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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/775/2012

ATA/510/2013 du 27.08.2013 ( LCI ) , REJETE

Parties : POLOGRUTO Marziale, POLOGRUTO Filomena et Marziale / CONSEIL D'ETAT
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/775/2012-LCI ATA/510/2013

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 août 2013

 

dans la cause

 

 

Madame Filomena et Monsieur Marziale POLOGRUTO
représentés par Me Gilbert Bratschi, avocat

 

contre

 

CONSEIL D'ÉTAT



EN FAIT

Madame Filomena et Monsieur Marziale Pologruto (ci-après : les époux Pologruto) sont propriétaires de la parcelle n° 2'181, feuille 16 de la commune de Chêne-Bougeries, à l’adresse 10, chemin François-Joulet. Sur ce terrain, situé en 5ème zone de construction est édifiée une villa, occupée par ses propriétaires.

Par courrier du 13 avril 2008, Madame Nadia et Monsieur Franco Bonaparte (ci-après : les époux Bonaparte), propriétaires et occupant de la villa voisine, à l’adresse 8, chemin François-Joulet, ont dénoncé les époux Pologruto au département des constructions et des technologies de l’information, devenu depuis lors le département de l’urbanisme (ci-après : le département). Ces derniers avaient édifié une clôture en fixant des panneaux sur celle en treillis existante à la limite entre les deux terrains. La nouvelle clôture comportait six éléments de 2,40  m de long sur 1,60 m de hauteur.

Suite à une interpellation du département du 7 octobre 2008, les époux Pologruto ont expliqué, le 17 octobre 2008, qu’un grillage, de 1,20 m. de hauteur et 25 m de long, séparait les deux parcelles depuis treize années. Une haie supplémentaire d’une hauteur maximale de 1,90 m avait été plantée d’entente entre les propriétaires.

Le chien, de grande taille, des époux Bonaparte avait pris l’habitude de faire ses besoins le long de la haie, avec toutes les nuisances que cela occasionnait. Les deux petits-enfants des époux Pologruto n’étaient pas suffisamment protégés par le grillage. C’est pour cela qu’ils avaient installé des éléments rigides avec des lamelles pleines, interdisant qu’une main d’enfant ne s’y glisse. D’une part, ils avaient uniquement remplacé 10 m de panneaux de bois préexistants. La hauteur était identique. D’autre part, une structure métallique de couleur verte, d'une longueur de 15 m et d’une hauteur de 1,40 m avait été fixée sur les poteaux existants.

Le 5 janvier 2009, les époux Pologruto ont déposé une demande d’autorisation en procédure accélérée visant à régulariser la clôture édifiée entre les deux parcelles.

a. Par décision du 25 mai 2009, le département a refusé l’autorisation sollicitée. La palissade se composait de deux parties, la première d’une longueur de 15 m et d’une hauteur de 1,40 m et la seconde d’une longueur de 10 m et d’une hauteur 1,85 m. Ce cloisonnement portait une atteinte inadmissible au site.

b. Saisie d’un recours, la commission cantonale de recours en matière administrative, devenue depuis le 1er janvier 2011 le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) a, par jugement du 9 novembre 2009, confirmé la décision litigieuse. Les époux Bonaparte avaient déménagé et le danger pour les petits-enfants des recourants avait disparu (DCCR/117/2009).

c. Saisi par les époux Pologruto, le Tribunal administratif, devenu depuis lors la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a, par arrêt du 9 novembre 2010 (ATA/773/2010) confirmé ledit jugement. La palissade litigieuse donnait l’effet d’un mur, malgré les ouvertures en V pratiquées tous les 2,50 m. Il en résultait un cloisonnement qui justifiait le refus du département de délivrer l’autorisation sur la base de l’art. 79 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), la palissade en cause se trouvant entre deux jardins privés, sans être visible de l’extérieur.

Le 8 février 2011, les époux Pologruto ont saisi le Conseil d’Etat d’une requête en autorisation de maintien à titre précaire de la palissade litigieuse.

Par arrêté du 8 février 2012, le Conseil d’Etat a rejeté la requête précitée, se fondant sur la jurisprudence du Tribunal fédéral selon laquelle « lorsque l’autorité octroyait une autorisation de maintien à titre précaire selon l’art. 139 al. 1 LCI, sa décision avait pratiquement pour effet d’accorder une autorisation hors de la zone à bâtir selon les art. 24 ss de loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin l979 (LAT - RS 700), à l’égard desquelles l’art. 139 al. 1 LCI n’avait pas de portée propre ».

Le 8 mars 2012, les époux Pologruto ont saisi la chambre administrative d’un recours contre l’arrêté précité, concluant à son annulation ainsi qu’à la délivrance d’une autorisation à titre précaire. La jurisprudence citée par le Conseil d’État n’était pas pertinente dès lors qu’elle concernait la zone agricole et non, comme en l’espèce, une zone à bâtir. Une autorisation de maintien à titre précaire était envisageable dans une telle zone, selon l’art. 23 LAT. En l’espèce, la palissade ne posait pas de problème de sécurité et de salubrité. Seul des griefs d’ordre esthétique pouvaient être invoqués. Or elle était élégante, harmonieuse, discrète et construite de manière soignée.

Le 12 avril 2012, le Conseil d’Etat a conclu au rejet du recours.

L’art. 139 LCI donnait au Conseil d’Etat une compétence potestative et non contraignante. L’arrêté litigieux avait été prononcé en respectant le cadre du pouvoir discrétionnaire et du pouvoir d’appréciation accordé par la loi au Conseil d’Etat. De plus, le principe de proportionnalité était respecté dès lors que le fait d’enlever une palissade n’engendrerait pas un important dommage pour les recourants et pouvait s’effectuer à peu de frais.

Le 21 mai 2012, le juge délégué a procédé à un transport sur place. Il a constaté que la palissade en bois avait été installée à la limite des deux propriétés et avait une hauteur de 1,40 m sur les 15 premiers mètres puis, sur les 10 mètres les plus proches de la maison, de 1,85 m. Elle était installée devant une barrière grillagée de 1,20 m de haut. Un mur était édifié le long de la limite opposée, d’une hauteur de 1,85 m. D’autres clôtures, doublées par des canisses ou d’autres matériaux du même genre, avaient été édifiés dans les alentours.

Le 21 juin 2012, les époux Pologruto ont exercé leur droit à la réplique, persistant dans leurs conclusions.

Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

a. Selon l’art. 139 al. 1 LCI, lorsqu’une construction ou une installation édifiée sans autorisation n’est pas conforme aux prescriptions légales, le Conseil d’Etat peut la laisser subsister, à titre précaire, si elle ne nuit pas à la sécurité, à la salubrité ni à l’esthétique, moyennant le paiement, en plus de l’amende, d’une redevance annuelle dont il fixe le montant et la durée selon la gravité de l’infraction.

b. Le maintien à titre précaire d'une installation ou d'une construction non conforme constitue une autorisation exceptionnelle. L'autorité saisie d'une telle demande devra statuer selon sa libre appréciation. De telles autorisations, qui dérogent au régime généralement applicable, sont de nature discrétionnaire et les conditions légales qui leur sont applicables s'interprètent restrictivement (ATA/292/2004 du 6 avril 2004 et les références citées).

a. Le Tribunal fédéral a été amené à examiner la régularité d'une autorisation de maintien à titre précaire d'installations érigées sans autorisation hors de la zone à bâtir. Il a estimé que lorsque l'autorité octroyait une telle autorisation selon l'art. 139 al. 1 LCI, sa décision avait pratiquement pour effet d'accorder une dérogation hors de la zone à bâtir selon les art. 24 ss LAT. Dans le cas qui lui était soumis, le Tribunal fédéral a examiné si les conditions d'une dérogation étaient remplies, et il a conclu par la négative. En admettant le contraire, la juridiction cantonale avait donné à l'art. 139 al. 1 LCI une portée autonome, incompatible avec le droit fédéral et précisément avec la LAT.

b. Alors que l'art. 24 LAT règle les exceptions prévues hors de la zone à bâtir et que dans ce domaine, les dispositions cantonales n'ont plus de portée propre, les exceptions prévues à l'intérieur de la zone à bâtir sont l'affaire des cantons (art. 23 LAT ; ATA/52/2005 du 1er février 2005).

c. Ainsi, dans la mesure où il ne porte pas sur des restrictions apportées au droit de propriété, sur des constructions hors des zones à bâtir ou sur des demandes de dérogation prévues aux art. 24 à 24d LAT (art. 34 al. 1 LAT), l'art. 139 LCI possède une portée propre et s'applique.

Dans un arrêt ancien, rendu en application de l'ancien art. 298 LCI devenu depuis lors l'art. 139 LCI, le Tribunal fédéral a jugé que cette disposition légale doit permettre d'assouplir les exigences de la loi lorsque, dans un cas particulier, son application stricte se révélerait contraire à l'intérêt public, ou porterait une atteinte excessive aux intérêts d'un propriétaire, sans que l'intérêt public ou l'intérêt des voisins le justifie. Cette disposition donne ainsi à l'autorité exécutive la latitude de s'incliner devant le fait accompli et d'accorder par un acte de souveraineté une dérogation générale quant à la nature des constructions, sans passer par l'enquête publique, comme le prévoit l'art. 16 LCI. A cette occasion, le Conseil d'Etat genevois doit examiner la question de savoir si la construction ne nuit pas à la sécurité, à la salubrité ou à l'esthétique. Il est donc tenu d'appliquer une notion juridique imprécise à une situation concrète dépendant, dans une large mesure, des circonstances locales. En pareil cas, le Tribunal fédéral n'intervient qu'avec réserve et ne casse une décision que si l'autorité cantonale a manifestement abusé de son pouvoir d'appréciation (ATF 100 Ia 340, 99 Ia 149/150 consid. 4; ATF D. et F. du 24 janvier 1979; ATA/52/2005 du 1er février 2005).

Le Tribunal fédéral a de plus relevé le pouvoir discrétionnaire qui compète à l'autorité exécutive en application de cette disposition légale. Il a rappelé que, lorsqu'un texte utilise le mot peut - comme en l'espèce - il s'agit fréquemment d'une Kann-vorschrift qui implique la faculté d'opter entre deux ou plusieurs solutions, c'est-à-dire une véritable liberté d'appréciation, liberté qui n'est jamais absolue et dont l'exercice, lorsqu'il dépasse certaines bornes, est contraire à l'ordre juridique (ATF D. et F. du 24 janvier 1979 et les ref. citées).

Dans l'arrêté litigieux, le Conseil d’État n’a pas procédé à l’examen des conditions de l’article 139 LCI, faisant uniquement référence à un arrêt du Tribunal fédéral concernant les constructions sises en dehors de la zone à bâtir.

Il résulte du texte même de cette disposition qu’il ne s’agit pas tant de déterminer si la construction litigieuse peut être admise ou non en fonction des motifs à l’origine de sa réalisation que de savoir si elle peut être maintenue à titre précaire : la construction peut subsister pour autant qu’elle ne nuise pas à la sécurité, à la salubrité ou à l’esthétique.

En l'espèce, la chambre administrative a déjà constaté l’illégalité de la palissade érigée par les recourants (ATA/773/2010 précité). Lors du transport sur place, elle a pu se rendre compte que son aspect esthétique était quelconque. Malgré cela, elle constitue un cloisonnement que le législateur a voulu éviter en édictant l'art. 70 LCI.

Dans ces circonstances, le conseil d'Etat n'a pas abusé de son pouvoir d'appréciation – malgré l'imprécision de sa motivation - en refusant que cette installation soit maintenue à titre précaire.

Le principe de l'égalité de traitement, déduit de l'art. 8 Cst. n'est violé que si des situations essentiellement semblables sont traitées différemment ou si des situations présentant des différences essentielles sont traitées de manière identique (ATF 108 Ia 114 ss consid. 2b et 2d ; ATA/282/2006 du 23 mai 2006 ; ATA/194/2004 précité).

Un justiciable ne saurait en principe se prétendre victime d’une inégalité de traitement au sens de l’art. 8 Cst. lorsque la loi est correctement appliquée à son cas, alors même que dans d’autres cas, elle aurait reçu une fausse application ou n’aurait pas été appliquée du tout (ATF 115 Ia 93 ; Arrêt du Tribunal fédéral 2C_442/2012 du 14 décembre 2012 ; ATA/282/2006 précité).

En l'espèce, selon les constatations faites lors du transport sur place, certaines des clôtures existantes dans les alentours sont doublées par des matériaux légers et peu durables. Elles ne peuvent être comparées à celle édifiée par les recourants, qui perdurerait, si elle était maintenue, pendant de très longues années.

Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté et l'arrêté litigieux sera confirmé.

Un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge des recourants. Il ne leur sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 mars 2012 par Madame Filomena et Monsieur Marziale Pologruto contre l'arrêté du Conseil d'Etat du 8 février 2012 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de Madame Filomena et Monsieur Marziale Pologruto un émolument de CHF 500.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Gilbert Bratschi, avocat des recourants, ainsi qu'au Conseil d'Etat.

Siégeants : M. Thélin, président, Mmes Hurni et Junod, MM. Dumartheray et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :