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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/744/2002

ATA/564/2003 du 23.07.2003 ( IEA ) , REJETE

Recours TF déposé le 23.09.2003, rendu le 11.03.2004, ADMIS, 5A.22/2003
Descripteurs : DROIT FONCIER RURAL; AUTORISATION; MORCELLEMENT; COORDINATION; REFORMATIO IN PEJUS; IEA
Normes : LDFR.6 al.1; LDFR.60 al.1 Litt.a
Résumé : Aptitude d'un immeuble à un usage agricole. Le caractère même objectivement exploitable à titre agricole d'une parcelle doit s'effacer devant une utilisation non agricole de plusieurs années. En l'espèce, la zone médiane de la parcelle est depuis plus d'un siècle un parc d'agrément comportant une mare et des arbres d'essences parfois protégées ; elle est également sillonnée d'allées. Cette zone peut donc être désassujettie de la LDFR. Le fait que les propriétaires fassent faucher l'herbe par un agriculteur qui touche pour cela des subventions n'y change rien.

 

 

 

 

 

 

 

du 23 juillet 2003

 

 

 

dans la cause

 

 

SERVICE DE L'AGRICULTURE

 

 

 

 

contre

 

 

 

 

COMMISSION FONCIERE AGRICOLE

 

 

et

 

 

Monsieur K.

représenté par Me Bruno Mégevand, avocat

 



EN FAIT

 

 

1. Monsieur K. est propriétaire de la parcelle n° 2040, feuille … de la Commune de Vandoeuvres, sise au Chemin de la Blonde.

 

Cette parcelle, d'une superficie de 16'520 m2 et située en zone agricole, comporte, dans son tiers supérieur, trois bâtiments, dont l'un constitue la résidence privée de M. K., ainsi qu'une piscine. La zone médiane comprend en son milieu une mare et est sillonnée d'allées passant sous de grands arbres. Le dernier tiers, enfin, est légèrement boisé.

 

2. a. Par requête du 26 septembre 2001, Me B., notaire, a demandé à la commission foncière agricole (ci-après: la commission) le désassujettissement de ce bien-fonds de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991 (RS 211.412.11 - LDFR), au motif que la parcelle et ses bâtiments étaient une propriété familiale et de plaisance depuis plus de deux siècles. La parcelle n'était pas, vu son implantation, appropriée à l'agriculture et ne faisait l'objet d'aucun bail à ferme.

 

b. Le 6 novembre 2001, après avoir effectué un transport sur place, la commission a considéré que la parcelle 2040 pouvait être désassujettie dans sa totalité parce qu'il s'agissait d'une propriété d'agrément, très boisée et non appropriée à l'agriculture.

 

3. Le service de l'agriculture du département de l'intérieur, de l'agriculture et de l'environnement (ci-après: le service), en sa qualité d'autorité de surveillance, a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif, alléguant:

- que les deux tiers de la parcelle faisaient partie de la surface agricole utile;

- qu'un tiers environ de la parcelle était recensé dans les surfaces d'assolement;

- que les deux-tiers agricoles de la parcelle étaient incorporés dans les surfaces de compensation écologique cantonale et étaient déclarés en tant que prairie peu intensive depuis 1993 par les exploitants, MM. P., agriculteurs, qui recevaient pour celle-ci des paiements directs;

- qu'enfin, les arbres situés sur ladite parcelle, quoique pour certains figurant à l'inventaire des essences protégées, ne constituaient pas une forêt au sens de la législation y relative.

 

4. a. Au vu des éléments nouveaux apportés par le recours du service, la commission a, le 11 janvier 2002, indiqué au Tribunal administratif qu'elle entendait reconsidérer sa décision.

 

b. Dans une détermination du 18 janvier 2002 adressée à la commission, M. K. a exposé que la parcelle n'était pas affermée; s'il était exact qu'un agriculteur fauchait deux fois par année une surface de 2'000 à 3'000 m2, il s'agissait d'un droit accordé à bien plaire à l'agriculteur et sans contre-prestation. Au demeurant, l'agriculteur n'effectuait ce travail que parce qu'il fauchait également les parcelles adjacentes non clôturées. Si la parcelle 2040 était clôturée, le travail de fauche, non rentable, serait abandonné par l'agriculteur. Par ailleurs, c'était à tort que la zone médiane était considérée comme une prairie peu intensive incorporée dans les surfaces de compensation écologique. Il ressortait enfin des archives de famille que dès la moitié du XIXe siècle, la partie supérieure de la parcelle n'était plus cultivée et consistait en un parc d'agrément, composé de grands arbres ornementaux, d'allées et d'une mare.

 

c. A la suite d'un transport sur place effectué le 19 février 2002 par la commission, M. K. a proposé de diviser la parcelle 2040 en suivant la limite inférieure d'une propriété voisine. Ainsi, les deux tiers supérieurs de la parcelle 2040 seraient désassujettis, alors que le tiers inférieur resterait assujetti à la LDFR.

 

Le service, considérant que le périmètre qui se prête à l'agriculture couvrait les deux tiers inférieurs de la parcelle, a proposé, en réponse, de diviser la parcelle 2040 en suivant la limite supérieure de la propriété voisine précitée et de ne désassujettir ainsi que le tiers supérieur de la parcelle.

 

M. K. a indiqué le 25 mars 2002 qu'il ne pouvait accepter cette contre-proposition. En effet, le tiers médian de la parcelle était fortement arborisé, de telle sorte qu'il était manifestement impropre à une agriculture rentable. Il proposait une nouvelle découpe de la parcelle qui suivrait les surfaces d'assolement, correspondant environ aux deux cinquièmes inférieurs de la parcelle, soit jusqu'à la mare.

 

Le service a refusé cette proposition en date du 10 avril 2002.

 

d. Par pli du 19 avril 2002, M. K. a dès lors demandé à la commission, par l'entremise de son avocat, de statuer sur la base des nouveaux éléments en sa possession. Il a sollicité que les deux tiers supérieurs de sa parcelle soient désassujettis de la LDFR, conformément à la première proposition faite au service.

 

5. a. Dans ses séances des 4 juin et 2 juillet 2002, la commission a considéré que le tiers supérieur de la parcelle, de caractère résidentiel, ne relevait manifestement plus de la LDFR. Quant à la partie médiane de la parcelle, elle n'était plus appropriée à un usage agricole et était depuis de longues années un parc d'agrément; le fait qu'elle soit entretenue par un exploitant sous forme de compensation écologique ne suffisait pas à lui donner un caractère agricole. La commission a dès lors rendu une deuxième décision et, suivant en cela la première proposition de M. K., a désassujetti les deux tiers supérieurs de la parcelle.

 

b. Le service a déposé le présent recours contre cette deuxième décision en date du 7 août 2002. Invoquant une violation de l'article 60 alinéa 1 lettre a LDFR (exception injustifiée à l'interdiction de partage matériel), il conclut à l'annulation de la décision attaquée.

 

c. Dans sa réponse du 4 septembre 2002, la commission a répété que la zone médiane ne se prêtait pas à un usage agricole au sens de l'article 6 LDFR. Elle conclut au rejet du recours.

 

d. La position de M. K. telle qu'exprimée dans sa réponse du 6 septembre 2002 est la même. L'intéressé a fourni la photographie d'un plan dressé en 1849 sur lequel sont dessinés tous les cheminements piétonniers et les arbres ornementaux. La pièce d'eau y figure.

 

e. Dans sa réplique du 3 octobre 2002, le service a affirmé que, compte tenu du fait que des agriculteurs exploitaient la zone médiane litigieuse au titre de prairie peu intensive incorporée dans les surfaces de compensation écologique, la zone en question faisait partie de la surface agricole utile, qui comprenait par définition toutes les surfaces appropriées à l'agriculture. Par ailleurs, l'un des objectifs essentiels de la législation sur le droit foncier rural était de soumettre la plus grande partie des terres sises en zone agricole à la LDFR et non pas de rendre celle-ci exceptionnellement applicable en zone agricole.

 

f. Le juge délégué a procédé le 25 juin 2003 à un transport sur place en présence des parties. Il a ainsi pu observer que la zone médiane de la parcelle est légèrement en pente, qu'elle est peuplée de plusieurs arbres centenaires et donc ombragée. M. K. a également indiqué au tribunal que dans cette même zone se trouvait une citerne souterraine qui rendait tout labourage impossible alentour. Dite citerne alimente en eau l'étang situé à quelques dizaines de mètres en aval. M. K. a également fait observer que le domaine était un parc d'agrément depuis des lustres. Les cheminements existaient depuis longtemps.

 

g. Suite au transport sur place, M. K. a, par l'intermédiaire de son avocat, déposé les conclusions subsidiaires suivantes : autoriser la division de la parcelle 2040 en tenant compte de la ligne de démarcation des surfaces d'assolement, prononcer le désassujettissement de la sous-parcelle nord ainsi créée et constater que la parcelle située au sud de la ligne de démarcation resterait assujettie à la LDFR.

 

 

EN DROIT

 

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 83 al. 3 LDFR; art. 12 al. 1 et 13 de la loi d'application de la loi fédérale sur le droit foncier rural - LaLDFR - M 1 10; art. 1 du règlement d'exécution de la loi d'application de la loi fédérale sur le droit foncier rural - M 1 10.01; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. a. Le service reproche à la commission d'avoir considéré à tort le tiers médian de la parcelle comme n'était pas apte à un usage agricole.

 

b. Selon l'article 6 alinéa 1 LDFR, est agricole l'immeuble approprié à un usage agricole ou horticole. Pratiquement toutes les surfaces de terrain qui ne sont pas en nature de forêt et qui disposent d'une couche de terre suffisante pour la végétation sont appropriées à un usage agricole. En font notamment partie les champs, les prés, les pâturages, les vergers ainsi que les vignes (HOFER in commentaire LDFR, 1998, n° 7 ad art. 6 LDFR). Est agricole toute utilisation procurant un rendement exploitable, donc également de la litière ou du bois de feu, indépendamment de son usage effectif. Des haies qui sont taillées dans des intervalles réguliers de plusieurs années ou les surfaces de litière fauchées tous les deux ans sont assujettis à la LDFR (idem, n° 10 ad art. 6 LDFR). La plupart des surfaces de compensation écologique procurent un rendement qui, bien que plus faible et qualitativement de moindre valeur, est cependant exploitable. L'utilisation de ces surfaces est agricole, même si les contributions payées pour cela par l'Etat dépassent d'un multiple la valeur de leur rendement naturel. Tel est notamment le cas pour les prairies maigres, la majeure partie des surfaces de litière ainsi que pour les haies et bosquets (idem, n° 36 ad Remarques préalables aux articles 6-10 LDFR).

 

Il faut également prendre en compte le fait qu'un immeuble fait partie des surfaces d'assolement instituées par l'OAT et qu'il est à ce titre considéré comme faisant partie du territoire qui se prête à l'agriculture (ATA M. du 30 janvier 1996, cité par DONZALLAZ, Pratique et jurisprudence de droit foncier rural 1994-1998, 1999, 59 ad art. 6 LDFR).

 

Pour être agricole, le terrain doit se prêter à une exploitation agricole usuelle, ce qui n'est pas le cas, par exemple, d'un glacier ou d'un pierrier, mais bien d'une surface produisant seulement du fourrage (idem, n° 66 ad art. 6 LDFR).

 

Quand bien même elle présente une certaine déclivité, une parcelle demeure appropriée à l'usage agricole (idem, n° 67 ad art. 6 LDFR).

 

La caractéristique de l'aptitude est de nature mixte à prédominance objective : il convient prioritairement d'analyser si, indépendamment de l'usage qui en est fait, un terrain est apte à être utilisé de manière agricole ou horticole. Toutefois, ce concept objectif doit être tempéré par des considérations d'ordre subjectif : l'usage qui en a été fait depuis de longues années doit jouer un rôle dans l'appréciation des autorités. Un parc attenant à une villa située en zone agricole se prêterait aussi, sur la base de critères purement objectifs, à un usage agricole ou horticole. Le but de la loi n'est toutefois pas de faire de tels immeubles des immeubles agricoles (DONZALLAZ, Commentaire de la loi fédérale du 4 octobre 1991 sur le nouveau droit foncier rural, 1993, n° 81 p. 44; idem, Jurisprudence de droit foncier rural, n° 62 ad art. 6 LDFR). Dans l'ouvrage de 1993 précité, DONZALLAZ écrivait que dans le doute, l'immeuble ne sera pas considéré comme étant soumis à la LDFR; en 1999, il a modifié ce point de vue : en cas de doute, l'assujettissement à la LDFR l'emporte (Jurisprudence de droit foncier rural, n° 63 ad art. 6 LDFR). Son opinion en ce qui concerne l'approche mixte n'a cependant pas changé; elle est d'ailleurs partagée par HOFER qui relève que pour des immeubles qui sont objectivement appropriés à un usage agricole mais qui, en vertu des rapports de propriété ou pour d'autres raisons, ne sont plus utilisés par l'agriculture depuis longtemps et ne le seront pas à l'avenir également, l'application du droit foncier peut avoir des effets choquants. Il cite comme DONZALLAZ l'exemple d'un parc attenant à une villa située en zone agricole et qui ne remplit pas les exigences d'une forêt, exemple tiré du Message du Conseil fédéral à l'appui des projets de loi fédérale sur le droit foncier rural et de loi fédérale sur la révision partielle du code civil (FF 1988 III 917, n° 221.3).

 

c. En l'espèce, la commission et le Tribunal de céans ont relevé que la zone médiane était en pente, qu'elle était plantée de plusieurs arbres donnant beaucoup d'ombre et qu'elle était sillonnée de chemins. Selon la commission et M. K., elle n'est ainsi pas apte à un usage agricole. Le service objecte toutefois que de l'herbe y pousse et qu'elle est fauchée par un agriculteur; elle est donc apte à un usage agricole.

 

Au vu de la doctrine et de la jurisprudence précitées, il semblerait que la zone en question soit effectivement apte à un usage agricole : malgré sa déclivité et l'ombre portée par les arbres, de l'herbe y pousse. La question peut cependant rester ouverte. En effet, le Message du Conseil fédéral, suivi en cela par plusieurs auteurs, reconnaît que le caractère même objectivement exploitable à titre agricole d'une parcelle doit s'effacer devant une utilisation non agricole de plusieurs années. L'exemple cité est identique au cas d'espèce : la zone médiane est depuis plus d’un siècle un parc d'agrément comportant une mare et des arbres d'essences parfois protégées. Le fait que les propriétaires souhaitent que l’herbe soit fauchée et non tondue n’y change rien. La commission n'a donc pas erré en considérant que la zone médiane devait être désassujettie de la LDFR. Le recours devra donc être rejeté sur ce point.

 

3. Entièrement mal fondé, le recours sera dès lors rejeté.

 

Aucun émolument ne sera mis à la charge des parties. Une indemnité de procédure de CHF 1'500.- sera accordée à M. K., à charge de l’Etat (art. 87 al. 2 LPA).

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 7 août 2002 par le service de l'agriculture contre la décision de la commission foncière agricole du 2 juillet 2002;

 

au fond :

 

le rejette ;

 

dit qu'aucun émolument ne sera perçu;

accorde une indemnité de CHF 1'500.- à M. K., à charge de l’Etat;

 

dit que conformément aux articles 97 et suivants de la loi fédérale d'organisation judiciaire, le présent arrêt peut être porté, par voie de recours de droit administratif, dans les trente jours dès sa notification, par devant le Tribunal fédéral; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il est adressé en trois exemplaires au moins au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14; le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyen de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

 

communique le présent arrêt au service de l'agriculture ainsi qu'à la commission foncière agricole et à Me Bruno Mégevand, avocat de M. K.

 


Siégeants : M. Thélin, président, MM. Paychère, Schucani, Mmes Bonnefemme-Hurni, Bovy, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. : le président :

 

M. Tonossi Ph. Thélin

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci