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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3839/2016

ATA/1100/2019 du 25.06.2019 sur JTAPI/438/2018 ( ICCIFD ) , ADMIS

Recours TF déposé le 30.08.2019, rendu le 12.05.2020, REJETE, 2C_731/2019
Descripteurs : SOCIÉTÉ ANONYME ; DROIT FISCAL ; IMPÔT CANTONAL ET COMMUNAL ; IMPÔT FÉDÉRAL DIRECT ; IMPÔT SUR LE BÉNÉFICE DES ENTREPRISES ; FARDEAU DE LA PREUVE ; OBJET DU LITIGE ; IMPUTATION DES PERTES ; DETTE ; DÉDUCTION DU REVENU(DROIT FISCAL)
Normes : LIFD.57; LIPM.11; LIFD.60.leta; LIPM.14.leta; LIFD.67.al2; LIPM.19.al2
Résumé : Admission du recours de l'administration fiscale cantonale. La contribuable — une société surendettée et pratiquement sans activité — a racheté puis absorbée une société florissante. Elle demande alors la déduction de ses pertes reportées des exercices précédents. En l'occurrence, l'opération réalisée par la contribuable est constitutive d'un cas d'évasion fiscale, dès lors qu'elle est inadaptée aux données économiques, totalement inappropriée et abusives sur le plan du droit fiscal et apparaît avoir été mené uniquement en vue d'une compensation de pertes.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3839/2016-ICCIFD ATA/1100/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 25 juin 2019

4ème section

 

dans la cause

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

contre

A______ SA

représentée par Me Alexandre Faltin et Me Emily Meller, avocats

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du
30 avril 2018 (JTAPI/438/2018)


EN FAIT

1) Le litige a trait à l'impôt cantonal et communal (ci-après : ICC) et l'impôt fédéral direct (ci-après : IFD) pour l'année fiscale 2012 de A______ SA
(ci-après : A______), société inscrite au Registre du commerce (ci-après : RC) de Genève le 16 avril 2007 avec pour but la gestion de fortune et le conseil en investissements, notamment dans les domaines relevant de la biochimie et de la technologie.

En avril 2010, son but a été étendu à la prise de participations dans le capital de sociétés et notamment de sociétés de gestion de fortune, ainsi qu'à l'administration de biens pour le compte de tiers (B______).

En novembre 2010, le but social a été modifié en : « prise, gestion et administration de participations dans le capital de sociétés, notamment de sociétés de gestion de fortune ».

Enfin, en juillet 2012, le but de la société a été changé en « administration, conseil et gestion des patrimoines institutionnels et privés, incluant notamment les opérations dans le domaine de l'investissement en valeurs mobilières, métaux précieux, devises et autres instruments financiers cotés ou non cotés ».

2) a. Par contrat de cession d'actions du 13 juillet 2010, A______ a acquis l'intégralité du capital-actions d'C______ SA (ci-après : C______), société inscrite au RC depuis le 11 mai 1995 et ayant pour but la consultation en matière d'investissements, la gestion de fortune et de biens mobiliers et immobiliers et les opérations fiduciaires et services y relatifs.

Le contrat de vente prévoyait un paiement échelonné du prix de vente, à savoir un premier versement initial au moment du « closing », puis trois versements subséquents sur trois ans.

b. Le 25 janvier 2012, A______ et C______ ont signé un avenant au contrat de cession d'actions du 13 juillet 2010, prévoyant notamment que le paiement final du prix de vente interviendrait d'ici au 31 janvier 2012 au plus tard. Simultanément au paiement, l'entier des actions d'C______ serait remis à A______.

3) Par courrier du 23 mai 2012, A______ a sollicité auprès de l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) un arrangement concernant un assainissement par abandon de créance de son actionnaire unique, D______ SA (ci-après : D______), à concurrence de CHF 700'000.-, auquel elle souhaitait procéder afin de diminuer en partie son surendettement. Depuis sa création en 2007, elle avait toujours bénéficié de l'appui financier de son actionnaire unique.

Elle avait par ailleurs acquis C______ en 2010. Cette acquisition, financée par son actionnaire, entrait dans le cadre d'un développement des activités de gestion de fortune. Une fusion entre cette société et A______ était en cours, cette dernière absorbant C______.

Elle souhaitait dès lors recevoir la confirmation que l'assainissement serait considéré comme un bénéfice d'assainissement improprement dit et qu'elle pourrait bénéficier du report de pertes au terme de l'assainissement envisagé.

4) Par contrat de fusion du 29 juin 2012, A______ a absorbé C______ avec effet au 1er janvier 2012.

5) Par lettre du 11 juillet 2012, faisant suite à une demande de l'AFC-GE, A______ a apporté des explications complémentaires.

L'acquisition d'C______ par A______, qui s'inscrivait dans le cadre d'une stratégie de croissance externe (acquisition de parts de marchés), devait être suivie d'un transfert et d'une concentration de l'ensemble des activités commerciales au sein d'C______, puis d'une fusion par absorption de cette dernière par A______.

6) Le 12 juillet 2012, C______ a été radiée du RC.

7) Le 22 août 2012, l'AFC-GE a répondu à A______ que l'abandon de créance à hauteur de CHF 700'000.- serait qualifié de bénéfice d'assainissement improprement dit, pour autant qu'il soit imputé exclusivement sur le montant des prêts accordés au 31 décembre 2010. En revanche, étant donné que cette société n'exerçait plus d'activité en 2011, à la suite de la fusion, le report de pertes serait exclu.

8) Par courrier du 12 octobre 2012, l'AFC-GE a persisté dans sa position.

En cas de fusion, elle refusait le report de pertes lorsque la société reprenante était économiquement liquidée ou rendue liquide ou cessait son exploitation. Le déroulement de la transaction en droit civil n'était pas déterminant pour l'appréciation fiscale : étaient seuls décisifs la situation initiale et le résultat final de la transaction.

9) Dans sa déclaration fiscale 2012, A______ a déclaré un bénéfice de
CHF 50'855.-, dont il convenait de déduire les pertes fiscales qu'elle avait subies lors des sept exercices précédents, totalisant CHF 1'494'861.-, ce qui aboutissait à un résultat déficitaire de CHF 1'444'006.-.

10) Par bordereaux ICC et IFD 2012 du 23 juillet 2014, l'AFC-GE a taxé A______ sur la base d'un bénéfice net total de CHF 224'975.-, dont seulement CHF 124'557.- imposable à Genève, et d'un capital propre de CHF 1 million. Elle n'a pas admis en déduction les pertes reportées.

11) Par courrier du 18 août 2014, A______ a formé réclamation.

Dès l'acquisition d'C______ en 2010, il avait été prévu de regrouper les deux sociétés pour créer un effet de synergie. La fusion n'avait pu intervenir avant que le prix de vente ne soit intégralement payé, ce qui avait eu lieu en 2012. Le regroupement des activités des deux sociétés auprès d'C______ ne correspondait pas à une cessation partielle des activités de A______, mais répondait aux nécessités d'une saine gestion du groupe ; ses activités n'avaient jamais cessé.

Une approche globale de la situation des deux entités démontrait que le report de pertes était justifié et qu'il ne pouvait être considéré comme un cas d'évasion fiscale.

12) Par courriers des 27 août 2015 et 14 septembre 2016, faisant suite à des demandes de renseignement de l'AFC-GE, A______ a précisé différents éléments et produit des pièces complémentaires.

13) Par décision du 11 octobre 2016, l'AFC-GE a rejeté la réclamation.

La seule activité déployée entre sa constitution et l'acquisition d'C______ avait consisté en des services de conseil en investissement. Or, celle-ci avait été abandonnée avant l'absorption en 2012. Par ailleurs, son personnel avait été intégré dans sa filiale. Cette situation s'apparentait ainsi à une fin d'activité pour la contribuable et à une poursuite des activités de la filiale, de sorte que ses pertes au 31 décembre 2011 ne pouvaient être imputées sur le résultat 2012 d'C______.

14) Par acte du 9 novembre 2016, A______ a interjeté recours contre la décision précitée par-devant le Tribunal administratif de première instance
(ci-après : TAPI) en concluant à son annulation, à l'admission du report de pertes et au renvoi de la cause à l'AFC-GE pour nouvelles taxations acceptant l'imputation des pertes.

Des raisons économiques justifiaient la restructuration de ses activités et de celles déployées par sa filiale avant la fusion, notamment une gestion saine des diverses activités et une rationalisation des coûts.

Le critère de continuité économique, seul pertinent d'après la jurisprudence, était rempli. Elle n'avait pas cessé son activité avant la fusion. Au surplus, les conditions de l'évasion fiscale n'étaient pas réalisées, dès lors que la réorganisation n'était pas motivée par une économie d'impôts, mais par le développement de sa clientèle et la concrétisation des synergies

15) Dans sa réponse du 6 mars 2017, l'AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Les pertes non compensées étaient transférées avec l'exploitation qui les avait générées. Or, ses pertes avaient été subies durant les années 2008 à 2010, lors desquelles elle exerçait une activité de gestion de fortune. Cette activité avait cessé en 2010. Elle avait été rendue liquide et aucune activité économique n'avait été démontrée en 2011. En 2012, elle avait repris l'activité de gestion de fortune exercée par sa filiale. Toutefois, cette exploitation avait été développée par C______ antérieurement à la fusion et elle ne pouvait donc bénéficier du report de pertes.

16) Par réplique du 27 avril 2017, A______ a persisté dans les termes de son recours.

Lors de l'acquisition d'C______ en juillet 2010, il avait été envisagé que cette dernière absorbe A______ dès lors qu'elle disposait de plus de clients, était plus ancienne et plus connue et qu'il convenait de ne pas déstabiliser la clientèle en présentant une structure nouvelle assortie d'un changement de nom. Cela n'avait pas eu lieu en raison d'une différence de vue majeure sur la conduite des affaires.

17) Par duplique du 16 mai 2017, l'AFC-GE a persisté dans les conclusions de sa réponse.

18) Par jugement du 30 avril 2018, le TAPI a admis le recours de A______ et renvoyé le dossier à l'AFC-GE pour nouvelles taxations dans le sens des considérants.

Les pertes invoquées par A______ étaient celles subies par ce même contribuable antérieurement à sa fusion avec C______. Seule pouvait entrer en ligne de compte l'existence d'une évasion fiscale pour justifier l'absence de prise en compte du report de pertes de A______ dans sa taxation 2012.

Il n'était pas contesté que A______ était surendettée en 2011 et en 2012 alors qu'C______ était dans une situation économique saine. L'intéressée, surendettée, avait fusionné avec une société profitable. Ce cas de figure n'était toutefois pas inusuel, puisqu'il était expressément prévu par la législation sur les fusions.

Les activités déployées par A______ avant et après la fusion ne se distinguaient pas suffisamment pour que la fusion intervenue ne paraisse avoir pour seul but la compensation de ses pertes avec les bénéfices d'C______. Une continuité économique entre les activités exercées avant et après la fusion pouvait être admise. On ne pouvait interdire à une société, hors le cas de la cession du manteau d'actions, d'interrompre une activité déficitaire pour en débuter une nouvelle sans être pénalisée fiscalement. La fusion de A______ et C______ paraissait par ailleurs fondée économiquement. Le choix de ne conserver qu'une seule filiale active, plutôt qu'une filiale dont la seule destination aurait été de détenir le capital de la société opérationnelle, ne pouvait être remis en cause. Enfin, le fait que ce soit A______ qui ait absorbé C______ plutôt que l'inverse ne pouvait non plus à lui seul être constitutif d'évasion fiscale. L'intéressée était dès lors fondée à bénéficier en 2012 du report de ses propres pertes.

19) Par acte du 8 juin 2018, l'AFC-GE a interjeté recours contre le jugement précité par-devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) en concluant à son annulation et à la confirmation de sa décision du 11 octobre 2016.

Contrairement à ce qu'avait retenu le TAPI, les conditions de l'évasion fiscale étaient réalisées. Le fait d'acquérir une société florissante par le biais d'une société déficitaire et économiquement liquidée, et ensuite de l'absorber, apparaissait insolite et inadapté au but économique poursuivi, ce but étant la continuité des activités d'C______. S'agissant de A______, l'activité de gestion de fortune avait été définitivement arrêtée en 2010 et aucune activité économique n'avait été démontrée durant l'année 2011, si bien que les activités économiques initiales ne pouvaient aucunement être continuées. Il fallait par ailleurs un motif d'ordre économique important pour qu'C______, économiquement saine et rentable, transfère l'ensemble de ses valeurs d'exploitation dans une société tierce inactive et surendettée. Or, un tel motif ne ressortait pas du présent dossier. Après la fusion, les produits de A______ étaient restés quasiment identiques à ceux générés par C______ durant les années antérieures à son acquisition et à sa fusion, de sorte qu'aucune synergie ne pouvait être constatée. Cela confirmait le fait que par l'opération de fusion, A______ avait uniquement repris l'exploitation créée par une autre société, à laquelle les pertes générées par son activité antérieure ne pouvaient être rattachées, faute d'une continuité économique.

Il était par ailleurs difficile de comprendre pour quelles raisons, mis à part les aspects fiscaux, D______ avait décidé d'acquérir C______ non pas directement, mais via une société déficitaire et économiquement liquidée, assainie pour ce but juste avant la fusion. Le choix d'acquérir C______ via A______ et par la suite de l'absorber avait été exercé arbitrairement, uniquement dans le but d'économiser des impôts qui auraient été dus si les rapports de droit avaient été aménagés de façon appropriée, et plus précisément pour faire valoir le report de pertes. L'imposition de A______ ne devait pas être fondée sur la forme choisie par la contribuable mais sur la situation qui aurait été l'expression appropriée au but économique poursuivi par les intéressées.

20) Le 12 juin 2018, le TAPI a transmis son dossier sans formuler d'observations.

21) Dans sa réponse du 12 juillet 2018, A______ a conclu au rejet du recours et à la confirmation du jugement du TAPI.

L'AFC-GE se méprenait en affirmant qu'au moment de la fusion, elle n'avait plus d'activité. La comparaison des chiffres d'affaires n'était pas pertinente, au vu de la différence existant entre A______ et C______. Si son chiffre d'affaires était certes modeste, soit de l'ordre de CHF 35'000.- par an avant la fusion, cela ne signifiait pas qu'elle n'avait plus d'activité.

Il ressortait de la jurisprudence récente que le report de pertes dans le cadre d'une fusion devait être admis, même en cas de réalisation de la plupart des actifs ou de la cessation de l'exploitation juste avant la fusion, tant que ces actes s'inscrivaient dans une procédure de restructuration globale et qu'il y avait une certaine continuité économique de l'entreprise. L'activité principale de A______ avant l'acquisition d'C______, qui était essentiellement le conseil en investissement du fonds E______, avait été intégralement maintenue après l'acquisition, de sorte qu'il n'y avait pas eu d'arrêt d'activité de la part de A______. Si les employés de A______ étaient devenus salariés d'C______, c'est parce qu'une absorption de la seconde entité par la première était initialement prévue. Il existait par ailleurs des motifs économiques pour restructurer l'activité déployée par A______ et sa filiale avant la fusion, à savoir assurer la gestion saine des diverses activités et rationnaliser les coûts. Des motifs commerciaux valables justifiaient de regrouper les activités de gestion de fortune de A______ avec l'activité de gestion de fortune exercée par C______. Le critère de la continuité économique était donc rempli. A______ avait d'ailleurs engagé six employés entre 2009 et 2011, et s'était enregistrée auprès d'un organisme d'autorégulation en qualité de société de gestion de portefeuilles. Elle avait ainsi modifié sa structure pour s'adapter à sa volonté de devenir une société de gestion de fortune, ce qui démontrait qu'elle ne s'apprêtait pas à cesser ses activités. Contrairement à ce que soutenait l'AFC-GE, elle avait préservé son activité de conseil en investissement d'avant la fusion, l'avait fait évoluer vers celle de gestionnaire discrétionnaire du « compartiment A______ » et avait développé en outre une activité de gestion de portefeuilles avec l'acquisition d'C______.

Au surplus, les conditions de l'évasion fiscale n'étaient pas réalisées en l'espèce, dans la mesure où la réorganisation n'était pas motivée par une intention d'économie d'impôts. L'acquisition puis l'absorption d'C______ avait pour but de développer sa clientèle et de concrétiser les différentes synergies existantes entre les deux entités.

Était notamment jointe une déclaration du 24 février 2011 à l'attention de la caisse AVS des salaires versés par A______ à son personnel durant l'année 2011.

22) L'administration fédérale des contributions (ci-après : AFC-CH) n'a pas faire valoir d'observations dans le délai imparti.

23) Dans sa réplique du 13 août 2018, l'AFC-GE a persisté dans ses conclusions.

Monsieur F______ était à la fois l'actionnaire unique de D______ et l'administrateur président de A______, en remplacement de son ex-épouse, depuis la fin de l'année 2009. Il avait ainsi une vue globale sur les processus financiers entourant les différentes entités et devait donc comprendre l'impact fiscal de la fusion litigieuse, qui permettait de valoir le report de pertes de CHF 1'494'861.- dans le cas où A______ absorbait C______.

Si A______ indiquait que son activité avait perduré sans interruption jusqu'à ce jour, elle n'en apportait pas la preuve. L'AFC-GE avait au contraire démontré, avec l'appui des comptes de A______, que cette dernière avait arrêté toute activité en 2010. Durant l'année 2011, elle avait été rendue liquide, aucune activité n'avait été démontrée et sa charge salariale avait été nulle. La déclaration des salaires versés par l'employeur en 2010 indiquait d'ailleurs que tous les contrats de travail avaient pris fin au 30 juin 2010, soit juste avant la signature du contrat d'achat d'C______, intervenue le 13 juillet 2010. Cette déclaration était d'ailleurs signée par les représentants d'C______. L'intimée n'avait engagé aucun des employés figurant sur cette déclaration durant l'année 2011. Cela confirmait que l'intimée avait été économiquement liquidée fin 2010.

Le transfert des employés de A______ chez C______ ainsi que l'article de presse paru dans le G______ le 9 novembre 2011, décrivant l'activité, l'équipe et les projets d'C______, sans mention de A______, conduisaient logiquement à l'absorption de A______ par C______, et non l'inverse. L'intimée n'indiquait pas clairement les raisons de ce choix, livrant différents motifs tels que la gestion saine des diverses activités, la rationalisation des coûts, la concrétisation des synergies existantes entre les deux entités ainsi que la différence de vue majeure sur la conduite des affaires. Toutefois, dès lors qu'au moment de la fusion, A______ n'avait plus ni employé ni activité, les coûts et synergies auxquels l'intimée faisait référence n'étaient pas établis. Elle n'avait ainsi pas démontré que le choix d'acquérir C______ via A______ puis de l'absorber n'avait pas été exercé arbitrairement, uniquement pour réaliser une économie d'impôts.

Étaient joints :

- un article du magazine « G______ » du 9 novembre 2011 concernant C______, à teneur duquel il était notamment indiqué que M. F______ avait racheté ladite société en juillet 2010, puis l'avait modernisée. Il était notamment mentionné qu'C______ envisageait d'intégrer, à l'avenir, des gérants qui deviendraient petit à petit des associés ;

- un extrait du site internet de A______, lequel mentionnait notamment que
M. F______ avait fondé D______ en 2006 et en était l'actionnaire unique. D______ avait créé A______ en 2007 et en était l'actionnaire majoritaire.

24) Dans sa duplique du 14 septembre 2018, A______ a persisté dans les termes de sa réponse et produit des pièces complémentaires.

L'AFC-GE perdait de vue que le report de pertes dans une fusion était admis par la loi. Il n'était limité que s'il n'existait aucun motif économique justifiant la fusion, et en particulier pas de continuité économique, ce qui n'était pas le cas en l'espèce.

À l'origine, il était effectivement prévu qu'C______ soit la société absorbante. En raison de différences de vision sur la marche des affaires entre les deux entités, c'était A______ qui avait absorbé C______. Le but initial, soit le regroupement des équipes et des clients dans une seule entité, avait toutefois été atteint. Les actes que l'AFC-GE jugeait avoir pour but de rendre A______ liquide étaient en réalité des démarches engagées en vue de la fusion, laquelle ne pouvait toutefois pas être exécutées immédiatement en raison des termes contractuels prévus par les deux parties.

Il ressortait par ailleurs des « advisory fees » perçues par A______ pour son activité de conseil en gestion jusqu'à la fusion qu'elle avait continué son activité. Elle avait ainsi bien une activité économique en 2011.

25) Le 20 septembre 2018, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 2 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17 ; art. 145 de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le litige porte sur la prise en compte des pertes reportées de A______ dans l'exercice 2012, durant lequel la fusion avec C______ est intervenue.

3) a. Il convient au préalable d'examiner le droit matériel applicable.

b. De jurisprudence constante, les questions de droit matériel sont résolues en fonction du droit en vigueur lors des périodes fiscales litigieuses (ATA/859/2018 du 21 août 2018 consid. 6b et les références citées).

c. Le présent litige concernant la période fiscale 2012, la cause est ainsi régie par le droit en vigueur durant cette période, à savoir respectivement les dispositions de la LIFD et celles de la loi sur l'imposition des personnes morales du 23 septembre 1994 (LIPM - D 3 15).

d. Par ailleurs, la question étant traitée de la même manière en droit fédéral et en droit cantonal harmonisé, le présent arrêt traite simultanément des deux impôts, comme l'admet la jurisprudence (ATA/379/2018 du 24 avril 2018 et les références citées).

4) a. Tant en matière d'IFD que d'ICC, l'impôt sur le bénéfice a pour objet le bénéfice net, soit le solde du compte de résultats (art. 57 LIFD ; art. 11 LIPM).

b. Les pertes des sept exercices précédant la période fiscale peuvent être déduites du bénéfice net de cette période à condition qu'elles n'aient pas pu être prises en considération lors du calcul du bénéfice net imposable de ces années (art. 67 al. 1 LIFD ; art. 19 al. 1 LIPM). Les pertes des exercices antérieurs qui n'ont pas encore pu être déduites du bénéfice peuvent également être défalquées des prestations qui sont destinées à équilibrer un bilan déficitaire dans le cadre d'un assainissement, à condition que celles-ci ne constituent pas des apports selon l'art. 60 let. a LIFD, respectivement l'art. 14 let. a LIPM (art. 67 al. 2 LIFD ;
art. 19 al. 2 LIPM).

5) a. L'AFC-CH a édicté une circulaire n° 5 du 1er juin 2004 (ci-après : la circulaire n° 5) où elle expose les conséquences fiscales relatives aux restructurations tant pour l'entreprise que pour des détenteurs des droits de participation dans le domaine des impôts de la Confédération (IFD, impôt anticipé et droits de timbre).

Si les directives, circulaires ou instructions émises par l'administration ne peuvent contenir de règles de droit, elles peuvent cependant apporter des précisions quant à certaines notions contenues dans la loi ou quant à la mise en pratique de celle-ci. Sans être lié par elles, le juge peut néanmoins les prendre en considération en vue d'assurer une application uniforme de la loi envers chaque administré. Il ne doit cependant en tenir compte que si elles respectent le sens et le but de la norme applicable (ATF 129 V 205 consid. 3.2 ; 127 V 61 consid. 3a ; 121 II 473 consid. 2b ; ATA/1283/2018 du 27 novembre 2018 consid. 5).

b. Selon le chiffre 4.1.2.2.4 de la circulaire n°5, lors de la détermination du bénéfice net imposable, la société reprenante peut faire valoir selon l'art. 67 al. 1 LIFD les pertes des années précédentes de la société transférante qui n'ont pas encore été prises en compte fiscalement (reprise des pertes antérieures). Une reprise des pertes antérieures est cependant exclue en cas d'évasion fiscale. Il y a évasion fiscale notamment lorsque la société transférante est économiquement liquidée ou est rendue liquide (manteau d'actions ; art. 5 al. 2 let. b de la loi fédérale sur les droits de timbre du 27 juin 197 - LT - RS 641 10 ) ou si une exploitation transférée par fusion cesse peu après la fusion.

La circulaire n° 5 ne cite toutefois pas expressément les situations dans lesquelles le report de pertes concerne les pertes subies par la société reprenante.

6) a. Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral (ATF 138 II 239 consid. 4.1 ; 131 II 627 consid. 5.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_470/2018 du
5 octobre 2018 consid. 5.5), il y a évasion fiscale : a) lorsque la forme juridique choisie par le contribuable apparaît comme insolite, inappropriée ou étrange, en tout cas inadaptée au but économique poursuivi, b) lorsqu'il y a lieu d'admettre que ce choix a été arbitrairement exercé uniquement dans le but d'économiser des impôts qui seraient dus si les rapports de droit étaient aménagés de façon appropriée, et c) lorsque le procédé choisi conduirait effectivement à une notable économie d'impôt dans la mesure où il serait accepté par l'autorité fiscale.

Si ces trois conditions sont remplies, l'imposition doit être fondée non pas sur la forme choisie par le contribuable, mais sur la situation qui aurait dû être l'expression appropriée au but économique poursuivi par les intéressés (ATF 138 II 239 consid. 4.1 ; 131 II 627 consid. 5.2).

b. L'autorité fiscale doit en principe s'arrêter à la forme juridique choisie par le contribuable. Ce dernier est libre d'organiser ses relations de manière à générer le moins d'impôt possible. Il n'y a rien à redire à une telle planification fiscale, tant que des moyens autorisés sont mis en oeuvre (ATF 98 Ib 314 consid. 3d ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_487/2011 du 13 février 2013 consid. 2.7 in : Arch. 82 p. 241 ; 2A.11/1994 du 16 août 1996 consid. 5c in : Arch. 65 p. 406, RDAF 1997 II 222). L'état de fait de l'évasion fiscale est bien plutôt réservé à des constellations extraordinaires, dans lesquelles il existe un aménagement juridique (élément objectif) qui abstraction faite des aspects fiscaux va au-delà de ce qui est raisonnable d'un point de vue économique (ATF 138 II 239 consid. 4.1). Une intention abusive (élément subjectif) ne peut de surcroît pas être admise si d'autres raisons que la seule volonté d'épargner des impôts jouent un rôle décisif dans la mise en place de la forme juridique. Une certaine structure peut en effet se justifier pour d'autres raisons commerciales ou personnelles (arrêt du Tribunal fédéral 2C_836/2009 du 15 mai 2012 consid. 6.3, in : Arch. 81 p. 564). L'instrument de l'évasion fiscale n'entre finalement en ligne de compte que lorsque la norme fiscale malgré la prise en considération du motif économique qu'elle contient ne peut pas être interprétée de manière satisfaisante (ATF 138 II 239 consid. 4.2).

c. Le principe général de l'évasion fiscale reste toujours applicable et un report de pertes peut en tout temps être refusé si les conditions de l'évasion fiscale sont remplies (arrêt du Tribunal fédéral 2C_686/2013 du 17 avril 2014
consid. 2.5 ; Robert DANON in Danielle YERSIN/Yves NOËL [éd.], Commentaire romand - Impôt fédéral direct, 2017, n. 13i ad art. 67 LIFD).

7) Lors de l'examen de l'admissibilité du report des pertes en cas de restructuration, il convient de distinguer selon que la société qui dispose de pertes reportées est la société reprenant ou l'entreprise reprise (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1027/2011 et 2C_1028/2011 du 14 juin 2012 consid. 4.2).

Selon la jurisprudence, une société devrait être admise à substituer une activité non rentable par une nouvelle sans craindre de subir d'inconvénient fiscal de ce fait (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1027/2011 et 2C_1028/2011 précités consid. 4.2 ; 2A.129/2007 du 17 mai 2008 consid. 4.2). Cependant, lorsque le changement d'activité se couple avec un transfert ou une reprise d'entreprise, le Tribunal fédéral a jugé, en relation avec le report des pertes, qu'il ne correspond pas aux pratiques commerciales usuelles, pour une entreprise économiquement saine et rentable, de transférer l'ensemble de ses valeurs d'exploitation dans une société tierce inactive et surendettée sans qu'une telle mesure soit dictée par d'importants motifs d'ordre économique tels que la reprise d'une clientèle ou d'un équipement industriel (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1027/2011 et 2C_1028/2011 précités consid. 4.2 ; 2A.148/1991 du 30 novembre 1992 consid. 4 in RDAF 1995 211 p. 217).

Se fondant sur la théorie de l'évasion fiscale, le Tribunal fédéral estime en effet qu'une société reprenante surendettée ne saurait se prévaloir de son report de pertes lorsque cette entité se fait transférer les actifs et passifs d'une société économiquement saine, dans le seul but de procéder à la compensation des pertes (RF 2012 593 ; RDAF 1995 211 ; Robert DANON, op. cit., n. 13 ad art. 67 LIFD).

Le Tribunal fédéral a notamment précisé qu'il ne correspondait pas aux pratiques commerciales usuelles le fait pour une entreprise économiquement saine et rentable de transférer l'ensemble de ses valeurs d'exploitation dans une société tierce, inactive et surendettée sans qu'une telle mesure soit dictée par d'importants motifs d'ordre économique (par exemple la reprise de la clientèle ou des installations de fabrication ou encore d'autres actifs de la société surendettée) et soit sans autre rendue publique. Même dans les cas de ce genre, la reprise ne devrait normalement pas être réalisée par la société inactive et surendettée mais bien plutôt par l'entreprise saine économiquement (arrêt du Tribunal fédéral 2A.148/1991 précité consid. 4 in RDAF 1995 211, p. 217).

Il a ainsi été considéré qu'il n'y avait pas de sens, d'un point de vue économique, à ce qu'une quincaillerie surendettée détenue par un actionnaire, qui aurait dû entrer en liquidation, reprenne l'ensemble des actifs et passifs d'une pharmacie bénéficiaire détenue par le même actionnaire (RF 2012 593, p. 595).

Dans les arrêts 2C_1027/2011 et 2C_1028/2011 précités, le Tribunal fédéral a précisé que la jurisprudence se rapportant à des affaires où une société saine reprenait une entreprise déficitaire n'était d'aucune utilité puisque, dans les affaires en cause, on se trouvait dans la situation inverse (consid. 4.2).

8) Selon certains auteurs, exclure le report des pertes lorsqu'une société substitue une activité non rentable par une nouvelle est problématique, à tout le moins si les relations de propriété ne changent pas (Felix RICHNER/Walter FREI/Stefan KAUFMANN/Hans Ulrich MEUTER, Handkommentar zum DBG, 2ème éd. 2009, n° 9 ad art. 67 LIFD).

La doctrine majoritaire estime que le report des pertes ne doit pas être admis en cas de reprise d'une entreprise saine par une société déficitaire inactive lorsque les conditions de l'évasion fiscale sont concrètement réalisées (Robert DANON, in Commentaire romand de l'impôt fédéral direct, 2017, n. 13
ad art. 67 LIFD ; Peter LOCHER, Kommentar zum DBG, IIe partie, 2004, n° 41 ad art. 61 LIFD ; Frank LAMPERT, Die Verlustverrechnung von juristischen Personen im Schweizer Steuerrecht, 2000, p. 100 s.; Ernst HÖHN/Robert WALDBURGER, Steuerrecht, vol. II, 9ème éd. 2002, n° 193 ad § 48 p. 544 ;
Eveline SAUPPER/Markus WEIDMANN, in Basler Kommentar zum Fusionsgesetz, n° 83 ad vor Art. 3, p. 66).

Certains auteurs ont notamment relevé que si le report de pertes lors de l'absorption d'une société dont les actifs ont été réalisés était possible à certaines conditions, la jurisprudence considérait qu'il était plus délicat d'utiliser une telle entité comme société reprenante. En effet, l'absorption d'une entreprise florissante par une société déficitaire, qu'elle soit exploitée ou non, risquait d'apparaître rapidement comme étant insolite (Thierry OBRIST/Lino HÄNNI, Report de pertes, continuité économique et rattachement des facteurs fiscaux in RDAF 2012 II 387, p. 396).

9) Selon la doctrine, se fondant sur deux arrêts du Tribunal fédéral en la matière, les éléments suivants ne constituent pas à eux seuls des motifs justifiant la fusion : la création d'un potentiel de pertes à déduire, le transfert de liquidités à l'entité absorbante (absence de continuité économique) et la nécessité de rationnaliser et de réduire les coûts de fonctionnement du groupe (Robert DANON, op. cit., n. 13e ad art. 67 LIFD).

En particulier, si la création d'un potentiel de pertes à déduire est la seule raison à la fusion, les pertes reportées ne seront selon toute vraisemblance pas admises à la déduction du bénéfice de la société reprenante
(Thierry OBRIST/Lino HÄNNI, op. cit., in RDAF 2012 II 387, p. 394).

10) En l'espèce, l'intimée fait état d'une perte reportée de CHF 1'494'861.- pour l'exercice litigieux, dont le montant n'est pas contesté par les parties. Ces dernières divergent en revanche sur la question de savoir dans quelle mesure cette perte peut être reportée sur les comptes de l'intimée durant l'année 2012, après l'absorption des actifs et des passifs d'C______. La recourante refuse de procéder à cette opération au motif qu'elle serait constitutive d'une évasion fiscale, alors que l'intimée allègue qu'elle n'a rien d'insolite et doit être admise.

Comme relevé à juste titre par le TAPI, les questions du report des pertes en cas de cession du manteau d'actions, tout comme le transfert de pertes par C______ à A______ dans le processus de fusion ne se posent pas. Le report de pertes litigieux concerne exclusivement les pertes subies par l'intimée elle-même avant sa fusion avec C______. S'il est en principe admis qu'une société puisse faire valoir son propre report de pertes, il convient d'examiner, dans la situation particulière du cas d'espèce, si les conditions de l'évasion fiscale sont remplies.

Il est d'emblée incontestable que la compensation des pertes visée par l'intimée entraînerait une notable économie d'impôt, tant pour l'année litigieuse son bénéfice imposable pour l'année 2012 serait alors nul que pour les exercices subséquents. Dès lors, la troisième condition, nécessaire pour que l'on puisse conclure éventuellement à l'existence d'un impôt éludé, est remplie. Se posent ainsi les questions de savoir si la forme de droit civil choisie par les intéressés apparaît comme insolite et totalement inadaptée aux données économiques et s'il faut admettre que ce choix a été abusivement opéré dans le seul but d'économiser des impôts qui auraient été dus si les rapports de droit avaient été aménagés de façon appropriée.

Préalablement, il convient de relever, à teneur de la jurisprudence et de la doctrine susmentionnées, que l'absorption d'une entreprise florissante par une société déficitaire, qu'elle soit exploitée ou non, tend à apparaître inhabituelle et insolite. Certes, on ne peut en principe exclure que des sociétés proches l'une de l'autre ou liées entre elles puissent prendre, dans le cadre d'une planification fiscale, des mesures conduisant dans certaines circonstances à économiser des impôts. Dans le cas d'espèce, il convient toutefois de relever que le rachat d'C______ par l'intimée n'aurait pas eu lieu sans la position spéciale de
M. F______, lequel est à la fois l'actionnaire unique de D______ qui est pour sa part l'actionnaire majoritaire de l'intimée et a financé l'achat d'C______ et a été respectivement, au sein de A______, administrateur, administrateur président, puis, depuis septembre 2010, administrateur président directeur général. De même, il faut admettre que les opérations qu'il y a lieu à présent d'examiner n'auraient certainement pas pu être réalisées entre sociétés tierces ou non apparentées. Il ne correspond en effet pas aux pratiques commerciales usuelles, pour une société économiquement saine et rentable, de transférer l'ensemble de ses valeurs d'exploitation dans une société tierce, pratiquement inactive et surendettée, sans qu'une telle mesure soit dictée par d'importants motifs d'ordre économique (par exemple la reprise de la clientèle ou des installations de fabrication ou encore d'autres actifs de la société surendettée) et soit sans autre rendue publique. Mais même dans les cas de ce genre, la reprise ne devrait normalement pas être réalisée par la société inactive et surendettée mais bien plutôt par l'entreprise saine économiquement. La manière de procéder des sociétés parties prenantes D______, A______ et C______ ne revêt ainsi un caractère compréhensible qu'au regard de la vue d'ensemble dont bénéficiait M. F______ sur les impacts fiscaux des opérations réalisées.

L'intimée argumente toutefois que les mesures prises soit l'acquisition puis l'absorption d'C______ avaient pour but de développer sa clientèle, de concrétiser les différentes synergies existantes entre les deux sociétés et de rationaliser les coûts. Son argumentation ne saurait cependant être suivie. D'une part, comme le relève à juste titre l'autorité recourante, le raisonnement relatif aux coûts et synergies ne convainc pas, dès lors qu'il ressort des pièces au dossier qu'à compter de fin 2010, l'intimée a quasiment cessé ses activités. L'intimée expose avoir engagé six employés entre 2009 et 2011 et produit notamment six contrats de travail et un avenant à un contrat de travail, signés entre le 1er novembre 2009 et le 15 juin 2010, pour des entrées en fonction convenues entre le 17 juin 2009 et le 1er janvier 2011. Toutefois, la déclaration des salaires versés par l'employeur à son personnel du 24 février 2011 timbrée pour une raison inexpliquée par C______ qu'elle produit tend, au contraire, à démontrer que tous les contrats de travail de ses employés ont pris fin au 30 juin 2010, soit une quinzaine de jours avant le rachat d'C______. Il ressort par ailleurs de ses comptes de profits et pertes qu'elle n'a eu aucune charge salariale ou sociale ni aucun frais divers de personnel durant l'année 2011.

Ses comptes mettent par ailleurs en lumière le fait qu'elle n'a perçu, contrairement aux années précédentes, ni honoraires de gestion ni commissions ni aucun « produit divers », ses seuls profits provenant d'intérêts et produits financiers ainsi que de produits sur les exercices antérieurs. De même, contrairement aux exercices antérieurs, elle n'a, notamment, eu aucune charge relative à l'entretien ou la réparation de ses locaux, à des frais de véhicules, à des frais de voyage ou de représentation, à des pertes de change ou sur opérations de clients, et n'a payé aucune taxe professionnelle communale. Le total des produits et charges a en revanche considérablement augmenté avec la fusion, à compter de l'année 2012, d'une part. D'autre part, comme le relève également la recourante, l'absorption d'C______ par l'intimée n'apparaît pas cohérente. Cette dernière expose dans sa réponse du 12 juillet 2018 qu'il y avait du sens de maintenir C______ raison pour laquelle il avait d'abord été décidé que ce serait elle qui absorberait l'intimée dès lors qu'elle était active depuis plus de quinze ans dans le domaine de la gestion de fortune et que le maintien de son nom était ainsi un gage de confiance pour la clientèle. Il ressort par ailleurs de l'article de « G______ » du
9 novembre 2011, soit peu avant la fusion, que les activités de
M. F______ ont été associées à C______ et non à A______. Il en va de même dans un article de « G______ » du 1er octobre 2012
(consultable à l'adresse suivante : https://www.G______.ch/finance/la_suisse _seul_pays_a_exiger_l_autodeclaration_fiscale), pourtant édité après la fusion, dans lequel M. F______ a été interviewé et cité en qualité d'« associé fondateur d'C______ », sans mention de A______.

Il n'existe ainsi pas d'indices ou de sérieux motifs qui montreraient que le rachat puis l'absorption d'C______, société économiquement saine, par l'intimée surendettée et passablement inactive, pourrait s'expliquer, respectivement était nécessaire pour des raisons d'exploitation, de politique d'affaires ou encore d'autres raisons propres à la société. La raison invoquée par l'intimée pour justifier le fait qu'elle ait absorbé C______, alors que la situation inverse était initialement prévue, est, selon ses explications, « des différences de vision sur la marche des affaires entre les deux entités ». Elle relève toutefois que le but poursuivi, soit le regroupement des équipes et des clients dans une seule entité, avait tout de même été atteint. Ses explications, pour le moins laconiques, ne convainquent toutefois pas. Compte tenu des éléments rappelés ci-avant (transfert des employés vers C______ dès juillet 2010, médiatisation des activités de
M. F______ au sein d'C______ et non de l'intimée, cessation ou diminution notables des activités de A______ avant la fusion, taille du portefeuille de clients d'C______ par rapport à A______) commandaient l'absorption de l'intimée par C______ et non l'inverse. Ces différents points tendent à démontrer que l'ensemble de l'opération a été mené uniquement en vue d'une compensation de pertes, compensation qui n'aurait plus été possible ou aurait été plus difficile à obtenir, dans le cours ordinaire des choses, c'est-à-dire si l'intimée avait été liquidée ou si elle avait été absorbée par C______. Les mesures qui ont été prises doivent ainsi être considérées comme inadaptées aux données économiques, totalement inappropriées et abusives sur le plan du droit fiscal. Ainsi, contrairement à ce qu'a retenu le TAPI, l'opération analysée est constitutive d'un cas d'évasion fiscale. C'est ainsi à juste titre que l'AFC-GE a refusé à l'intimée la déduction des pertes reportées des exercices précédents.

Compte tenu de ce qui précède, le recours sera admis. Le jugement querellé sera annulé et la décision sur réclamation du 11 octobre 2016 sera rétablie.

11) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge de la société intimée, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 juin 2018 par l'administration fiscale cantonale contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 30 avril 2018 ;

au fond :

l'admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 30 avril 2018 ;

rétablit la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 11 octobre 2016 ;

met à la charge de A______ SA un émolument de CHF 1'500.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à administration fiscale cantonale, à Me Alexandre Faltin et Me Emily Meller, avocats de l'intimée, à l'administration fédérale des contributions, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Krauskopf, présidente, M. Verniory, Mme Cuendet, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

D. Werffeli Bastianelli

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :