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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1560/2019

ATA/1267/2019 du 21.08.2019 ( FORMA ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1560/2019-FORMA ATA/1267/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 21 août 2019

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DE LA FORMATION ET DE LA JEUNESSE

 



EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1992, a suivi sa scolarité dans le canton de Genève.

Il a refait sa deuxième du collège pendant l'année scolaire 2009-2010. En juillet 2011, non promu à l'issue de sa troisième année, il a continué sa formation à l'école de culture générale B______ (ci-après : ECG) en option santé, obtenant, en juin 2012, son certificat de l'ECG option santé.

En septembre 2012, il a abandonné sa formation, commencée un mois plus tôt, en vue d'obtenir une maturité spécialisée santé.

2) Le 26 août 2013, il a entamé un apprentissage de laborantin en biologie, voie duale, à l'école des métiers de laboratoire (ci-après : EML). Il a abandonné la formation au cours de sa troisième année à la fin décembre 2015.

3) Le 29 août 2016, M. A______ a repris, auprès de l'ECG, sa formation aux fins d'obtenir une maturité spécialisée option santé. Il a abandonné cette formation le 14 novembre 2016.

4) Souhaitant continuer à suivre une formation de laborantin en biologie, il s'est inscrit aux examens d'admission de l'école supérieure de la santé (ci-après : ESS) à Lausanne.

5) Par demande du 30 janvier 2019 adressée à la direction générale de l'enseignement secondaire II (ci-après : DGES II), il a sollicité l'autorisation et la prise en charge de la formation, à plein temps, de laborantin en biologie à ladite ESS.

6) Par décision du 1er avril 2019, la DGES II a rejeté la demande au motif que la même formation était disponible à Genève au centre de formation professionnelle santé et social (ci-après : CFP).

Au vu de son parcours scolaire, il était invité à envisager l'idée de faire cette formation en dual et de consulter le site www.orientation.ch qui proposait des places d'apprentissage dans le métier qu'il souhaitait exercer.

7) Par acte expédié le 17 avril 2019 à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), M. A______ a recouru contre cette décision.

Il a exposé qu'il avait suivi, d'août 2013 à février 2016, la formation offerte par le canton de Genève. Elle n'avait pas abouti. C'était dans le but d'achever cette formation qu'il avait adressé sa demande de suivre les cours à l'ESS. Il avait d'ores et déjà passé les tests d'admission, qu'il avait réussis. Sa candidature était acceptée pour le 26 août 2019, sous réserve d'avoir obtenu l'autorisation du canton de Genève.

8) La DGES II a conclu au rejet du recours.

Dans la mesure où la formation envisagée était dispensée à Genève par le CFP, le canton de Genève pouvait refuser la prise en charge de la même formation dispensée dans un autre canton. Par ailleurs, les conventions intercantonales n'avaient pas pour but de contourner les conditions d'admission dans une école ou un délai échu.

En raison du départ de M. A______ en décembre 2015, sa formation de laborantin en biologie à l'EML à Genève n'avait pas abouti. Il était invité à chercher une place d'apprentissage et à faire une demande auprès de l'EML afin de reprendre sa formation au sein de cet établissement. Ainsi, compte tenu du fait, d'une part que le canton de Genève proposait la formation de laborantin dans une de ses écoles et que, réglementairement, le département pouvait refuser l'autorisation de fréquenter une école hors canton et, d'autre part, que
M. A______ avait déjà suivi cette formation à Genève, elle persistait dans les termes de sa décision.

9) Dans sa réplique, le recourant a précisé qu'il n'avait jamais arrêté aucune formation. Il n'avait jamais été admis à la maturité spécialisée option santé et son contrat d'apprentissage de laborantin en biologie avait été résilié suite à des problèmes relationnels alors qu'il était promu et qu'il avait validé ses deux premières années. Les entreprises formatrices dans sa profession étaient limitées à quatre sur le canton de Genève. Ayant été stigmatisé, aucune desdites entreprises formatrices n'avaient voulu l'accueillir pour terminer sa formation. Son dossier étant compromis sur le canton de Genève suite à son décrochage scolaire, il s'était orienté sur le canton de Vaud.

À la suite des écritures de la DGES II, il avait pris contact avec la responsable de l'unité de formation des apprentis à l'association genevoise pour les métiers du laboratoire (ci-après : AGEMEL) qui lui avait confirmé que les places d'apprentissage dans ces métiers étaient rares et qu'actuellement toutes étaient prises. La formation de laborantin en biologie CFC n'existait qu'en mode dual à Genève. Les formations à plein temps n'existaient pas sur le canton.

Il avait également pris contact avec le doyen du CFP en vue de suivre une formation de technicien en analyses biomédicales (ci-après : TAB). Une inscription n'était toutefois possible que pour la rentrée 2020.

Victime d'un décrochage scolaire suite à une rupture de contrat d'apprentissage consécutive à des problèmes relationnels avec des formateurs, alors qu'il était promu, il peinait aujourd'hui à s'insérer dans la vie active. Il avait perdu, l'an dernier, son père de façon soudaine et inattendue. Sa mère percevait depuis une rente de veuve. Lui-même était suivi par l'Hospice général (ci-après : l'hospice). Ces événements avaient eu l'effet d'un électrochoc et lui avaient fait prendre conscience de ses responsabilités. Il souhaitait dès lors achever sa formation dans les plus brefs délais et contribuer plus activement à l'entretien du foyer afin de soulager sa mère, hospitalisée une semaine courant juin 2019 et qui devait l'être à nouveau prochainement. Il était trop jeune pour être assisté. Motivé et en bonne santé, il ne pouvait attendre le mois d'août 2020 et craignait de se disperser à nouveau. Il sollicitait que les portes de sa réinsertion professionnelle puissent lui être ouvertes en août 2019 via le CFP (formation de TAB) ou la filière accélérée de laborantin en biologie à Lausanne qui avait déjà accepté sa candidature.

10) Par courrier du 26 juin 2019, l'AGEMEL a indiqué que le délai de candidature pour l'apprentissage de laborantin CFC en biologie à Genève avait été fixé au 8 mars 2019. En fonction du planning des tests de sélection et du grand nombre de candidats (cent dix candidats pour seize places d'apprentissage), la candidature du recourant, reçue après cette date, ne pouvait pas être prise en compte. Il n'existait pas, à Genève, une école à plein temps pour le métier de laborantin en biologie. La responsable de l'unité de formation des apprentis confirmait que l'historique de formation duale à Genève de l'intéressé, à savoir une interruption de formation après deux ans, pouvait malheureusement influencer négativement les entreprises formatrices du canton lors de l'analyse du dossier de M. A______. Une formation à plein temps à l'école lui semblait la meilleure solution. Elle recommandait enfin au recourant, en cas d'acceptation de sa demande auprès du canton de Genève, de faire une demande d'écourtement de formation sur la base de son dossier scolaire.

11) Lors de l'audience de comparution personnelle des parties, le recourant a précisé que si le canton de Genève ne prenait pas en charge les frais d'écolage de l'ESS à Lausanne, les frais à sa charge seraient de CHF 14'500.- pour chacune des deux années de formation à plein temps.

Le département a maintenu sa position. La correspondance de l'AGEMEL ne modifiait pas la situation. Un contrat d'apprentissage ne devait pas nécessairement être conclu avec une entreprise genevoise. Il convenait par ailleurs de vérifier auprès de l'administration compétente si des places d'apprentissage à Genève en troisième année pouvaient être disponibles à la suite d'éventuelles ruptures anticipées des contrats d'apprentissage.

S'agissant de la formation TAB, formation relevant du tertiaire B, soumise à un autre accord que celle de laborantin en biologie de secondaire II, la prise en charge des frais par un autre canton se posait différemment. Dans ce second cas, le canton n'avait pas à donner d'accord préalable.

12) Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

Bien que le recourant ne prenne pas formellement de conclusions, il ressort clairement de la lecture de son acte de recours qu'il souhaite obtenir l'annulation de la décision attaquée et, par conséquent, l'autorisation et la prise en charge de pouvoir suivre la formation convoitée dans le canton de Vaud. Le recours répond ainsi aux exigences de motivation prévues par l'art. 65 LPA.

2) L'accord intercantonal sur les contributions dans le domaine de la formation professionnelle initiale (accord sur les écoles professionnelles) du 22 juin 2006 (AEPr - C 2 06) auquel le canton de Genève a adhéré en 2007 (art. 1 de la loi autorisant le Conseil d'État à adhérer à l'AEPr du 25 mai 2007 - L-AEPr - C  2  06.0) prévoit que le canton débiteur, pour les formations suivies dans des écoles à plein temps, est le canton de domicile au moment du début de la formation, pour autant qu'il ait autorisé la fréquentation d'un établissement de formation hors canton (art. 4 al. 2 AEPr).

L'art. 20 du règlement de l'enseignement secondaire II et tertiaire B du 29 juin 2016 (REST - C 1 10.31) prévoit que le département peut refuser de prendre en charge les frais de formations effectuées en dehors du canton, si la formation en question est dispensée dans le canton de Genève. Cette disposition utilisant une formule potestative concernant la possibilité de prendre en charge ou de refuser de prendre en charge les frais de formation, une liberté d'appréciation est reconnue à l'autorité, que celle-ci doit exercer en effectuant une pesée des intérêts afin de respecter le principe de la proportionnalité. La décision doit tenir compte des circonstances pertinentes et ne pas être arbitraire (ATF  129  III  400 consid. 3.1 ; 128 II 97 consid. 4a).

Comme la chambre de céans a déjà eu l'occasion de l'indiquer, l'autorité doit procéder à une pesée des intérêts en cause, en tenant compte tant des intérêts privés de l'étudiant que de ceux de la collectivité publique (ATA/1220/2017 du 22 août 2017 consid. 2).

3) En l'espèce, la décision litigieuse ne comporte pas de pesée des intérêts. Elle se fonde uniquement sur le fait que la formation convoitée est également disponible à Genève et sur le fait que l'intéressé a déjà suivi cette formation dans le canton.

Or, ni la décision querellée ni la réponse ne satisfont aux exigences sus-décrites. En effet, compte tenu du large pouvoir d'appréciation dont dispose l'autorité intimée, celle-ci était tenue d'exposer, ne serait-ce que succinctement, qu'elle avait procédé à une pesée des intérêts en présence. L'autorité intimée a pris deux éléments en compte. Le premier est celui lié à la disponibilité de la formation en question à Genève. Le second argument, opposé à l'étudiant dans la réponse au recours, consiste dans le fait que celui-ci a déjà entamé sa formation sur le canton de Genève. Cet argument pourrait toutefois plaider en faveur de l'admission de sa requête, dès lors que l'accès effectif à la même formation ne lui est, de fait, que difficilement ouvert à Genève, ce que le DIP ne conteste pas et que l'AGEMEL confirme. Par ailleurs, le fait que, pour la formation duale à Genève, peu de postes sont offerts, que de surcroît, le recourant serait précédé d'une mauvaise réputation, rend également plus difficile la possibilité pour le recourant de suivre cette formation à Genève ; de même, la détermination de l'intéressé de pouvoir terminer sa formation au plus vite à la suite du décès récent de son père et des hospitalisations de sa mère ne sont pas prises en considération ; enfin, ni le fait que le recourant ait réussi les examens d'admission à l'école sise dans le canton de Vaud et que Genève n'offre pas de formation à plein temps ne sont considérés.

Avant de prendre la décision querellée, il appartenait à la DGES II dans le cadre de son large pouvoir d'appréciation de prendre en compte tant les intérêts privés de l'étudiant (possibilité effective d'effectuer la formation à Genève, voire avec un employeur d'un autre canton, possibilité de la commencer dans le canton de Vaud, offres duale et plein temps et conséquences, situation personnelle du recourant, notamment) que les intérêts publics pertinents (coût de la formation - en tenant compte des éventuelles équivalences - à Genève ou dans le canton de Vaud, possibilités d'écourtement à Genève, notamment).

Dès lors que la chambre administrative ne dispose pas du même pouvoir d'examen que l'autorité intimée, elle ne peut procéder elle-même à cette pesée d'intérêts.

En conséquence, le recours sera admis dans cette mesure. La décision litigieuse sera annulée et la cause sera retournée à l'autorité intimée afin qu'elle statue après avoir procédé dans le sens des considérants.

4) Vu l'issue du litige, aucun émolument ne sera perçu et aucune indemnité de procédure ne sera allouée au recourant, qui n'a pas exposé de frais (art. 87 LPA).


PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 17 avril 2019 par Monsieur
A______ contre la décision du département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse du 1er avril 2019 ;

au fond :

l'admet ;

annule la décision précitée et renvoie le dossier au département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse pour nouvelle décision dans le sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17  juin  2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______ ainsi qu'au département de l'instruction publique, de la formation et de la jeunesse.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, MM. Thélin et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Rodriguez Ellwanger

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :