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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2195/2010

ATA/69/2011 du 01.02.2011 ( LAVI ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2195/2010-LAVI ATA/69/2011

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

CHAMBRE ADMINISTRATIVE

du 1er février 2011

en section

dans la cause

 

Monsieur V______
représenté par Me Romain Jordan, avocat

 

contre

 

INSTANCE D'INDEMNISATION DE LA LAVI


EN FAIT

1. Monsieur V______, ressortissant suisse né en 1991, a été victime d’un brigandage dans la nuit du 17 au 18 janvier 2009. Deux personnes l’ont interpellé pour lui demander une cigarette, alors qu’il était avec des amis. L’un des quidams l’a pris par la manche, a sorti un couteau à lame dépliée d’environ 10 cm. et l’a forcé à lui donner son portefeuille. Il l’a menacé de le tuer s’il criait. L’individu, une fois le portefeuille remis, a retiré l’argent qu’il contenait, soit environ CHF 80.-, puis l’a restitué à l’intéressé.

Une plainte a été déposée mais les deux agresseurs n’ont jamais pu être identifiés.

2. Le 10 mai 2010, M. V______ a saisi l’instance d’indemnisation LAVI (ci-après : l’instance LAVI) d’une requête en indemnisation, concluant à ce que les sommes de CHF 5'000.- au titre de tort moral et de CHF 513,20 au titre de la réparation de son dommage matériel lui soient versées et à ce qu’une indemnité pour les frais indispensables à la procédure lui soit allouée.

Il avait été particulièrement choqué par le brigandage dont il avait été victime, ce qui justifiait le tort moral demandé.

Quant au dommage matériel, il était constitué de CHF 387,35 de frais d’avocat, calculés selon les tarifs de l’assistance juridique relatifs à la procédure pénale. Il avait dû, de plus, s’acquitter de CHF 45,85 pour obtenir copie de la procédure pénale. Il s’était en outre fait dérober la somme de CHF 80.-.

3. Le 18 mai 2010, M. V______ a été entendu par l’instance LAVI, qui lui a indiqué qu’il devait s’adresser au centre de consultation LAVI pour les honoraires d’avocat et que le dommage matériel de CHF 80.- ne pouvait être pris en charge. Un montant de CHF 1'500.- lui serait alloué à titre de réparation du tort moral.

M. V______ a précisé qu’il n’avait pas été suivi par un psychologue et pensait pouvoir s’en remettre. Il avait toujours peur de sortir et cachait son argent dans ses chaussettes lorsqu’il se déplaçait en ville le soir. Il évitait de se mouvoir à pied, prenant un taxi ou se faisant véhiculer par un ami. Il était ceinture noire de karaté mais cela ne l’avait pas aidé.

L’instance LAVI a rappelé à l’intéressé qu’il pouvait s’adresser au centre de consultation LAVI pour avoir un soutien psychologique et prendre des cours de self-défense.

4. Par ordonnance du 26 mai 2010, l’instance LAVI a alloué à M. V______ une somme de CHF 1'500.- au titre de réparation du tort moral et rejeté la requête pour le surplus.

Seuls les dommages consistant dans des coûts en étroite relation avec l’atteinte à l’intégrité physique pouvaient être pris en charge et non les dommages aux biens, tel l’argent volé. L’assistance juridique aux victimes relevait des prestations fournies par les centres de consultation.

Quant à la réparation morale, l’atteinte subie, dont les conséquences avaient une certaine importance, justifiait une réparation morale de CHF 1'500.-, fixée ex-aequo et bono de manière équitable et proportionnée au traumatisme.

5. Le 28 juin 2010, M. V______ a recouru auprès du Tribunal administratif, devenu depuis le 1er janvier 2011 la chambre administrative de la section administrative de la Cour de Justice (ci-après la chambre administrative). Il avait été sérieusement atteint psychologiquement par l’agression puisqu’il avait indiqué, lors de son audition, avoir toujours peur de sortir, cacher son argent dans ses chaussettes et éviter de sortir à pied. Le montant de l'indemnité pour tort moral fixé par l’instance LAVI n’était pas équitable, au vu des souffrances psychologiques subies et de la gravité de l’agression, soit un brigandage qualifié.

Selon la jurisprudence et la loi, les frais d’avocat, calculés au tarif de l’assistance juridique, faisaient partie du dommage matériel pouvant être indemnisé. Il en était de même pour les frais de procédure.

En dernier lieu, l’instance LAVI aurait dû allouer une indemnité pour la procédure d’indemnisation, en appliquant par analogie les art. 89A à H de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

Au vu de la requête rédigée, du bordereau de pièces l’accompagnant et de l’audience qui avait eu lieu, une indemnité de CHF 2'000.- était justifiée.

M. V______ concluait à ce que lui soient allouées les sommes de CHF 5'000.- au titre du tort moral, de CHF 433,20 pour les dommages matériels, de CHF 2'000.- pour les frais liés à la procédure par-devant l’instance LAVI ainsi qu’une indemnité équitable pour les frais pour la procédure devant la juridiction de céans.

6. Le 6 juillet 2010, l’instance LAVI s’est opposée au recours. Elle n’avait pas à prendre en compte les dommages pouvant donner lieu à des prestations d’aide immédiate ou d’aide à plus long terme par le centre de consultation LAVI. Celui-ci pouvait octroyer l’assistance juridique. Cela excluait l’octroi de dépens par l’instance LAVI. La référence jurisprudentielle du recourant n’était plus pertinente depuis l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2009, de la nouvelle loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions du 23 mars 2007 (LAVI - RS 312.5).

Toujours au vu du nouveau droit, l’indemnité maximale qui pouvait être allouée pour la réparation du tort moral était fixée à CHF 70'000.-. M. V______ avait déclaré ne pas être suivi par un psychologue et pouvoir se remettre de l’agression tout seul, ce qui rendait parfaitement légitime le montant alloué de CHF 1'500.-.

7. Le 12 juillet 2010, le juge délégué a accordé aux parties un délai échéant au 16 août 2010 pour formuler d’éventuelles requêtes d’actes d’instruction complémentaires, leur précisant qu’à défaut la cause serait gardée à juger en l’état.

Sur quoi, les parties ne s’étant pas manifestées dans le délai, la procédure a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Depuis le 1er janvier 2011, suite à l'entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), l'ensemble des compétences jusqu'alors dévolues au Tribunal administratif a échu à la chambre administrative de la Cour de Justice, qui est devenue autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative (art. 131 et 132 LOJ).

Les procédures pendantes devant le Tribunal administratif au 1er janvier 2011 sont reprises par la chambre administrative (art. 143 al. 5 LOJ). Cette dernière est ainsi compétente pour statuer.

2. Interjeté en temps utile devant la juridiction alors compétente, le recours est recevable (art. 56A de l'ancienne loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941, disposition dont la teneur a été reprise depuis le 1er janvier 2011 par l'art. 132 al. 1, 2 et 6  LOJ; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10, dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2010).

3. La LAVI est entrée en vigueur le 1er janvier 2009 et s’applique à toutes les procédures fondées sur des faits qui se sont déroulés après cette date (art. 48 let. a LAVI a contrario).

La présente affaire est en conséquence entièrement soumise à la nouvelle loi.

4. L’aide aux victimes instituée par la LAVI comprend les conseils et l’aide immédiate, l’aide à plus long terme fournie par les centres de consultation, la contribution aux frais pour l’aide à plus long terme fournie par un tiers, l’indemnisation, la réparation morale, l’exemption des frais de procédure ainsi qu’une protection et des droits particuliers dans la procédure pénale (art. 2 LAVI).

Il ressort du message du Conseil fédéral concernant la révision totale de la LAVI du 9 novembre 2005 que les évaluations faites dans l’application de l’ancienne LAVI du 4 octobre 1991 avaient mis en évidence la nécessité de réviser la loi, notamment du fait que les différentes prestations de l’aide aux victimes n’étaient pas suffisamment délimitées entre elles et se recoupaient en partie (FF 2005 p. 6’684). Le nouveau texte visait à délimiter plus nettement à plus long terme l’aide fournie par les centres de consultation de l’indemnisation, dont les prestations se recouvraient en partie et à privilégier l’aide fournie par l’intermédiaire de ces centres par rapport aux autres prestations (FF 2005 p. 6’685).

5. Selon l’art. 12 LAVI, les centres de consultation conseillent la victime et ses proches et les aident à faire valoir leurs droits. L’art. 14 LAVI précise que les prestations en question comprennent, notamment, l’assistance psychologique et juridique appropriée dont la victime a besoin.

L’art. 19 al. 1 LAVI institue le principe selon lequel la victime a droit à une indemnité pour le dommage qu’elle a subi. L’alinéa 3 de cette disposition précise que le dommage au bien et le dommage pouvant donner lieu à des prestations d’aide immédiate et d’aide à plus long terme, soit des prestations fournies par les centres de consultation, ne sont pas pris en compte. A cet égard, le Conseil fédéral a précisé dans son message que les frais d’avocat et de procédure ressortaient de la compétence des centres de consultation, dès lors qu’ils servaient à éliminer ou à compenser les conséquences de l’infraction ne dépendant pas de l’état de santé (FF 2005 p. 6’736).

Selon l’art. 5 de l’ordonnance sur l'aide aux victimes d'infractions du 27 février 2008 (OAVI - RS 312.51), la prise en charge des frais d’avocat ne peut être accordée qu’à titre d’aide immédiate ou d’aide à plus long terme.

En l’espèce, M. V______ demande à ce que ses frais d’avocat, qu’ils soient liés au dépôt de sa plainte pénale ou à la procédure devant l’instance LAVI, soient considérés comme faisant partie du dommage matériel pouvant être indemnisé. Au vu des éléments rappelés ci-dessus, ses conclusions ne peuvent qu’être écartées, l’aide judiciaire étant du ressort des centres de consultation.

Dans le cadre de la LAVI, les art. 89A à 89H LPA, qui concernent la procédure applicable devant la chambre des assurances sociales de la section administrative de la Cour de Justice, ne peuvent être appliqués pour régler la question des frais et indemnités de procédure, même par analogie, dès lors que ces éléments doivent être traités par le centre de consultation.

6. a. Selon l’art. 22 LAVI, la victime a droit à une réparation morale lorsque la gravité de l’atteinte le justifie, les art. 47 et 49 de la loi fédérale complétant le Code civil suisse du 30 mars 1911 (Livre cinquième : Droit des obligations (CO - RS 220) s’appliquant par analogie. L’art. 23 LAVI précise que le montant de la réparation morale est fixé en fonction de la gravité de l’atteinte (al. 1), étant précisé que le montant maximum pouvant être alloué lorsque l’ayant droit est la victime est de CHF 70'000.- (art. 23 al. 2 let. a LAVI). Il sera encore relevé que, selon l’art. 28 LAVI, aucun intérêt n’est dû pour l’indemnité et la réparation morale.

Au sujet de cette disposition, le Conseil fédéral a précisé que, pour qu’une réparation morale soit octroyée, il doit y avoir une atteinte à l’intégrité physique, psychique ou sexuelle de la victime. Les conditions qui relèvent du droit de la responsabilité civile s’appliquent aussi. A titre d’exemple, la réparation morale allouée à la victime d’une lésion corporelle dépendra de la gravité de la souffrance résultant de l’atteinte et de la possibilité d’adoucir de façon sensible par le versement d’une somme d’argent, la douleur physique ou morale. L’invalidité, la durée de l’hospitalisation, des opérations douloureuses, le bouleversement de la vie professionnelle ou privée sont notamment pris en compte (FF 2005 p. 6’743).

b. A l’instar du Tribunal fédéral qui, lorsqu’il est juridiction de réforme, revoit librement la décision de l’instance inférieure mais s’impose toutefois une certaine réserve s’agissant de l’appréciation des circonstances, la chambre administrative n’intervient que lorsque l’instance LAVI a mésusé de son pouvoir d’appréciation, prenant en considération des éléments qui ne devaient pas l’être ou omettant de tenir compte de facteurs pertinents. Le large pouvoir d’appréciation reconnu à l’instance n’a comme principale limite que le respect de l’égalité de traitement et l’interdiction de l’arbitraire (ATA/139/2010 du 2 mars 2010 et les références citées).

En l’espèce, le recourant n’a pas été atteint physiquement suite à l’agression dont il a été victime. Il n’a pas recouru aux services du centre de consultation dont il avait été informé de l’existence et n’a pas consulté de médecin ou de psychologue. Dans ces circonstances et en se rappelant que l’indemnité allouée par l’instance LAVI ne vise pas à couvrir l’intégralité du dommage de la victime, la chambre de céans admettra que l’autorité a apprécié correctement la situation en fixant à CHF 1'500.- le montant versé à titre de réparation morale, tenant compte de manière adéquate des souffrances psychologiques causées au recourant. La jurisprudence démontre que, s’il arrive à l’instance LAVI d’allouer des montants plus importants, c’est en rapport avec des infractions plus graves. L’allocation d’une somme de CHF 6'000.- a été confirmée dans le cas d’une agression ayant entraîné des céphalées de l’hémiface droite, des vertiges et une hypoacousie dus à une contusion derrière l’oreille droite (ATA/139/2010 du 2 mars 2010). Une indemnité pour tort moral de CHF 5'000.- a été allouée à une personne qui, victime d’un brigandage et droguée en présence de sa fille âgée de 7 ans, avait été hospitalisée pendant trois jours puis pendant sept jours suite à des nausées nosocomiales, avait dû faire face à des complications pulmonaires et avait dû recevoir, suite au traumatisme subi, une prise en charge psychologique (ATA/397/2010 du 8 juin 2010). Il est précisé que les exemples précités étaient traités sous l’empire de l’ancienne LAVI, qui ne fixait pas de montant maximum pour l’indemnité pour tort moral.

7. Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté. Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera mis à la charge du recourant, qui succombe, la procédure étant gratuite (art. 2 let. f LAVI ; art. 10 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 28 juin 2010 par Monsieur V______ contre la décision du 26 mai 2010 de l’instance d'indemnisation de la LAVI ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romain Jordan, avocat du recourant, ainsi qu'à l'instance d'indemnisation de la LAVI et à l’office fédéral de la justice.

 

 

 

Siégeants : M. Thélin, président, Mmes Hurni et Junod, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste:

 

 

 

S. Hüsler Enz

 

le président siégeant :

 

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

 

Genève, le 

 

la greffière :