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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3932/2007

ATA/433/2008 du 27.08.2008 ( DT ) , PARTIELMNT ADMIS

Parties : SERVICE DE L'AGRICULTURE / COMMISSION FONCIERE AGRICOLE, AUVERGNE Thierry
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3932/2007-DT ATA/433/2008

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 27 août 2008

 

dans la cause

 

SERVICE DE L'AGRICULTURE

contre

Monsieur Thierry AUVERGNE

représenté par Me Eric Hess, avocat

et

COMMISSION FONCIÈRE AGRICOLE


 


EN FAIT

1. Monsieur Thierry Auvergne est propriétaire des parcelles nos 59 (1634 m2), 5510 (26'651 m2), 6667 (24'734 m2), 6668 (39'264 m2) et 6670 (23'146 m2), toutes sises en zone agricole sur le territoire de la commune de Satigny.

2. Les parcelles nos 5510, 6667, 6668 et 6670 sont en outre sises en zone viticole protégée. M. Auvergne en a acquis la propriété le 1er janvier 1990, par donation entre vifs. Les dispositions de cette donation prévoyaient que l'intéressé devait reprendre la dette de son père envers un établissement bancaire détenteur d'une cédule hypothécaire pour un montant en capital de CHF 500'000.-, d'une part et, d'autre part, s'engager à verser à son oncle une soulte de CHF 382'500.-, elle aussi incorporée dans une cédule hypothécaire. Au 30 novembre 2007, le montant dû par M. Auvergne au titre de cette soulte dépassait CHF 500'000.- en capital et intérêts.

3. M. Auvergne a cessé d'exploiter personnellement ses parcelles viticoles dans le courant de l'année 1997 en raison de difficultés financières et, depuis le 1er mars 1998, il a loué à ferme, pour une durée de 12 ans, ses biens-fonds plantés de vignes, dont une partie de la parcelle n° 5510, à un viticulteur de la même commune.

4. Le 27 novembre 2006, M. Auvergne a saisi la commission foncière agricole (ci-après : CFA) d'une requête en autorisation de diviser la parcelle n° 5510 en deux sous-parcelles, l'une de 24'410 m2 (5510 A), l'autre de 1'241 m2 (5510 B) et de vendre cette dernière, afin de pouvoir financer les travaux de rénovation du bâtiment principal de la ferme.

5. Le 26 février 2007, à la demande de la CFA, M. Auvergne a soumis une nouvelle requête de division, prévoyant une parcelle 5510 A de 22'893 m2 et une parcelle 5510 B de 2757 m2, intégrant désormais le bâtiment à rénover.

6. Le 20 mars 2007, la CFA a rendu une ordonnance préparatoire transmettant le dossier au département des constructions et des technologies de l'information (ci-après : DCTI), dans le cadre de la coordination des procédures, prévues par l'article 4a de l'ordonnance sur le droit foncier rural du 4 octobre 1993 (ODFR - RS 211.412.110).

7. Le 6 juin 2007, dans une détermination valant décision de constatation au sens de l'article 4 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), le DCTI a relevé que sur la parcelle n° 5510 se trouvaient les bâtiments cadastrés suivants :

- n° 302 : habitation de ferme construite au XIXe siècle

- n° 974 : maison d'habitation pour laquelle une autorisation de construire avait été délivrée en 1962 ;

- n° 975 : logement pour ouvriers agricoles construit au XIXe siècle, dont la transformation avait été autorisée en 1962 ;

- n° 1159 : hangar pour machines agricoles dont la construction avait été autorisée en 1969 ;

- n° 1160 : réduit construit sans autorisation en 1969 ;

- n° 1245 hangar agricole dont la construction a été autorisée en 1977 ;

- n° 2242 : corps de ferme comprenant 2 granges, une cave, une écurie désaffectée, un dortoir et un réfectoire pour ouvriers agricoles, construit au XIXe siècle.

Elle supportait en outre un couvert érigé sans autorisation, une quarantaine d'années auparavant, un poulailler construit sans autorisation, il y avait plus de trente ans, et un réduit pour outils installé sans autorisation en 2005.

8. Par décision du 10 septembre 2007, la CFA a autorisé la division de la parcelle n° 5510 conformément au tableau de mutation parcellaire présenté le 20 février 2007 en une parcelle 10797 (ex. 5510 A) de 22893 m2 et une parcelle 10798 (ex. 5510 B) de 2757 m2. Constatant que cette dernière n'avait aucune affectation agricole, elle a prononcé son désassujettissement. La parcelle 10978 comportait les bâtiments nos 302, 1159, 1160 et 1245.

9. Par acte du 16 octobre 2007, le service de l'agriculture (ci-après : le service), en sa qualité d'autorité de surveillance en matière de droit foncier rural, a recouru contre la décision susmentionnée, concluant à son annulation et au retour du dossier à la CFA pour nouvelle décision.

L'ensemble des parcelles appartenant à M. Auvergne formait une entreprise agricole disposant de bâtiments et installations ad hoc, dont notamment les hangars nos 1159 et 1245 sis sur la parcelle n° 5510. L'autorisation de division donnée par la CFA partageait matériellement cette entreprise et excluait du champ d'application de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991 (LDFR - RS 211.412.11) une surface de 2757 m2 supportant des bâtiments à affectation agricole, contrairement à ce que retenait la décision querellée.

10. Le 10 décembre 2007, M Auvergne s'est opposé au recours, concluant à son rejet.

La partie de la parcelle 5510 ayant fait l'objet de la requête en désassujetissement n'était pas utilisée dans le cadre de l'exploitation agricole du domaine, depuis plus de 10 ans. Le bâtiment 302 était resté inoccupé de 1998 au 15 avril 2003, date à laquelle il avait été loué jusqu'au mois de juin 2005. Des travaux avaient alors dû être effectués, financés par une avance sur le produit de la vente future d'une partie de la parcelle 5510 à un voisin de M. Auvergne, intéressé à acquérir les bâtiments 1159 et 1160, qui étaient des garages. Une fois rénovés le bâtiment 302 avait été loué, dès le 15 février 2007, à la société OSMOSYS S.A., à usage d'habitation. Enfin, le bâtiment 1245 était un autre garage. Ainsi, cette partie de la parcelle 5510 n'était pas et ne serait plus utilisée pour l'exploitation agricole.

11. Le 31 janvier 2008, la CFA s'est déterminée. Les bâtiments 302, 1159, 1160 et 1245 n'étaient pas nécessaires à l'exploitation agricole de M. Auvergne et pouvaient être exclus du champ d'application de la LDFR. Par ailleurs, le but de la division était de permettre à M. Auvergne d'assainir sa situation financière sans compromettre son exploitation agricole, ce qui allait dans le sens des buts poursuivis par la législation foncière rurale.

12. Le 11 avril 2008, le juge délégué a organisé un transport sur place en présence des parties. Les éléments suivants ont été constatés :

- le bâtiment 302 était loué à une société, à l'usage d'habitation ;

- le bâtiment 1245 était un garage-débarras, construit par le père de M. Auvergne lorsque ce dernier était encore enfant ;

- Les bâtiments 1159 et 1160 étaient des entrepôts-garages-débarras, plus anciens que le précédent.

- Cette partie de la parcelle 5510 accueillait encore une construction en bois amovible, attenante au bâtiment 1245, et un jardin potager.

13. Durant le transport sur place s'est présenté spontanément le voisin de M. Auvergne désireux d'acquérir les bâtiments 1159 et 1160. Il a pu être entendu en qualité de témoin. Ancien entrepreneur, il habitait dans la commune depuis 56 ans. A l'époque, le père de M. Auvergne exploitait le domaine agricole. La future parcelle 5510 B était déjà utilisée comme poulailler, garage et débarras. Les bâtiments 1159 et 1160 avaient été construits entre 1965 et 1966 et le 1245 l'avait été quelques années après. Il n'avait jamais vu de vigne ou de bétail sur cette partie du domaine. A un moment donné, il y avait un paddocks, des écuries étant abritées dans le bâtiment 1242. Le bâtiment 302 était à l'époque l'habitation des propriétaires.

14. Le 24 avril 2008, répondant à une demande de précision formulée lors du transport sur place quant aux possibilités de passage des véhicules agricoles exploitant la future parcelle 10797, M. Auvergne a indiqué que la limite de la future parcelle 10798 côté Jura correspondait à la limite des vignes. Il était d'ores et déjà disposé à constituer une servitude de passage au profit de la future parcelle 10797, conformément au dossier de mutation qu'il remettait en annexe.

15. Le 29 avril 2008, le service a indiqué que lors du transport sur place, il avait pu constater effectivement que les bâtiments 302, 1159, 1160 et 1245 étaient aujourd'hui inadaptés aux besoins d'une exploitation agricole et n'étaient plus affectés ni utilisables à l'avenir à des fins agricoles. S'agissant de la division parcellaire autorisée par la CFA, il souhaitait qu'une surface suffisante, assujettie au droit foncier rural, soit maintenue pour garantir le passage des véhicules agricoles utilisés pour l'exploitation de la vigne.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 83 al. 3 LDFR; art. 12 al. 1 et 13 de la loi d'application de la loi fédérale sur le droit foncier rural - LaLDFR - M 1 10 ; art. 1 du règlement d'exécution de la loi d'application de la loi fédérale sur le droit foncier rural - M 1 10.01; art. 63 al. 1 litt. a LPA).

2. a. La LDFR s'applique notamment à des immeubles agricoles isolés qui sont situés en dehors d'une zone à bâtir au sens de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin l979 (LAT - RS 700) et dont l'utilisation agricole est licite (art. 2 al. 1 LDFR).

b. Est agricole l'immeuble approprié à un usage agricole ou horticole (art. 6 al. 1 LDFR), à savoir celui qui, par sa situation et sa composition, peut être exploité sous cette forme (cf. E. HOFER, in : Le droit foncier rural, Brugg 1998, nos 7 ss ad art. 6 LDFR). La caractéristique de l'aptitude est donc d'abord d'ordre objectif. Concrètement, toutes les surfaces qui ne sont pas boisées et qui disposent d’une couche de terre suffisante pour la végétation se prêtent à un usage agricole (Y. DONZALLAZ, Pratique et jurisprudence de droit foncier rural, p. 49).

c. Dans certaines situations, il y a cependant lieu de tenir compte d'un critère subjectif, à savoir l'utilisation effective durant de longues années. En effet, le message du Conseil fédéral, suivi en cela par plusieurs auteurs, reconnaît que le caractère même objectivement exploitable à titre agricole d'une parcelle doit s'effacer devant une utilisation non agricole de plusieurs années (ATA/145/2005 du 15 mars 2005, confirmant la motivation développée dans l’ATA/564/2003 du 23 juillet 2003).

d. Selon la jurisprudence du tribunal de céans, est approprié à l'agriculture, l'immeuble effectivement exploité selon un mode agricole et ne l'est pas, celui qui, objectivement apte à un tel usage, n'a plus été utilisé pour l'agriculture depuis de nombreuses années et ne le sera vraisemblablement plus à l'avenir (ATA/564/2003 précité).

En l'espèce, l'instruction ordonnée par le tribunal de céans a permis d'établir que les bâtiments 302, 1159, 1160 et 1245 de la parcelle 5510 n'avaient pas d'affectation agricole depuis de nombreuses années, ce dont le recourant a été convaincu, puisqu'à teneur de son dernier courrier, il ne s'oppose plus au principe de la division de la parcelle en cause, ni au désassujetissement de la future parcelle 10798, mais demande que le découpage tienne compte de la nécessité de conserver un passage pour les véhicules agricoles exploitant la parcelle 10798.

A cet égard, compte tenu de la configuration de la future parcelle 10797, accessible depuis d'autres endroits qu'en longeant la future parcelle 10798 côté Jura, le Tribunal administratif estime que l'inscription d'une servitude de passage grevant la parcelle 10798 au profit de la parcelle 10797 est suffisante. Le projet de mutation dans ce sens remis par M. Auvergne sera donc intégré à la décision querellée qui sera confirmée mais complétée de cette manière.

3. Au vu de ce qui précède, le recours est partiellement admis. Vu les motifs ayant conduit à cette solution, aucun émolument sera perçu.

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 19 octobre 2007 par le service de l'agriculture contre la décision de la commission foncière agricole du 12 septembre 2007 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

confirme la décision attaquée ;

complète ladite décision en ce sens que M. Auvergne devra constituer et inscrire au Registre foncier une servitude de passage grevant la parcelle n° 10797 au profit de la parcelle n° 10798 selon le tableau de mutation 22/2006 établi le 20 février 2007 modifié le 21 avril 2008, qui sera annexé au présent arrêt ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

dit que, conformément aux articles 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’article 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt au service de l'agriculture, à Me Eric Hess, avocat de Monsieur Thierry Auvergne ainsi qu'à la commission foncière agricole et à l'office fédéral de la justice.

Siégeants : M. Thélin, président, Mmes Bovy, Hurni et Junod, M. Dumartheray, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

le vice-président :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :