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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2797/2016

ATA/925/2016 du 01.11.2016 ( FORMA ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2797/2016-FORMA ATA/925/2016

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 1er novembre 2016

2ème section

 

dans la cause

 

Mineures A______ et B______ C______, représentées par leurs parents Madame et Monsieur C_______,
représentés par Me Philippe Eigenheer, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE, DE LA CULTURE ET DU SPORT

 



EN FAIT

1. Le 14 juillet 2016, le directeur de l’établissement primaire D______ a invité Madame et Monsieur C______ à se déterminer sur le transfert de leurs deux filles A______, née le ______ 2005 et B______, née le ______ 2007, dans un autre établissement scolaire, dès la rentrée scolaire 2016-2017. Il s’agirait vraisemblablement de l’établissement scolaire E______. La relation famille-école était rompue et le dialogue était devenu impossible. L’école de F______ n’était plus à même d’assumer une scolarité sereine pour leurs filles. Les interventions des intéressés envers la communauté scolaire engendraient des répercussions négatives sur les relations entre leurs filles et les autres enfants.

2. Le 17 juillet 2016, les époux C______ se sont opposés au transfert de leurs filles dans l’établissement scolaire E______. Ils contestaient les reproches adressés. Le changement envisagé mettrait en péril la santé de leurs enfants. Il n’y avait aucun transport public direct depuis leur domicile à plus de 4 km de l’école et il n’existait aucun lien communal.

3. Par décision du 26 juillet 2016, déclarée exécutoire nonobstant recours, le directeur de l’établissement primaire D______ a informé les époux C______ que leurs filles seraient scolarisées dès la rentrée 2016-2017 dans l’établissement scolaire E______, qui était plus proche de leur domicile et bénéficiait de la présence d’un éducateur. Le conflit les opposant à l’école de F______ était profond et sans retour et leurs agissements, en particulier leurs interventions directes auprès des enseignants comme des autres élèves, avaient des conséquences négatives pour leurs filles. Afin de préserver l’intérêt de ces dernières et celui de l’école, le transfert dans un lieu de scolarisation neutre et bienveillant était nécessaire.

4. Par courrier du 1er août 2016, complété le 12 août 2016, les époux C______ ont recouru auprès de la direction générale de l’enseignement obligatoire (ci-après : DGEO) du département de l’instruction publique (ci-après : DIP) contre la décision susmentionnée, concluant au transfert de leurs enfants dans l’établissement scolaire de la G______ ou celui de H______, à Onex, ou encore celui du I______ à Plan-les-Ouates, le premier se trouvant à 700 m de leur domicile avec accès direct par les transports publics, les seconds bénéficiant également d’un tel accès. Ils étaient conscients que la scolarité de leurs enfants ne pouvait plus se poursuivre dans l’école de F______, ce dont le directeur et les enseignants de cet établissement scolaire étaient responsables en raison de leur incompétence à gérer des conflits mineurs dont A______ avait été victime.

5. Par décision du 19 août 2016, déclarée exécutoire nonobstant recours, la DGEO a rejeté le recours des époux C______ et confirmé la décision du 26 juillet 2016 après avoir recueilli la détermination des deux enfants, identique à celle de leurs parents. Après analyse approfondie du dossier, notamment sous les aspects scolaires, ressources humaines, effectifs et transports publics, l’établissement E______ et plus particulièrement l’école des J______, représentait un lieu et environnement adéquats pour accueillir les enfants. Il n’était pas affecté par les conflits qui avaient opposé les époux C______ aux deux précédentes écoles et il bénéficiait d’un éducateur à temps complet. Ce dernier favoriserait l’intégration des enfants et constituerait un interlocuteur privilégié dans le cadre de la relation famille-école. Le déplacement entre le domicile et l’école pouvait se faire par une ligne directe de bus et la durée du trajet était la même que pour rejoindre l’école de la G______. Celle-ci ne pouvait être envisagée en raison d’incidents intervenus en 2014 qui avaient rendu nécessaire un changement d’école pour les enfants et entraîné des procédures pénales opposant les époux C______ à deux enseignantes. Enfin, les écoles de H______ et de I______ ne pouvaient entrer en considération pour des motifs organisationnels, d’effectifs, de dynamiques internes ou de ressources humaines.

6. Par acte du 25 août 2016, les époux C______, agissant pour leurs filles, ont recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice contre la décision susmentionnée, concluant à son annulation et à ce que la chambre de céans prononce le transfert des enfants dans l’un des établissements scolaires suivants : H______, I______ ou G______, subsidiairement à ce qu’elle enjoigne à la direction de l’établissement primaire D______ de prononcer ledit transfert. Ils demandaient que l’effet suspensif soit restitué au recours et sur mesures provisionnelles, le transfert des enfants soit ordonné dans l’un des établissements scolaires précités.

Suite à une dispute avec une camarade début 2016, le climat scolaire s’était dégradé pour A______, qui avait mal vécu une séance du conseil de bonne conduite puis avait commencé à subir des brimades récurrentes de la part de camarades. Son pédiatre avait fait connaître son inquiétude au directeur de l’établissement scolaire. Eux-mêmes étaient intervenus auprès des autorités scolaires et de protection de mineurs, par courriels, courriers ou entretiens, sans que la situation ne s’améliore. Lorsqu’était intervenue la décision de transférer leurs enfants dans un autre établissement, leur argumentation avait été écartée, sans que la DGEO ne cherche à établir les faits en relation avec les griefs qu’ils avaient soulevés. La décision de transfert était disproportionnée, aucune autre solution moins incisive n’ayant été envisagée. En outre, l’établissement scolaire retenu éloignait les enfants de leur réseau social et amical et ne bénéficiait pas d’un accès direct par les transports publics. Il faisait partie du réseau d’enseignement prioritaire (ci-après : REP), mis en place pour encourager la qualité des écoles dans les quartiers populaires, se caractérisant par des résultats scolaires médiocres et une ambiance de travail difficile. Les deux enfants concernées, bonnes élèves, n’avaient pas besoin de l’intervention d’éducateurs sociaux ou d’un encouragement à la socialisation. Les établissements qu’ils proposaient, en particulier l’école de la G______, répondaient aux intérêts des enfants. La situation conflictuelle qui avait existé avec une école faisant partie du même établissement primaire était aujourd’hui résolue.

7. Le 26 août 2016, le juge délégué a tenu une audience de comparution personnelle des parties. Les époux C______, en déplacement à l’étranger, n’ont pu y participer et ont été représentés par leur conseil, vu la convocation intervenue en urgence.

a. Les époux C______ ne contestaient pas le principe du changement d’établissement scolaire, mais seulement le choix de l’école à laquelle leurs enfants seraient affectées. Ils ne s’opposaient à ce que les deux soient transférées alors qu’une seule avait connu des problèmes avec des camarades.

b. Les représentants du DIP ont confirmé que le choix de l’établissement scolaire d’accueil des deux enfants résultait d’une mûre réflexion ayant pris en compte la situation globale de famille. Les parents avaient beaucoup de demandes vis-à-vis de l’école et apparaissaient insatisfaits du système scolaire. Cela s’était manifesté par des changements d’écoles – l’aînée allait connaître à la rentrée son quatrième établissement scolaire – intervenus après des conflits entre les parents et la communauté scolaire. Par rapport aux critères de choix, le fait que l’école des J______ appartienne au REP et bénéficie à ce titre de moyens supplémentaires, en particulier un éducateur à plein temps, était un avantage. L’expérience professionnelle des enseignants et de la direction de l’école, à laquelle des ressources supplémentaires avaient été allouées en vue de l’accueil des deux enfants et de leurs parents, permettaient d’espérer que la situation pourrait gagner en sérénité.

Les établissements scolaires suggérés par les parents ne pouvaient accueillir les enfants soit parce que des incidents ayant laissé des traces chez les enseignants et les familles avaient eu lieu avec les époux C______, soit en raison de l’existence d’autres situations difficiles à gérer et/ou de ressources humaines insuffisantes. Enfin, le trajet entre le domicile et l’école était de onze minutes, soit quatre en bus et sept à pied.

8. Par décision sur mesures provisionnelles et effet suspensif du 26 août 2016 (ATA/726/2016), le président de la chambre administrative a refusé de restituer l’effet suspensif au recours et l’octroi des mesures provisionnelles sollicitées.

9. Le 22 septembre 2016, le DIP a conclu à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.

Depuis la rentrée scolaire, les enfants fréquentaient une école privée, de sorte qu’il n’y avait plus d’intérêt actuel et pratique à trancher leur recours.

Sur le fond, l’école publique était constituée de cinquante-huit établissements regroupant cent soixante-quatre écoles qui suivaient un programme scolaire unique et recouraient aux même critères d’évaluation. Les établissements faisant partie du REP, qui avaient pour point commun d’être situés dans des quartiers populaires, disposaient de moyens supplémentaires pour encadrer et soutenir les élèves, l’objectif étant de favoriser l’égalité des chances en encourageant la qualité des écoles. Il s’agissait d’écoles de quartier accueillant les élèves domiciliés dans les secteurs de recrutement, sans distinction d’origine sociale ou de capacités scolaires, et sans choix possible des parents. À cet égard, le souci des époux C______ étaient que leurs filles soient inscrites dans ce qu’ils considéraient être un mauvais établissement scolaire, ce qui ne correspondait pas à la réalité. Pour le surplus, le DIP reprenait, en les détaillant, ses arguments antérieurs.

10. Le 21 octobre 2016, les époux C______ ont répliqué. Ils persistaient dans leur recours. La scolarisation des enfants en école privée était une option provisoire, dans l’attente de l’issue du recours. Rien ne proscrivait un changement d’établissement scolaire en cours d’année, de sorte que le recours conservait son intérêt.

11. Le 24 octobre 2016, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. L’objet du litige est le choix de l’établissement de transfert des recourantes, le principe du changement d’école n’étant pas contesté.

3. a. A qualité pour recourir toute personne touchée directement par une décision et qui a un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée (art. 60 al. 1 let. b LPA). Le recourant doit avoir un intérêt pratique à l’admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 138 II 162 consid. 2.1.2 ; 137 II 30 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_343/2014 du 21 juillet 2014 consid. 2.2 ; ATA/640/2016 du 26 juillet 2016 ; ATA/300/2016 du 12 avril 2016). Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée, exigence qui s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 138 II 42 consid. 1 ; 137 I 296 consid. 4.2 ; 137 I 23 consid. 1.3). Il est toutefois renoncé à cette exigence lorsque cette condition fait obstacle au contrôle de la légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 140 III 92 consid. 1 ; 140 IV 74 consid. 1.3.3 ; ATA/640/2016 précité ; ATA/286/2016 du 5 avril 2016).

b. En l’espèce, les recourantes sont scolarisées dans un établissement privé depuis la rentrée scolaire 2016-2017. Elles soutiennent qu’il s’agit d’une situation provisoire dans l’attente que le recours soit tranché car elles souhaitent poursuivre leur scolarité au sein de l’école publique. Par ailleurs, les changements d’établissement scolaire en cours d’année sont possibles, les élèves intégrant l’école publique en cours de scolarité obligatoire étant en principe placés dans l’année de scolarité et le type de classe qui correspondent à leur âge (art. 21A al. 1 du règlement de l’enseignement primaire du 7 juillet 1993 - REP - C 1 10.21). Enfin, compte tenu du cursus et du rythme propres à l’école comme des impératifs de la procédure administrative, l’exigence de l’intérêt actuel ferait obstacle au contrôle de la légalité de l’acte qui pourrait se reproduire en tout temps dans des circonstances semblables (ATA/365/2009 du 28 juillet 2009).

Le recours est ainsi recevable.

4. Le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès ou l’abus de pouvoir, et pour constatation inexacte ou incomplète des faits (art. 61 al. 1 LPA). En revanche, les juridictions administratives n’ont pas compétence pour apprécier l’opportunité de la décision attaquée, sauf exception prévue par la loi (art. 61 al. 2 LPA).

5. Les élèves sont en principe scolarisés dans l’établissement correspondant au secteur de recrutement du lieu de domicile ou, à défaut, du lieu de résidence des parents (art. 58 al. 1 de la loi sur l’instruction publique du 6 novembre 1940 (LIP - C 1 10). Après avoir entendu les parents concernés, la ou les directions des établissements concernés peuvent transférer un élève dans une autre classe ou un autre établissement, en cours d’année ou pour l’année scolaire suivante, lorsque le bon déroulement de la scolarité de l’élève et/ou le bon fonctionnement de la classe ou de l’établissement le commande (art. 58 al. 3 LIP, art. 24 al. 4 et 5 REP).

Dans le cas particulier, eu égard à la situation conflictuelle admise tant par les recourantes et leurs parents que par l’intimé qui s’est développée à l’école D______ au cours du premier semestre 2016 et qui a affecté aussi bien le déroulement serein de la scolarité de l’aînée des enfants que les relations entre les parents et plusieurs membres de la communauté scolaire, les recourantes ne remettent à ce stade plus en cause le principe du transfert dans un autre établissement scolaire, mais uniquement le choix de l’école d’accueil. La question de savoir si dès lors, il s’agit d’une question d’affectation ressortant à l’organisationnel qui ne serait pas sujette à recours, à l’instar des affectations hors secteur de recrutement usuel en raison du nombre insuffisant ou du surnombre d’élèves ou encore d’une inscription dans un dispositif spécifique (art. 58 al. 2 et 4 LIP), demeurera ouverte, vu ce qui suit.

Il ressort des pièces produites et des explications fournies par l’intimé que le choix de l’établissement scolaire des E______ et plus particulièrement de l’école des J______ est intervenu après une analyse approfondie de la situation des élèves, incluant tous les aspects de leur intégration au sein de la communauté scolaire y compris les relations entre leurs parents et les autres membres de cette communauté. L’intimé indique, sans être contredit, que les enseignants et direction de l’école des J______ sont expérimentés et que des ressources supplémentaires ont été mobilisées pour accueillir les recourantes. Quant au trajet, le DIP précise, sans être là non plus contredit, qu’il sera de l’ordre de onze minutes dont sept à pied et quatre en bus, ce qui apparaît manifestement raisonnable, et de nature à permettre aux enfants de maintenir les liens sociaux qu’elles ont établis à proximité immédiate de leur domicile. Leur objection relève ainsi de la convenance personnelle et ne peut dès lors être retenue. En définitive, l’argument principal de leur opposition à intégrer l’école des J______ est qu’elle est intégrée au REP, ce qui impliquerait des résultats scolaires médiocres et une ambiance de travail difficile. Ces affirmations ne sont pas étayées. Le seraient-elles que leur caractère général ne permettrait pas encore d’en déduire une opposition pertinente puisque les résultats scolaires sont individuels et que les parents soulignent que leurs enfants sont à cet égard de bonnes élèves, nonobstant les changements d’école qu’elles ont connus et les difficultés relationnelles auxquelles elles ont été confrontées en dernier lieu.

Au vu de ce qui précède, force est de constater que le DIP a fait un usage conforme au droit du large pouvoir d’appréciation qui doit lui être reconnu en matière de choix d’un établissement scolaire approprié en cas de transfert intervenant dans le cadre de l’art. 58 al. 3 LIP.

6. Mal fondé, le recours sera rejeté.

Un émolument de CHF 800.- sera mis à la charge des recourantes, prises conjointement et solidairement (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne leur sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 25 août 2016 par A______ et B______ C______, représentées par leurs parents Madame et Monsieur C______, contre la décision du département de l'instruction publique, de la culture et du sport du 19 août 2016 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge des recourantes, prises conjointement et solidairement, un émolument de CHF 800.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Philippe Eigenheer, avocat des recourantes, ainsi qu'au département de l'instruction publique, de la culture et du sport.

Siégeants : M. Verniory, président, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Rodriguez Ellwanger

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :