est adressée le 8 janvier 2008 à la Doctoresse S_____, médecin cantonal à Genève, en portant à la connaissance de cette dernière les faits suivants.

Après avoir quitté le domicile conjugal en novembre 2002 avec son fils alors âgé de 14 mois, Mme C_____ avait requis auprès des autorités compétentes des mesures protectrices de l'union conjugale, puis le divorce.

Suite à la procédure, Monsieur C_____, son époux, avait consulté la Doctoresse J______, psychiatre, pédopsychiatre et psychothérapeute.

Dans ce cadre, la Dresse J______ avait contacté téléphoniquement Madame L_____, cheffe de l'office régional de protection des mineurs du Centre, à Lausanne (ci-après : l'office de protection des mineurs) ainsi que Madame G____, assistante sociale qui traitaient le dossier de l'enfant, fils du patient de la doctoresse.

Dans leur rapport du 26 juin 2006, rédigé dans le cadre de la procédure de divorce et adressé au tribunal compétent, les précitées indiquaient que, d'après ses déclarations, la Dresse J______ avait une très mauvaise image de la mère de CA____. Cette dernière serait manipulatrice et aurait des tendances paranoïaques, recourant à des mensonges et des exagérations pour limiter les droits de visite du père.

Il était précisé dans le rapport que la Dresse J______ n'avait jamais rencontré l'enfant ni sa mère et que ses dires reposaient uniquement sur les propos de son patient.

Mme C_____ a encore produit, à l'attention du médecin cantonal, un certificat médical établi par la doctoresse "à toutes fins utiles" le 31 janvier 2006, selon lequel si M. C_____ devait renoncer au lien avec son fils, tant le père que le fils auraient à en souffrir.

La dénonciatrice a également joint à son courrier au médecin cantonal une attestation médicale établie "à toutes fins utiles" par la Dresse J______ , datée du 13 juillet 2007, dans laquelle cette dernière indiquait qu'il existait entre mère et fils un état fusionnel pathogène et qu'il pourrait s'agir d'une classique situation d'aliénation parentale qu'il faudrait investiguer avec rigueur.

Par pli du 20 juillet 2007, la dénonciatrice avait sommé la Dresse J______ de retirer les termes contenus dans sa dernière attestation médicale qui étaient attentatoires à son honneur et contraires à la vérité.

Dans sa réponse du 31 juillet 2007, la doctoresse avait refusé de modifier le contenu de l'attestation précitée.

La dénonciatrice était choquée que cette praticienne puisse tenir de tels propos et émettre un tel diagnostic sur sa personne et celle de son fils sans les connaître, en se fondant uniquement sur les allégations de son mari. Le fait qu'elle les communique aux autorités compétentes pour décider de la sécurité et de la garde de son enfant, la scandalisait et dépassait, à son avis, le rôle de thérapeute, raison pour laquelle elle avait alerté le médecin cantonal. Elle souhaitait que la doctoresse cesse d'intervenir dans la procédure de divorce et se limite à la relation thérapeutique qu'elle entretenait avec son patient.

2. Par pli du 15 janvier 2008, le médecin cantonal a transmis le courrier de la dénonciatrice à la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients (ci-après : la commission) pour raison de compétence.

3. La Dresse J______ s'est déterminée le 17 avril 2008.

Mme C_____ n'avait jamais été sa patiente. En tant que dénonciatrice, elle ne pouvait se plaindre que de la violation de droits de patients tiers. Or, en l'occurrence elle lui reprochait d'avoir tenu des propos diffamatoires à son encontre. Comme la commission n'était compétente que pour instruire les cas de violations de la loi sur la santé et des droits des patients, et qu'en l'occurrence elle n'avait rien à se reprocher dans sa relation thérapeutique avec son patient, M. C_____, la commission devait décliner sa compétence.

Pour le surplus, elle avait usé de toute la retenue nécessaire lors de la rédaction de l'attestation du 13 juillet 2007.

Si elle avait pris contact avec le service de protection de la jeunesse du canton de Vaud, c'était pour accéder à une requête de son patient et pour faire connaître à ce service son appréciation clinique du contexte relationnel entre Mme C_____, M. C_____ et leur fils CA____.

Le rapport d'évaluation dudit service expliquait qu'elle avait fait part à l'assistante sociale de son inquiétude face au développement de la situation familiale de son patient. Il ressortait également de ce document qu'elle avait su garder la même retenue en n'émettant que des hypothèses relatives au comportement de la dénonciatrice. Toutes ces hypothèses étaient le fruit d'une réflexion médicale fondée tant sur les éléments du dossier que sur la littérature scientifique et surtout sur son expérience dans le domaine de l'aliénation parentale, acquise dans sa pratique.

4. Entendue le 3 décembre 2008 par la sous-commission 1, chargée de l'instruction de la procédure, la doctoresse a prié celle-ci de statuer sur sa compétence à connaître de ce litige.

5. Le 5 février 2009, la commission a rendu une décision constatant sa compétence pour statuer sur la dénonciation de Mme C_____ C_____ à l'encontre de la doctoresse. Cette décision a été reçue par cette dernière le 13 février 2009.

Les faits reprochés à la doctoresse remontaient principalement au mois de janvier 2006, date de son premier certificat médical, et au mois de juin 2006, époque où elle s'était entretenue avec les responsables de l'office de protection des mineurs. La loi sur l’exercice des professions de la santé, les établissements médicaux et diverses entreprises du domaine médical du 11 mai 2001 (LPS - K 3 05) était dès lors applicable au litige, la loi sur la santé du 7 avril 2006 (LS - K 1 03) étant entrée en vigueur seulement le 1er septembre 2006.

Aux termes de la législation pertinente, des sanctions administratives pouvaient être infligées aux membres des professions de la santé pour agissement professionnel incorrect dûment constaté et qualifié comme tel par la commission. Par agissement professionnel incorrect il fallait entendre l'inobservation de l'obligation faite à tout praticien d'adopter un comportement professionnel consciencieux en l'état du développement actuel de la science. Dans ce cadre, il incombait donc à la commission d'examiner si les déclarations orales ou écrites de la doctoresse concernant la dénonciatrice étaient constitutives d'un agissement professionnel incorrect.

6. Par acte du 16 mars 2009, la doctoresse a recouru auprès du Tribunal administratif à l'encontre de la décision précitée. Elle conclut à son annulation et à ce qu'il soit constaté que la commission n'est pas compétente pour connaître de la dénonciation.

Contrairement à ce qu'avait retenu la commission, les faits s'étaient déroulés du 31 janvier 2006 au 31 juillet 2007, date à laquelle elle avait répondu qu'elle refusait de retirer les termes de ses attestations médicales.

En conséquence les faits avaient perduré au-delà du 1er septembre 2006, date de l'entrée en vigueur de la loi sur la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients du 7 avril 2006 (LComPS - K 3 03). Il s'agissait d'un cas de rétroactivité impropre, puisque la nouvelle loi s'appliquait à un état de chose durable, non entièrement révolu. La LComPS était donc applicable au litige et la compétence de la commission devait être examinée à l'aune de celle-ci.

Aux termes de l'art. 1er al. 3 LComPS, la commission veillait au respect des droits des patients. Selon l'art 7 al. 1 let. a LComPS, la commission était tenue d'instruire, en vue d'une décision, les cas de violation des dispositions concernant les professionnels de la santé ou les institutions de santé, ainsi que les cas de violation des droits des patients.

La dénonciatrice, qui n'avait jamais été patiente de la recourante, se plaignait d'une atteinte à son honneur du fait des propos tenus par la doctoresse dans les rapports médicaux que celle-ci avait rédigés à la demande de son patient. La dénonciation ne visant en aucun cas une éventuelle violation des droits de M. C_____, patient de la recourante, la commission était incompétente.

7. La commission s'est déterminée par pli du 15 mai 2009 en persistant intégralement dans les termes de la décision attaquée.

La recourante avait considéré à tort qu'il s'agissait d'un cas de rétroactivité impropre et qu'à ce titre il convenait d'appliquer la loi en vigueur au moment des derniers faits, soit ceux du mois de juillet 2007. Doctrine et jurisprudence admettaient que l'existence d'une violation de la loi se déterminait au moment où elle était commise et entraînait la sanction prévue par cette loi. Ainsi, des faits qui étaient illicites lorsqu'ils s'étaient réalisés ne devenaient pas conformes au droit à la suite d'un changement de loi sauf si celle-ci était rétroactive.

En conséquence, la compétence de la commission était pour le moins acquise pour les faits qui s'étaient déroulés en 2006, époque où était en vigueur la LPS. A supposer que la LS ne permette pas à la commission d'examiner les déclarations de la recourante faites en 2007, dans la mesure où elles ne concernaient pas sa patiente, il incombait néanmoins à la commission de déterminer si les déclarations faites par la recourante en 2006, tant oralement que par écrit, constituaient des agissements professionnels incorrects.

8. Par pli du 18 mai 2009, le juge délégué a informé les parties que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Entrée en vigueur le 1er septembre 2006, la LS a, à teneur de son art. 136 let. d et e, abrogé la loi concernant les rapports entre membres des professions de la santé et patients du 6 décembre 1987 (LRPS), d'une part, ainsi que la LPS, d'autre part.

3. La LComPS est également entrée en vigueur le 1er septembre 2006. Selon ses dispositions transitoires, la commission connaît de toutes les demandes, plaintes, dénonciations et recours relevant de la LComPS déposés postérieurement à l'entrée en vigueur de celle-ci (art. 34 al 1er LComPs).

La dénonciation étant datée du 8 janvier 2008, c'est à juste titre que la commission s'est saisie du dossier.

4. Dès lors que la compétence des autorités est déterminée par la loi (art. 11 al. 1 LPA) et qu'il résulte de ce qui précède que celle de la commission doit s'apprécier de la même manière que celle des autres autorités administratives au sens de l'art. 5 LPA, il y a lieu d'examiner quels objets la LComPS place dans la compétence de la commission.

a. Selon l’article 1 alinéa 2 LComPS, la commission est chargée de veiller au respect des prescriptions légales régissant les professions de la santé et les institutions de santé visées par la LS (let. a), à la protection des personnes atteintes de troubles psychiques et de déficience mentale, conformément à la LS et à la loi sur la privation de liberté à des fins d'assistance (LPLA - K 1 24 ; let. b) et dans tous les cas, elle veille au respect des droits des patients (art. 1 al. 3).

Aux termes de l'art. 7 al. 1 litt. a LComPS, la commission instruit en vue d'un préavis ou d'une décision les cas de violation des dispositions de la LS ou de la loi sur la privation de liberté à des fins d'assistance concernant les professionnels de la santé et les institutions de santé ainsi que les cas de violation des droits des patients.

Il ressort des travaux préparatoires que les compétences en matière de surveillance des traitements des personnes atteintes d'affections mentales venaient s'ajouter à celles que la commission assumait déjà et qui visaient à déterminer si des agissements professionnels incorrects avaient été commis par des professionnels de la santé ou par des responsables d'institutions de santé (MGC 2003-2004/XI A 5737).

Au vu de ce qui précède, les normes entrées en vigueur le 1er septembre 2006 n'enlèvent pas de compétences à la commission.

5. a. La LS règlemente divers domaines qui ont trait à la santé publique et, parmi ceux-ci, l'exercice des professions de la santé ainsi que la surveillance des activités du domaine de la santé (art. 3 al. 2 litt. e et j LS). L'art. 80 LS traitant des droits et des devoirs du médecin renvoie à l'art. 40 de la loi fédérale sur les professions médicales universitaires du 23 juin 2006 (LPMéd - RS 811.11).

L'art 40 litt. a LPMéd stipule que les personnes exerçant une profession médicale universitaire à titre indépendant doivent exercer leur activité avec soin et conscience professionnelle et respecter les limites des compétences qu’elles ont acquises dans le cadre de leur formation universitaire, de leur formation postgrade et de leur formation continue.

b. Ainsi que l'a rappelé le tribunal de céans, la LS cumule désormais deux types d'infractions pouvant être commises par les professionnels de la santé, qui étaient traitées auparavant dans deux lois distinctes au moyen de deux procédures différentes : la violation des droits des patients, d'une part et la violation des règles professionnelles, d'autre part (ATA/402/2009 du 25 août 2009).

Il appartient à la commission d'examiner toute affaire qui, de façon générique, a trait à l'exercice des professions de la santé.

La recourante ne conteste pas être concernée par le domaine d'activité de la commission. Objectant que la dénonciatrice n'est pas sa patiente, elle considère que la commission n'est pas compétente pour statuer sur sa dénonciation.

En cela, son argumentation est fondée sur un sophisme qui a pour origine une confusion entre la question préliminaire de la compétence et la question au fond de savoir si son comportement a violé les règles régissant la profession de médecin.

Vu la multiplicité des règles et, par voie de conséquence, des autorités compétentes pour connaître de leur transgression, la question de savoir à qui doit être confiée la mission d'examiner si une telle transgression est intervenue est donc nécessairement indépendante du caractère avéré ou non de la transgression et ne peut être résolue qu'en rapport avec l'accusation portée ou la dénonciation (ATA M. du 21 mars 1995).

In casu la dénonciation a bien trait au domaine d'activité de médecin de la recourante et non à un comportement qui n'a aucun lien avec sa profession. La dénonciatrice s'est plainte en effet du diagnostic émis par la recourante, sur "l'état fusionnel pathogène" existant entre elle-même et son fils, alors qu'elle ne les connaissait pas, ainsi que des différentes hypothèses médicales dont font état ses certificats. Elle a également fait valoir que par ses déclarations adressées à des tiers la doctoresse était sortie du cadre thérapeutique de la relation avec son patient, transgressant ainsi ses devoirs de médecin.

Savoir si les déclarations de la recourante constituent un comportement contraire à celui qu'on peut attendre d'un médecin, est une question de fond.

A ce stade, il suffit de constater que les agissements reprochés à la recourante entrent dans le domaine d'activité dont est chargée la commission, à savoir l'exercice des professions de la santé et la surveillance des activités du domaine de la santé, ce qui fonde la compétence ratione materiae de l'autorité intimée.

Le grief portant sur la compétence de la commission sera ainsi rejeté.

6. Entièrement mal fondé, le recours est rejeté. La décision de la commission est confirmée par substitution de motifs. Un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 87 LPA). Aucune indemnité ne sera allouée.

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 mars 2009 par Madame J______ contre la décision du 5 février 2009 de la commission de surveillance des professions de la santé ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de la recourante un émolument de CHF 1'500.- ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

 communique le présent arrêt à Me Alain Berger, avocat de Mme J______ ainsi qu’à la commission de surveillance des professions de la santé et des droits des patients.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, Mme Hurni, M. Dumartheray, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. :

 

 

M. Tonossi

 

la présidente :

 

 

L. Bovy

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :