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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1446/2004

ATA/282/2006 du 23.05.2006 ( TPE ) , ADMIS

Descripteurs : AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE; CHANGEMENT D'AFFECTATION; ÉGALITÉ DE TRAITEMENT; INTÉRÊT PUBLIC; REMISE EN L'ÉTAT ; PLAN DE ZONES
Normes : LCI.1 ; PUS.8
Parties : EL-KHEREIJI Youssef / VILLE DE GENEVE, DEPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION
Résumé : Ordre de remise en état notifié au recourant qui a transformé des arcades sises en plein centre-ville, sur la rade en salons privés. Rappel de la jurisprudence sur la problématique du maintien de l'accès au public des arcades du centre-ville. Recours admis au motif que les autorités avaient autorisé le locataire d'un immeuble voisin à fermer ses arcades au public et que depuis 20 ans elles toléraient la fermeture des arcades d'un autre voisin. Les mesures prises en cours de procédure ont été jugées insuffisantes par le TA.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1446/2004-TPE ATA/282/2006

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 23 mai 2006

dans la cause

 

Monsieur Youssef EL-KHEREIJI
représenté par Me Baudouin Dunand, avocat

contre

VILLE DE GENÈVE

et

DÉPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION



1. Par acte de vente du 29 septembre 2000, Monsieur Youssef El-Khereiji (ci-après : le propriétaire ou le recourant) a acquis l'immeuble se trouvant à l'adresse, 1 rue Pierre-Fatio, angle quai Gustave Ador, parcelle 4030 feuille 2, sis en ville et commune de Genève, section Cité, d'une surface au sol de 258 m2.

L'immeuble, comprenant cinq étages sur rez, était vendu libre de tout bail à l'exception d'une arcade donnant sur la rue Pierre-Fatio louée à Mme Odette Sheperd-Suissa (ci-après : la locataire) qui y exploitait une boutique à l'enseigne "Le Goéland" (ci-après : la boutique). Dans l'acte de vente, il était stipulé que le propriétaire reprenait ledit bail.

2. Par la suite, le propriétaire a proposé à la locataire de déplacer son activité et d'occuper une arcade dans le même immeuble mais donnant sur le quai Gustave Ador. Un nouveau bail a été conclu à cet effet le 28 novembre 2001, pour une durée de cinq ans du 1er avril 2002 au 31 mars 2007.

3. Par pli du 3 avril 2004, la locataire s'est plainte à la police des constructions du fait que, suite aux travaux de rénovation entrepris en 2000 et 2001, les quatre autres commerces existants au rez-de-chaussée de l'immeuble avaient disparu, ce qui était préjudiciable à sa propre activité et de surcroît, contraire au règlement de protection de la rade.

4. Le 18 mai 2004, le propriétaire a notifié à la locataire un avis de résiliation du bail pour le 31 mars 2007. Celle-ci a alors déposé une requête en annulation de résiliation et subsidiairement en prolongation de bail et baisse de loyer auprès du Tribunal des baux et loyers.

5. Par pli du 17 mai 2004, le département de l'aménagement de l'équipement et du logement, devenu depuis lors le département des constructions et des technologies de l'information (ci-après : le département ou le DCTI), a informé le propriétaire qu'un inspecteur de la police des constructions avait effectué des contrôles sur place les 20 avril et 5 mai 2004 et avait constaté que les commerces situés dans les arcades sises au n° 1, rue Pierre-Fatio, angle quai Gustave Ador, avaient été aménagés en locaux administratifs et qu'ils ne correspondaient plus de ce fait aux plans visés ne varietur lors de la délivrance de la dernière autorisation de construire.

Ces locaux étaient occupés par une société financière et n'étaient plus accessibles directement depuis aucune des rues avoisinantes. De surcroît, les travaux avaient été effectués sans aucune autorisation.

Cette situation constituant une infraction à l'article 1 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), ainsi qu'à l'article 8 du règlement transitoire relatif au plan d'utilisation du sol de la Ville de Genève, adopté par le Conseil municipal le 21 juin 1988 et approuvé par le Conseil d'Etat le 24 août 1988 (ci-après : le PUS), le département invitait le propriétaire à se déterminer dans les dix jours dès réception dudit courrier.

6. Par pli du 26 mai 2004, le propriétaire a tout d'abord rappelé que lorsqu'il avait acheté l'immeuble, seule la boutique Le Goéland qu'il avait maintenue, était au bénéfice d'un contrat de bail.

Pendant un certain temps la société Global Investment & Marketing S.A. (ci-après : la société), société suisse animée par le fils du propriétaire, avait occupé à bien plaire le premier étage de l'immeuble, dans l'attente de trouver des locaux commerciaux indépendants. Depuis le 2 octobre 2003, son siège social se trouvait 12, rue du Port, où elle louait des bureaux. Si le tableau de sonnerie de l'immeuble 1, rue Pierre-Fatio mentionnait encore le nom de la société, c'était pour assurer le suivi du courrier qui aurait pu lui être envoyé par erreur à l'ancienne adresse.

Les autres espaces du rez-de-chaussée avaient été meublés comme salons à disposition du propriétaire et de sa famille pour être utilisés à des fins purement privées. Le propriétaire n'y avait pas réalisé de travaux d'ordre structurel, son intervention se limitant à la simple décoration d'intérieur. En particulier, il contestait avoir modifié même partiellement le volume, l'architecture, la couleur, l'implantation, la distribution ou la destination du rez-de-chaussée.

Pour ce qui avait trait aux fenêtres des arcades, le décorateur avait suggéré de suivre la méthode adoptée par les propriétaires des immeubles voisins sis à la rue Pierre-Fatio, et d'y faire dès lors figurer une vitre plus ou moins transparente avec un élément de décoration, afin d'assurer une certaine harmonie de façade avec les vitres de la banque Thaler et de la banque Ferrier Lullin S.A. (ci-après : la banque Ferrier Lullin, devenue depuis lors la banque Julius Bär). Le recourant avait reproduit à cet effet le logo de la société gérée par son fils, bien que celle-ci n'ait jamais occupé ces locaux.

En conséquence, il contestait avoir violé les dispositions de la LCI et l'article 8 du PUS. Il concluait donc au "classement" de la procédure.

7. Par décision du 10 juin 2004, le DCTI a maintenu sa position et a imparti au propriétaire un délai de 90 jours pour réaffecter les arcades à leur destination de locaux commerciaux accessibles au public.

8. Le propriétaire s'est adressé au DCTI en date du 18 juin 2004 pour savoir ce que le département entendait par réaffectation des arcades. Celui-ci a répondu le 30 juin 2004 en indiquant que la décision du 10 juin 2004 portait sur le "rétablissement de l'affectation commerciale ouverte au public des arcades aménagées en salons privés et la mise en conformité des lieux selon les plans de l'autorisation de construire APA 15'318".

9. Par pli du 8 juillet 2004, le propriétaire a interjeté recours à l'encontre de la décision précitée auprès du Tribunal administratif. Il a repris en substance les arguments déjà développés précédemment.

10. Le 11 août 2004, le DCTI a rappelé dans sa réponse que le rez-de-chaussée de l'immeuble était destiné à l'origine à des activités commerciales, ce qui résultait tant de l'extrait du registre foncier que des plans du rez transmis à l'occasion des diverses requêtes en autorisation de construire. En conséquence, il y avait bien eu un changement d'affectation, contraire au PUS et répondant à une simple convenance personnelle du recourant. Aucun intérêt privé digne de protection n'ayant été invoqué, l'ordre de remise en état était proportionné à l'ensemble des circonstances, de sorte que la décision du département devait être confirmée.

11. Dans sa réplique du 10 septembre 2004, le recourant a indiqué encore une fois que lorsqu'il avait acheté l'immeuble, celui-ci ne comportait plus qu'une seule boutique et qu'aucun contrat de bail n'existait pour les autres arcades. Il s'était contenté de réaménager et décorer le rez-de-chaussée sans procéder à des modifications structurelles. Ce faisant, il ignorait qu'il violait l'article 8 PUS, ce d'autant plus que les bureaux de la banque Thaler et de la banque Ferrier Lullin, situés au rez-de-chaussée de la rue Pierre-Fatio, dans les immeubles voisins, et donc dans le même secteur, n'offraient absolument aucun accès au public.

Quelque temps auparavant, il avait eu l'intention de créer un "café-crèche" dans une arcade sise 80 rue du Rhône. Ce projet n'ayant pas abouti, il envisageait de le réaliser au rez-de-chaussée de l'immeuble dont il était propriétaire. Souhaitant disposer de toute la surface, il avait résilié le bail de la boutique pour la prochaine échéance.

Cette partie de la rue Pierre-Fatio n'avait aucun attrait commercial puisqu'il ne s'agissait plus d'une rue passante et qu'il n'existait plus aucun commerce depuis des années. Il en voulait pour preuve le fait que les autorités n'aient pas exigé des deux banques qui occupaient les immeubles voisins du sien qu'elles ouvrent leurs arcades au public. Il demandait donc à être traité de façon identique. Au vu des circonstances, il se prévalait de sa bonne foi. Enfin, il invoquait le principe de la proportionnalité, en soulignant qu'il serait disproportionné de lui imposer de remettre en location les arcades dans l'attente qu'il puisse réaliser son projet de "café-garderie" qui serait ouvert au public et partant parfaitement compatible avec l'article 8 PUS.

Il concluait donc derechef à l'annulation de la décision du département.

12. La Ville de Genève (ci-après : la Ville) a demandé à intervenir dans la procédure par lettre adressée au Tribunal administratif le 6 septembre 2004. Celui-ci a accédé à cette demande et lui a imparti un délai pour déposer ses observations.

13. La Ville s'est déterminée par pli du 13 octobre 2004. Elle a conclu au rejet du recours.

Il y avait bien eu violation de l'article 1 LCI puisque, contrairement aux allégations du recourant, jusqu' aux travaux de rénovation de l'immeuble en 2000 et 2001, les quatre arcades occupant le rez étaient effectivement affectées à des activités commerciales (vendeur de logiciels, magasin de tabac souvenirs, coiffeur). De plus, très probablement, le recourant, en réalisant les travaux avait démoli une cloison séparant à l'origine deux surfaces commerciales.

En fermant au public les arcades du rez-de-chaussée de son immeuble, le recourant avait également violé le règlement du plan de site de la rade qui prévoyait en son article 8 alinéa 1er que les rez-de-chaussée des bâtiments étaient destinés aux activités commerciales ouvertes au public et compatibles avec le quartier, à l'exclusion des activités administratives et d'autres animations qui ne s'intègrent pas au caractère des lieux.

Le recourant avait également contrevenu à l'article 8 alinéa 1 du PUS stipulant que dans les secteurs 1 à 5, en cas de changement d'affectation des locaux, les surfaces au rez-de-chaussée donnant sur des lieux de passage ouverts au public ne pouvaient pas être affectés à des bureaux fermés au public. En transformant des arcades en salons privés, le recourant avait bien procédé à un changement d'affectation qui ne pouvait être admis puisque l'immeuble faisant face au Jardin Anglais était situé dans un lieu passant, à l'attrait commercial et touristique indiscutable.

L'ordre de remise en état du département respectait le principe de la légalité puisqu'il se fondait sur les articles 129 lettre e et 130 LCI. Il était conforme au principe de proportionnalité parce que l'intérêt public au maintien de l'animation et de l'attractivité commerciale de la rade de Genève était à l'évidence plus important que l'intérêt privé du recourant à utiliser les arcades du rez-de-chaussée comme salons privés. Enfin, le recourant ne pouvait invoquer sa bonne foi parce que "nul n'est censé ignorer la loi" et que la bonne foi du particulier n'était protégée que lorsqu'il plaçait sa confiance en des assurances données ou autres comportements de l'autorité, dans un cas concret, vis-à-vis d'une personne déterminée, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. Pour le surplus, la Ville mettait sérieusement en doute l'intention du recourant d'ouvrir un café-crèche dans les locaux en cause, faute d'informations plus précises à ce sujet.

Enfin, la Ville rappelait qu'il n'y avait pas d'égalité de traitement dans l'illégalité. Par ailleurs, la situation de l'immeuble 7-9 rue Pierre-Fatio, occupé par la banque Ferrier Lullin, n'était pas comparable à celle de l'immeuble du recourant puisqu'il ne donnait pas directement sur le quai Gustave Ador ni sur le Jardin Anglais et que cet établissement bancaire avait demandé en son temps l'autorisation de transformer le rez-de-chaussée. Celle-ci lui avait été accordée à condition que l'aménagement des locaux soit fait d'entente avec les services concernés de la Ville, conformément aux termes des préavis délivrés par cette dernière. La Ville reconnaissait toutefois que la banque ne l'avait pas consultée à cet effet. Concernant les immeubles 3-5 rue Pierre-Fatio occupés par la banque Thaler, aucune autorisation n'avait été sollicitée pour la fermeture au public des arcades commerciales.

Il incombait donc au DCTI d'intervenir auprès des deux banques pour que la première respecte les termes de l'autorisation qui lui avait été accordée et que la seconde restitue aux locaux du rez-de-chaussée leur destination commerciale avec accès au public.

14. Dans sa duplique du 15 novembre 2004, le recourant a repris les arguments développés précédemment, en insistant sur le fait qu'il avait réhabilité un immeuble en état de délabrement qui était en grande partie "squatté" à l'époque où il l'avait acheté. Il entendait concrétiser son projet de "café-garderie" en affectant les arcades donnant sur le quai Gustave Ador à la partie café et celles de la rue Pierre-Fatio à la partie garderie. La rue Pierre-Fatio ne présentait aucun attrait commercial, cette rue ayant perdu toute vocation piétonne et ne constituant ainsi pas un passage ouvert au public. En conséquence, la décision du DCTI était déjà erronée pour ce motif. Elle était également contraire au principe de la proportionnalité dans la mesure où elle lui imposait de louer les arcades en attendant que son projet de "café-crèche" puisse voir le jour, ce qui en rendrait pratiquement impossible la réalisation, faute de pouvoir libérer les locaux au moment voulu.

15. Le DCTI, dans son écriture du 17 décembre 2004, a expliqué que le fait que les arcades aient été vacantes au moment de leur acquisition ne signifiait pas qu'elles avaient perdu toute vocation commerciale.

Le recourant ne pouvait se prévaloir du principe de l'égalité de traitement avec les deux banques dont les locaux jouxtaient son immeuble. En effet, tout d'abord ces deux établissements exerçaient une activité bancaire, alors que lui-même avait affecté les locaux en cause à un usage strictement privé. Par ailleurs, la banque Ferrier Lullin était au bénéfice d'une autorisation assortie d'une condition concernant l'aménagement des locaux du rez-de-chaussée. S'agissant des locaux de la banque Thaler, le DCTI ne disposait d'aucune information dans ses archives. Il se proposait donc de se rendre sur place pour examiner la situation et assurait qu'il ne tolérerait pas que les locaux du rez-de-chaussée soient utilisés à des fins purement administratives. Le projet de "café-crèche" ne pouvait justifier le maintien d'une situation illicite. Enfin, il contestait que la rue Pierre-Fatio ne soit pas un lieu de passage fréquenté et animé et invitait le tribunal à procéder à un transport sur place pour s'en convaincre.

16. Entendu le 20 avril 2005 en audience de comparution personnelle des parties, le mandataire du recourant a déclaré qu'un accord avait été signé entre son client et la locataire de l'arcade, celle-ci s'étant engagée à quitter les locaux au 31 août 2005, moyennant le versement d'une indemnité. Il a produit auprès du tribunal copie de l'accord ainsi que les plans du "coffee shop" qui devrait être aménagé au rez-de-chaussée de l'immeuble. Son client allait déposer les demandes d'autorisation nécessaires puisqu'il souhaitait entreprendre les travaux en 2006. A sa connaissance, l'immeuble était uniquement occupé par des membres de la famille du propriétaire. Il ignorait qui utilisait les salons privés du rez-de-chaussée et à quelle fréquence. Il a confirmé que le siège de la société était 12, rue du Port et si dans l'annuaire celui-ci figurait encore à l'adresse rue Pierre-Fatio, c'était un oubli.

A l'issue de l'audience un délai au 13 mai 2005 a été fixé aux parties pour solliciter d'éventuels actes d'instruction.

17. Par pli du 13 mai 2005, la Ville a indiqué qu'elle ne sollicitait pas d'acte d'instruction complémentaire. Les propos du recourant sur la création d'un "coffee shop" ne pouvaient conduire à l'annulation de la décision litigieuse, celui-ci ayant fait état d'une simple intention et le fait qu'en cinq mois le projet de "café-garderie" se soit déjà transformé en "coffee shop" ne militait pas en faveur du sérieux du projet.

Le DCTI n'a pas demandé d'autre acte d'instruction.

Dans un courrier du même jour, le recourant a sollicité l'audition de représentants des banques Thaler et Ferrier Lullin.

18. Lors de l'audience de comparution personnelle et d'enquêtes du 4 août 2005, le représentant de la banque Thaler a indiqué que celle-ci était installée dans les locaux du 3, rue Pierre-Fatio depuis les années 80. Elle n'était pas propriétaire de tout l'immeuble et elle n'utilisait pas la totalité des arcades. L'une d'elles était aménagée en bureau traversant donnant également sur le square à l'arrière. Ce bureau était utilisé davantage comme cafétéria et local pour l'économat que comme bureau. Il n'était pas ouvert au public.

La seconde arcade du bâtiment appartenait à une copropriétaire qui possédait également le 6e étage. Cette boutique abritait jusqu'à l'année précédente un magasin d'art tibétain mais ce dernier était actuellement fermé. Il ignorait les intentions de la propriétaire quant à l'avenir de cet espace. Il avait pris connaissance du dossier relatif à l'installation de la banque dans les locaux puisqu'il avait été responsable de la supervision des transformations qui avaient été entreprises en 1999. Dans ce contexte, il n'avait pas été informé de discussions avec le département ou la Ville au sujet de l'arcade. Les transformations auxquelles la banque avait procédé étaient exclusivement interieures, celle-ci n'ayant jamais été ouverte au public. L'établissement bancaire précédant la banque Thaler n'exerçait pas non plus d'activité destinée au grand public et les locaux du rez-de-chaussée étaient utilisés comme bureaux pour les employés. La banque n'avait reçu aucun courrier du département ou de la Ville relatif à l'affectation du local qu'elle utilisait au rez de l'immeuble.

Le DCTI ne disposait d'aucun document faisant état d'un éventuel changement d'affectation de l'arcade, mais simplement une mention qu'il s'agissait d'un espace commercial. D'après les autorisations délivrées depuis 1995, aucune ne portait sur un changement d'affectation des locaux du rez-de-chaussée et il n'y avait eu aucune dénonciation ni plainte relative à la modification d'affectation de l'arcade utilisée par la banque.

Au cours de cette même audience, le représentant de la banque Ferrier Lullin a été également entendu. La banque était locataire des locaux et il n'y avait pas de guichet ouvert au public. Les arcades avaient été conservées mais elles se composaient de vitrages fixes isolés et sécurisés qui ne pouvaient être ouverts en aucun cas. Il n'avait pas souvenir de discussions particulières avec la Ville ou le département. Rien n'avait été modifié dans la structure du bâtiment ni dans son affectation, l'activité déployée précédemment étant déjà administrative et commerciale. Certes, le Touring Club Suisse (ci-après : le TCS), qui occupait le bâtiment auparavant, avait une arcade ouverte au public, ce qui n'était plus le cas actuellement, mais lorsque la banque s'était installée dans l'immeuble elle avait sollicité toutes les autorisations nécessaires et les avait obtenues. Il a encore précisé que les vitrines comportaient le logo de la banque et étaient éclairées. Elles ne présentaient aucun objet et étaient conformes à la discrétion liée à l'activité et à l'image de la banque. A ce jour, celle-ci n'avait eu aucune réclamation du département ou de la Ville au sujet de l'utilisation des vitrines.

La représentante du département a alors rappelé que dans le cadre de l'autorisation délivrée il y avait une condition relative à l'article 8 PUS et un renvoi au préavis de la Ville. La représentante de cette dernière a ajouté qu'il avait été admis que l'arcade ne soit pas ouverte au public mais les vitrines devaient être animées d'entente avec la Ville ce qui n'avait pas été fait. La Ville avait l'intention d'intervenir auprès de la banque afin que les vitrines soient conformes à son préavis et au PUS.

La représentante du département a encore souligné que s'agissant du 5, rue Pierre-Fatio, d'après les autorisations, le rez-de-chaussée du bâtiment était affecté à un usage commercial.

19. Suite à l'audience, la Ville a transmis au tribunal de céans une lettre portant la date du 23 août 2005 adressée à la banque Ferrier Lullin et rappelant à cet établissement bancaire les termes de l'autorisation de construire délivrée par le département le 20 décembre 1999. Elle l'invitait à prendre contact avec le service d'urbanisme afin de régulariser la situation relative à la vitrine.

Elle joignait le prévis rendu à l'époque dont les termes étaient les suivants : "vu la présence, par le passé, d'un bureau de voyages dont l'accès était largement public, nous demandons, en vertu de l'article 8 du PUS, que les vitrines soient régulièrement animées. Ceci afin de conserver une certaine continuité « commerciale » des rez-de-chaussée au centre ville, même s'il s'agit d'une transformation sans changement d'affectation".

L'autorisation délivrée par le département stipulait au point 5 "l'aménagement des locaux du rez-de-chaussée se fera d'entente avec les services concernés de la Ville, conformément aux termes des préavis…".

20. Il ressort des documents produits par le département à la demande du Tribunal administratif, qu'une autorisation de construire portant sur la rénovation de l'immeuble appartenant au recourant avait été délivrée le 25 mai 2000 (APA 15318). Les plans, qui n'étaient pas visés ne varietur, indiquaient que les quatre arcades du rez-de-chaussée étaient destinées à l'usage de commerces. Le plan du rez-de-chaussée ne montraient aucune transformation ni changement d'affectation si ce n'est des modifications de galandages dans le local poubelles. Le premier étage était affecté à l'usage de bureaux, apparemment depuis les années 1960, au vu et au su du département. Les plans portaient d'ailleurs la mention "bureau". Les travaux consistaient essentiellement en des modifications de distribution de pièces dans les appartements du 2e au 5e étage.

Suite à l'acquisition de l'immeuble, le propriétaire avait déposé le 28 février 2001 une demande complémentaire d'autorisation de construire relative à des modifications intérieures des étages 2 à 5. L'autorisation de construire avait été accordée le 2 juillet 2001 (APA 15318/2-1). Les plans, visés ne varietur cette fois-ci, ne comprenaient pas ceux du rez-de-chaussée.

21. Lors du transport sur place qui a eu lieu le 30 septembre 2005, le tribunal de céans a constaté qu'il n'y avait pas de nom sur la porte d'entrée principale de l'immeuble. Une plaque avec interphone comportait l'indication des niveaux. Pour le rez-de-chaussée l'étiquette était blanche, pour le premier étage il était mentionné "bureau privé " en anglais et ensuite une dénomination des étages du 2e au 6e toujours en anglais.

Côté rue Pierre-Fatio, l'immeuble comportait deux vitrines avec le logo "Global Investment & Marketing S.A.". Du côté du quai Gustave Ador se trouvait une vitrine avec le même logo. La vitrine contiguë était vide et munie d' un rideau. Aucune des portes d'accès n'avait de poignée. La troisième vitrine correspondait au local qui était occupé par la boutique. Selon les parties, le "coffee shop" devrait être aménagé sur tout le rez-de-chaussée, sauf la partie droite côté rue Pierre-Fatio.

L'immeuble suivant sur le quai Gustave Ador faisait angle avec la rue de la Scie. Un café "l'Apothéose" occupait le rez-de-chaussée. Côté rue de la Scie, un magasin de souvenirs et d'objets variés jouxtait le café. L'immeuble sis 2 quai Gustave Ador, au-delà de la rue de la Scie, abritait des bureaux dont ceux de la section genevoise du TCS. Le rez-de-chaussée était surélevé.

Dans la rue Pierre-Fatio, le tribunal a pu constater que juste avant l'allée no 5, il y avait une porte sans poignée. La vitrine qui se trouvait à côté de la banque Thaler, qui occupait le no 3, portait la mention "fermeture définitive" sans que plus rien ne permette d'identifier quelle activité était déployée à cet endroit. Il en allait de même pour les autres vitrines de cet immeuble. Aux nos 7 et 9 se trouvait la banque Ferrier Lullin jusqu'à la rue Versonnex. Les vitrines de cette banque étaient du même type que celles de la société.

La rue Pierre-Fatio est située entre deux importantes artères bruyantes. Sur le tronçon qui va de la rue Versonnex au quai, cette rue ne comporte aucun commerce.

22. Dans un courrier du 31 octobre 2005 adressé au Tribunal administratif, le DCTI a persisté dans les termes de sa décision du 10 juin 2004 et de sa détermination du 17 décembre 2004.

Le recourant a indiqué, dans son écriture du 9 novembre 2005, qu'il contestait avoir violé les dispositions légales topiques. Compte tenu de l'inexistence de commerces dans la rue Pierre-Fatio, il invoquait l'absence d'intérêt public digne de protection ainsi que la violation du principe de l'égalité de traitement.

Dans son écriture du 11 novembre 2005, la Ville a mis l'accent sur la différence de localisation géographique des immeubles occupés par la banque Ferrier Lullin et celui du recourant. Elle avait contacté cet établissement pour qu'il prenne langue avec elle afin de mettre ses vitrines en conformité avec l'autorisation reçue. Concernant les arcades sises à la rue Pierre-Fatio, nos 3 et 5, elle confirmait qu'aucune autorisation de changement d'affectation et de fermeture des arcades au public, n'avait été délivrée. Elle affirmait sa volonté d' intervenir afin que le PUS soit respecté.

23. Par courrier du 21 novembre 2005, le Tribunal administratif a informé les parties que la cause était gardée à juger.

1. Selon l'article 150 LCI, lorsque des travaux sont entrepris sans autorisation, le recours contre la sanction doit être formé au Tribunal administratif.

En l'espèce, le DCTI reproche au recourant d'avoir modifié la destination des arcades de son immeuble et d'y avoir accompli des travaux sans autorisation.

Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 150 LCI ; art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Le tribunal de céans précise d'emblée qu'il étudiera la présente cause en se basant sur l'état actuel des locaux du rez-de-chaussée litigieux. En particulier, il ne tiendra pas compte de la résolution du recourant de créer un "coffee shop" dans les arcades en cause. En effet, ce projet n'étant pas encore concrétisé par l'octroi d'une autorisation de construire et constituant à l'heure actuelle une simple intention du recourant, il ne peut entrer en ligne de compte pour évaluer le bien fondé de la décision prise par le département.

3. Il s'agit d'examiner ici si, au vu des circonstances du cas d'espèce, le département a eu raison d'ordonner au recourant de réaffecter les arcades en question à leur destination de locaux commerciaux accessibles au public.

Lorsque l'état d'une construction n'est pas conforme aux prescriptions de la LCI, de ses règlements d'application ou des autorisation délivrées, le département peut ordonner l'évacuation des locaux, la remise en état ou la modification du bâtiment, pour autant que la mesure choisie respecte le principe de la proportionnalité, qu'elle soit dirigée contre le perturbateur, que les installations en cause ne soient pas autorisables en vertu du droit en vigueur au moment de la réalisation, qu'un délai de trente ans ne se soit pas écoulé depuis l'exécution des travaux litigieux, que l'intérêt public au rétablissement d'une situation conforme au droit l'emporte sur l'intérêt privé de l'intéressé au maintien de l'installation litigieuse et que l'autorité n'ait pas créé des expectatives la liant en vertu du principe de la bonne foi (ATA/574/2005 du 30 août 2005 ; ATA/339/1999 du 1er juin 1999 et les références citées).

La question est de savoir dans un premier temps si l'état de la construction est conforme au droit, puis s'il est autorisable et enfin, cas échéant, si l'ordre de remise en état est conforme au principe de la proportionnalité.

4. Aux termes de l'article 1 alinéa 1 lettre b LCI, sur tout le territoire du canton nul ne peut, sans y avoir été autorisé modifier même partiellement le volume, l'architecture, la couleur, l'implantation, la distribution ou la destination d'une construction ou d'une installation.

Il résulte des plans annexés à l'autorisation de construire délivrée en 2000 que les quatre arcades du rez-de-chaussée étaient destinées à l'usage de commerces. Les modifications requises après l'achat de l'immeuble par le recourant et l'autorisation subséquente, délivrée en 2001, ne portant que sur les étages 2 à 5, l'affectation commerciale du rez demeurait ainsi inchangée. Or, au cours de la procédure, le recourant a toujours indiqué que ces locaux étaient désormais des salons privés réservés à son usage personnel ainsi qu'à celui de ses proches. Il s'ensuit que les dits locaux sont actuellement utilisés à des fins d'habitation ce qui constitue indéniablement un changement de destination sans autorisation, prohibé par l'article 1 alinéa 1 let b LCI.

5. Dans sa décision du 10 juin 2004, le département a également invoqué une violation du PUS.

a. Le plan d’utilisation du sol est un règlement municipal approuvé par le Conseil d’Etat. Il repose sur une délégation de la loi sur l’extension des voies de communication et l’aménagement des quartiers ou localités du 9 mars 1929 (LExt – L 1 40 ; art. 15 et ss LExt).

b. Le tribunal de céans a admis que les plans d'utilisation du sol étaient des plans d'affectation au sens de l'article 14 alinéa premier de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700), disposition restée inchangée malgré la novelle du 23 mars 1998 (RO 2000 p. 2042 ; ATA/553/2002 du 17 septembre 2002 ; ATA TTP c/ C. F. du 5 février 1992 et les références citées).

c. Le PUS a pour objectif essentiel de maintenir et rétablir l'habitat tout en favorisant une implantation équilibrée des activités par le biais de la gestion des surfaces brutes de plancher supplémentaires obtenues, soit par des constructions nouvelles, soit par la transformation de bâtiments (art. 1 al. 1 PUS). Il détermine également l’affectation des rez-de-chaussée des immeubles sis dans les secteurs 1 à 5 de la Ville (art. 8 PUS).

d. A teneur de l’article 8 alinéa 1 PUS, dans les secteurs 1 à 5, en cas de changement d’affectation des locaux, les surfaces au rez-de-chaussée donnant sur des lieux de passage ouverts au public ne peuvent être affectés à des bureaux fermés au public. Cette disposition vise des locaux susceptibles d’un changement d’affectation, donc déjà utilisables.

6. La Ville, dans ses observations du 13 octobre 2004, a fait valoir pour le surplus la violation du règlement annexé au plan de site de la rade.

a. Le but du règlement précité défini à son article 1er est de préserver le site de la rade et à ce titre le caractère architectural et historique des bâtiments et ensembles situés à front de quai de la rade et des places attenantes, ainsi que les autres éléments rattachés aux quais et au plan d'eau, qui méritent protection.

b. L'article 8 du règlement stipule que les rez-de-chaussée des bâtiments sont, en règle générale, destinés aux activités commerciales ouvertes au public et compatibles avec le quartier, à l'exclusion des activités administratives et d'autres activités qui ne s'intègrent pas au caractère des lieux. Les rez-de-chaussée des bâtiments affectés à des activités qui contribuent directement à l'animation des espaces publics, telles que boutiques, restaurants, cafés ou autres commerces, conservent cette destination.

c. Les plans de site ont pour but l'aménagement ou la conservation d'un site protégé. Il s'agit de plans d'affectation spéciaux, avec des effets contraignants pour les particuliers (T. TANQUEREL, La participation de la population à l'aménagement du territoire, 1988, p. 260). Lorsqu' ils comportent des restrictions au droit de propriété, celles-ci ne sont admises que si elles reposent sur une base légale suffisante, sont justifiées par un intérêt public et respectent le principe de la proportionnalité (Arrêt du Tribunal Fédéral 1P.801/1999 du 16 mars 2000 ; ATF 121 I 117 consid. 3b p. 120; 120 Ia 126 consid. 5a p. 142 ; 119 Ia 348 consid. 2a p. 353, et les arrêts cités ; ATA/734/2004 du 21 septembre 2004 et ATA/838/2003 du 18 novembre 2003).

Il convient d'examiner dès lors si un changement de destination était autorisable, dans le cas d'espèce.

Bien que les buts poursuivis par le PUS et par le règlement ne soient pas identiques, puisque dans un cas il s'agit plus spécifiquement de réglementer d'une manière équilibrée, entre habitation et activités, l'affectation des surfaces, et dans l'autre c'est la conservation du site de la rade qui est visée, in casu, elles prévoient toutes deux l'affectation des espaces du rez-de-chaussée à des activités commerciales ouvertes au public. En conséquence, on peut se référer à la jurisprudence développée par le tribunal de céans sur l'article 8 alinéa 1 du PUS pour déterminer si un tel changement d'affectation était autorisable.

7. a. Selon cette jurisprudence, le passage de l’affectation d’un magasin à celle de bureaux ouverts au public constitue un changement d’affectation au sens de la disposition précitée. En effet, même s’il contribue à assurer une certaine animation au quartier, un bureau ouvert ne la favorise pas autant qu’un commerce (ATA/830/2004 du 26 octobre 2004 ; ATA TTP c/ C. F. du 5 février 1992 et les références citées).

b. L’interdiction d’affecter à des bureaux fermés au public, les surfaces au rez-de-chaussée donnant sur des lieux de passage ouverts au public, afin de lutter contre les « vitrines mortes », constitue manifestement un but d’intérêt public, en particulier dans les zones fréquentées et animées (ATA/830/2004 précité ; ATA/553/2002 du 17 septembre 2002 et les références citées). Cet intérêt s’oppose à celui privé du recourant d'affecter ces locaux à son usage personnel.

c. A cet égard, le tribunal de céans a jugé que l’obligation imposée à une société anonyme d’affecter le rez-de-chaussée de son immeuble à des commerces au sens strict ne correspondait pas à un intérêt public prépondérant et violait le principe de la proportionnalité, lorsque l’immeuble se trouvait sur une route de transit et peu passante où ne se déroulaient que peu d’activités. Un commerce y rencontrerait de graves difficultés, de sorte que l’installation d’une activité administrative, en l’occurrence un bureau d’ingénieur, était possible (ATA DTP c/ S.I. T. du 10 octobre 1990). Il a adopté la même solution, s’agissant d’un médecin désireux d’installer son cabinet dans une arcade donnant à l’angle de rues peu fréquentées (ATA DTP c/ Z. du 25 août 1992 et les références citées).

Au cours du transport sur place, le tribunal de céans a pu constater que la rue Pierre-Fatio est située entre deux artères très bruyantes et que sur ce tronçon qui va de l'axe rue Versonnex - quai Général Guisan, au quai Gustave-Ador, elle ne comporte aucun commerce. Il est d'ailleurs significatif à cet égard que le magasin d'art tibétain qui a cessé son activité depuis une année soit toujours vide. Les vitrines de la banque Ferrier Lullin ont été fermées au public avec l'accord de la Ville et du département et celles de la banque Thaler sont fermées depuis près de vingt ans. Certes, côté quai Gustave Ador, un café jouxte les arcades, suivi par une boutique de souvenirs mais déjà le rez-de-chaussée de l'immeuble sis au n° 2 du quai ne comporte pas d'arcades et abrite des bureaux. Il s'ensuit qu'il n'y a pratiquement pas d'activité ni d'animation piétonne dans ce périmètre. En conséquence, au vu de la jurisprudence précitée, il est tout à fait admissible d'autoriser le recourant à affecter le rez-de-chaussée à une activité administrative dans des bureaux fermés au public.

Cependant le cas d'espèce se singularise par le fait que le recourant a transformé ces locaux en salons de réception à l'usage exclusif de sa famille et les a ainsi privés de leur vocation commerciale.

8. Le recourant a invoqué la violation du principe de l'égalité de traitement en faisant valoir que les arcades voisines des siennes sises rue Pierre-Fatio et occupées par des banques, sont également fermées au public.

a. Le principe de l’égalité de traitement déduit de l’article 8 Cst n’est violé que si des situations essentiellement semblables sont traitées différemment ou si des situations présentant des différences essentielles sont traitées de manière identique (ATF 108 Ia 114).

b. Selon la jurisprudence, un justiciable ne saurait en principe se prétendre victime d’une inégalité de traitement au sens de la disposition précitée lorsque la loi est correctement appliquée à son cas, alors même que dans d’autres cas, elle aurait reçu une fausse application ou n’aurait pas été appliquée du tout (ATF 115 Ia 93 ; 113 Ib 313 ; ATA/700/2005 du 25 octobre 2005 ; ATA/832/2004 du 26 octobre 2004).

Cependant, cela présuppose de la part de l’autorité dont la décision est attaquée la volonté d’appliquer correctement à l’avenir les dispositions légales en question et de les faire appliquer par les services qui lui sont subordonnés (A. AUER, L’égalité dans la l’illégalité, ZBl 1978 pp. 281ss, 290 ss).

En revanche, si l’autorité persiste à maintenir une pratique reconnue illégale ou s’il y a de sérieuses raisons de penser qu’elle va persister dans celle-ci, le citoyen peut demander que la faveur accordée illégalement à des tiers le soit aussi à lui-même, cette faveur prenant fin lorsque l’autorité modifie sa pratique illégale (ATF 105 V 192 ; 104 Ib 373 ; 99 Ib 383 ; ATA/700/2005 précité ; ATA/832/2004 précité).

Contrairement aux allégations de la Ville, la situation du recourant est comparable à celle des deux banques. Tout d'abord d'un point de vue géographique, les bâtiments occupés par les deux banques ainsi que celui du recourant se trouvent dans le même périmètre et sont tous soumis au PUS et au règlement. Certes, le bâtiment du recourant donne également sur le quai Gustave Ador alors que celui qui est occupé par la banque Ferrier Lullin se trouve à l'intersection de la rue Pierre-Fatio avec l'axe rue Versonnex-quai Général Guisan, mais ce dernier axe compte davantage de boutiques que le quai Gustave Ador. Ensuite, la différence d'affectation des locaux du rez-de-chaussée des divers bâtiments (1-3-5-7 et 9 rue Pierre-Fatio) n'a pas une grande importance dans le cas d'espèce. En effet, l'aspect extérieur est très semblable : les arcades ont été privées d'accès depuis la rue et les vitrines ont toutes été traitées d'une manière analogue en privilégiant leur opacité. Enfin, l'animation générée par une banque privée, qui n'a pas de guichets ouverts au public et dont l'un des atouts commerciaux consiste dans la discrétion assurée à sa clientèle, ne diffère pas substantiellement de celle qui est occasionnée par des salons de réception à usage privé.

Les enquêtes ont démontré que les locaux de la banque Thaler ne sont plus ouverts au public depuis les années 1980 et que pendant cette période ni la Ville ni le DCTI ne sont intervenus pour faire respecter le PUS et le règlement. De même en 1999, le département a autorisé la banque Ferrier Lullin à fermer ses arcades au public. Certes, cette autorisation était soumise à la condition que les vitrines soient régulièrement animées d'entente avec la Ville, mais ni celle-ci ni le département n'ont veillé à ce que cette condition soit respectée et le premier courrier qui a été adressé à la banque à cet effet date du mois d'août 2005 et est postérieur à l'audience d'enquêtes qui a eu lieu dans la présente procédure.

Au vu de ce qui précède, tant le département que la Ville n'ont pas manifesté une réelle intention de faire respecter le PUS et le règlement. L'attitude des autorités est d'autant plus choquante in casu que les bâtiments considérés se trouvent en plein centre ville et qu'il leur était dès lors aisé de vérifier les irrégularités commises. En conséquence, le tribunal de céans a acquis la conviction que les affirmations des autorités selon lesquelles elles interviendraient auprès de la banque Thaler ainsi que le courrier adressé à la banque Ferrier Lullin ont été dictés exclusivement par les besoins de la présente cause.

Il convient de donner raison au recourant et de lui permettre de garder les locaux du rez-de-chaussée du n°1 rue Pierre-Fatio fermés au public.

9. Le recours étant admis, il est inutile d'examiner les autres arguments soulevés par le recourant. Un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge du département et de la Ville de Genève, pris conjointement et solidairement. Une indemnité de CHF 2'000.- sera allouée au recourant à la charge du département et de la Ville de Genève, pris conjointement et solidairement (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 juillet 2004 par Monsieur Youssef El-Khereiji contre la décision du département des constructions et des technologies de l'information du 10 juin 2004 ;

au fond :

l'admet;

annule la décision du département des constructions et des technologies de l'information ;

met à la charge du département des constructions et des technologies de l'information et de la Ville de Genève, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 1'000.- ;

alloue au recourant une indemnité de procédure de CHF 2'000.- à la charge du département des constructions et des technologies de l'information et de la Ville de Genève pris conjointement et solidairement ;

communique le présent arrêt à Me Baudouin Dunand, avocat du recourant, au département des constructions et des technologies de l'information ainsi qu'à la Ville de Genève.

Siégeants : M. Paychère président, Mmes Bovy et Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :