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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1837/2018

ATA/890/2018 du 04.09.2018 ( DIV ) , REJETE

Descripteurs : DROIT D'ÊTRE ENTENDU ; POUVOIR D'APPRÉCIATION ; INTERDICTION DE L'ARBITRAIRE ; PROPORTIONNALITÉ ; GARDERIE ; RETRAIT DE L'AUTORISATION ; SUSPENSION DANS LA PROFESSION
Normes : Cst.29.al2; LSAPE.9; RSAPE.10; OPE.1a.al1; OPE.5.al1; OPE.12.al2; OPE.18.al2
Résumé : Recours de la titulaire d'une autorisation pour l'accueil familial de jour contre la suspension de cette autorisation suite à la plainte pénale déposée par les parents d'un enfant dont elle avait la garde. Cette décision étant à même d'atteindre le but visé, soit la protection de l'intégrité physique des enfants, le recours est rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1837/2018-DIV ATA/890/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 4 septembre 2018

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Olivier Wasmer, avocat

contre

OFFICE DE L'ENFANCE ET DE LA JEUNESSE - SERVICE D'AUTORISATION ET DE SURVEILLANCE DE L'ACCUEIL DE JOUR



EN FAIT

1) Madame A______, née le ______ 1967, est depuis plusieurs années au bénéfice d’une autorisation pour l’accueil familial de jour. La première autorisation lui a été délivrée le 15 octobre 1996.

Cette autorisation a été renouvelée le 15 novembre 2016 pour la période du 12 novembre 2016 au 12 novembre 2019 par le service d’autorisation et de surveillance de l’accueil de jour (ci-après : le service), rattaché à l’office de l’enfance et de la jeunesse au sein du département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (ci-après : le DIP ou le département).

2) Le service a rendu un rapport de visite périodique le 11 novembre 2014.

Le chargé d’évaluation auteur de ce rapport a notamment relevé que c’était avec une grande confiance qu’il pouvait renouveler l’autorisation de l’intéressée. Elle gérait les enfants avec beaucoup d’autorité et de gentillesse et leur donnait des règles très claires et calmement exposées.

3) Le 20 avril 2018, Mme A______ a joint le service au téléphone. Elle s’est entretenue avec un chargé d’évaluation, lequel a établi une note datée du même jour.

L’intéressée l’avait informé du fait que des parents l’accusaient d’avoir fracturé le coude de leur petite fille âgée de neuf mois. Ces parents lui avaient fait savoir que la veille, soit le 19 avril 2018, après avoir récupéré leur fille qui arrivait au terme d’une phase d’adaptation de deux mois chez elle, ils avaient dû se rendre en urgence dans une clinique où elle avait subi une opération au bras.

Mme A______ était sous le choc de cette accusation qu’elle contestait intégralement. Au moment de son départ, l’enfant avait tendu les bras vers sa mère et ne pleurait pas. Une autre mère, présente à cette occasion, avait observé la scène et pouvait en témoigner. Elle avait aussi le soutien d’une personne active dans une association d’accueil familial et celui d’autres parents.

Le chargé d’évaluation l’a notamment invitée à lui faire parvenir un
compte rendu des événements par écrit. Ce compte rendu, daté du 7 mai 2018, a été reçu par le service le 15 mai 2018.

4) Le 26 avril 2018, la police a informé le service que les parents de l’enfant avaient porté plainte.

Le service a effectué une visite de surveillance non annoncée chez
Mme A______ le même jour. Il a notamment retenu que la capacité d’accueil n’était pas respectée et que l’âge des enfants présents n’était pas conforme à l’autorisation.

L’avis rédigé un mois après cette visite, soit le 31 mai 2018, mentionnait que l’autorisation étant suspendue « jusqu’à droit jugé sur la procédure pénale en cours », les points évalués non conformes seraient examinés avec l’intéressée en temps opportun.

5) Par décision, déclarée exécutoire nonobstant recours, du 27 avril 2018, le service a suspendu l’autorisation délivrée le 15 novembre 2016 avec effet immédiat. Jusqu’à nouvel avis, Mme A______ ne pouvait pas accueillir d’enfants à son domicile.

Le fait qu’une procédure pénale avait été ouverte à son encontre, concernant un enfant qui aurait été gravement blessé lors de son accueil à son domicile, constituait un risque majeur. Une reprise de contact avec elle aurait lieu dans les prochaines semaines en fonction de l’avancement de la procédure pénale.

Cette décision reprenait les faits qui s’étaient déroulés le 19 avril 2018 aux dires d’un des parents de l’enfant blessé. Elle listait également les constats faits lors de la visite du 26 avril 2018.

6) Par acte expédié le 28 mai 2018 à la chambre administrative de la Cour de justice, Mme A______ a recouru contre cette décision. Elle a conclu, préalablement, à la restitution de l’effet suspensif et, principalement, à son annulation.

Le service avait violé son droit d’être entendue et abusé de son pouvoir d’appréciation. Elle souhaitait également que l’autorité effectue une nouvelle visite réévaluant ses capacités d’accueil. Elle sollicitait l’audition de parents, dont elle communiquait les identités, à même de confirmer ses qualités professionnelles ainsi que son sérieux, et du fait que lorsque la mère de l’enfant était venue la chercher chez elle le 19 avril 2018, la petite fille n’avait rien.

7) Par décision du 21 juin 2018, la chambre de céans a rejeté la requête de restitution de l’effet suspensif.

8) Le service a conclu au rejet du recours.

La décision de suspension du 27 avril 2018 avait été prise en raison de l’ouverture d’une procédure pénale à l’encontre de l’intéressée pour des faits jugés à risque majeur, soit des faits mettant en danger l’intégrité d’un enfant. La seule existence d’une procédure pénale ayant pour objet des faits portant atteinte à l’intégrité physique d’un enfant ne permettait pas de garantir la sécurité ou le bien-être des enfants accueillis chez l’intéressée. Il n’était pas de son ressort d’apprécier la véracité des faits, prérogative du seul Ministère public à ce stade.

9) Dans sa réplique, la recourante a souligné la brièveté et la pauvreté des arguments de la réponse du service pour tenter de justifier la décision contestée, laquelle était en outre arbitraire. Le service justifiait en effet sa très grave décision par la seule ouverture d’une procédure pénale à son encontre. Or, aucun élément ne démontrait le fondement de cette plainte, et elle contestait intégralement les faits qui lui étaient reprochés.

10) Le 19 juillet 2018, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du
12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) L’objet du litige porte sur la conformité au droit de la décision du service de suspendre l’autorisation du 15 novembre 2016 pour l’accueil familial avec effet immédiat. Telle qu’elle est rédigée, la décision querellée peut laisser croire qu’elle se fonde à la fois sur les constats effectués lors de la visite de surveillance du
26 avril 2018, des manquements imputables à la recourante étant mentionnés, sur les faits survenus le 19 avril 2018 tels que relatés par un des parents concernés et sur l’ouverture de la procédure pénale.

Dans le préambule de sa réponse au recours, l’intimé a précisé avoir rendu sa décision en raison de l’ouverture d’une procédure pénale à l’encontre de l’intéressée pour des faits jugés à risque majeur. Il ressort en outre de l’avis de visite rédigé le 31 mai 2018 que les éventuels manquements constatés lors de la visite de surveillance seraient examinés par le service avec la recourante en temps opportun, l’autorisation étant suspendue « jusqu’à droit jugé sur la procédure pénale en cours ».

C’est donc l’ouverture de la procédure pénale à la suite de la blessure constatée chez un enfant dont la recourante avait la garde qui fonde la décision litigieuse. La réponse à la question de savoir si sa responsabilité est ou non engagée s’agissant de la blessure constatée chez cet enfant ne relève donc pas de la présente procédure.

3) Préalablement, la recourante sollicite l’audition de parents d’enfants à même d’attester de ses compétences professionnelles. Elle demande par ailleurs que l’autorité effectue une nouvelle visite dans le but de réévaluer ses capacités d’accueil.

a. Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 138 I 154 consid. 2.3.3 ; 138 V 125 consid. 2.1 ; 137 II 266 consid. 3.2). Le droit de faire administrer des preuves n’empêche cependant pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 136 I 229 consid. 5.2 ; 134 I 140 consid. 5.3 ; 131 I 153 consid. 3). Le droit d’être entendu ne comprend pas le droit d’être entendu oralement (arrêt du Tribunal fédéral 1C_551/2015 du 22 mars 2016 consid. 2.2) ni celui d’obtenir l’audition de témoins (ATF 130 II 425 consid. 2.1 ; ATA/1537/2017 du 28 novembre 2017 consid. 3a).

b. En l’espèce, la recourante a versé à la procédure des courriers clairs et explicites écrits par les parents d’enfants dont elle sollicite l’audition par la chambre de céans. Dans ces courriers, les parents relatent les événements du
19 avril 2018 tels qu’ils se sont passés de leurs points de vue et témoignent de leur satisfaction à l’égard des qualités professionnelles de l’intéressée.

Par ailleurs, une nouvelle visite de surveillance serait sans effet sur l’issue de la présente procédure, puisque même si cette visite s’avérait positive, tout constat favorable à la recourante n’enlèverait rien au fait que l’existence de la procédure pénale a, notamment, fondé le prononcé de la décision litigieuse et que cette procédure pénale est toujours en cours.

La question à résoudre se limitant à la légalité du prononcé de la décision du fait de l’ouverture de la procédure pénale pour des faits jugés à risque majeur, à l’exclusion de l’examen des compétences professionnelles de la recourante, la chambre administrative dispose d’un dossier complet, et les pièces qui y figurent suffisent pour se prononcer sur les griefs soulevés, en toute connaissance de cause. Il sera par conséquent renoncé aux actes d’instruction complémentaires sollicités.

4) Dans un grief de nature formelle, la recourante reproche à l’intimé d’avoir violé son droit d’être entendue, en ce sens que le service ne l’a pas entendue avant de rendre la décision litigieuse. Il ne lui a pas non plus donné l’occasion de s’exprimer sur les reproches retenus dans le rapport établi après la visite du
26 avril 2018. Elle avait souhaité accéder à son dossier mais cela s’était révélé impossible, la décision ayant été rendue un jour seulement après la visite à son domicile.

a. Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 Cst. - RS 101, le droit d’être entendu comprend le droit d’obtenir une décision motivée (ATF 138 I 232 consid. 5.1 ; 129 I 232 consid. 3.2). L’autorité n’est toutefois pas tenue de prendre position sur tous les moyens des parties ; elle peut se limiter aux questions décisives (ATF 138 IV 81 consid. 2.2 ; 137 II 266 consid. 3.2, Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, p. 521 n. 1573). Il suffit, de ce point de vue, que les parties puissent se rendre compte de la portée de la décision prise à leur égard et, le cas échéant, recourir contre elle en connaissance de cause (ATF 138 I 232 consid. 5.1 ; 136 I 184 consid. 2.2.1).

La violation du droit d’être entendu doit en principe entraîner l’annulation de la décision attaquée, indépendamment des chances du recourant sur le fond (ATF 140 I 68 consid. 9.3 ; 135 I 279 consid. 2.6.1 ; 133 III 235 consid. 5.3). Une réparation devant l’instance du recours est possible si celle-ci jouit du même pouvoir d’examen que l’autorité intimée (ATF 138 I 97 consid. 4.1.6.1 ; 137 I 195 consid. 2.3.2 ; ATA/1039/2017 du 30 juin 2017). La réparation dépend cependant de la gravité et de l'étendue de l'atteinte portée au droit d'être entendu et doit rester l'exception (ATF 126 I 68 consid. 2 et les arrêts cités ; ATA/1039/2017 du 30 juin 2017) ; elle peut se justifier en présence d'un vice grave notamment lorsque le renvoi constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ATF 137 I 195 consid. 2.3.2 ; 136 V 117 consid. 4.2 ; ATA/1039/2017 précité). Enfin, la possibilité de recourir doit être propre à effacer les conséquences de la violation. Autrement dit, la partie lésée doit avoir eu le loisir de faire valoir ses arguments en cours de procédure contentieuse aussi efficacement qu’elle aurait dû pouvoir le faire avant le prononcé de la décision litigieuse (ATA/679/2017 du 20 juin 2017 et les arrêts cités).

b. En l’espèce, le service n’a pas informé la recourante de son intention de rendre la décision querellée. Il ne l’a pas non plus invitée à faire valoir son point de vue sur l’intention qui était la sienne. L’intimé n’a pas non plus attendu de recevoir le compte rendu écrit de la recourante avant de notifier sa décision. Toutefois, la recourante a eu l’occasion de s’exprimer sur les faits puisqu’elle en a informé elle-même l’intimé par téléphone le 20 avril 2018. En outre, c’est l’ouverture de la procédure pénale à la suite du constat d’une fracture au coude chez un enfant dont elle avait la garde, faits qu’elle ne conteste pas, et non la véracité ou non de ses propos qui est à ce stade déterminant.

Enfin, une éventuelle violation du droit d’être entendu pourrait, dans le cas d’espèce, être réparée devant la chambre administrative, le litige se limitant à l’examen de la légalité de la suspension avec effet immédiat de l’autorisation délivrée à la recourante du fait de l’ouverture de la procédure pénale, soit une question de droit sur laquelle la chambre de céans dispose d’un plein pouvoir d’examen. Devant la chambre de céans, la recourante a au surplus eu l’occasion de faire pleinement valoir tous ses arguments et de déposer toutes les pièces qu’elle jugeait utiles, les actes d’instruction complémentaires qu’elle a sollicités ayant été écartés pour les motifs précédemment exposés.

Le grief de violation du droit d’être entendu sera donc rejeté.

5) La recourante fait grief au service d’avoir abusé de son pouvoir d’appréciation et d’avoir violé le principe de l’interdiction de l’arbitraire.

a. Les règles sur le placement d’enfants sont énoncées, au niveau fédéral, dans l’ordonnance sur le placement d'enfants du 19 octobre 1977
(OPE - RS 211.222.338). Dans le canton de Genève, l’accueil et le placement d’enfants sont régis notamment par la loi sur l’enfance et la jeunesse du 1er mars 2018 (LEJ - J 6 01), entrée en vigueur le 19 mai 2018, laquelle a abrogé la loi sur l'accueil et le placement d’enfants hors du foyer familial du 27 janvier 1989 (LAPEF - J 6 25) en vigueur au moment du prononcé de la décision litigieuse, le règlement sur l’accueil et le placement d’enfants hors du foyer familial du
5 septembre 2007 (RAPEF - J 6 25.01), lequel n’est à ce jour pas abrogé, la loi sur les structures d’accueil de la petite enfance et sur l’accueil familial de jour du
14 novembre 2003 (LSAPE - J 6 29), ainsi que le règlement sur les structures d’accueil de la petite enfance et sur l’accueil familial de jour du 21 décembre 2005 (RSAPE - J 6 29.01).

b. La personne qui, publiquement, s'offre à accueillir régulièrement dans son cadre familial, à la journée et contre rémunération, des enfants de moins de 12 ans doit s'annoncer et solliciter une autorisation auprès de l'autorité de surveillance (art. 9 al. 1 et 2 LSAPE ; art. 10 al. 1 RSAPE). Le département subordonne l'octroi de l'autorisation au respect des normes de l’OPE, ainsi qu'à celles de la LSAPE et du RSAPE. Elles visent en particulier à assurer la sécurité et le
bien-être des enfants (art. 9 al. 3 LSAPE). Le premier critère à considérer lors de l'octroi ou du retrait d'une autorisation et dans l'exercice de la surveillance est le bien de l'enfant (art. 1a al. 1 OPE).

L'autorisation ne peut être délivrée que si les qualités personnelles, les aptitudes éducatives, l'état de santé de la personne pratiquant l'accueil familial de jour et des autres personnes vivant dans son ménage, ainsi que les conditions de logement offrent toute garantie que l'enfant placé bénéficie de soins adéquats, d'une prise en charge respectant ses besoins fondamentaux et favorisant son développement et que le bien-être des autres enfants vivant dans la famille est sauvegardé (art. 10 al. 3 RSAPE ; art. 5 al. 1 OPE, applicable au placement d’enfants à la journée par renvoi de l’art. 12 al. 2 OPE).

L'autorisation délivrée par l'autorité de surveillance est établie pour une durée limitée et indique explicitement le nom de la personne qui pratique l'accueil familial de jour et le nombre maximum d'enfants pouvant être accueillis simultanément (art. 10 al. 6 RSAPE).

c. La surveillance des personnes pratiquant l’accueil familial de jour est exercée par le DIP conformément aux normes fédérales et cantonales (art. 9 al. 5 LSAPE).

Le non-respect des lois et règlements ou des conditions des autorisations peut entraîner la suspension de ces dernières (art. 14 al. 1 LSAPE). Si ces défauts ne sont pas corrigés au terme d'un délai donné par le DIP, les autorisations sont révoquées (art. 14 al. 2 LSAPE). S'il y a péril en la demeure, le département prend immédiatement les mesures adéquates. L'exploitation est suspendue si nécessaire (art. 14 al. 3 LSAPE).

d. L’intimé a adopté, en novembre 2015, une directive (ci-après : la directive) portant sur les faits graves survenus dans les milieux institutionnels d’accueil pour mineurs. Cette directive découle de l’art. 18 al. 2 OPE qui oblige toute institution à signaler à l’autorité tout événement particulier qui a trait à la santé ou à la sécurité des pensionnaires surtout les maladies graves, les accidents ou les décès. Selon cette directive, sont considérés comme faits graves les événements qui surviennent dans le milieu d’accueil ou hors du milieu d’accueil mais sous sa responsabilité, qui impliquent l’organisation et la sécurité, et qui risquent de porter atteinte ou qui ont porté atteinte à l’intégrité d’un ou de plusieurs mineurs, aux prestations garanties par le milieu d’accueil ou à son image. Les violences et maltraitances d’un adulte sur un mineur accueilli ou les accidents graves doivent être considérés comme des faits graves.

S’agissant de l’accueil familial, l’intimé a, en août 2014, adopté une note de service (ci-après : la note de service) visant à formaliser ses pratiques en matière de suivi des accueillantes familiales dites à risque. La situation familiale dite à risque s’y décline sur trois niveaux : le risque majeur, modéré ou mineur. Le degré du risque impacte le suivi de la surveillance et l’autorisation délivrée, le risque majeur entraînant le retrait ou la suspension de l’autorisation. Plus loin, il est indiqué que le degré du risque est défini selon plusieurs critères concourants, à savoir la nature du risque (par exemple la mise en danger de l’enfant dans sa sécurité physique), le degré de conscience de la situation par l’accueillante familiale et sa capacité à réguler son action, la récurrence de la situation ou encore les éléments de soutien possible. Le chargé d’évaluation est invité à effectuer une pondération de ces différents critères avant de qualifier le risque de majeur, modéré ou mineur. Toutefois, « certains éléments factuels sont considérés de facto comme des risques majeurs et ne sont pas nécessairement accompagnés par un autre critère », comme, par exemple, une dénonciation pénale sur un membre de la famille ou sur l’accueillante familiale, ou encore la maltraitance constatée sur un enfant accueilli.

6) a. Constitue un abus du pouvoir d'appréciation le cas où l'autorité reste dans le cadre fixé par la loi, mais se fonde toutefois sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire et de l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 137 V 71 précité consid. 5.1 ; Thierry TANQUEREL, op. cit., p. 171).

b. Une décision est arbitraire lorsqu’elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté ou lorsqu’elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l’équité. À cet égard, le Tribunal fédéral ne s’écarte de la solution retenue par l’autorité cantonale de dernière instance que lorsque celle-ci est manifestement insoutenable, qu’elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, si elle a été adoptée sans motif objectif ou en violation d’un droit certain. L’arbitraire ne résulte pas du seul fait qu’une autre solution pourrait entrer en considération ou même qu’elle serait préférable. Pour qu’une décision soit annulée pour cause d’arbitraire, il ne suffit pas que la motivation formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 128 I 177consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 4P.149/2000 du 2 avril 2001 consid. 2 et les arrêts cités).

7) En l’espèce, il a été porté à la connaissance de l’autorité le cas d’une atteinte à l’intégrité physique d’un bébé de neuf mois placé sous la surveillance de la recourante à laquelle il avait délivré, puis renouvelé, une autorisation pour l’accueil familial de jour. À l’évidence, une telle atteinte n’est pas compatible avec le bien-être et la sécurité des enfants et l’intimé, sans même avoir à préjuger des compétences professionnelles ou de la responsabilité de la recourante, était fondé à s’interroger sur les risques que couraient les autres enfants dont elle avait la garde.

Afin d’objectiver les critères de gravité et de risque, d’adapter en conséquence l’étendue de son intervention et de tendre vers une pratique uniforme, l’intimé a adopté la directive et la note de service. Il découle des règles figurant dans ces documents que le service a, à juste titre, qualifié la situation de risque majeur puisque, outre l’atteinte à la santé physique de l’enfant, une procédure pénale a été immédiatement ouverte. Fort de ce constat, et comme l’y autorise l’art. 14 LSAPE, il se devait de retirer ou de suspendre l’autorisation délivrée à la recourante.

L’autorité n’a dès lors pas abusé de son pouvoir d’appréciation, en l’espèce très ténu, en suspendant l’autorisation du 15 novembre 2016 pour l’accueil familial de jour avec effet immédiat Elle a choisi, entre les deux seules solutions qui s’offraient à elle, celle qui portait le moins atteinte à la recourante, à savoir la suspension et non le retrait de son autorisation. Quant au caractère immédiat de cette suspension, il n’est pas critiquable car seul à même d’éviter sans plus attendre que d’autres enfants soient accueillis par la recourante à son domicile. Compte tenu de l’atteinte importante à la santé de l’enfant, dont l’origine est en train d’être investiguée dans le cadre de la procédure pénale en cours et qu’en l’état l’hypothèse ne peut être écartée que ladite atteinte se soit produite alors que la recourante avait la responsabilité de l’enfant, la mesure prononcée par l’intimé ne paraît pas disproportionnée. En effet, l’intérêt public à vérifier si la sécurité et l’intégrité des enfants confiés à la recourante sont garanties l’emporte sur l’intérêt privé de celle-ci à pouvoir poursuivre son activité. Il conviendra cependant que cette dernière tienne l’intimé l’informé de l’évolution de la procédure pénale afin que le service puisse, au regard de cette évolution, examiner si les conditions de la décision de suspension provisoire sont toujours remplies.

La décision litigieuse a été rendue dans le respect des lois et des règles internes dont s’est doté l’intimé pour faire face aux situations qualifiées de risque majeur. La conséquence que l’intimé a tirée des faits portés à sa connaissance n’est pas choquante puisqu’elle permet de préserver l’intégrité physique des autres enfants placés sous la responsabilité de la recourante.

Il convient encore de relever que même en l’absence de la directive et de la note de service la solution ne serait pas différente. En effet, la gravité des faits à investiguer justifie de retenir l’existence d’une situation de péril en la demeure, au sens de art. 14 al. 3 LSAPE, qui permet la prise d’une décision provisoire, dont le caractère proportionné vient d’être démontré ci-dessus.

Mal fondés, les griefs d’arbitraire et d’abus du pouvoir d’appréciation doivent ainsi être écartés.

8) La recourante, qui succombe, plaide au bénéfice de l’assistance juridique, de sorte qu’aucun émolument ne sera mis à sa charge (art. 87 al. 1 LPA ; art. 13 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - B 5 10.03). Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 28 mai 2018 par Madame A______ contre la décision de l’office de l’enfance et de la jeunesse - service d'autorisation et de surveillance de l'accueil de jour du 27 avril 2018 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Olivier Wasmer, avocat de la recourante, ainsi qu'à l'office de l'enfance et de la jeunesse - service d'autorisation et de surveillance de l'accueil de jour.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Thélin, Mme Krauskopf, MM. Pagan et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :