Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1120/2012

ATA/127/2013 du 26.02.2013 ( AIDSO ) , REJETE

Descripteurs : ; ACTIVITÉ LUCRATIVE INDÉPENDANTE ; PRESTATION D'ASSISTANCE ; ASSISTANCE PUBLIQUE ; DEVOIR DE COLLABORER ; OBLIGATION DE RENSEIGNER ; PRESTATION(SENS GÉNÉRAL) ; RESTITUTION(EN GÉNÉRAL) ; PRINCIPE DE LA BONNE FOI ; DROIT TRANSITOIRE
Normes : LIASI.33.al1 ; LIASI.11.al4.letd ; RIASI.16.al1 ; RIASI.16.al2 ; LIASI.36.al1 ; LIASI.36.al2 ; LIASI.36.al3 ; LIASI.36.al5 ; LIASI.60.al9
Résumé : Le bénéficiaire de l'aide sociale a l'obligation de renseigner l'hospice. Lorsqu'il cache le fait d'avoir poursuivi son activité indépendante tout en percevant simultanément des prestations d'aide sociale, il est de mauvaise foi et doit restituer l'intégralité des prestations, considérées comme ayant été perçues indûment. L'indépendant n'a droit qu'à une aide limitée de l'hospice.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1120/2012-AIDSO ATA/127/2013

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 février 2013

2ème section

 

dans la cause

 

Madame A______et Monsieur E______
représentés par Me Sarah Braunschmidt, avocate

contre

HOSPICE GÉNÉRAL



EN FAIT

1.1) Monsieur E______, né le ______1953 à Tripoli et arrivé en Suisse en 1973, est de nationalité suisse et libyenne. Il est marié depuis le 28 juillet 2004 avec Madame A______, née le ______1969, de nationalité libyenne, au bénéfice d’un permis de séjour, de type B, délivré par l’office cantonal de la population. Ils ont eu trois enfants, N______ le ______2005, O______ le ______2007 et P______ le ______2009, tous nés à Genève. Tous résident à Chêne-Bougeries.

2.2) Selon l’extrait du registre du commerce de Genève, M. E______ a exploité en raison individuelle l’entreprise « Service - E______ », ceci du 5 septembre 1994 jusqu’au 14 mars 2006, date à laquelle elle a été radiée du registre du commerce.

3.3) Le 6 décembre 2005, M. E______ a demandé une aide financière à l’hospice général (ci-après : l’hospice). Sa femme et lui avaient la capacité d’exercer une activité lucrative à 100 %. Ils disposaient d’un compte postal Y______ et d’un compte bancaire Z______ auprès de la Banque cantonale de Genève (ci-après : BCGe), tous deux au nom de M. E______. Le couple percevait des allocations familiales versées par la caisse cantonale genevoise de compensation et avait demandé une aide financière à l’office cantonal du logement (ci-après : OCL). Son loyer se montait à CHF 1’462.- par mois. Ils avaient contracté une assurance-maladie et avaient des poursuites pour un montant total de CHF 2’910.-.

M. E______ a signé le document intitulé « Mon engagement en demandant une aide financière de l’Hospice général ». Par là, il attestait avoir pris connaissance du document intitulé « Ce que vous devez savoir en demandant une aide financière à l’Hospice général », document qui reprenait les obligations de la loi sur l’aide sociale individuelle du 22 mars 2007 (LASI - J 4 04), dénommée depuis le 1er février 2012 loi sur l’insertion et l’aide sociale individuelle du 22 mars 2007 (LIASI - J 4 04). Il avait pris connaissance de l’obligation qui lui incombait d’informer immédiatement l’hospice de « tout fait nouveau de nature à entraîner la modification du montant des prestations d’aide » et de ce que toute violation de la loi ou dudit engagement pouvait entraîner une réduction, voire une suppression, des prestations d’aide financière.

4.4) M. E______ et son épouse (ci-après : les bénéficiaires ou les recourants) ont perçu une aide financière de l’hospice depuis le 1er décembre 2005.

5.5) Le 20 avril 2010, ils ont rempli et signé un nouveau formulaire de demande de prestations d’aide financière. Ni l’un, ni l’autre n’exerçaient d’activité lucrative. Ils percevaient des allocations familiales, une aide de l’OCL, ainsi que le revenu minimum d’aide sociale (RMCAS). Outre les deux comptes postal et bancaire précités, ils avaient déclaré un compte postal supplémentaire, n° Y2______, au nom de Mme A______.

6) Le 13 décembre 2010, un collaborateur de l’hospice a établi un rapport d’enquête sur la situation de la famille E______.

Les passeports présentés par les membres de la famille, suisses pour M. E______ et pour ses trois enfants, et libyen pour son épouse, présentaient des tampons de douane mettant en évidence qu’ils avaient effectué des voyages en Libye chaque année entre 2005 et 2010. Le passeport de Mme A______ comportait notamment 11 tampons apposés par la douane en 2006, 8 en 2007, 6 en 2008, 6 en 2009 et 9 en 2010. Selon M. E______, les voyages en Libye étaient effectués en accord avec l’assistante sociale et payés avec l’argent économisé sur celui perçu de l’hospice.

Le montant du loyer mensuel de leur appartement de quatre pièces situé au ______, chemin de H______ à Chêne-Bougerie s’élevait à CHF 1’588.-, charges comprises, et celui du parking à CHF 80.-. Les époux étaient tous les deux titulaires du bail et la régie attestait que les loyers avaient été acquittés. M. E______ avait été aussi titulaire du bail d’un logement au ______, rue de B______ à Genève jusqu’au 31 août 2010. Le 28 août 2010, le nom de M. E______ figurait sur la boîte aux lettres. Selon l’intéressé, cet appartement avait été sous-loué à un ami sans aucun bénéfice. La régie avait confirmé la résiliation du bail en question.

En date du 12 août 2010, le nom du pressing qu’avait exploité M. E______ figurait sur la boîte aux lettres de l’appartement à Chêne-Bougeries. Or, selon l’extrait du registre du commerce, cette société avait été radiée le 14 mars 2006.

L’intéressé déclarait être apte à travailler. Il avait dû cesser l’activité de sa raison individuelle faute de clients. Toutefois, il avait continué une sorte de « service après-vente ». Il intervenait pour réparer des machines dans des pressings et ne facturait que les pièces. Selon l’intéressé, il ne se faisait pas payer comme réparateur. Il s’agissait d’une petite activité pour « ne pas perdre la main » mais il ne pouvait pas en vivre, ni faire vivre sa famille. L’invitation de l’hospice à produire une comptabilité précise de ses activités était restée sans suite.

La société Z______ & Cie S.A. avait attesté, par courrier du 10 novembre 2010 adressé à l’hospice, avoir travaillé régulièrement avec M. E______ depuis 2007. La société X______ S.A. avait affirmé, par fax envoyé le 10 novembre 2010 à l’hospice, avoir conclu avec M. E______ un contrat de mécanicien à durée déterminée du 1er décembre 2004 au 20 mars 2005 et du 29 mai au 31 août 2006.

Mme A______, couturière de profession, faisait de la couture uniquement pour elle-même et pour sa famille, sans percevoir de rémunération. L’office cantonal de l’emploi n’avait pas pu la placer sur le marché du travail. Son passeport comptait 39 tampons d’entrée à Tripoli attestant de voyages en Libye, entrepris entre le 13 novembre 2005 et le 23 août 2010.

Les bénéficiaires percevaient des allocations familiales, ainsi qu’une allocation pour famille nombreuse de CHF 100.- par mois depuis le 1er décembre 2007. Ils recevaient aussi une allocation mensuelle de logement de CHF 333,35 pour leur appartement à Chêne-Bougeries.

M. E______ avait payé des cotisations AVS pour un total de CHF 63’751.- entre janvier 2005 et décembre 2009, parfois en tant que personne sans activité lucrative et parfois pour ses revenus provenant de Z______ & Cie S.A. et de X______ S.A. Mme A______avait également versé des cotisations AVS pour un total de CHF 8’961.- entre janvier 2008 et décembre 2009 en tant que personne sans activité lucrative.

Les revenus imposables de M. E______ s’élevaient à CHF 8’800.- pour 2008 et à CHF 11’700.- pour 2009.

M. E______ avait informé l’enquêteur de l’hospice des mouvements intervenus sur ses comptes. Il effectuait des achats de pièces en Italie chez Monsieur M______ et les payait par le débit de son compte à la BCGe Z______. Par ailleurs, il avait prêté ce même compte à Monsieur B______ pour que ce dernier puisse y déposer en espèces de l’argent lui appartenant et l’envoyer au Maroc. Sur ledit compte, le service d’enquête de l’hospice avait relevé diverses opérations liées à l’ancienne activité indépendante de M. E______ entre le 30 janvier 2007 et le 1er septembre 2010. Au total, le détenteur avait perçu les montants suivants : CHF 8’566,20 pour 2007 ; CHF 2’003,15 pour 2008 ; CHF 3’817,29 pour 2009 ; et CHF 340.- pour 2010.

M. E______ était également le détenteur du compte U1______ ouvert à la BCGe, qui n’avait pas été déclaré à l’hospice. Il ressortait de l’analyse des écritures des deux comptes à la BCGe que les clients de M. E______ effectuaient des versements sur le premier compte BCGe Z______, connu de l’hospice, et sur le compte BCGe U1______, non déclaré à l’hospice. Au total, M. E______ avait reçu sur le compte non déclaré, ceci en lien avec son activité indépendante, CHF 6’001,89 pour 2008 ; CHF 598,62 pour 2009 et CHF 1’991,81 pour 2010.

Les rentrées liées au « service après-vente » versées sur les deux comptes de M. E______ de janvier 2007 à décembre 2010 s’étaient élevées à CHF 23’318,96.

Par ailleurs, M. E______ avait vendu des titres en date du 5 février 2007 pour un montant global de CHF 9’234,30, dont le produit de la vente avait été crédité sur le compte non déclaré susmentionné. Il avait également remboursé un crédit en faveur de F______, aux États-Unis, pour un montant de CHF 27’292,27, viré le 21 février 2008. Selon M. E______, cette opération concernait M. B______, sans toutefois en apporter la preuve à l’enquêteur.

Le 30 avril 2008, M. E______ avait effectué un virement en faveur d'I______ Spain de EUR 2’216,70, soit une contre-valeur de CHF 3’613,22, pour de la société C______ S.R.L. M. E______ était aussi le bénéficiaire d’une assurance-vie auprès de la Zurich Assurances. La police d’assurance venait à échéance le 31 décembre 2017 et le preneur avait été libéré du service des primes depuis le 1er mars 1996. Le capital assuré était de CHF 4’749.- et la valeur de rachat de CHF 3’868,90. Les époux possédaient un véhicule Chrysler voyager 2.4 Big Deal, année 1997, immatriculé le 3 août 2010, valant selon l’argus environ CHF 1’500.-. D’après le registre de l’office cantonal des automobiles et de la navigation, devenu l’office cantonal des véhicules, le titulaire du véhicule était la « société E______ ».

7.7) Le 2 février 2011, Madame W______, l’une des collaboratrices de l’hospice, a convoqué M. E______ et Mme A______au sujet du rapport précité et les a informés, au cours de l’entretien, que l’hospice entendait leur demander le remboursement des montants qu’ils avaient perçus indûment.

8.8) Le 18 mars 2011, l’hospice a notifié aux deux époux une décision leur demandant la restitution de CHF 208’058,85 perçus indûment pour la période du 1er décembre 2005 au 31 décembre 2010.

Le bénéficiaire était tenu de fournir les renseignements nécessaires pour établir son droit et fixer le montant des prestations financières concernant l’aide sociale, celle-ci étant subsidiaire à toute autre source de revenu. Le montant total de ses gains, estimé à CHF 84’312,67, ce montant n’avait pas pu être pris en compte dans le calcul du droit à une prestation financière du 14 mars 2006 au 8 juin 2010. Les CHF 84’312,67 se composaient de revenus de l’activité de « service après-vente » à raison de CHF 75’078,37, ainsi que de revenus provenant de la vente de titres pour un montant de CHF 9’234,30. La somme de CHF 48’092.- déposée sur le compte de M. E______ par M. B______ devait être considérée comme la propriété du premier et aurait aussi dû être prise en compte dans le calcul du montant des prestations pour la période du 1er novembre 2008 au 8 octobre 2010. L’absence très fréquente de Genève de Mme A______et de ses trois enfants justifiait également le remboursement des prestations financières réclamées.

9.9) Par décision du 18 mars 2011, l’hospice a réduit les prestations au barème de l’aide exceptionnelle du 1er février au 31 juillet 2011. Cette décision n’a pas fait l’objet d’un recours.

10.10) Le 11 avril 2011, M. E______ a fait opposition à la première décision de demande de restitution de CHF 208’058,85. Il avait omis de fournir les renseignements nécessaires à la fixation de son droit aux prestations financières. Il n’avait toutefois pas eu de copie du document intitulé « mon engagement » et n’avait pu en prendre à nouveau connaissance que le 20 avril 2010. Il n’avait donc pas eu conscience de ses omissions et les avait commises par négligence. Lors de l’entretien à l’hospice le 2 février 2011, il avait accepté une réduction des prestations financières pour la période du 1er février au 31 juillet 2011 pour rembourser l’argent perçu en trop et demandait à l’hospice de prendre en considération sa situation familiale et financière. Arrivé en Suisse en 1973, il avait pu travailler comme salarié, puis comme indépendant dans le domaine du pressing. Il n’avait jusqu’alors jamais fait appel à une aide financière. Le couple avait trois enfants, de six ans, quatre ans et quinze mois. M. E______ avait cessé son activité d’indépendant le 14 mars 2006 et éprouvait encore des difficultés à trouver du travail. Son épouse ne travaillait pas. Suite à la réduction des prestations, leurs revenus se composaient de l’aide de l’hospice de CHF 2’500.- par mois pendant six mois et d’une allocation mensuelle de l’OCL de CHF 333.-. Leur loyer mensuel était de CHF 1’588.-. Ils étaient donc réellement dans le besoin.

La restitution d’un montant de CHF 208’058,85 était exagérée par rapport à leur situation financière et injustifiée. Il avait déjà accepté une diminution des prestations afin de rembourser le montant perçu à tort, qu’il évaluait à CHF 30’000.-. Il était tenu par contrat de répondre aux besoins des personnes auxquelles il avait vendu des machines. Certes, il aurait dû adresser ses anciens clients à des tiers. Cependant, il avait dépanné à de rares occasions des anciens clients en cas d’urgence. L’argent qui avait transité sur son compte était destiné à l’achat de pièces détachées auprès des fournisseurs. Ces montants ne constituaient pas des revenus. Quant à la vente de titres pour un montant de CHF 9’234,30, il s’agissait de son 2ème pilier, qui lui avait permis de s’acquitter de ses dettes envers l’assurance-maladie.

S’agissant des CHF 48’092.- déposés par M. B______ sur son propre compte, l’hospice possédait une attestation signée par cette personne, datée du 23 octobre 2010 et mentionnant que les fonds appartenaient bien à ce dernier. Il ne voyait pas la nécessité d’annoncer des fonds qui n’étaient pas les siens. Il n’avait retiré aucun bénéfice de la situation puisque, dès le dépôt de la somme sur son compte, une demande de virement avait été effectuée. Sa situation financière n’en avait pas été modifiée.

11.11) Par décision du 29 février 2012, l’hospice a rejeté l’opposition du 11 avril 2011 relative à la demande de restitution de CHF 208'058,85. M. E______ avait tu certains éléments financiers importants, tels son activité indépendante, l’existence de son assurance-vie et le montant du produit de la vente de ses titres. Il avait aussi caché un compte épargne utile à son activité indépendante et le transit d’importantes sommes d’argent sur son compte courant. L’attestation de M. B______ sur ce dernier point du 23 octobre 2010 ne mentionnait d’ailleurs que le virement de CHF 10’000.- sur un compte au Maroc, sans autre explication. Le bénéficiaire avait perçu des prestations d’aide sociale ordinaire auxquelles il ne pouvait prétendre, puisque l’hospice n’intervenait pas financièrement en faveur des indépendants, sous réserve d’une aide exceptionnelle d’une durée maximale de trois mois, aide dont M. E______ avait déjà pu bénéficier à la fin 2005. La demande de remboursement était donc justifiée.

M. E______ affirmait que ses revenus non déclarés s’élevaient à CHF 30’000.- mais n’en apportait pas la preuve. Par exemple, il ressortait des documents fournis à l’enquêteur de l’hospice que le G______, propriété de Z______ & Cie S.A., faisait aussi partie de la clientèle de l’intéressé, ce qui ne résultait pas des extraits de compte. Certains clients de M. E______ s’acquittaient certainement de leurs factures en espèces sans que les sommes ne transitent par les comptes bancaires ou postaux. Les revenus évalués par l’intéressé étaient peu élevés compte tenu des montants qui transitaient sur ses comptes, des provenances diverses des fonds (vente de titres, produit d’activité indépendante, etc.), ainsi que du financement de nombreux voyages en Libye. Dans ces circonstances, la demande de remboursement devait être confirmée. Toutefois, l’enquête n’avait pas permis d’établir avec une certitude suffisante que M. E______ avait perçu des revenus d’une activité indépendante de fin 2005 à 2006. Il convenait donc de ne lui réclamer que le remboursement des prestations versées de janvier 2007 à décembre 2010, correspondant à CHF 180’071,70.

12.12) Par acte déposé le 16 avril 2012, les époux ont recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision sur opposition de l’hospice du 29 février 2012, concluant à son annulation et à ce qu’ils ne soient condamnés qu’au seul remboursement de CHF 30’000.-.

Les montants crédités sur le compte de M. E______ étaient immédiatement débités et versés sur un compte au nom de M. B______. Ils ne s’étaient donc pas enrichis. Concernant le deuxième bail à loyer, la location était acquittée directement par les sous-locataires et aucun bénéfice n’avait été réalisé de ce fait. Partant, leur situation financière n’en avait pas été modifiée. Il ne pouvait donc leur être reproché d’avoir omis d’annoncer ce fait à l’hospice. Enfin, les revenus de l’activité indépendante réalisés entre 2007 et 2010 se montaient à CHF 30’000.-, toutefois sans en apporter la preuve, et ne donnaient pas lieu à la restitution de l’intégralité des prestations perçues.

Les besoins de la famille, réduits au minima légal, se montaient à CHF 4’200.- par mois, soit CHF 151’200.- sur trois ans. Les montants non déclarés correspondaient à peine à 20 % des desdits besoins minimaux et les recourants avaient déjà accepté une sanction de réduction de leurs prestations. Il était donc justifié de ne les condamner qu’au seul remboursement de CHF 30’000.-.

13.13) L’hospice a fait part de ses observations le 31 mai 2012. Selon le rapport d’enquête, les recourants n’avaient pas respecté leur obligation de l’informer sur de nombreux points, soit le fait d’être les locataires de deux appartements, d’exercer une activité lucrative indépendante et de posséder un compte bancaire non déclaré servant aux paiements des clients. En outre, les gains crédités sur les comptes de M. E______ en lien avec son activité indépendante s’élevaient au total à CHF 23’318,90. Les recourants avaient ainsi perçu indûment des prestations de janvier 2007 à décembre 2010.

Peu importait le montant des revenus réalisés par M. E______ par le biais de cette activité, cela n’avait aucune incidence sur le montant du remboursement. En effet, il avait continué à exercer une activité indépendante et l’hospice n’intervenait pas en faveur des personnes ayant un statut d’indépendant. Le remboursement de l’intégralité des prestations versées durant la période où il avait exercé une activité indépendante était donc justifié.

14.14) Le 15 octobre 2012, le juge délégué a tenu une audience de comparution personnelle des parties.

a. M. E______, après avoir mis fin à son activité d’indépendant, avait accepté d’effectuer quelques réparations à la demande de ses clients. Il n’en avait pas eu d’autres que ceux dont les noms figuraient dans le rapport. Tous ses clients l’avaient payé sur son compte bancaire. Il avait laissé un ami, M. B______, utiliser son compte. Le transfert de CHF 27’279.- aux États-Unis le 12 février 2008 concernait un autre ami, Monsieur C______ et sa femme, Madame H______ Ces derniers voulaient acheter des actions aux États-Unis. M. C______ ne pouvait pas envoyer de grosses sommes d’argent depuis son compte personnel, raison pour laquelle il avait transféré des fonds par son intermédiaire.

Il n’avait jamais eu de local commercial.

Il se rendait deux fois par an en Libye. A chaque fois qu’il passait la frontière, un tampon d’entrée était apposé sur son passeport. Un billet d’avion pour Tripoli coûtait entre CHF 600.- et CHF 700.- et les enfants n’en payaient que le 10 %. D’après M. E______, les voyages avaient été autorisés par l’hospice.

b. Mme A______se rendait en Libye avec ses enfants deux fois par année, en été et à Noël. Elle ne pouvait fournir aucune explication concernant le nombre de tampons d’entrée en Lybie figurant dans son passeport, attestant un plus grand nombre de voyages que ceux qu’elle admettait avoir effectués.

c. Selon la représentante de l’hospice, le montant réclamé aux recourants était de CHF 180’071,70.-. Le compte BCGe U2______ n’avait pas été annoncé. Si M. E______ avait déclaré l’activité indépendante exercée entre 2007 et 2010, l’hospice n’aurait versé aucune prestation d’assistance. Il lui avait été expliqué que, soit il continuait son activité d’indépendant et l’hospice arrêtait de lui verser des prestations, soit il y mettait fin et l’hospice maintenait ses paiements. M. E______ avait alors choisi d’arrêter son activité et de radier sa raison individuelle du registre du commerce.

15.15) Le 12 novembre 2012, l’hospice a transmis des observations et persisté dans ses conclusions. D’après les déclarations faites à l’entretien par M. E______, la somme de CHF 27’279.- qui avait transité le 12 février 2008 sur le compte BCGe U1______ appartenait à M. B______. Cependant, lors de l’audience de comparution personnelle des parties du 15 octobre 2012, il avait indiqué que cette transaction concernait M. C______ et Mme H______. Ces explications contradictoires ne permettaient pas de connaître l’origine des fonds ayant transité au mois de février 2008 sur ledit compte, et ils étaient présumés lui appartenir. Peu importait le nombre exact de voyages en Libye, ils démontraient que le recourant avait bénéficié d’autres ressources financières que celles versées l’hospice de janvier 2007 à décembre 2010.

3.16) Le 14 novembre 2012, les recourants ont répliqué. Les revenus effectifs de M. E______, calculés sur la base des chiffres retenus dans le rapport d’enquête établi par l’hospice, étaient les suivants :

2007

CHF 8’566,20

sur le compte de BCGe Z______

 

- CHF 4’710,90

de pièces détachées acquittées à des tiers

Total

CHF 3’855,10

[recte : CHF 3’855,30]

 

 

 

2008

CHF 2’003,15

sur le compte BCGe Z______

 

+ CHF5’091,00

sur le compte BCGe U1______ (sous déduction
du virement sur propre compte en CHF 1’000.- ne ressortissant pas de tiers)

 

- CHF 4’044,00

de pièces acquittées à des tiers

Total

CHF 3’050,00

[recte : CHF 3’050,15]

 

 

 

2009

CHF 3’817,29

sur le compte BCGe Z______

 

+ CHF 598,00

sur le compte BCGe U1______

 

- CHF 705,00

de pièces payées à des tiers

Total

CHF 3’710,00

[recte : CHF 3’710,29]

 

 

 

2010

CHF 340,00

sur le compte BCGe Z______ (sous déduction du
versement sur propre compte de CHF 200.- ne
ressortissant pas de tiers)

 

+ CHF 1’991,00

sur le compte BCGE U1______

Total

CHF 2’131,00

[recte : CHF 2’331,00]

 

Ses revenus réels pour les années 2007 à 2010 s’étaient élevés en moyenne à moins de CHF 3’200.- [recte : moyenne de CHF 3’236,64] par an. Les CHF 30’000.- non déclarés correspondaient aux montants totaux versés par des tiers soit environ CHF 23’000.- correspondant à son activité indépendante et aux revenus réalisés par la vente des titres en 2007 pour un montant d’environ CHF 9’000.-. Il s’agissait de revenus bruts, dans la mesure où il avait dû payer des pièces acquises auprès de tiers. Vu la faible proportion du coût de ses interventions par rapport à celui effectif des pièces elles-mêmes, il n’avait pas pu exercer une réelle activité indépendante. Les revenus réalisés ne lui permettaient pas d’accéder à des conditions minimales d’existence. L’aide de l’hospice aurait dès lors été nécessaire pour lui permettre, ainsi qu’à sa famille, de bénéficier de conditions minimales d’existence.

En outre, la LIASI n’imposait pas que les bénéficiaires de l’aide sociale ne soient pas indépendants. Seul l’art. 16 al. 1 du règlement d’exécution de la loi sur l’insertion sociale (RIASI - J 4 04.02) prévoyait qu’une personne exerçant une activité indépendante pouvait être mise au bénéfice d’une prestation d’aide financière ordinaire pour une durée de trois mois. Or, cet article était manifestement contraire à l’art. 12 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et violait le droit à des garanties minimales d’existence. Il avait effectivement violé son obligation d’annoncer son activité de « service après-vente » et avait déjà accepté une réduction de l’aide accordée durant une période de six mois. La demande en sus de remboursement de l’intégralité des prestations était infondée.

17.17) Le 16 novembre 2012, le juge a imparti aux parties un délai au 27 novembre 2012 pour formuler toute requête complémentaire.

18.18) Le 20 novembre 2012, les recourants ont écrit au juge délégué. Les opérations du 12 février 2008 sur leur compte bancaire étaient parfaitement claires. M. E______ avait été interrogé sur un grand nombre d’éléments et il était possible qu’il ait mélangé les sommes ayant transité sur les comptes. On ne pouvait toutefois déduire de cette confusion qu’il aurait eu des ressources en sus de son activité indépendante.

19.19) Le 23 novembre 2012, l’hospice a informé la chambre administrative qu’il n’avait pas de requête complémentaire à formuler.

20.20) Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

1.1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.2) Le 16 novembre 2012, le juge a imparti un délai au 27 novembre 2012 pour permettre aux parties de formuler toute requête supplémentaire. Les recourants n’ont pas sollicité d’acte complémentaire mais ont transmis une écriture le 20 novembre 2012 concernant les observations de l’hospice datées du 12 novembre 2012. Bien que spontanée, cette réplique est recevable, conformément au droit à la réplique reconnu par la jurisprudence du Tribunal fédéral dans le cadre du droit d’être entendu (ATF 133 I 100 consid. 4.3 à 4.6 = RDAF 2008 I 481).

12.3) L’hospice a initialement rendu deux décisions, l’une concernant la restitution des prestations et l’autre concernant une réduction de prestations. Le recourant a accepté une réduction de ses prestations à CHF 2’500.- du 1er février au 31 juillet 2011. Le recours ne porte que sur la demande de restitution des prestations perçues indûment pour un montant de CHF 180’071,70. Le recourant ne conteste pas avoir perçu ce montant d’aide sociale.

4.4) Ces prestations avaient été versées entre janvier 2007 et décembre 2010. Une partie des prestations était donc régie par l’ancienne loi sur l’assistance publique du 19 septembre 1980 (aLAP - J 4 05) et l’autre partie par la LIASI. Partant, se pose la question du droit applicable.

Le 19 juin 2007, est entrée en vigueur la LIASI qui a remplacé l’aLAP. A teneur des dispositions transitoires de l’art. 60 al. 9 LIASI, cette dernière loi s’applique dès son entrée en vigueur à toutes les personnes bénéficiant de prestations prévues par l’aLAP. Dès lors, ce sont les dispositions de la LIASI qui s’appliquent à la présente cause, la teneur de l’obligation de renseigner découlant de l’art. 7 aLAP étant identique à celle de l’art. 32 LIASI. Le délai de prescription de l’action en restitution est de cinq ans à compter de la connaissance des faits (art. 23 al. 5 aLAP et 36 al. 5 LIASI).

5.5) La LIASI impose un devoir de collaboration et de renseignement. Le bénéficiaire ou son représentant légal doit immédiatement déclarer à l’hospice tout fait nouveau de nature à entraîner la modification du montant des prestations d’aide financière qui lui sont allouées ou leur suppression (art. 33 al. 1 LIASI).

6.6) La LIASI a pour but de prévenir l’exclusion sociale et d’aider les personnes qui en souffrent à se réinsérer dans un environnement social et professionnel (art. 1 al. 1 LIASI). Les prestations sont fournies sous forme d’accompagnement social, de prestations financières et d’insertion professionnelle (art. 2 LIASI). Les prestations d’aide financière sont subsidiaires à toute autre source de revenu (art. 9 al. 1 LIASI).

Les personnes majeures ayant leur domicile et leur résidence effective sur le territoire du canton de Genève qui ne sont pas en mesure de subvenir à leur entretien ou à celui des membres de leur famille dont elles ont la charge et répondent aux autres conditions de la loi ont droit à des prestations d’aide financière (art. 8 al. 1, 11 al. 1, 21 à 28 LIASI).

Par renvoi de l’art. 11 al. 4 let. d LIASI, l’art. 16 RIASI dispose qu’une personne qui exerce une activité lucrative indépendante peut être mise au bénéfice de prestations d’aide financière ordinaire (art. 16 al. 1 RIASI). L’aide financière est accordée pour une durée de trois mois. En cas d’incapacité de travail du bénéficiaire, les prestations peuvent être accordées pendant une durée maximale de six mois (art. 16 al. 2 RIASI).

7.7) Selon l’art. 36 al. 1 LIASI, est considérée comme étant perçue indûment toute prestation qui a été touchée sans droit. Elle peut faire l’objet d’une demande de remboursement. Celui-ci peut être exigé du bénéficiaire non seulement s’il a agi par négligence ou fautivement, mais également s’il n’est pas de bonne foi (art. 36 al. 2 et 3 LIASI).

8.8) De jurisprudence constante, toute prestation obtenue en violation de l’obligation de renseigner l’hospice est une prestation perçue indûment (ATA/54/2013 du 29 janvier 2013).

9.9) En l’espèce, les recourants ont manqué à leur obligation de collaborer et de renseigner l’hospice sur leur situation économique, susceptible d’entraîner la modification de leur droit à l’aide financière versée par ce dernier. M. E______, pendant qu’il percevait des prestations de l’hospice de 2007 à 2010, a notamment poursuivi son ancienne activité indépendante et n’a pas déclaré un compte épargne sur lequel des clients effectuaient des versements et par lequel des montants compris entre CHF 27’000.- et CHF 28’000.- ont transité. De plus, il a tu qu’il était titulaire de deux baux à loyer. Partant, les recourants ont perçu indûment des prestations de l’hospice pendant trois ans.

10.10) Il convient toutefois d’apprécier, au cas par cas, chaque situation pour déterminer si l’entier des prestations, ou seulement une partie de celles-ci, a été perçu indûment et peut faire l’objet d’une demande de remboursement.

11.11) Les recourants ont signé un engagement selon lequel ils devaient renseigner l’hospice sur l’évolution de leur situation financière. Ils étaient donc informés de leur obligation dans ce domaine et des conditions d’octroi d’aide de l’hospice. Or, ils ont caché intentionnellement des informations importantes sur leur situation financière. Celui-ci affirme que les revenus qu’il avait continué à percevoir étaient minimes. Toutefois, il est difficile d’admettre un tel fait en l’absence d’une comptabilité permettant de déterminer l’ampleur de ses recettes et du bénéfice qu’il a pu réaliser pendant qu’il percevait l’aide sociale. De même, les recourants sont fort peu précis au sujet de l’utilisation faite du compte bancaire dont l’existence n’a pas été déclarée à l’hospice, au travers duquel des montants importants ont transité, qui pourraient leur appartenir malgré leurs explications non détaillées. Enfin, les voyages réguliers des membres de la famille en Libye entre 2007 et 2010, plusieurs fois par année, ne peuvent avoir été financés à l’aide des seuls fonds économisés sur ceux perçus de l’hospice, ce qui permet de penser que les recourants avaient à disposition des revenus supplémentaires d’une certaine importance et d’une certaine constance.

Partant, compte tenu de l’importance des violations à leurs obligations découlant de leur devoir d’information et du flou qui subsiste au sujet de leur situation économique réelle, l’hospice était fondé à leur réclamer le remboursement de l’intégralité de l’aide perçue, soit un montant de CHF 180’071,70 pour la période allant du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2010 - dont les recourants ne contestent pas les modalités de calcul.

12) L’action en restitution se prescrit par cinq ans, à partir du jour où l’hospice a eu connaissance du fait ouvrant le droit au remboursement. Ce droit s’éteint au plus tard dix ans après la survenance dudit fait (art. 36 al. 5 LIASI).

13.13) L’hospice a pris connaissance des faits lors de l’établissement de son rapport d’enquête, daté du 13 décembre 2010. Dans la décision sur opposition du 26 février 2012, il a demandé le remboursement des sommes perçues entre le 1er janvier 2007 et le 31 décembre 2010. La demande de remboursement respecte le délai de prescription de cinq ans à compter de la connaissance des faits de l’art. 36 al. 5 LIASI.

14.14) Compte tenu de ce qui précède, le recours sera rejeté et la décision sur opposition de l’hospice confirmée.

15.15) Les recourants plaidant au bénéfice de l’assistance juridique, aucun émolument ne sera mis à leur charge malgré l’issue du litige (art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative, du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vue l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne leur sera allouée (art. 87 LPA).

 

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 avril 2012 par Madame A______et Monsieur E______ contre la décision de l’hospice général du 29 février 2012 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Sarah Braunschmidt, avocate des recourants, ainsi qu’à l’hospice général.

Siégeants : Mme Hurni, présidente, Mme Junod, M. Dumartheray, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

la présidente siégeant :

 

 

E. Hurni

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :