Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/2588/2004

ATA/167/2005 du 22.03.2005 ( FIN ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2588/2004-FIN ATA/167/2005

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 22 mars 2005

dans la cause

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

contre

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE D'IMPÔTS

et

U__________S.A.
représentée par PricewaterhouseCoopers S.A., mandataire


 


1. La société U__________S.A. (ci-après : la contribuable ou la société) dont les buts sociaux sont la fabrication, la distribution, l’achat, la vente et la promotion de produits cosmétiques a son siège social à Genève.

2. Sur le plan fiscal, la société a été au bénéfice d’un statut de société auxiliaire dès la période fiscale 1999 pour une durée de cinq ans.

3. Dans sa déclaration fiscale concernant l’impôt cantonal 2001, la société a mentionné un bénéfice net imposable dans le canton de CHF 12'071'875.- et un capital propre imposable de CHF 8'780'372.-.

Sous la rubrique « observations », il était précisé que les comptes n’avaient pas encore été approuvés par l’assemblée générale des actionnaires. Ceux-ci comportaient une proposition de versement d’un dividende de CHF 60’000'000.-.

Les comptes clos au 31 décembre 2001 présentaient des actifs pour un total de CHF 184'188’473.- ; au passif, les fonds étrangers s’élevaient à CHF 115'408’101.- dont CHF 76'310'950.- de dettes envers des sociétés du groupe et des fonds propres de CHF 68'780'372.- dont CHF 60'159'925.- au titre de bénéfice de l’exercice.

4. Le 19 décembre 2002, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC) a notifié à la société un bordereau de taxation provisoire de CHF 2'873'633,50 basé sur les chiffres déclarés par la contribuable.

5. Le 15 janvier 2003, la fiduciaire PricewaterhouseCoppers S.A. (ci-après : la fiduciaire), mandatée par la société, a fait parvenir à l’AFC les comptes définitifs dont il ressortait un dividende distribué de CHF 45'000'000.-, ce qui impliquait, selon elle, une augmentation du capital imposable à CHF 23'780'371.- .

6. Le 11 avril 2003, l’AFC a notifié à la contribuable un bordereau rectificatif d’un montant de CHF 2'953'590.30. Le bénéfice imposable était resté inchangé alors que le capital imposable avait été porté à CHF 28'605'017.-. L‘AFC a procédé à une reprise en réintégrant un montant de CHF 4'824'645.- au titre de « capital propre dissimulé » dans le capital imposable. Le calcul a été effectué au moyen de la formule intercalaire D intitulée « détermination du capital propre dissimulé et des intérêts non admis sur les dettes envers les actionnaires ». La somme du dividende prévu de CHF 60'000'000.- a été ajoutée au montant des dettes envers les sociétés du groupe.

7. Le 6 mai 2003, la société a déposé une réclamation contre la taxation par l’intermédiaire de sa fiduciaire. Elle a fait valoir que la distribution d’un dividende ne pouvait pas être assimilée à une dette envers l’actionnaire, de sorte que c’était à tort que l’AFC avait admis l’existence d’un capital propre dissimulé.

8. Par décision du 17 juin 2003, l’AFC a maintenu sa taxation. Une nouvelle formule intercalaire D fondée sur le dividende de CHF 45'000'000.- finalement versé a été remise à la contribuable, mais il n’en découlait aucune incidence sur le calcul du montant final du capital propre dissimulé.

9. Le 9 juillet 2003, la société a interjeté recours contre la décision de l’AFC auprès de la commission cantonale de recours en matière d’impôts (ci-après : la commission) en reprenant les arguments déjà développés dans sa réclamation.

10. Par décision du 22 novembre 2004, la commission a admis le recours de la société sans toutefois en admettre les motifs.

Le capital propre imposable au sens de l’article 30 de la loi sur l'imposition des personnes morales du 23 septembre 1994 (LIPM - D 3 15) était le capital et les réserves de la société après affectation du résultat de l’exercice sous contrôle. Le dividende ne devenait une dette à l’égard des actionnaires qu’au moment de son échéance. Toutefois, si l’on établissait un bilan au 31 décembre 2001, après une répartition du bénéfice, le dividende à payer de CHF 45'000'000.- était une dette de la société envers ses actionnaires. En corollaire, pour le calcul de l’endettement fiscal admissible, il fallait également se placer après la décision de l’assemblée générale et considérer que la société devait avoir dans son bilan les actifs qui lui permettaient de verser le dividende. Il fallait considérer que l’actif du bilan, après répartition du bénéfice, comportait, à hauteur du dividende à payer, des postes qui pouvaient être financés à 100 % par des fonds étrangers. Sur cette base, la commission a procédé à un nouveau calcul de l’endettement, pour parvenir à la conclusion qu’il n’y avait pas de capital propre dissimulé.

11. Le 21 décembre 2004, l’AFC a recouru contre la décision de la commission en concluant à son annulation et à la confirmation de sa propre décision du 17 juin 2003.

La commission avait erré dans la détermination de l’existence d’un capital propre dissimulé en considérant que la distribution de dividende devait se faire nécessairement sous la forme d’un versement en espèces. Ceci avait pour conséquence une requalification arbitraire des actifs, vidant ainsi de leur sens les règles relatives à la sous-capitalisation. L’endettement admis devait être corrigé de 15 %, correspondant à des actifs liquides à moyen terme selon le bilan, et non à des liquidités immédiates pour aboutir à un endettement admissible de CHF 155'583'456.-, à un capital dissimulé de CHF 4'824'645.- et ainsi à un capital propre global de CHF 28'605'017.- comme retenu dans sa décision rendue le 17 juin 2003.

12. Le 31 janvier 2005, la fiduciaire a répondu au recours en concluant à son rejet.

Sans admettre le raisonnement de la commission, la mandataire de la société arrivait aux même conclusions, soit l’absence de capital propre dissimulé. Elle maintenait que le dividende à distribuer ne pouvait être qualifié de fonds étrangers au 31 décembre 2001 mais, à titre subsidiaire, elle admettait le calcul de la commission concernant l’endettement fiscalement admissible en raison de la distribution en espèce du dividende issu de l’exercice 2001. Encore plus subsidiairement, si le dividende était qualifié de dette envers l’actionnaire, l’absence de sous-capitalisation pouvait être démontrée par la prise en compte des valeurs vénales des actifs : l’endettement admis étant alors de CHF 164'083'457.- et les supposés fonds étrangers de CHF 160'408'101.- (soit CHF 115'408'101.- de fonds étrangers selon comptes statutaires plus CHF 45'000'000.- de dividende), il n’y avait ainsi aucun capital dissimulé au 31 décembre 2001.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A al. 3 de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 53 alinéa 1 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc – D 3 17).

2. a. Le capital propre imposable des sociétés de capitaux et des sociétés coopératives comprend le capital-actions et le capital-participation ou le capital social libéré, les réserves ouvertes et les réserves latentes constituées au moyen de bénéfices imposés (art. 28 LIPM).

b. L’article 30 LIPM, intitulé capital propre dissimulé, en vigueur depuis le 1er janvier 1996, prévoit que le capital propre imposable des sociétés de capitaux et des sociétés coopératives est augmenté de la part de leurs fonds étrangers qui est économiquement assimilable au capital propre.

Cet article a été adopté par le législateur genevois, suite à des modifications du 7 octobre 1994 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (RS 642.11 - LIFD - art. 75, aujourd’hui abrogé) et de la loi fédérale d’harmonisation des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (RS 642.14 – LHID - art. 29 al. 3). Ces dispositions traitent du mode de détermination du capital propre dissimulé, appelé aussi sous-capitalisation. Ces notions avaient été forgées antérieurement par la pratique des autorités de taxation et la jurisprudence du Tribunal fédéral, mais étaient limitées aux cas d’évasions fiscales. Néanmoins, la jurisprudence du Tribunal fédéral rendue antérieurement garde toute sa pertinence hormis les questions liées à l’évasion.

Seuls les fonds qui proviennent directement ou indirectement des détenteurs de parts ou de personnes qui leur sont proches peuvent constituer du capital propre dissimulé. Le critère permettant de définir si l’on est en présence d’un financement étranger authentique est celui de savoir si un tiers indépendant aurait exposé des fonds aux mêmes risques que le créancier-actionnaire (MGC 1995/IV p. 4185). Autrement dit, il s’agit par ces normes de vérifier si les dettes de la société correspondent à sa capacité d’emprunt (ATF 102 Ib 151 consid. 5 p. 151). Dans la mesure où les dettes figurant au bilan sont supérieures aux fonds étrangers admissibles, il faut admettre l’existence de capital propre dissimulé.

b. Sur la base de l’article 30 LIPM, l’AFC a édité une directive (Information no 6/97 du 9 octobre 1997 – ci-après : la directive de l’AFC) qui reprend le texte de celle élaborée par l’administration fédérale des contributions (circulaire no 6 du 6 juin 1997). L’AFC a également établi un formulaire (intercalaire D) reprenant les bases du calcul figurant dans la directive et servant à déterminer le capital propre dissimulé.

Dans sa directive, l’AFC fixe pour chaque poste des actifs un taux indiquant la limite maximale admissible de fonds étrangers. Ainsi, notamment, les « liquidités » peuvent être financées intégralement par des fonds étrangers (100 %) ; les « créances pour livraisons et prestations » de même que les « autres créances » à 85 %.

3. En l’espèce, trois éléments du calcul du capital dissimulé sont litigieux : la qualification de dette, s’agissant du dividende à verser aux actionnaires; le taux applicable à l’actif servant à couvrir le dividende ; la prise en compte des actifs à leur valeur comptable ou vénale.

4. Il convient d’examiner tout d’abord la qualification du dividende dans le cadre du calcul de l’endettement admissible.

L’assemblée générale d’une société anonyme détermine librement l’emploi du bénéfice résultant du bilan et des réserves constituées en vue d’une distribution (J.-M. RIVIER, La fiscalité de l’entreprise, Lausanne 1994, p. 264). Tout actionnaire a droit à une part du bénéfice résultant du bilan, pour autant que les règles légales et statutaires aient été respectées (art. 660 al. 1 CO). Par conséquent, le dividende tel que fixé par l’assemblée générale doit être considéré comme dette de la société à l’égard de ses actionnaires sur le plan fiscal dans le cadre de la détermination de l’existence d’un capital dissimulé, comme l’ont retenu à juste titre tant l’AFC que la commission. Il faut relever que cette qualification a également pour conséquence bénéfique pour la société de réduire l’importance des fonds propres imposables. Il n’est dès lors pas possible d’exclure totalement le dividende de la répartition des passifs entre fonds propres imposables et fonds étrangers, comme souhaiterait le faire la contribuable.

Par conséquent, le montant de CHF 45'000’000.- correspondant au dividende doit être pris en compte au titre de créance envers les actionnaires dans l’établissement de l’endettement fiscalement admissible de la société, comme l’ont fait à juste titre l’AFC et la commission dans leur décision.

5. Les parties divergent également sur le point de savoir s’il faut considérer que l’actif du bilan, après répartition du bénéfice, comporte - à hauteur du dividende à payer – des postes qui peuvent être financés à 100 % par des fonds étrangers, comme l’a fait la commission en requalifiant une partie des actifs.

Le bilan commercial est déterminant en droit fiscal. Selon une jurisprudence constante, les comptes établis conformément aux règles du droit commercial lient les autorités fiscales, à moins que le droit fiscal ne prévoie des règles correctrices spécifiques (Arrêt du Tribunal fédéral 2P.184/2003 du 21 juin 2004, consid. 2.2 et les citations ; X. OBERSON, Droit fiscal suisse, 2ème éd., Bâle 2002, p. 181). Il n’est dès lors pas possible de requalifier des postes d’actifs en considérant – contrairement à ce qui figure au bilan - que la société doit avoir dans son bilan des liquidités immédiates lui permettant de verser le dividende en espèces, alors que CHF 44'581'312.- sur les CHF 45'000'000.- du dividende ne sont couverts que par des actifs liquides à moyen terme et non par des liquidités immédiates. Cette requalification apparaît également comme non fondée car, d’une part, le dividende peut ne pas être versé en espèces (J.-M. RIVIER, op. cit., p. 264) et, d’autre part, il n’y a aucune priorité de couverture par l’un ou l’autre des actifs du dividende à distribuer. Par ailleurs, il n’existe pas non plus de justification permettant de s’écarter des taux fixés par la directive de l’AFC, applicable aux actifs pris en compte dans le calcul de l’endettement admissible.

Il résulte de ce qui précède que la requalification d’une partie du poste « créances pour livraisons et prestations » en « créances nécessaires au paiement du dividende » pouvant être financé à 100 % par des fonds étrangers telle que faite par la commission ne peut être confirmée. La décision de la commission devra dès lors être annulée sur ce point.

6. Il s’agit finalement de déterminer quelle valeur du stock doit être prise en compte dans le calcul de l’endettement admissible. Selon la doctrine et la jurisprudence, la détermination des fonds qui pourront être économiquement assimilables à du capital propre doit se faire à partir de la valeur vénale des actifs à la fin de la période fiscale et non à partir de leur valeur comptable, puisque les réserves latentes représentent des fonds propres (ATF 102 Ib 151 consid. 6 p. 162 ss ; 103 Ia 537 consid. 3 p. 539; W. RYSER et B. ROLLI, Précis de droit fiscal suisse, Berne 2002, p. 275 ; X. OBERSON, op. cit., p. 214 ; E. HOEHN, R. WALDBURGER, Steuerrecht, Band I, Berne 2001, p. 493 ; J.-M. RIVIER, op. cit., p. 157 ; N. BURKI, Das verdeckte Eigenkapital im schweizerischen Steurerrecht, Berne 1984). La prise en compte de la valeur vénale des actifs est d’ailleurs aussi expressément prévue dans la directive de l’AFC.

Les règles applicables au bilan des sociétés anonymes exigent de faire figurer au bilan la valeur minimale du stock à déterminer entre le prix d’acquisition, le coût de revient et le « prix généralement pratiqué sur le marché à la date du bilan », soit la valeur dite vénale ou marchande (art. 666 CO). En outre, un abattement de 33,33 %, sans justification, est admis fiscalement pour ce poste (P. MONTAVON, Droit suisse de la SA, 3ème éd., Lausanne 2004, p. 267). Ainsi, la valeur comptable du stock est susceptible de différer de la valeur vénale et cette dernière ne figurera pas au bilan si elle est supérieure aux autres valeurs.

En l’espèce, la contribuable a fait figurer dans sa déclaration pour l’impôt 2001, sous la rubrique n° 67.20 « indications sur l’estimation du stock de marchandises », un montant de CHF 20'889'434.- pour la « valeur comptable » du stock et un montant de CHF 30'880'434.- à la rubrique n° 67.10 « prix d’acquisition ou de revient ou valeur marchande, si elle est inférieure », procédant ainsi à un abattement de 32,38 % sur une valeur qu’elle affirme être la valeur vénale. Or, ni l’AFC ni la commission n’ont pris en compte cette valeur supérieure du stock dans leur calcul de l’endettement admissible. En outre, la teneur des décisions ne permet pas de connaître les motifs qui ont amené l’AFC et la commission à écarter cette valeur, contrairement à la directive applicable. Par conséquent, la décision de l’AFC ne pourra être confirmée.

Le dossier sera renvoyé à l’AFC afin qu’elle détermine l’éventuel capital propre dissimulé en tenant compte de la valeur vénale du stock.

7. Le recours sera partiellement admis et le dossier renvoyé à l’AFC pour nouvelle taxation dans le sens de ce qui précède.

Vu la qualité de la recourante, aucun émolument ne sera perçu et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée. L’intimée n’a pas droit à une indemnité de procédure, faute d’y avoir conclu (art. 87 LPA).

* * * * *

 

 

 

 

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 21 décembre 2004 par l’administration fiscale cantonale contre la décision de la commission cantonale de recours en matière d'impôts du 22 novembre 2004 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

renvoie le dossier à l’administration fiscale cantonale pour nouvelle décision au sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d’indemnité ;

communique le présent arrêt à l’administration fiscale cantonale, à la commission cantonale de recours en matière d'impôts et à PricewaterhouseCoopers S.A., mandataire d’U__________S.A.

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Bovy, Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :