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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/104/2021

ATA/765/2021 du 15.07.2021 sur DITAI/247/2021 ( LCR ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/104/2021-LCR ATA/765/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 15 juillet 2021

en section

 

dans la cause

 

M. A______
représenté par Me Samir Djaziri, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DES VÉHICULES


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 28 mai 2021 (DITAI/247/2021)


EN FAIT

1) M. A______, né le ______ 1977, est titulaire des permis de conduire de catégorie A, A1, B, BE, B1, D1, D1E, F, G et M.

Il est au bénéfice d’une rente d’assurance invalidité de 100 % suite à un accident.

2) Selon un rapport de police établi le 17 novembre 2020 par le groupe technique de recherche de véhicules de la police routière genevoise, à la demande du Ministère public genevois, M. A______ avait commis sur l’autoroute Lausanne-Genève à la hauteur de B______ des dépassements de vitesse atteignant 125 km/h sur un tronçon de 3'428 m limité à 120 km/h (vitesse totale 245 km/h), 82 km/h sur un tronçon de 577 m limité à 100 km/h (vitesse totale 182 km/h) et 112 km/h sur un tronçon de 640 m limité à 80 km/h (vitesse totale 192 km/h).

Le rapport de police arrêtait la date de l’événement au mercredi 25 mars 2020 à 15h52.

M. A______ était prévenu d’avoir commis ces excès de vitesse, circulé sur la bande d’arrêt d’urgence, contourné des véhicules par la droite pour les dépasser, franchi ou empiété sur la ligne de sécurité et gardé une distance latérale insuffisante avec mise en danger. Lors de son audition à la police le 11 novembre 2020, il avait fermement contesté être le conducteur et l’auteur des infractions.

3) Le rapport de police du 17 novembre 2020 a été transmis l’office cantonal des véhicules (ci-après : OCS) le 2 décembre 2020.

4) Le 15 décembre 2020, le OCV a informé M. A______ qu’il avait été averti des infractions commises, lesquelles pouvaient aboutir à une mesure administrative telle qu’un avertissement, un retrait du permis de conduire ou une interdiction de piloter un véhicule à moteur. Il était invité à faire part de ses observations.

5) Le 21 décembre 2020, le SCV a retiré à titre préventif le permis de conduire de M. A______, pour une durée indéterminée, dès le 27 décembre 2020, et nonobstant recours.

Il avait commis une violation fondamentale de la circulation routière sur l’autoroute A1 à Genève, au guidon d’une moto, le 25 mars 2020, faisant ainsi courir un grand risque d’accident pouvant entraîner de graves blessures ou la mort, notamment en effectuant des excès de vitesse entre 82 et 125 km/h sur des tronçons limités à 80, 100 et 120 km/h, en circulant sur la bande d’arrêt d’urgence, en contournant des véhicules par la droite pour les dépasser, en empiétant sur ou en franchissant la ligne de sécurité et en gardant une distance latérale insuffisante.

Il ne pouvait justifier d’une bonne réputation, ayant fait l’objet d’un retrait du permis de conduire le 12 février 2019 pour une durée d’un mois en raison d’une infraction moyennement grave, soit un excès de vitesse, ainsi que d’un retrait du permis de conduire le 5 octobre 2020 pour une durée d’un mois en raison d’une infraction légère, soit un excès de vitesse, mesure dont l’exécution prendrait fin le 27 décembre 2020.

L’examen du dossier et notamment l’importance des excès de vitesse commis, considérés comme des délits de chauffard au sens de l’art. 90 al. 3 et 4 de la loi fédérale sur la circulation routière du 19 décembre 1958 (LCR - RS 741.01), impliquait un retrait pour une durée de deux ans et faisait naître des doutes sérieux quant à son aptitude caractérielle à la conduite des véhicules à moteur. Un examen approfondi auprès de l’unité de médecine et de psychologie du trafic du centre universitaire de médecine légale lui était imposé.

Une décision finale serait prononcée à réception de l’expertise et/ou de l’issue de la procédure pénale.

6) Le 22 décembre 2020, M. A______ a indiqué au SCV qu’il contestait être l’auteur des infractions qui lui étaient reprochées.

7) Le 11 janvier 2021, M. A______ a recouru contre la décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), concluant à son annulation et à la restitution de son permis de conduire. Préalablement, l’effet suspensif devait être restitué au recours.

Les infractions reprochées avaient été commises le 25 mars 2020, il avait pu continuer à utiliser ses véhicules jusqu’au mois de novembre 2020 sans mettre en danger quiconque, ce qui démontrait qu’il était parfaitement apte à la conduite. Il était disproportionné de le tenir à l’écart de la circulation jusqu’à l’issue du litige. Il contestait être l’auteur des excès de vitesse qui lui étaient reprochés.

8) Le 22 janvier 2021, M. A______ a transmis au TAPI une preuve remise au Ministère public la veille, soit un SMS qu’il avait envoyé le 25 mars 2020 à 15h52 à sa concubine, Mme C______, alors qu’il était avec une personne au panorama de D______, qui pourrait témoigner au Ministère public.

9) Le 9 février 2021, le TAPI a rejeté la demande d’effet suspensif au recours.

La mesure contestée constituait un retrait préventif et ne tendait pas à réprimer une infraction fautive à une règle de la circulation, mais était destinée à protéger la sécurité du trafic contre les conducteurs incapables. De nombreux éléments mis en exergue dans la procédure pénale tendaient à retenir que l’intéressé pouvait être le conducteur de la moto filmée le 25 mars 2020. La pièce produite semblait établir qu’un SMS avait été échangé sur son téléphone le
25 mars 2020 à 15h52, date et heure des infractions, sans qu’il fut toutefois possible de conclure que ce message avait été envoyé de son téléphone, que ce soit effectivement lui qui l’avait envoyé et qu’il avait été adressé à
Mme C______.

L’intérêt public à la sécurité du trafic l’emportait en conséquence sur l’intérêt privé de M. A______ à continuer de faire usage de son permis de conduire, étant souligné que ce dernier n’avait apporté aucun élément permettant de retenir un besoin professionnel ou privé ou tout autre intérêt privé supérieur.

10) Par acte remis à la poste le 22 février 2021, M. A______ a recouru contre cette décision auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), concluant à son annulation, à la restitution de l’effet suspensif et à la restitution de son permis de conduire.

Le message SMS qu’il avait produit devant le TAPI était issu du téléphone portable de sa compagne, dans la mesure où le sien était séquestré par le Ministère public. Il produisait une nouvelle image du message affichant son numéro de téléphone. Il était père au foyer et s’occupait principalement de son fils, et il était indispensable qu’il dispose de son permis de conduire pour pouvoir véhiculer ce dernier lors de ses différentes activités. Il envisageait en outre de déménager prochainement à E______ et avait besoin de son permis de conduire en vue de ce déménagement.

Il avait démontré qu’il n’était pas le conducteur de la moto incriminée. Son intérêt privé à la restitution du permis de conduire l’emportait, puisqu’il devrait subir une mesure administrative extrêmement contraignante pour une infraction qu’il n’avait pas commise. Il présentait par ailleurs un besoin personnel prépondérant de disposer de son permis de conduire.

11) Le 8 mars 2021, l’OCV s’est opposé à la restitution de l’effet suspensif, se référant à sa détermination devant le TAPI.

12) Le 22 mars 2021, M. A______ a répliqué.

Il a produit un rapport d’analyse établi le 14 octobre 2020 par le groupe d’analyse criminelle opérationnelle de la police judiciaire genevoise, portant sur les antennes de téléphonie mobile activées le 25 mars 2020 par des communications de son téléphone portable.

Le rapport établissait que son téléphone portable avait activé une antenne à Genève, au F______, ce jour-là à 15h41, et la communication avait duré 47 secondes. Il était matériellement impossible qu’il pût être 10 minutes plus tard sur l’autoroute A1 à la hauteur de B______ en direction de Genève.

Le Ministère public lui avait par ailleurs restitué sa moto le 8 mars 2021.

Il persistait dans les conclusions de son recours.

13) Le 13 avril 2021, la chambre administrative a déclaré le recours de M. A______ irrecevable.

Sans activité, au bénéfice d’une rente d’invalidité de 100 % à la suite d’un accident, M. A______, qui expliquait s’occuper de son fils âgé de 3 ans et devoir le transporter, et devait par ailleurs pouvoir participer à son prochain déménagement, n’établissait pas de préjudice irréparable, la prise en charge d’un enfant pouvant notoirement se faire sans véhicule motorisé et la conduite d’un véhicule de déménagement pouvant être confiée à des professionnels ou à des amis.

14) Le 28 mai 2021, le TAPI a ordonné la suspension de l’instruction de la procédure jusqu’à droit connu dans la procédure pénale P/1______/2020, laquelle devait trancher si M. A______ était bien l’auteur des infractions qui lui étaient reprochées.

15) Par acte remis à la poste le 11 juin 2021, M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative contre cette décision, concluant à son annulation.

Il contestait fermement être l’auteur des faits du 25 mars 2020 qui lui étaient reprochés. Il avait produit les preuves qu’il ne pouvait matériellement se trouver au lieu des infractions.

Il n’avait pas encore été auditionné par le Ministère public.

Il était père au foyer et s’occupait principalement de son fils. Il lui était indispensable de disposer de son permis de conduire pour véhiculer celui-ci lors de leurs différentes activités.

Il était privé de son droit de conduire pour des faits qu’il n’avait pas commis depuis près de six mois, et la procédure pénale avançait lentement. Le TAPI avait la possibilité de mettre fin à la procédure car il disposait des éléments permettant de le mettre hors de cause. La décision de suspension lui causait un préjudice irréparable, et l’admission du recours permettrait de conduire à une décision finale.

Au fond, il avait produit les preuves qu’il ne pouvait matériellement être l’auteur des infractions.

16) Le 24 juin 2021, l’OCV a indiqué ne pas avoir d’observations à faire valoir.

17) Le 12 juillet 2021, M. A______ a répliqué et persisté dans ses conclusions.

Il prévoyait d’emménager dans le canton de Vaud dès octobre 2021 et avait déjà scolarisé son fils à l’école de G______. Sa compagne travaillait et il devrait faire tous les jours le trajet entre le H______ et G______ pour amener son fils à l’école, à tout le moins de fin août à octobre 2021.

18) Le 14 juillet 2021, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile, c’est-à-dire dans le délai de dix jours s’agissant d’une décision incidente (art. 4 al. 2 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10) car prise pendant le cours de la procédure et ne représentant qu’une étape vers la décision finale (ATA/613/2017 du 30 mai 2017 et les arrêts cités), et devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ces points de vue (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 17 al. 3, 57 let. c, 62 al. 1 let. b et
63 al. 1 let. a LPA).

2) En vertu de l’art. 57 let. c LPA, sont susceptibles d’un recours les décisions incidentes, si elles peuvent causer un préjudice irréparable ou si l'admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d'éviter une procédure probatoire longue et coûteuse.

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral et à la lumière de laquelle l’art. 57 let. c LPA doit être interprété (ATA/12/2018 du 9 janvier 2018 consid. 4 et les arrêts cités), un préjudice est irréparable au sens de
l’art. 93 al. 1 let. a de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005
(LTF - RS 173.110) lorsqu’il ne peut être ultérieurement réparé par une décision finale entièrement favorable au recourant (ATF 138 III 46 consid. 1.2 ;
134 III 188 consid. 2.1 et 2.2 ; 133 II 629 consid. 2.3.1). Un intérêt économique ou un intérêt tiré du principe de l’économie de procédure peut constituer un tel préjudice (ATF 135 II 30 ; 134 II 137 ; 127 II 132 consid. 2a ; 126 V 244 consid. 2c ; 125 II 613 consid. 2a). Le simple fait d’avoir à subir une procédure et les inconvénients qui y sont liés ne constitue toutefois pas, en soi, un préjudice irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_149/2008 du 12 août 2008 consid. 2.1 ; ATA/12/2018 précité consid. 4). Un dommage de pur fait, tel que la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de
celle-ci, n’est notamment pas considéré comme un dommage irréparable de ce point de vue (ATF 133 II 629 consid. 2.3.1 ; 131 I 57 consid. 1 ; 129 III 107 consid. 1.2.1 ; 127 I 92 consid. 1c ; 126 I 97 consid. 1b).

Lorsqu’il n’est pas évident que le recourant soit exposé à un préjudice irréparable, il lui incombe d’expliquer dans son recours en quoi il serait exposé à un tel préjudice et de démontrer ainsi que les conditions de recevabilité de son recours sont réunies (ATF 136 IV 92 consid. 4).

3) En l’espèce, le recourant fait valoir qu’il s’occupe de son fils tandis que sa compagne travaille, qu’il doit pouvoir le véhiculer pour les activités quotidiennes et qu’il devra dès la rentrée scolaire d’août 2021 l’amener et le chercher tous les jours à l’école primaire de G______, et ce à tout le moins jusqu’au mois d’octobre 2021.

Le recourant a déjà fait valoir ces arguments à l’appui de sa demande de restitution de l’effet suspensif à son recours devant le TAPI, et la chambre de céans a considéré dans son arrêt du 13 avril 2021 qu’il n’établissait pas un préjudice irréparable dès lors qu’il pouvait véhiculer son fils autrement qu’en voiture.

La situation n’a pas connu d’évolution significative depuis le 13 avril 2021. Le recourant fait certes valoir qu’il devra à la rentrée accomplir des trajets quotidiens à G______, où il a inscrit son fils à l’école. Il lui sera toutefois possible de l’y conduire en bus et en train, d’autant plus que ce sera pour une durée limitée.

Le recourant fait encore valoir qu’il a apporté la preuve de son extranéité aux faits qui lui sont reprochés, de sorte qu’en reprenant l’instruction de la procédure, le TAPI pourrait rapidement aboutir à une décision finale et ordonner la restitution de son permis.

Il ne peut être suivi. Les preuves recueillies par la police sont multiples et doivent encore être exploitées dans le cadre de l’instruction de la procédure pénale, aux fins de déterminer notamment si le véhicule était celui du recourant (type, caractéristiques et accessoires de la moto), si son conducteur portait l’équipement du recourant (veste, casque), et s’il est possible que le téléphone du recourant ait activé une antenne vers F______ à 15h41 et que le recourant se soit retrouvé à 15h52 sur l’autoroute Lausanne-Genève tout en ayant, selon ses dires, envoyé au même moment à sa compagne un SMS depuis D______ (données téléphoniques). Le TAPI, s’il reprenait son instruction, ne pourrait selon toute vraisemblance pas se dispenser d’attendre les résultats de l’enquête pénale pour établir les faits et trancher le recours.

Faute de préjudice irréparable pour le recourant et de possibilité pour le TAPI de prononcer immédiatement une décision finale évitant une instruction longue et coûteuse, le recours est irrecevable.

4) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe, et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 11 juin 2021 par M. A______ contre la décision du Tribunal administratif de première instance du 28 mai 2021 ;

met un émolument de CHF 400.- à la charge de M. A______ ;

dit qu’il ne lui est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Samir Djaziri, avocat du recourant, à l'Office cantonal des véhicules, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu’à l’Office fédéral des routes.

Siégeant : M. Mascotto, président, M. Verniory, Mme Payot Zen Ruffinen, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière :

 

 

P. Hugi

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :