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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/64/2010

ATA/770/2010 du 09.11.2010 ( MARPU ) , IRRECEVABLE

Recours TF déposé le 20.12.2010, rendu le 19.07.2011, REJETE, 2D_77/2010
Parties : GERATRONIC PASCAL EMERY / 022 TELEGENEVE SA, CABLECOM S. A R.L.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/64/2010-MARPU ATA/770/2010

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 9 novembre 2010

 

 

dans la cause

 

 

Monsieur Pascal EMERY
représenté par Me Olivier Wehrli, avocat

 

 

contre

 

 

022 TéLéGENèVE S.A.
représentée par Me Jean-Marc Froidevaux, avocat

 

 

et

 

 

CABLECOM S.à r.l., appelée en cause
représentée par Me Saverio Lembo, avocat



EN FAIT

1. Monsieur Pascal Emery exploite sous la raison individuelle Geratronic, Pascal Emery (ci-après : Geratronic) une entreprise active dans l'étude, la recherche, le développement et l'installation dans le domaine de la radiotechnique ainsi que dans l'installation d'antennes de radio et de télévision, l'étude d'installation pour la réception et la distribution des programmes radio-TV et le commerce en gros de matériel s'y rapportant.

M. Emery a mis au point un système nommé Supermedia qui permet le raccordement de tous les appartements d'un immeuble, à la fois au téléréseau et au satellite, au moyen d'une seule antenne parabolique située sur le toit de l'immeuble.

2. 022 Télégenève S.A. (ci-après : Télégenève), connue également sous l'appellation Naxoo, a été constituée le 1er décembre 1993 dans le but d'étudier, de construire et d'exploiter, d'entretenir et de développer en Ville de Genève et dans d'autres communes genevoises une antenne collective de télévision et de radio ainsi que le réseau de distribution qui en dépend, de même que tous autres moyens de télécommunications.

Elle était au bénéfice d'une concession l'autorisant à exercer ses activités dans le domaine de la télévision et de la radio diffusion depuis le 1er janvier 1993. A compter du 1er avril 2007, date d'entrée en vigueur de la révision de la loi sur la radio et la télévision (LRTV - RS 784.40), elle est annoncée auprès de l'Office fédéral des communications (ci-après : OFCOM) en tant que fournisseur de services de télécommunication.

Jusqu'à la fin du deuxième trimestre 2006, son capital-actions était détenu majoritairement par la Ville de Genève (ci-après : la ville) et pour le reste par la Banque Cantonale de Genève, UBS S.A., Coditel (entreprise devenue aujourd'hui Cablecom S.à r.l.) et par les Services Industriels de Genève. Depuis lors, la ville détient 51,2% du capital-actions et l'entreprise Cablecom S.à r.l., le solde.

Depuis sa création, Télégenève a déployé sur l'ensemble du territoire un réseau mixte de fibre optique et câble pour la diffusion de la télévision et de la radiodiffusion dans l'ensemble des foyers genevois.

Dès 2005, Télégenève a entrepris des études en vue de moderniser son réseau pour l'implémentation de l'offre intitulée "triple play" comportant la commercialisation commune de la télévision, la radiophonie, le téléphone et l'internet à haut débit.

La ville ayant déclaré ne pas être en mesure de financer les investissements nécessaires, Télégenève et Cablecom ont, dans ce but et de gré à gré, mis en place en 2006 un partenariat comportant un contrat d'entreprise pour la modernisation du réseau ; un contrat de services portant sur la mise à disposition des compétences de Cablecom en matière de téléphonie et d'Internet à haut débit ; un contrat de distribution des signaux télévision de Télégenève auprès des téléréseaux dans lesquels Cablecom était actionnaire.

Les travaux de modernisation ont été accomplis par Cablecom entre 2006 et 2008 mais une partie de ceux-ci, consistant dans le raccordement de chaque immeuble et de chaque appartement est toujours en cours de réalisation, les premiers raccordements au réseau téléphonique et internet ayant été effectués au printemps 2009.

3. Dans ce cadre, plusieurs litiges ont opposé Télégenève et Geratronic, dont notamment ceux-ci :

a. Geratronic a proposé à Télégenève de distribuer simultanément sur la prise de télévision des appartements les signaux provenant du câble installé par Télégenève et les signaux reçus au moyen d'antennes paraboliques installées par elle-même. Cette proposition a été refusée par Télégenève qui a invoqué des risques liés à la qualité du signal que ce type d'installation n'est pas en mesure de garantir. En outre, le procédé n'était pas légal en ce qu'il encourageait la réception d'émissions sur le territoire genevois, souvent en violation des règles du droit d'auteur. Des déclarations dans ce sens avaient été faites par les organes de Télégenève et des plaintes déposées par Geratronic. Des condamnations des organes de Télégenève ont été prononcées par les tribunaux genevois et confirmées par la Cour pénale du Tribunal fédéral le 17 avril 2008 pour actes de concurrence déloyale pour avoir donné une image trompeuse et négative de Geratronic.

b. De 2005 à 2008, Geratronic a fait notifier des commandements de payer annuels de CHF 2'000'000.- à l'encontre de Télégenève invoquant le préjudice qu'elle avait subi du fait de la non mise en concurrence par la débitrice des adjudications du matériel actif depuis 1986.

4. Les 28 septembre et 17 décembre 2007, M. Emery a sollicité de Télégenève des informations relatives aux valeurs des marchés liés à la modernisation de son réseau câblé. Il souhaitait pouvoir, cas échéant, soumissionner.

En réponse, le mandataire de Télégenève a exposé le 7 février 2008 que le mandat avait été donné à Cablecom en octobre 2006 dans le cadre d'une procédure de gré à gré et représentait environ CHF 37 millions. La société n'était pas un pouvoir adjudicateur et n'était pas visée par le champ d'application des lois sur la passation de marchés publics. En outre, le mandat confié concernait le seul canton de Genève et ne bénéficiait d'aucune subvention publique. Télégenève n'était pas tenue de procéder à un appel d'offres. La question pour des marchés futurs était réservée.

5. Le 8 décembre 2009, Geratronic a donné contrordre aux poursuites.

6. Le 14 décembre 2009, M. Emery a invité Télégenève à rendre une décision constatant qu'elle avait violé le droit des marchés publics en adjugeant le marché portant sur la modernisation de son réseau câblé, estimé à quelque CHF 37 millions, directement à Cablecom, soit de gré à gré, sans avoir procédé à un quelconque appel d'offres.

7. Le 23 décembre 2009, le mandataire de Télégenève a répondu à M. Emery qu'au vu de l'avis de droit établi par le professeur François Bellanger le 7 août 2006, le mandat confié à Cablecom ne relevait pas de la procédure des marchés publics.

8. Par pli du 7 janvier 2010, M. Emery a déposé auprès du Tribunal administratif un "recours avec action subsidiaire en constatation de droit" à l'encontre de la décision du 23 décembre 2009 de Télégenève.

Il concluait à ce que la décision soit annulée et à la constatation que Télégenève était soumise au droit des marchés publics, lorsqu'elle avait adjugé, en octobre 2006, le marché portant sur la modernisation de son réseau câblé pour un montant CHF 37 millions. Il concluait également à la constatation que Télégenève avait violé le droit des marchés publics en adjugeant de gré à gré ledit marché à Cablecom. Cela fait, le Tribunal administratif devait ouvrir une instruction séparée visant à déterminer le dommage induit pour Geratronic et condamner Télégenève au versement d'un montant correspondant à ce dommage ainsi qu'à l'octroi d'une indemnité de procédure.

Le droit des marchés publics était applicable au marché de modernisation du réseau câblé de la ville. Télégenève remplissait les critères de l'art. 8 al. 1 let. c de l'Accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 (AIMP - L 6 05) puisqu'elle était majoritairement dominée par la commune de la ville qui était un pouvoir adjudicateur au sens de l'art. 8 al. 1 let.b AIMP. Les autres conditions d'application de l'AIMP étaient remplies.

Au regard de la loi fédérale sur le marché intérieur du 6 octobre 1995 (LMI - RS 943.02), Télégenève était aussi un organe assumant des tâches cantonales ou communales au sens de l'art. 5 LMI et les art. 5 et 9 LMI lui étaient applicables lorsqu'elle entendait conclure des marchés.

Le marché avait été attribué de gré à gré sans publication d'un appel d'offres ni une quelconque forme de mise en concurrence en violation du droit applicable.

Il devait être admis à faire valoir ses dommages et intérêts relatifs à cette violation.

9. Le 14 janvier 2010, le juge délégué a appelé en cause Cablecom.

10. Le 26 février 2010, Télégenève a fait part de ses observations en concluant à l'irrecevabilité du recours de même qu'à celle de l'action en constatation ainsi qu'au versement d'une indemnité de procédure.

M. Emery avait interpellé à plusieurs reprises Télégenève sur la question de l'applicabilité du droit des marchés publics. La même réponse lui avait été faite, le 17 février 2007, déjà et cette correspondance n'avait fait l'objet d'aucun recours. Il avait donc connaissance depuis le printemps 2005 déjà, date du commandement de payer de CHF 2'000'000.- du droit dont il se prévalait. Sa demande du 14 décembre 2009 de se voir signifier une décision formelle procédait d'une astuce de procédure en vue d'ouvrir un délai de recours. Il en allait de même de l'action. Il n'avait aucun intérêt digne de protection. Le recours était tardif et l'action irrecevable, Geratronic ne démontrant pas son intérêt et ne développant aucun argument à ce sujet.

Le réseau câblé installé par Télégenève n'avait pas été financé par des fonds publics mais au moyen de son important capital et de manière complémentaire par des crédits bancaires consentis aux conditions générales du marché. L'exploitation du réseau câblé faisait l'objet d'une redevance annuelle constituant la rémunération du droit à la connexion au réseau ainsi que, à la demande des abonnés, d'un paiement mensuel correspondant aux chaînes spécifiques désirées. Ces recettes constituaient presque l'intégralité des revenus et servaient à financer le renouvellement des investissements, à rembourser les fonds étrangers éventuels et rémunérer, cas échéant, les actionnaires. Le caractère commercial et industriel de la société n'était pas contestable.

Le professeur Bellanger avait confirmé son avis de droit par un nouvel avis du 7 janvier 2010, selon lequel la mise en œuvre du droit des marchés publics supposait notamment que Télégenève soit un pouvoir adjudicateur. Or, elle ne satisfaisait pas un besoin d'intérêt général dans la mesure où la diffusion d'un moyen télévisuel ou radiophonique avait toujours été, et demeurait, largement accessible autrement que par le câble mis à disposition. Si la diffusion d'informations à caractère culturel pouvait être considérée comme d'intérêt général, voire d'intérêt public, un cablo-opérateur n'était qu'un transporteur d'images et de son, sans aucun apport propre au message qu'il diffusait. La première des cinq conditions cumulatives prévues par le droit des marchés publics n'était ainsi pas remplie.

En outre, elle ne possédait pas, en matière de télécommunication, une concession universelle mais faisait l'objet d'une annonce auprès de l'OFCOM, ce qui excluait l'application de l'Accord bilatéral sur les marchés publics du 21 juin 1999 (ABMP - RS 0.172.052.68).

L'application du droit des marchés publics était exclue si la partie adjudicatrice n'exerçait pas de tâches publiques communales. Or, les tâches de diffusion de médias radio-télévision étaient souvent confiées à des communes ou des groupements de communes mais cela n'était pas la règle et le principal opérateur en Suisse était Cablecom, société de droit purement privé.

11. Le 26 février 2010, Cablecom, appelée en cause, a déposé ses observations en concluant à l'irrecevabilité du recours et de l'action en constatation, ainsi qu'au versement d'une indemnité de procédure.

Cablecom a développé l'argumentation déjà présentée par Télégenève, à savoir que cette dernière n'était pas un pouvoir adjudicateur au sens du droit des marchés publics et qu'ainsi, le contrat passé en 2006 portant sur la modernisation du réseau n'y était pas soumis. Ce raisonnement était valable tant pour l'accord du 15 avril 1994 sur les marchés publics (AMP - RS 0.632.231.422) qui n'était pas applicable aux télécommunications, que pour l'ABMP qui n'était applicable qu'aux entités fournissant un service public de télécommunication en vertu d'une concession. L'AIMP, en vigueur jusqu'au 31 décembre 2007, prévoyait que les secteurs partiels de la communication sur réseau fixe, de la communication mobile et de l'accès internet étaient exemptés du droit des marchés publics. En outre, Télégenève n'étant ni une entreprise publique, ni un organisme public au sens de l'annexe 3 de l'AMP, ni encore une entité privée titulaire de droits spéciaux ou exclusifs, ce qui excluait l'application des règles de la LMI.

L'action en constatation de droit était irrecevable, aucun intérêt juridique personnel, concret et digne de protection n'étant rendu vraisemblable par Geratronic.

12. Le 13 avril 2010, M. Emery a requis la production de documents.

Les conventions signées dès l'été 2006 entre Télégenève et Cablecom n'ayant pas été versées au dossier, il n'était pas possible d'établir le contenu précis du marché public litigieux. De même, le financement par des fonds étrangers, en particulier par un emprunt bancaire et par l'actionnaire minoritaire Cablecom, n'était pas démontré.

La production de ces pièces par Télégenève était nécessaire à sa détermination.

13. Le 14 avril 2010, le juge délégué a fixé à Télégenève et à Cablecom un délai au 30 avril 2010 pour la production des pièces demandées par M. Emery.

14. Le 30 avril 2010, Cablecom a produit le contrat d'entreprise pour la modernisation du réseau, signé le 28 août 2006 ; le contrat de services portant sur mise à disposition des compétences de Cablecom en matière de téléphonie et d'Internet à haut débit, comprenant un contrat cadre ainsi que deux contrats spécifiques se rapportant aux services de téléphonie et d'Internet signés le 28 août 2006 ; le contrat de distribution des signaux télévision de Télégenève auprès des téléréseaux dans lesquels Cablecom était actionnaire, signé le 11 novembre 1999 ainsi qu'un avenant à ce contrat signé les 13 et 14 décembre 2006 ; un contrat de coopération pour la modernisation des installation de distribution d'immeuble conclu le 28 août 2006. Ce dernier démontrait que Cablecom prenait en charge les frais des installations de modernisation des immeubles qui étaient ensuite répercutés sur les clients.

Les documents avaient été partiellement caviardés afin de préserver le secret des affaires ainsi que les obligations de confidentialité vis-à-vis de tiers. Elle avait un intérêt économique à conserver l'exclusivité de certaines données. En outre, ces informations n'étaient pas pertinentes aux fins d'examiner la nature du marché.

15. Le 31 mai 2010, M. Emery a répliqué.

Les pièces produites par Cablecom ne contenaient aucun des éléments nécessaires pour déterminer sur quelle somme portait le marché public litigieux. Or, c'était le seul moyen d'estimer l'ampleur de son dommage. Il manquait également des annexes au contrat. De même, la convention d'actionnaires incluant la ville n'avait pas été produite. Or, elle concernait directement l'intervention dans l'opération d'une autorité publique. Plusieurs clauses étaient incompréhensibles du fait du caviardage. Le financement du marché litigieux n'était pas justifié dans son intégralité puisque seule la constitution d'un prêt de CHF 12 millions était démontrée. Il fallait en déduire que le solde avait été financé par des fonds publics.

Les pièces non caviardées devaient être produites.

Jusqu'au 1er avril 2007, Télégenève était au bénéfice d'une concession publique sur le territoire de la ville. Du fait de cette concession, elle était la seule à avoir accès au réseau câblé, auquel ni Bluewin TV, ni aucune autre entreprise active dans le domaine des télécommunications n'avait accès. Elle bénéficiait d'un monopole sur le réseau câblé et de fibre optique pour tout le territoire de la ville.

Télégenève poursuivait un but de tâche publique. Cela résultait des déclarations de Monsieur Manuel Tornare, Conseiller administratif de la ville et président de Télégenève en 2006, et par le but de la société, tel qu'énoncé sur son site internet : "permettre à tous les habitants du canton d'accéder à la richesse de la télévision par câble".

La qualité d'appelée en cause de Cablecom devait être niée car celle-ci n'était pas touchée par l'objet du litige. Partant, ses déterminations devaient être écartées du débat.

Aucun des autres courriers de Télégenève ne constituait une décision au sens formel. Seul celui du 23 décembre 2009 indiquait notamment les voie et délai de recours. Le recours était également recevable car Télégenève était un pouvoir adjudicateur. Subsidiairement, l'action en constatation était recevable car il avait un intérêt digne de protection. Il était actif dans le domaine concerné par le marché et avait été privé à tort de soumissionner dans le cadre d'un marché dépassant une valeur de CHF 37 millions.

16. Le 5 juillet 2010, le juge délégué a requis de Cablecom la production de documents non caviardés qui les a envoyés le 12 juillet 2010. Ils n'ont toutefois pas été mis à la disposition des autres parties.

17. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. M. Emery recourt contre un courrier du 23 décembre 2009 de Télégenève, dans lequel cette dernière confirme comme elle l'avait déjà fait précédemment, que les travaux adjugés de gré à gré à Cablecom en 2006 ne constituaient pas un marché public, elle-même n'étant pas une entité adjudicatrice.

2. Le recourant a demandé la production de l'intégralité des documents permettant de déterminer sur quelle somme portait le marché public litigieux.

Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend le droit pour les parties de faire valoir leur point de vue avant qu’une décision ne soit prise, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, d’avoir accès au dossier, de participer à l’administration des preuves, d’en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (Arrêt du Tribunal fédéral 2P.77/2003 du 9 juillet 2003 consid. 2.1 et les arrêts cités ; ATA/172/2004 du 2 mars 2004 et les arrêts cités). Le droit de faire administrer des preuves n'empêche cependant pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne pourraient l’amener à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (Arrêts du tribunal fédéral 2P.200/2003 du 7 octobre 2003, consid. 3.1 ; 2P.77/2003 du 9 juillet 2003 consid. 2.1 et les arrêts cités ; ATA/172/2004 du 2 mars 2004 ; ATA/39/2004 du 13 janvier 2004 consid. 2).

En l'espèce, les documents requis par le recourant ne sont pas de nature à influer sur la décision. En effet, la solution du litige ne nécessite pas, comme cela sera vu ci-après, de déterminer le montant sur lequel portent les différents contrats conclus entre Télégenève et Cablecom, ni même de savoir si la conclusion de ces derniers constituent l'adjudication d'un marché public. Il se justifie donc de renoncer à la mise à disposition du recourant desdits documents lesquels, l'intimée estime être couverts par le secret des affaires et par ses obligations de confidentialité vis-à-vis de tiers.

Les documents n'étant pas utilisés pour fonder l'arrêt, leur consultation peut être soustraite aux autres parties sans qu'il ne soit nécessaire de rendre une décision séparée à ce sujet en application de l'art. 45 de loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10). Par ailleurs, ce mode de procéder ne viole en rien le droit d'être entendu du recourant en particulier.

3. L'application au présent litige du droit des marchés publics supposerait d'établir que l'intimée est une entité adjudicatrice et que le marché lui-même est soumis à ce droit.

Toutefois, ces questions souffriront de rester ouvertes vu l'issue du litige.

En effet, comme il sera vu ci-dessous, même dans l'hypothèse de l'application du droit des marchés publics à la conclusion des contrats entre l'intimée et l'appelée en cause, le recours doit être rejeté.

4. a. Sauf disposition contraire contenue dans l'AIMP, la procédure en matière de marchés publics est réglée par la LPA et par l'art. 3 al. 4 L-AIMP).

b. Le recours contre une décision d'adjudication de gré à gré doit être déposé auprès du Tribunal administratif dans un délai de dix jours dès la notification de la décision d'adjudication (art. 15 al. 2 AIMP ; art. 3 L-AIMP).

En l'espèce, la procédure d'adjudication n'ayant pas été utilisée par Télégenève, cette dernière n'a pas rendu de décision formelle d'adjudication.

5. a. Il est possible de recourir en tout temps lorsque, sans droit, une autorité refuse de statuer ou tarde à se prononcer, son silence étant alors assimilé à une décision (art. 4 al. 4 LPA).

b. En revanche, la situation est différente si la décision arrive à la connaissance de l'administré mais sous une forme irrégulière, n'indiquant pas l'autorité et le délai de recours ou donnant ces indications de manière erronée. Dans ces cas, selon les règles de la bonne foi, l'intéressé ne peut attendre indéfiniment. Dès lors qu'il a reçu notification, il doit agir selon ces règles, il doit s'enquérir des modalités de recours et recourir dans un délai raisonnable, la longueur de celui-ci s'appréciant selon les circonstances (P. MOOR, Droit administratif II, 2e éd. 2002, p. 677).

c. Plus spécifiquement, dans le cadre du droit des marchés publics, s'il n'y a eu ni publication ni notification individuelle au recourant, le délai ne commence pas à courir mais, dès qu'il a pris connaissance de la décision contestée, le recourant ne peut rester inactif et doit contacter l'entité adjudicatrice pour obtenir la notification individuelle de la décision et sa motivation. S'il n'intervient pas avec toute la diligence voulue, il risque de se voir opposer l'irrecevabilité de son recours pour cause de tardiveté (D. ESSEIVA, Calcul du délai de recours contre une décision d'adjudication de gré à gré, in Droit de la construction, 2000 p. 52).

En l'espèce, depuis 2005, date du premier commandement de payer renouvelé tous les ans jusqu'en 2008 et adressé à l'intimée, le recourant réclame des dommages et intérêts du fait de la non soumission aux procédures prévues par le droit des marchés publics des différents mandats confiés par l'intimée à Cablecom, notamment. Ainsi, pour la dernière fois les 28 septembre et 17 décembre 2007, M. Emery a demandé à l'intimée de pouvoir soumissionner dans le cadre de la modernisation de son réseau.

La réponse de Télégenève du 7 février 2008 indique clairement qu'elle n'a pas procédé à un appel d'offre au sens du droit des marchés publics, puisqu'elle estime ne pas y être soumise.

Toujours dans l'hypothèse de l'application du droit des marchés publics, il s'agit là d'une décision, certes irrégulière au sens de la LPA car ne contenant aucun délai ni voie de recours, mais clairement motivée et dénuée de toute ambiguïté.

Aucun recours n'ayant été déposé en temps raisonnable contre cette décision, elle bénéficie de la force de chose décidée et est devenue définitive.

Ce n'est que le 14 décembre 2009 que M. Emery a invité Télégenève à rendre une décision formelle.

En conséquence, la requête de M. Emery datée du 14 décembre 2009 doit être considérée comme une demande de réexamen de la décision de refus du 7 février 2008 et le courrier du 23 décembre 2009 de Télégenève comme une décision rejetant cette demande de réexamen.

6. Reste à examiner, toujours dans l'hypothèse de l'application du droit des marchés publics, si Télégenève a refusé à juste titre de reconsidérer sa décision.

a. Les décisions dotées de l’autorité de la chose jugée ou décidée peuvent faire l’objet d’une demande de réexamen par l’autorité administrative qui a pris la décision de base, ou d’une procédure de révision devant une autorité administrative supérieure, une instance quasi judiciaire ou un tribunal, selon que leur auteur est une autorité ou un tribunal (B. KNAPP, Précis de droit administratif, 4e éd., Bâle 1991, n° 1137).

b. Une demande de réexamen peut être présentée, en tout temps, par toute personne qui aurait la qualité pour recourir contre la décision objet de la demande au moment du dépôt de celle-ci. Elle a pour but d’obtenir la modification de la décision d’origine (B. KNAPP, op. cit. n° 1770 ss ; ATA I. du 29 mars 1992).

c. L'existence d'une procédure de réexamen ne saurait servir à remettre continuellement en cause des décisions administratives entrées en force de chose décidée (cf. ATF 127 I 133 consid. 6 p. 138 in fine ; 120 Ib 42 consid. 2b p. 46/47 et les références citées). L'autorité doit seulement procéder à un nouvel examen si la loi le lui impose (ATF 100 Ib 372 3b ; ATA/366/2003 du 13 mai 2003 ; B. KNAPP, op. cit. n° 1778 ss). Au-delà de cela, l'auteur n'a aucun droit à obtenir une nouvelle décision, ni à exiger de l’autorité qu’elle procède à un nouvel examen.

d. Ainsi, l'autorité saisie d'une demande en reconsidération doit tout d'abord contrôler si les conditions requises pour l'obliger à statuer sont remplies. Si tel est le cas, elle doit entrer en matière sur le fond et rendre une nouvelle décision qui ouvre à nouveau les voies de recours. En revanche, dans la négative, elle peut refuser d'examiner le fond de la requête. Le cas échéant, le recourant peut seulement recourir en alléguant que l'autorité a nié à tort l'existence des conditions requises pour la reconsidération ; l'autorité de recours se limitant, pour sa part, à examiner si l'autorité inférieure devait entrer en matière.

7. a. Aux termes de l'art. 48 LPA, une autorité administrative n'a l'obligation de reconsidérer ses décisions que lorsqu'il existe un motif de révision au sens de l'art. 80 let. a et b LPA ou que les circonstances se sont modifiées dans une mesure notable depuis la première décision.

b. Les deux motifs de révision justifiant le réexamen d'une décision sont d'une part le fait qu'un crime ou un délit, établi par procédure pénale ou d'une autre manière, a influencé la décision (art. 80 let. a LPA), et d'autre part l'existence de faits ou de moyens de preuve nouveaux et importants que l'administré ne pouvait connaître ou invoquer dans la procédure précédente (art. 80 let. b LPA).

c. Par faits nouveaux, au sens de l'art. 80 let. b LPA, il convient d'entendre des faits qui se sont produits antérieurement à la procédure précédente, mais dont l'auteur de la demande de révision a été empêché, sans sa faute, de faire état dans la procédure précédente. Pour justifier une révision, les preuves nouvelles doivent se rapporter à des faits antérieurs à la décision attaquée. Encore faut-il qu'elles n'aient pas pu être administrées lors du premier procès ou que les faits à prouver soient nouveaux, au sens où ils ont été définis (ATF 108 V 171 ss; 99 V 191 ; 98 II 255; 86 II 386 ; A. GRISEL, Traité de droit administratif 1984, p. 944).

  d. Faits nouveaux et preuves nouvelles ont un point commun : ils ne peuvent entraîner la révision que s'ils sont importants, c'est-à-dire de nature à influer sur l'issue de la contestation, à savoir s'ils ont pour effet qu'à la lumière de l'état de fait modifié, l'appréciation juridique doit intervenir différemment que dans le cas de la précédente décision. Un motif de révision n'est ainsi pas réalisé du seul fait qu'un tribunal ait pu apprécier faussement des faits connus. Encore faut-il bien plus que cette appréciation erronée repose sur l'ignorance de faits essentiels pour la décision ou sur l'absence de preuves de tels faits. Quant à ces moyens de preuve nouveaux, ils doivent être de nature à modifier l'état de fait et, partant, le jugement ou la décision de manière significative (ATF 110 V 141 ; 108 V 171 ; 101 Ib 222 ; 99 V 191 ; 88 II 63 ; A. GRISEL, op. cit., p. 944 ; B. KNAPP, Précis de droit administratif, 1988, p. 234 ; F. GYGI, Bundesverwaltungsrechtspflege, 1983, pp. 262, 263).

e. La révision ne permet pas de supprimer une erreur de droit, de bénéficier d'une nouvelle interprétation, d'une nouvelle pratique, d'obtenir une nouvelle appréciation de faits connus lors de la décision dont la révision est demandée ou de faire valoir des faits ou des moyens de preuve qui auraient pu ou dû être invoqués dans la procédure ordinaire (ATF 111 Ib 211; 98 Ia 572 ; B. KNAPP, op. cit. p. 235). De nouvelles réflexions de nature juridique ne sont pas des motifs de révision (F. GYGI, op. cit. p. 262). La révision n'est pas admise lorsqu'est alléguée, du point de vue du demandeur en révision, une appréciation juridique erronée de l'autorité qui a pris la décision (ATF 111 Ib 211 ; ATA du 28 mai 1990 en la cause E. ; du 24 juin 1992 en la cause F.).

Dans le cas d'espèce, il n'existe aucun motif de révision emportant le réexamen obligatoire de la décision. En effet, aucun fait ou moyen de preuve nouveau et important que le recourant ne pouvait connaître ou invoquer avant la première décision considérée n'est allégué.

Le 14 décembre 2009, M. Emery a demandé à Télégenève de rendre une nouvelle décision confirmant qu'elle avait attribué le marché portant sur la modernisation de son réseau sans avoir procédé à un appel d'offres, ce qu'elle avait déjà fait à de nombreuses reprises. Le recourant n'allègue aucun fait ou moyen de preuve nouveau à l'appui de sa demande.

Force est de constater que, même dans l'hypothèse faite au départ de l'application de la procédure des marchés publics, Télégenève a refusé à juste titre la demande de réexamen du recourant, le 23 décembre 2009.

En conséquence, le recours sera rejeté dans la mesure où il est recevable.

8. Par la voie d'une action en constatation, le recourant a également conclu à ce que le tribunal de céans constate que Télégenève était soumise au droit des marchés publics lorsqu'elle a adjugé, en octobre 2006, le marché portant sur la modernisation de son réseau câblé.

a. Selon l'art. 49 al. 1 LPA, l'autorité peut d'office ou sur demande constater par une décision l'existence ou l'étendue de droits ou d'obligations fondées sur le droit public.

b. La jurisprudence précise cependant que lorsque le justiciable peut obtenir en sa faveur un jugement condamnatoire, la voie de l'action en constatation n'est pas admise par le Tribunal fédéral (ATF 119 V 11 consid. 2, p. 12 et réf. cit. ; ATA/768/1998 du 1er décembre 1998).

En effet, en vertu du principe de subsidiarité, une décision de constatation ne sera prise qu'en cas d'impossibilité d'obtenir une décision formatrice, dès lors que celui qui prétend à une prestation doit réclamer son dû plutôt que faire constater son droit (A. GRISEL, Traité de droit administratif, Neuchâtel 1984, p. 867). En d'autres termes, lorsque la question litigieuse peut être réglée par une décision positive ou négative, l'intérêt juridique personnel, concret et digne de protection nécessaire à la recevabilité de l'action, fait défaut (P. TSCHANNEN/ U. ZIMMERLI/M. MUELLER, Allgemeines Verwaltungsrecht, 3ème éd., Bern 2009, p. 243).

En outre, il découle aussi de ce qui précède qu'une action en constatation ne peut suppléer la tardiveté d'un recours.

En l'espèce, les contrats litigieux ont été signés en août 2006. M. Emery n'a pas recouru contre ce qu'il considère pourtant comme une adjudication de gré à gré, alors que cette voie est prévue par le droit des marchés publics, comme cela a été vu plus haut.

En conséquence, l'action en constatation est irrecevable.

9. Un émolument de CHF 2'000.- sera mis à la charge de M. Emery qui succombe et une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à l'intimée d'une part et à Cablecom S.à r.l., appelée en cause, d'autre part, à la charge du recourant (art. 87 LPA).

 

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PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

déclare irrecevable l'action en constatation déposée le 7 janvier 2010 par Monsieur Pascal Emery ;

rejette, dans la mesure où il est recevable, le recours interjeté le 7 janvier 2010 par Monsieur Pascal Emery contre la décision de 022 Télégenève S.A. du 23 décembre 2009 ;

met à la charge de Monsieur Pascal Emery un émolument de CHF 2’000.- ;

alloue une indemnité de CHF 1’000.- à 022 Télégenève S.A., à la charge de Monsieur Pascal Emery ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1’000.- à Cablecom S.à r.l., à la charge de Monsieur Pascal Emery ;

dit que, conformément aux art. 82 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n’est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

s’il soulève une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 et ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Olivier Wehrli, avocat de Monsieur Pascal Emery, à Me Jean-Marc Froidevaux, avocat de 022 Télégenève S.A. et à Me Saverio Lembo, avocat de Cablecom S.à r.l., appelée en cause.

Siégeants : M. Thélin, président, Mmes Bovy, Hurni et Junod, M. Dumartheray, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. :

 

 

F. Glauser

 

le vice-président :

 

 

Ph. Thélin

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :