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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2387/2017

ATA/622/2018 du 19.06.2018 ( DIV ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : PROTECTION DES DONNÉES ; PROTECTION DE LA PERSONNALITÉ ; CONSULTATION DU DOSSIER ; CERTIFICAT DE BONNE VIE ET MOEURS
Normes : Cst.10; Cst.13; LCBVM.1A; LCBVM.3A; LIPAD.44
Résumé : Rappel des principes en matière de droit à la consultation des dossiers de police, en particulier à la main courante. In casu droit d'accès admis mais demande de compléter la main courante refusée, la LCBVM ne le permettant pas et la décision querellée ayant été rendue sur la base de cette seule législation.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2387/2017-DIV ATA/622/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 19 juin 2018

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

LA COMMANDANTE DE LA POLICE

 



EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1985, est marié depuis le ______ 2012, et a eu avec son épouse deux enfants nés respectivement en 2014 et 2017. Il est également le père d'un enfant né d'une relation antérieure avec Madame B______, née le ______ 1985, soit C______, né le ______ 2006. Ce dernier habite chez sa mère.

2) Le 1er janvier 2017, peu après 21h00, une patrouille de police est intervenue au domicile de M. A______, sur demande de Mme B______, au sujet du passeport de C______.

3) Le 17 janvier 2017, M. A______ s'est adressé à la cheffe de la police, aujourd'hui la commandante de la police, en lui demandant de lui fournir la copie de la main courante que les agents de police étant intervenus chez lui le 1er janvier 2017 avaient établie.

Mme B______ était venue frapper à sa porte le 1er janvier 2017 vers 20h15, sonnant et criant sans cesse. Il ne lui avait pas ouvert la porte car elle ne se calmait pas, et il craignait pour sa sécurité. Aux alentours de 22h00, lui-même, son épouse et leur fille de deux ans s'étaient fait réveiller par de forts coups à leur porte. Deux policiers, accompagnés de C______, les sommaient d'ouvrir. Ils avaient alors expliqué que Mme B______ avait besoin du passeport de l'enfant, document qui se trouvait chez lui, pour partir au Maroc le lendemain, s'étant tardivement rendu compte que la carte d'identité ne suffisait pas pour effectuer un tel voyage.

Mme B______ lui avait bien envoyé un message pour l'informer de cette situation, mais le jour même à 19h23, et elle devait passer chercher le passeport tôt le lendemain.

Il trouvait que l'intervention était excessive compte tenu de la situation de fait objective, mais il voulait avant tout comprendre ce qui s'était passé, ce d'autant que les faits tels qu'ils étaient décrits ne correspondaient pas à la retranscription qui lui avait été communiquée oralement par un agent de police du poste des Pâquis le 7 janvier 2016 (recte : 2017).

4) Le 29 mars 2017, la commandante de la police a adressé à M. A______ une fiche de renseignements concernant l'événement, sous forme de six paragraphes reprenant les explications qu'il avait fournies le 7 janvier 2017 au poste de police des Pâquis, auquel il s'était spontanément présenté ce jour-là pour présenter sa version des faits.

5) Le 6 avril 2017, M. A______ a écrit à la commandante de la police. Il accusait bonne réception de son courrier du 29 mars 2017, mais sa demande portait sur l'accès à la totalité de la main courante, c'est-à-dire à tous les documents figurant au journal de police qui avaient amené à l'intervention des agents.

6) Le 7 mai 2017, M. A______ a écrit à la commandante de la police. Il faisait référence au courrier du 6 avril 2017, qui n'avait reçu aucune réponse.

Ledit courrier devait le cas échéant être considéré comme un recours à l'encontre de la décision du 29 mars 2017 lui refusant de communiquer copie de la main courante établie suite à la demande d'intervention de Mme B______ le 1er janvier 2017.

7) Le 29 mai 2017, la commandante de la police a transmis le courrier précité de M. A______ à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), pour raison de compétence.

8) À réception du courrier, soit le 31 mai 2017, la chancellerie de la chambre administrative a écrit à M. A______. La décision attaquée n'était pas jointe au recours, et l'acte reçu ne contenait pas de conclusions ni de motifs.

9) Le 6 juin 2017, M. A______ a complété son recours, concluant à la communication de l'intégralité de la main courante ayant suscité l'intervention policière du 1er janvier 2017, et à ce que la fiche de police du 7 janvier 2017 soit complétée avec les éléments manquants signalés dans son courrier du 6 avril 2017.

10) Le 12 juillet 2017, la commandante de la police a conclu au rejet du recours.

Elle joignait à ses écritures la main courante litigieuse, en demandant à ce que son contenu ne soit pas communiqué au recourant.

Les données inscrites dans la main courante du 1er janvier 2017 n'avaient pas pour sujet M. A______, qui ne répondait dès lors pas à la définition de personne concernée.

La main courante constituait un journal à usage purement interne, destiné à indiquer les événements et à donner des informations résumées et succinctes au sujet de ces derniers ; les déclarations y étaient résumées. Dans la mesure où la requête de M. A______ ne visait pas un complément de données personnelles le concernant mais uniquement des faits et des propos relatifs à un événement particulier, son recours devait être rejeté également sur ce point.

11) Le 8 août 2017, le juge délégué a fixé aux parties un délai au 8 septembre 2017 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

12) Le 8 septembre 2017, M. A______ a persisté dans ses conclusions, revenant en détail sur le déroulement de l'incident du 1er janvier 2017 et sur les conséquences négatives de cette intervention policière pour lui et sa famille.

Il s'était rendu au poste de police des Pâquis le 7 janvier 2017 afin de déposer lui-même une main courante et de demander copie de celle relative à l'intervention du 1er janvier 2017.

Considérée comme un dossier de police, la main courante était soumise à la loi sur les renseignements et les dossiers de police et la délivrance des certificats de bonne vie et mœurs du 29 septembre 1977 (LCBVM - F 1 25). Toute personne concernée y avait accès, or cette main courante contenait des données le concernant.

Il maintenait également sa demande de compléter la main courante qu'il avait déposée le 7 janvier 2017. Il précisait un certain nombre de phrases ou membres de phrases qu'il convenait d'y ajouter.

13) Le 14 mai 2018, le préposé cantonal à la protection des données personnelles et à la transparence (ci-après : le préposé), interpellé par le juge délégué, a émis des observations.

La main courante litigieuse entrait dans le champ d'application de l'art. 1A LCBVM. La police évoquait un intérêt privé prépondérant de l'ex-compagne de M. A______, sans toutefois l'expliquer de manière convaincante. Son affirmation selon laquelle les données qui y étaient inscrites ne concernaient pas M. A______ semblait de plus erronée.

14) Le 28 mai 2018, la commandante de la police a déclaré ne pas avoir d'observations à formuler sur cette prise de position, et s'en rapporter à justice.

15) Le 1er juin 2018, M. A______ a persisté dans ses conclusions.

16) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 3C al. 1 LCBVM).

2) Le litige concerne l’accès du recourant à l'extrait de main courante du 1er janvier 2017.

3) a. Selon la jurisprudence, la personne au sujet de laquelle des informations ont été recueillies a en principe le droit de consulter les pièces consignant ces renseignements notamment afin de pouvoir réclamer leur suppression ou leur modification s’il y a lieu. Ce droit découle de l’art. 10 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), qui garantit la liberté personnelle et de l’art. 13 al. 2 Cst. qui protège le citoyen contre l’emploi abusif de données personnelles.

b. Les garanties de l’art. 13 al. 2 Cst. reprises à Genève à l’art. 21 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE -A 2 00) sont concrétisées par la législation en matière de protection des données (art. 1 de la loi fédérale sur la protection des données du 19 juin 1992 - LPD - RS 235.1), étant précisé que l’art. 37 al. 1 LPD établit un standard minimum de protection des données que les cantons et les communes doivent garantir lorsqu’ils exécutent le droit fédéral (Philippe MEIER, Protection des données, 2011, p. 145 n. 273).

4) a. La conservation de renseignements contenus dans les dossiers de police porte une atteinte au moins virtuelle à la personnalité de l’intéressé car ces renseignements peuvent être utilisés ou consultés par les agents de la police, être pris en considération lors de demandes d’informations présentées par certaines autorités, voire être transmis à ces dernières (ATF 137 I 167 consid. 3.2 ; 126 I 7 consid. 2a ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.713/2006 du 19 décembre 2006 consid. 2 ; ATA/190/2012 du 3 avril 2012).

b. En droit genevois, la protection des particuliers en matière de dossiers et fichiers de police est assurée par les disposions de la LCBVM et de la loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 (LIPAD - A 2 08).

5) a. La police organise et gère les dossiers et fichiers en rapport avec l’exécution des tâches lui incombant aux termes de l’art. 1 de la loi sur la police du 9 septembre 2014 (LPol - F 1 05 ; art. 1 al. 1 LCBVM). Les dossiers et fichiers de la police peuvent comporter des données personnelles en conformité avec la LIPAD (art. 1 al. 2 LCBVM).

Les dossiers de police sont rigoureusement secrets. Aucun renseignement contenu dans les dossiers ou fichiers de police ne peut être communiqué à des tiers, à l’exception d’autorités pénales désignées dans la loi (art. 1A LCBVM).

À l’égard des données personnelles la concernant qui sont contenues dans les dossiers et fichiers de la police, toute personne a le droit d’accès et les autres prétentions prévus par la LIPAD (art. 3A al. 1 LCBVM). L’art. 3A LCBVM prévoit qu’à l’égard des données personnelles la concernant qui sont contenues dans les dossiers et fichiers de police, toute personne a le droit d’accès prévu par la LIPAD, celui-ci pouvant être limité, suspendu ou refusé si un intérêt prépondérant public ou privé l’exige, en particulier l’exécution d’une peine, la prévention efficace des crimes et délits ou la sauvegarde d’intérêts légitimes de tiers (art. 3A al. 2 LCBVM). Une requête doit être formulée et adressée par écrit au commandant de la police (art. 3B al.1 LCBVM).

b. La LIPAD est constituée de deux volets, correspondant aux deux buts énoncés à l’art. 1 al. 2 LIPAD. Elle a pour premier but de favoriser la libre formation de l’opinion et la participation à la vie publique par l’information du public et l’accès aux documents (art. 1 al. 2 let. a LIPAD ; titre II LIPAD) et pour second but de protéger les droits fondamentaux des personnes physiques ou morales de droit privé quant aux données personnelles les concernant (art. 1 al. 2 let. b LIPAD ; titre III LIPAD).

En l’espèce, le recourant ne fait pas valoir un besoin d’information en lien avec le premier but de la LIPAD. Il ne soutient pas qu’il existe un accès à toute personne, physique ou morale, aux mains courantes déposées par son ex-compagne à son encontre, selon le principe de transparence de l’art. 24 LIPAD.

La demande du recourant concerne le droit d’accès à des données le concernant. À cet égard, la LIPAD pose le principe que doivent être communiquées, à la personne concernée, toutes les données contenues dans un fichier, y compris les informations disponibles sur l’origine des données (art. 44 al. 1 et 2 LIPAD).

6) Selon la jurisprudence de la chambre de céans, le fait que la main courante soit un outil permettant à la police d’effectuer son travail ne justifie pas de l’exclure de l’application des dispositions rappelées ci-dessus. Le journal de bord, bien que n’ayant pas de valeur probante, doit être considéré comme faisant partie du dossier de police (ATA/9/2018 du 9 janvier 2018 consid. 6).

7) En l'espèce, l'intimée nie dans sa réponse au recours l'existence d'un droit d'accès fondé sur l'art. 3A LCBVM, au motif que le document incriminé ne concerne pas le recourant, qui serait donc un tiers.

Cette analyse ne résiste pas à l'examen. La main courante litigieuse mentionne qu'une patrouille de police s’est rendue chez le recourant, que la voiture de celui-ci était garée et qu'il y avait de la lumière dans son appartement mais qu'il ne répondait pas. Il est donc directement concerné, et possède ainsi un droit d'accès de principe à ce document, comme le relève le préposé dans ses observations.

En outre, le document ne contient aucun renseignement concernant Mme B______ qui n'est pas connu de M. A______, et dont la communication à ce dernier pourrait lui nuire. Il n'existe dès lors aucun intérêt privé – ni du reste public – prépondérant pouvant justifier un refus de communiquer le document litigieux.

En revanche, il ne peut être fait droit aux conclusions du recourant en complètement de la main courante. Outre qu'il est douteux que cette conclusion ait été formulée dans le délai de recours, la LCBVM ne prévoit pas la possibilité de faire ajouter des éléments au dossier de police ; quant aux art. 44 ss LIPAD, ils n'ont été invoqués par le recourant que dans sa toute dernière écriture, et la procédure prévue par l'art. 49 LIPAD n'a pas été suivie, la décision querellée ayant été expressément rendue sur la seule base de la LCBVM.

8) Au vu de ce qui précède, le recours sera admis partiellement et la décision querellée annulée. L’intimée, à qui le dossier sera renvoyé, devra donner au recourant accès à la main courante (inscription au journal, Z 1839414 – Z 2 / ABI 0 0 0 /TPAO) du 1er janvier 2017.

Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera mis à charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera en revanche allouée, le recourant n'y ayant pas conclu et n'ayant pas exposé de frais pour sa défense, qu'il a assumée seul (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 6 avril 2017 par Monsieur A______ contre la décision de la commandante de la police du 29 mars 2017 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

renvoie le dossier à la commandante de la police au sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______ ainsi qu'à la commandante de la police.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, Mmes Krauskopf et Junod, MM. Pagan et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :