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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2872/2007

ATA/201/2008 du 29.04.2008 ( BARR ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2872/2007-BARR ATA/201/2008

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 29 avril 2008

dans la cause

 

Monsieur Z______
représenté par Me Niels Schindler, avocat

contre

COMMISSION DU BARREAU


 


EN FAIT

1. Le 27 avril 2007, Monsieur Z______, avocat, s’est adressé à la commission du barreau du canton de Genève (ci-après : la commission) pour lui demander de confirmer qu’elle ne sanctionnerait pas les avocats pratiquant le barreau à Genève au sein d’une société en commandite de droit anglais, « Limited liability partnership » selon le « limited liability Partnership Act 2000 », qui se dénommerait « S______, LLP » (ci-après : la LLP), l’étude sise à Genève devenant la succursale du bureau de Londres.

2. Le 8 mai 2007, M. Z______ a transmis à la commission un exemple de statuts d’une LLP de droit anglais.

3. Le 18 juin 2007, M. Z______ s’est adressé à nouveau à la commission. Il a exposé que la seule question était celle de savoir si un avocat suisse pouvait limiter sa responsabilité civile. Le Tribunal fédéral avait déjà admis l’organisation d’une étude d’avocats sous forme de société en nom collectif (ci-après : la SNC). Or, la forme de la LLP ne se distinguait de la SNC que sur un point : tous les associés pouvaient être commanditaires, ce que le droit anglais autorisait mais pas le droit suisse. La formule de la LLP permettait aux associés de limiter leur responsabilité, qui était remplacée par une assurance responsabilité civile, obligatoire pour tous les avocats. La constitution d’une LLP ne modifierait en rien le devoir d’indépendance des avocats. S’agissant du secret de l’avocat, les règles anglaises et suisses étaient différentes mais l’étude vivait cette situation depuis vingt ans, distinguant les dossiers « genevois » des dossiers « anglais ». Il ne s’agissait pas pour la commission d’approuver le passage à la LLP, mais seulement de dire que l’indépendance et le secret de l’avocat étaient garantis et que les personnes concernées pourraient ainsi continuer à pratiquer.

4. Le 25 juin 2007, la commission a rendu sa décision. Elle était l’autorité de surveillance des avocats au sens de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 23 juin 2000 (LLCA - RS 935.61) et tenait le registre cantonal correspondant. Les conclusions déposées par le requérant étaient « difficilement recevables ». La commission considérait néanmoins qu’elle ne trouvait « aucune raison d’accepter pour la pratique du barreau par des avocats inscrits au registre cantonal des formes juridiques de droit étranger ». Il appartenait au législateur de trouver une réponse satisfaisante aux attentes exprimées par le requérant. A teneur du dispositif de la décision de la commission, la requête émanant de M. Z______ et de l’Etude S______ a été rejetée.

5. Le 24 juillet 2007, M. Z______ a recouru seul auprès du Tribunal administratif contre la décision de la commission. L’étude S______ souhaitait prendre la forme d’une LLP de droit anglais ayant son siège à Londres, l’étude de Genève devenant alors une succursale. Il existait déjà un bureau de l’étude dans la capitale anglaise, dirigé par une société pratiquant le droit suisse et international. Le cabinet avait une activité essentiellement internationale, dont 80 à 90% était typique de celle d’un avocat, mais en dehors du monopole. Il s’agissait de conseils juridiques en relation avec le droit suisse en matière de trust, pour des confrères étrangers, d’arbitrage et de médiation. L’étude était amenée, de manière régulière, à traiter avec des cabinets d’avocats étrangers organisés sous forme de LLP ; elle subissait un désavantage concurrentiel, notamment en comparaison avec une LLP anglaise ou américaine ayant une succursale à Genève. Les seuls propriétaires de la LLP seraient des avocats et la majorité des avocats exerçant effectivement le contrôle sur ses structures seraient des avocats inscrits dans un registre des avocats suisses. Le devoir d’indépendance de l’avocat et son secret pouvaient être respectés, malgré les différences entre le droit anglais et le droit helvétique, en distinguant clairement les dossiers traités à Londres et ceux traités à Genève. L’obligation de souscrire une assurance responsabilité civile rendait le projet conforme à la LLCA. La forme de la LLP de droit anglais visait à permettre aux membres des professions libérales d’exercer leurs activités sans être soumis aux particularités des associations traditionnelles selon le « partnership act » de 1890. La LLP anglaise était une structure juridique ayant sa propre personnalité ainsi que le plein pouvoir de s’engager. Les tiers contractaient directement avec elle et pouvaient s’en prendre aux actifs de la société afin d’obtenir réparation d’un dommage de même qu’ils pouvaient poursuivre l’un des associés. Chaque associé restait responsable sur tous ses biens, solidairement avec LLP qui était responsable sur tous ses actifs.

En considérant que la forme juridique de la LLP était utilisée par les « solicitors » anglais, dépourvus du droit de représenter leurs clients devant les tribunaux, la commission avait constaté les faits de manière inexacte. Les « solicitors » avaient un droit de représentation illimité devant les tribunaux de rang inférieur ainsi que devant les juridictions européennes. Ils pouvaient également obtenir l’autorisation de plaider devant les cours supérieures jusqu’à et y compris la dernière instance, soit la chambre des Lords. L’activité du « solicitor » englobait donc, tout comme celle de l’avocat suisse, le conseil aux mandants, ainsi que des diligences pré-judiciaires et judiciaires.

La décision de la commission avait été prise en violation du droit fédéral, car les questions de l’indépendance et de la responsabilité de l’avocat n’avaient été traitées dans la LLCA que sous l’angle des rapports entre liens de subordination et d’indépendance de l’avocat. Au sens de cette loi, l’avocat, bien que salarié, continuait à être soumis à un devoir d’indépendance. En revanche, l’article 12 lettre b LLCA, interprété à la lumière de l’article 27 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) n’interdisait pas aux avocats de s’organiser sous une forme limitant la responsabilité pécuniaire des membres d’une étude. L’obligation de souscrire une assurance en matière de responsabilité civile professionnelle devait être comprise de la même manière : elle offrait une garantie aux mandants sans limiter la liberté de l’avocat de s’organiser de manière corporative.

La décision entreprise était également erronée du point de vue du droit cantonal, qui devait être interprété en conformité avec le droit fédéral. L’article 10 alinéa 3 de la loi sur la profession d’avocat du 26 avril 2002 (LPAv - E 6 10) ne pouvait avoir comme conséquence de restreindre la liberté de l’avocat d’adopter une structure telle que la LLP. L’article 10 alinéa 2 LPAV était également inapplicable, la LLP n’ayant pas la forme d’une société de capitaux.

M. Z______ conclut à l’annulation de la décision attaquée et à ce que le Tribunal administratif dise que les avocats de l’étude S______ pourront demeurer inscrits au registre cantonal des avocats, même s’ils pratiquaient sous la forme de LLP de droit anglais. A titre subsidiaire, il conclut au renvoi de la cause à la commission du barreau et renonce au versement de toute indemnité de procédure.

6. Le 30 août 2007, la commission a indiqué qu’elle n’avait pas d’observations à formuler.

7. Le 17 septembre 2007, M. Z______ a déposé les traductions qui lui avaient été demandées par lettre du magistrat délégué du 4 septembre 2007.

8. Le 2 novembre 2007, les parties ont été entendues en audience de comparution personnelle. M. Z______ a précisé ses conclusions du 4 juillet 2007, définissant l’objet du litige comme le caractère licite ou non de l’inscription au registre cantonal d’avocats qui se serait organisée sous la forme d’une LLP de droit anglais. S’agissant des relations contractuelles entre le mandant et le mandataire, le recourant a exposé que le client d’une étude contractait avec la société organisée sous forme LLP. Dans l’hypothèse d’une action en responsabilité, la société était responsable sur ses propres biens et l’avocat en charge du mandat restait indéfiniment responsable au cas où il aurait commis une faute. En revanche, les autres membres de la LLP ne pouvaient être poursuivis sur leurs biens personnels. Les autres membres de la LLP ne pouvaient donner d’instructions à l’avocat en charge d’un mandat. Le principe d’indépendance n’était pas touché et il se posait dans les mêmes termes que pour l’avocat employé.

Il est exact que le recourant avait envisagé la constitution d’une société anonyme de droit suisse, à laquelle il avait été renoncé au profit de la LLP, connue de beaucoup de clients et transparente sur le plan fiscal. Dans l’hypothèse d’une LLP, seuls les bureaux de Genève et de Londres, déjà totalement intégrés, le resteraient, alors que celui de Moscou, actuellement séparé, resterait seul. L’étude comptait une associée à Londres, déjà inscrite au registre cantonal genevois des avocats et qui le resterait.

Le recourant était prêt à reprendre les exigences contenues dans une circulaire de l’ordre des avocats pour que la majorité des membres de la LLP reste soumise au plan disciplinaire à la commission du barreau.

Les comptes de la succursale genevoise seraient établis et révisés à Genève et seuls les résultats globaux seraient intégrés dans les comptes de la LLP à Londres  ; il n’y aurait donc pas de transfert de renseignements nominatifs concernant les clients à Londres.

Le représentant de la commission du barreau a indiqué que les succursales des LLP étrangères établies à Genève ne pratiquaient pas dans le cadre leur profession la représentation des parties devant la justice et qu’elles n’avaient donc pas d’activité soumise au monopole de l’avocat.

9. Le 12 décembre 2007, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. A teneur de l’article 14 LPAv, la commission du barreau exerce les compétences dévolues à l’autorité de surveillance des avocats par la LLCA. En vertu de l’article 49 alinéas 1 et 2 LPA, l’autorité compétente peut donner suite à une demande en constatation, portant sur l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droit ou d’obligation fondée sur le droit public si le requérant rend vraisemblable qu’il a un intérêt juridique personnel et concret digne de protection. Selon l’article 25 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 (PA - RS 172.021), l’autorité compétente sur le fond a également qualité pour constater par une décision, d’office ou sur demande, l’existence, l’inexistence ou l’étendue de droit ou d’obligation fondée sur le droit public et elle donne suite à une demande en ce sens si le requérant prouve qu’il a un intérêt digne de protection (ATA/111/2008 du 11 mars 2008).

En l’espèce, le recourant demande à l’autorité intimée de constater qu’il pourrait continuer à exercer la profession d’avocat alors même que le cabinet au sein duquel il serait actif serait organisé sous la forme d’une société de personnes de droit anglais, la LLP, avec siège à Londres et succursale à Genève. L’intérêt du recourant à ce qu’il soit statué sur une telle requête est évident et il y a lieu dès lors, pour la juridiction de céans, d’entrer en matière sur le fond du litige.

3. A teneur de l’article 27 Cst., la liberté économique est garantie et elle comprend notamment le libre exercice d’une activité économique lucrative privée. Avocat, le recourant bénéficie de la garantie de la liberté économique au sens de l’article 27 alinéas 1er et 2 Cst.

La liberté économique remplit deux fonctions, l’une institutionnelle et l’autre individuelle.

a. L’article 27 Cst. a une portée institutionnelle en ce sens qu’il se réfère au choix d’un certain système économique, soit l’économie de marché. L’Etat doit notamment s’efforcer d’observer une attitude de neutralité face à la concurrence et de respecter notamment le jeu de l’offre et de la demande.

La loi fédérale sur le marché intérieur du 6 octobre 1995 (LMI - RS 943.02), est une concrétisation législative de la liberté économique dans sa fonction institutionnelle. Selon l’article 2 alinéa premier LMI, la liberté d’accès au marché est garantie : toute personne a le droit d’offrir des marchandises, des services et des prestations de travail sur tout le territoire suisse pour autant que l’exercice de l’activité lucrative en question soit licite dans le canton ou la commune où elle a son siège ou son établissement (al. 1er). A teneur du deuxième alinéa du même article, les cantons doivent notamment veiller à ce que leurs prescriptions et décisions concernant l’exercice d’une activité lucrative garantissent les droits conférés par l’alinéa premier.

Dans son message consacré à la LMI (n° 94.101 ; FF 1995 1193 ; 1243-1244), le Conseil fédéral expose que toute personne ayant son établissement en Suisse a le droit d’offrir des services sur tout le territoire suisse. Il s’agit d’un droit fondamental individuel à la liberté d’accès au marché dès lors que l’activité économique en cause est admise dans le canton où l’intéressé a son établissement. Quant aux certificats de capacité cantonaux ou reconnus au niveau cantonal, ils sont valables sur tout le territoire suisse (art. 4 LMI ; FF 1995 1246-1247).

b. Envisagée dans sa fonction individuelle, la liberté économique permet aux individus concernés de se plaindre de toute restriction par-devant les tribunaux. La fonction individuelle de la liberté économique ne protège pas seulement l’individu en tant que tel, mais aussi les relations économiques à but lucratif qu’il entretient avec d’autres agents économiques (A. AUER/G. MALINVERNI/M. HOTTE-LIER, Droit constitutionnel suisse, vol. II, Berne 2006, 2ème éd., p. 424).

Le recourant peut invoquer la liberté économique, qui protège son droit à organiser ses relations économiques à but lucratif comme il l’entend. Il ne soutient toutefois pas qu’une décision négative serait contraire à la LMI et ne démontre pas que l’organisation d’une étude d’avocats ayant son siège en Suisse et pratiquant dans le cadre d’un monopole sous la forme d’une LLP aurait été admise par d’autres autorités cantonales que celles de Genève.

4. Selon l’article 49 alinéa 1er Cst., le droit fédéral prime le droit cantonal qui lui est contraire. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le principe de la primauté du droit fédéral peut également être invoqué comme un droit individuel sous l’empire de la nouvelle Constitution fédérale du 18 décembre 1998 (ATF 127 I 60 consid. 4 p. 68-69 et les arrêts cités). Dans les domaines que le droit fédéral a réglés de manière exhaustive, les cantons ne peuvent plus légiférer. Dans ceux que le droit fédéral ne règle pas de manière exhaustive, les cantons peuvent encore édicter les normes, pour autant que celles-ci ne soient pas contraires au sens et à l’esprit du droit fédéral ou n’en contrarient pas le but.

a. Les deux dispositions pertinentes de droit fédéral qui doivent être examinées dans le cadre du présent litige sont les articles 8 alinéa 1 lettre d et 12 lettre b LLCA. La première norme comporte comme titre marginal : "conditions personnelles" et prévoit que pour être inscrit au registre, l'avocat doit remplir les conditions suivantes :

a. …

b. …

c. …

d. être en mesure de pratiquer en toute indépendance ; il ne peut être employé que par des personnes elles-mêmes inscrites dans un registre cantonal.

Selon la seconde norme, qui comporte le titre marginal "règles professionnelles", l'avocat est soumis aux règles professionnelles suivantes ;

a. …

b. il exerce son activité professionnelle en toute indépendance, en son nom personnel et sous sa propre responsabilité ;

c. à j. …

A teneur du message concernant la LLCA (n° 99.027 ; FF 1999 5331 ; 5349 - 5354), la question la plus controversée du projet de loi fut celle du degré d'indépendance dont l'avocat devait jouir en vertu du droit fédéral pour s'inscrire au registre cantonal et ainsi pouvoir plaider sans autre formalité dans tout le pays. Dès lors que le problème se posait déjà au regard de la LMI, permettant à un avocat admis dans un canton de pratiquer dans l'ensemble de la Suisse, il convenait de respecter le but assigné à la LLCA, qui était d'assurer la libre circulation des avocats. La solution retenue ne devait pas bloquer une évolution possible, notamment en matière d'organisation des études d'avocat, respecter la jurisprudence du Tribunal fédéral, être eurocompatible et dans l'intérêt du justiciable ainsi que permettre une définition de l'indépendance valable pour l'ensemble de la Suisse. S'agissant donc tant des conditions personnelles de l’article 8 LLCA (art. 7 projet du Conseil fédéral) que des règles professionnelles de l'article 12 LLCA (art. 11 du projet), celles-ci devaient permettre de dégager une définition de l'indépendance valable pour l'ensemble du territoire helvétique.

b. Selon l'article 10 alinéa 2 LPAv, l'association d'avocats ne peut revêtir la forme d'une société de capitaux. La LPAv a été modifiée en 2002 pour être rendue compatible avec la LLCA. Il ne ressort pas des travaux préparatoires que la notion d'indépendance ait fait l'objet de grands développements. En effet, à teneur de l'exposé des motifs (MGC 2000 6105), il est seulement mentionné que l'article 10 de la loi est une "reprise de l’article 11, dont la teneur paraissait compatible avec les articles 8 et 12 LLCA." A l'occasion des débats en séance plénière, le rapporteur a indiqué simplement que la commission avait décidé de reprendre la teneur de l'article 11 de l'ancienne loi, qui imposait un cadre strict à la forme des études d'avocat, dans le but de garantir l'indépendance de l'avocat" (MGC 2001-2002 2723).

c. Selon la jurisprudence du tribunal de céans, la notion d'indépendance des avocats devrait être définie de manière précise sur un plan fédéral en application de la LLCA. Il appartiendrait ensuite aux cantons, quelles que soient leurs pratiques, restrictives ou libérales, de s'adapter à la définition des principes dégagés par le Tribunal fédéral. C'est ainsi que serait garantie la libre circulation des avocats au niveau national. La cour cantonale a relevé en outre que l'indépendance de l'avocat présupposait l'indépendance financière face au client, l'absence d'instructions de la part de tiers dans la manière de conduire un mandat et l'exercice de la profession sous sa propre responsabilité (ATA/568/2003 du 23 juillet 2003 et SJ 2001 381 consid. 4c p. 387-388).

5. Dans un arrêt récent (ATA/111/2008 précité), le tribunal de céans a considéré que des avocats pouvaient s’organiser sous la forme d’une société anonyme de droit suisse et continuer à être inscrits au registre cantonal genevois. Toutefois la personne morale dont les recourants étaient actionnaires devait respecter un certain nombre de conditions  : aucune décision ne devait être prise par une majorité de personnes qui n’était pas inscrite dans un registre cantonal d’avocats, les avocats inscrits devaient constituer la majorité des voix et du capital-actions au sein de l’assemblée générale, même dans le cadre de la majorité qualifiée de l’article 704 de la loi fédérale complétant le code civil suisse du 30 mars 1911 (Livre cinquième : Droit des obligations - CO - RS 220), un quorum statutaire devait être exigé pour que la majorité adoptant une décision soit majoritairement composée d’avocats inscrits et que s’agissant du conseil d’administration, la majorité adoptant une décision devait se composer majoritairement d’avocats.

Il a encore été précisé que rien n’interdisait à un avocat inscrit dans un autre registre d’être actionnaire de la société anonyme d’avocats pour autant qu’il soit soumis à une autorité disciplinaire dans un des pays couverts par les accords bilatéraux entre la Suisse et l’Union européenne, en vertu de l’article 4 de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse d’une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes, entré en vigueur le 1er juin 2002 (ALCP – RS 0.142.112.681), selon lequel « le droit de séjour et d’accès à une activité économique est garanti… ».

6. La question soumise au tribunal dans le cadre du présent litige est différente en ce sens que la société, à laquelle le recourant aimerait adhérer tout en demeurant inscrit dans le registre, est une société de personnes, mais que celle-ci est de droit étranger.

Selon les explications fournies tant par écrit qu’oralement par l’intéressé, l’étude dont il fait partie conserverait son centre d’activité à Genève, une seule associée exerçant la profession d’avocate à Londres, tout en étant inscrite au registre cantonal genevois.

7. Il convient dès lors de déterminer quelles seraient les conséquences de la constitution, selon les règles de droit étranger, d’une société d’avocats sur le pouvoir de surveillance que doit exercer à son égard la commission du barreau alors même que celle-là mène son activité principale en Suisse.

a. A teneur de la loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987 (LDIP - RS 291), les sociétés sont régies par le droit de l’Etat selon lequel elles sont organisées si elles répondent aux conditions de publicité ou d’enregistrement prescrites par ce droit (art. 154 al. 1er LDIP). S’agissant de la responsabilité de la société ou des personnes agissant en son nom, elle est régie par le droit suisse pour les activités exercées en Suisse ou à partir de ce pays
(art. 159 et 160 LDIP).

b. En soumettant des questions de responsabilité d’une personne morale pour ses activités déployées en Suisse ou à partir de ce pays au droit suisse, le législateur fédéral a voulu protéger les intérêts des cocontractants d’une telle société afin d’éviter qu’ils soient contraints d’appliquer des règles de droit étranger à leurs relations avec la société du seul fait que celle-ci serait enregistrée hors de Suisse. La protection du public serait ainsi suffisamment assurée pour ne pas prohiber de ce seul fait une activité en Suisse organisée sous la forme d’une société de droit étranger, fut-ce par le biais d’une succursale.

8. La question se pose toutefois dans des termes différents lorsque l’activité principale du cabinet d’avocats considéré se déroule en Suisse ou à partir de ce pays et que le choix d’une forme juridique de droit étranger ainsi que du siège dans un pays étranger procède du souci des personnes considérées de trouver la forme juridique qui leur soit le plus favorable.

a. Selon la jurisprudence, il y a fraude à la loi lorsqu’un justiciable recourt à un moyen apparemment légitime pour atteindre un résultat qui, lui, est prohibé (ATF 132 III 212 pp. 219-220). Cette notion suppose ainsi l’existence d’une norme d’interdiction qui pourrait s’appliquer à l’opération litigieuse.

En l’espèce, rien n’indique que l’avocat associé d’une LLP ne serait plus en mesure de respecter les obligations d’indépendance contenue dans les articles 8 alinéa 1er lettre d et 12 lettre b LLCA. En particulier, l’associé ne deviendrait pas l’employé d’une personne qui ne pourrait être inscrite au registre cantonal (art. 8 al. 1er let. d LLCA) et il continuerait à exercer l’activité d’avocat de manière indépendante en son nom personnel et sous sa propre responsabilité (art. 12 let. b LLCA). Le projet de constitution en LLP n’a donc rien de frauduleux en lui-même.

b. Il y a encore lieu de déterminer si la construction choisie par le recourant permet à l’autorité de surveillance ainsi qu’aux autorités de recours d’exercer leur pouvoir dans les mêmes conditions qu’à l’égard d’une société de droit suisse.

S’agissant d’un cabinet d’avocats comptant plusieurs associés exerçant à Genève et un seul pratiquant à Londres, il y a lieu de déterminer si le recours à une forme de société de personnes, inconnue en droit helvétique, est protégé par la liberté économique.

ba. Les personnes morales de droit étranger peuvent se prévaloir de la liberté économique à tout le moins lorsqu’elles sont inscrites dans un pays lié à la Suisse par l’ALCP (ATF 131 I 225 consid. 2 p. 227). Si la LLP projetée par le recourant avait été fondée, elle pourrait se prévaloir de la liberté économique devant les autorités et les juridictions suisses dans la même mesure qu’une personne morale de droit interne. Elle serait ainsi – prima facie – habilitée à s’opposer avec les associés visés à une décision qui leur interdirait de s’inscrire au registre cantonal des avocats.

bb. Les restrictions à la liberté économique obéissent non seulement au régime de l’article 36 Cst., mais elles doivent en outre respecter le principe de la libre concurrence ; elles ne peuvent ainsi favoriser certaines branches ou certaines formes d’activité économique (ATF 131 I 225 consid. 4.1 p. 231). L’État doit ainsi respecter les principes de la « neutralité concurrentielle » et de « l’égalité de traitement entre concurrents » (A. AUER/G. MALINVERNI/M. HOTTELIER, op. cit., vol. II, Berne 2006, 2ème éd., p. 447). Les cantons peuvent restreindre la liberté économique par des mesures de police, de politique sociale ou par d’autres mesures dictées par l’intérêt public.

bc. L’exercice de la profession d’avocat est protégé par un monopole, institué par l’article 2 LLCA : seuls les titulaires du brevet correspondant peuvent exercer la représentation en justice en Suisse.

bd. Il appartient à l’autorité cantonale de surveillance de s’assurer que les conditions fixées à l’exercice de la profession d’avocat inscrit au registre cantonal sont remplies en tout temps ; elles constituent le pendant du monopole dont jouissent les avocats.

En l’espèce, le choix d’une forme de société inconnue du droit suisse ne correspond à aucune nécessité dès lors que les associés exercent en Suisse, à l’exception d’un seul. Comme le recourant entend continuer à exercer sa profession sous une forme garantie par un monopole, il n’est pas contraire au principe de la liberté économique de prendre en compte l’intérêt public au caractère effectif de la surveillance à assurer par l’autorité publique et celui consistant à offrir aux justiciables ses services sous une forme commerciale reconnue en droit suisse. Or la surveillance sera rendue plus aisée par le recours à une forme juridique connue en droit suisse, ce qui correspond également à l’intérêt du public. De surcroît, l’organisation sous la forme d’une personne morale de droit suisse facilite les rapports avec les cocontractants sur le marché suisse, l’intérêt public à une surveillance effective l’emporte sur l’intérêt privé du recourant à choisir la forme de la LLP pour poursuivre son activité d’avocat inscrit du registre cantonal. Ces restrictions sont d’autant plus conformes au principe de la proportionnalité que le tribunal de céans a reconnu récemment la licéité de l’exercice de la profession d’avocat par des praticiens formant une société anonyme (ATA/111/2008 précité). Elles n’entravent donc pas grandement la liberté économique du recourant.

9. Mal fondé, le recours doit être rejeté. Son auteur, qui succombe, ne sera toutefois pas condamné aux frais de la procédure dès lors que les motifs considérés comme pertinents par la juridiction de céans ne sont pas les mêmes que ceux retenus par l’autorité intimée. Il ne lui sera pas versé d’indemnité de procédure du fait qu’il succombe et qu’il y avait expressément renoncé.

 

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 24 juillet 2007 par Monsieur Z______ contre la décision de la commission du barreau du 25 juin 2007 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge du recourant un émolument de CHF 3'000.- ;

dit que, conformément aux articles 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt (la présente décision) peut être porté(e) dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’article 42 LTF. Le présent arrêt (la présente décision) et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Niels Schindler, avocat du recourant ainsi qu'à la commission du barreau.

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Bovy et Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la secrétaire-juriste :

 

 

S. Husler-Enz

 

le président :

 

 

F. Paychère

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :