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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3378/2009

ATA/413/2010 du 15.06.2010 ( AIDSO ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3378/2009-AIDSO ATA/413/2010

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 15 juin 2010

1ère section

dans la cause

 

Monsieur L______

contre

HOSPICE GÉNÉRAL

 



EN FAIT

1. Monsieur L______, né le ______ 1959, est ressortissant suisse et marocain. Séparé, il est père d'une fille née en 1993, qui vit avec sa mère.

2. Le 1er décembre 2006, M. L______ s'est inscrit au chômage. Le délai cadre d'indemnisation ouvert courrait du 1er décembre 2006 au 30 novembre 2008.

3. Le 13 octobre 2007, l'intéressé a été victime d'une agression à Genève, ayant entraîné une incapacité de travail de six semaines en raison de lésions de défense à la main droite.

4. Le 1er décembre 2007, M. L______ a quitté la Suisse pour le Maroc, abandonnant son stage de formation.

5. L'intéressé est revenu en Suisse le 8 novembre 2008. Il a repris contact avec les autorités compétentes en matière de chômage.

6. Par décision de sanction du 14 novembre 2008, l'office cantonal de l'emploi (ci-après : OCE) a prononcé à son encontre une suspension du droit à l'indemnité de dix-huit jours car il n'avait pas effectué de recherches personnelles d'emploi en octobre 2008.

7. Le 26 novembre 2008, M. L______ a sollicité une aide financière de l'Hospice général. A cette occasion, il a pris connaissance et a signé le document intitulé "Mon engagement en demandant une aide financière à l'Hospice général" qui mentionne notamment l'obligation de renseigner cette institution sur sa situation personnelle et financière et à tout mettre en œuvre pour améliorer sa situation sociale et financière.

8. Le 2 décembre 2008, M. L______ a fait opposition à la décision de sanction de l'OCE. Il était parti au Maroc sans avertir pour des raisons personnelles liées à sa vie familiale. Il était très difficile de faire des recherches d'emploi depuis le Maroc. Il demandait que la sanction soit annulée ou ramenée dans une fourchette de quatre à six jours de suspension.

9. Le 2 décembre 2008 également, l'OCE a informé l'intéressé qu'il ne pouvait lui accorder une mesure cantonale. En effet, M. L______ avait totalisé trente sept jours de suspension durant son délai-cadre d'indemnisation ; or, pour bénéficier d'une mesure cantonale, le chômeur de devait pas avoir subi de suspension du droit à l'indemnité supérieure à trente jours.

10. Le 19 janvier 2009, M. L______ a remis à son assistante sociale la formule de demande d'aide financière destinée à l'Hospice général.

11. Le 23 janvier 2009, l'OCE a rejeté l'opposition formée par M. L______ le 2 décembre 2008. Il était tenu de faire des recherches d'emploi trois mois avant son retour en Suisse, même à partir de sa résidence au Maroc, pays dans lequel se trouvaient des cybercafés d'où il pouvait envoyer électroniquement des offres d'emploi.

12. Le 4 février 2009, M. L______ a rencontré son assistante sociale. Les prestations versées effectivement étaient réduites en raison du fait qu'il avait perdu son droit à une mesure cantonale en matière de chômage. A cette occasion, l'intéressé a reçu une décision d'octroi de prestations de CHF 1'049,85 par mois dès le mois de janvier 2009.

13. Le 16 février 2009, faisant suite à l'entretien susmentionné, l'Hospice général a adressé à M. L______ une décision de réduction de ses prestations financières au barème minimum. Il avait perdu son droit aux mesures cantonales, auquel l'intervention de l'Hospice général était subsidiaire. Cela constituait une faute grave entraînant une réduction des prestations aux montants minima.

14. Le 3 mars 2009, M. L______ a formulé une réclamation auprès de la direction générale de l'Hospice général (ci-après : la direction), contre la décision précitée, concluant à son annulation.

Il n'avait pas recouru contre la décision sur opposition de l'OCE car même avec une diminution de la sanction, il aurait totalisé trente et un jours de suspension. Dès son retour en Suisse, il s'était annoncé à l'Hospice général car il était démuni et sans logement. Il avait été renvoyé d'un guichet à l'autre, sa demande d'aide n'avait été enregistrée que le 26 novembre 2008 et son dossier n'avait été traité qu'à fin décembre 2008. Aucune aide d'urgence ne lui avait été accordée entre son retour et janvier 2009 et il avait vécu dans une cave. Il avait déjà été suffisamment sanctionné financièrement et moralement.

15. Le 6 août 2009, la direction a rejeté l'opposition de M. L______.

Les prestations versées en application de la loi sur l'aide sociale individuelle du 22 mars 2007 (LASI - J 4 04) étaient subsidiaires à toute autre source de revenu et leurs bénéficiaires devaient faire valoir sans délai les droits auxquels elle est subsidiaire. Ils devaient en outre tout mettre en œuvre pour améliorer leur situation sociale et financière. Les pénalités qui lui avaient été infligées dans le cadre du chômage l'avaient privé du droit à une mesure cantonale. Il avait ainsi perdu un droit qui aurait très certainement contribué à améliorer ses chances de trouver un emploi à l'avenir. Il avait donc violé son obligation de tout mettre en œuvre pour améliorer sa situation sociale et financière. Il s'agissait d'un manquement grave. La sanction était dès lors adéquate.

16. En date du 31 août 2009, M. L______ a recouru auprès du Tribunal cantonal des assurances sociales, qui, pour des raisons de compétence, a transmis la cause au Tribunal administratif, contre la décision de la direction, concluant à son annulation et à la constatation que l'Hospice général avait failli à son obligation d'assistance entre le 8 novembre 2008 et le 4 février 2009.

Il reprenait son argumentation antérieure, en précisant que durant la période sans assistance, sa santé physique et mentale s'était détériorée. Contraint de vivre dans une cave humide, il avait été hospitalisé à deux reprises pour un pneumothorax.

17. Le 16 octobre 2009, l'Hospice général s'est opposé au recours, pour les motifs invoqués dans la décision querellée.

18. Le 23 novembre 2009, le juge délégué a entendu les parties en comparution personnelle.

M. L______ a confirmé son recours. Durant son séjour en Maroc, il était en pleine dépression et n'avait pas été en mesure d'entreprendre les démarches nécessaires auprès de l'OCE.

L'Hospice général a persisté dans sa décision. La durée de la mesure de réduction en cas de perte du droit à une mesure cantonale de chômage était, selon ses directives internes, d'une durée de six mois au moins. Le montant dont M. L______ avait été pénalisé était de CHF 456,50 par mois pendant six mois.

19. Le 1er décembre 2009, conformément à la demande du juge délégué lors de l'audience susmentionnée, M. L______ a produit diverses attestations médicales indiquant qu'il avait suivi un programme dépression du 8 novembre 2004 au 21 novembre 2006 et avait été hospitalisé le 19 janvier 2009 et le 25 mars 2009 en chirurgie thoracique.

20. Le 3 décembre 2009, l'Hospice général a indiqué qu'il n'existait pas de directive interne relative à la réduction des prestations dans des cas semblables à celui de M. L______, mais que cela résultait de la pratique générale.

21. Le 7 décembre 2009, le juge délégué a imparti à M. L______ un délai au 22 décembre 2009 pour formuler toute requête complémentaire, la cause apparaissant pour le surplus en état d'être jugée.

22. Le 21 décembre 2009, il a persisté à reprocher à l'Hospice général de ne pas l'avoir assisté durant plusieurs mois. Une éventuelle réduction des prestations devait être compensée avec cette carence.

 

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Selon l'article 12 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) quiconque est dans une situation de détresse et n'est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit d'être aidé et assisté et de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine. Le droit constitutionnel fédéral ne garantit toutefois que le principe du droit à des conditions minimales d'existence; il appartient ainsi au législateur fédéral, cantonal et communal d'adopter des règles en matière de sécurité sociale qui ne descendent pas en-dessous du seuil minimum découlant de cette disposition constitutionnelle mais qui peuvent aller au-delà (ATF 2P. 318/2004 du 18 avril 2005, consid. 3 ; ATF 2P. 115/2001 du 11 septembre 2001, consid. 2a ; ATF 122 II 193, consid. 2/dd, p. 198 ; A. AUER, G. MALINVERNI, M. HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, volume II : les droits fondamentaux, p. 685 et 689).

3. En droit genevois, ce principe constitutionnel est concrétisé par la LASI et le règlement d'exécution de la loi sur l'aide sociale du 25 juillet 2007 (RASI - J 4 04.01) qui sont entrés en vigueur le 19 juin 2007.

4. La LASI a pour but de prévenir l'exclusion sociale et d'aider les personnes qui en souffrent à se réinsérer dans un environnement social et professionnel en fournissant une aide sous forme d'accompagnement social et de prestations financières (art. 1 al. 1 et 2 LASI).

5. Ont droit à des prestations d'aides financières les personnes qui ont leur domicile et leur résidence affective sur le territoire du canton de Genève, ne sont pas en mesure de subvenir à leur entretien et répondent aux autres conditions de la loi (art. 11 al. 1 LASI). Les conditions financières donnant droit aux prestations d'aide financière sont déterminées aux art. 21 à 28 LASI.

6. Les prestations d'aide sont accordées au demandeur et au groupe familial dont il fait partie, composé de son conjoint, concubin ou partenaire enregistré et des enfants à charge (art. 13 al. 1 et 2 LASI).

7. Aux termes de l'art. 9 al. 1 LASI, les prestations d'aide financière versées en vertu de cette loi sont subsidiaires à toute autre source de revenu, en particulier aux prestations d'assurances sociales fédérales et cantonales. Le bénéficiaire doit faire valoir sans délai ses droits auxquels l'aide financière est subsidiaire et doit mettre tout en œuvre pour améliorer sa situation sociale et financière (art. 9 al. 2 LASI). Le droit aux prestations financières naît dès que les conditions de la loi sont remplies, mais au plus tôt le premier jour du mois du dépôt de la demande (art. 28 al. 1 LASI).

8. Les prestations d'aide financière peuvent être réduites dans les cas suivants :

a) le bénéficiaire ne répond pas ou cesse de répondre aux conditions de la LASI ;

b) le bénéficiaire renonce à faire valoir des droits auxquels les prestations d'aide financière sont subsidiaires ;

c) le bénéficiaire, intentionnellement, ne s'acquitte pas de son obligation de collaborer telle que prescrite par l'art. 32 LASI ;

d) le bénéficiaire refuse de donner les informations requises donne des indications fausses ou incomplètes ou cache des informations utiles;

e) le bénéficiaire ne veut pas s'engager dans un contrat d'aide sociale individuel ou n'en respecte pas intentionnellement les conditions;

f) le bénéficiaire refuse de rembourser à l'Hospice général des prestations sociales ou d'assurances sociales constituant des revenus au sens de l'art. 22 LASI, perçues avec effet rétroactif, et qui concernent une période durant laquelle il bénéficiait des prestations d'aide financière.

En outre, le Tribunal fédéral a admis qu'un bénéficiaire potentiel de prestations d'aide sociale pouvait voir ces dernières réduites en cas d'omission d'entreprendre toute démarche que l'on pouvait attendre de lui pour avoir accès à des prestations auxquelles l'aide sociale est subsidiaire (Arrêt du Tribunal fédéral 2P.196/2002 du 3 décembre 2002) et, en application de cette jurisprudence, le tribunal de céans a jugé que les prestations initiales pouvaient être réduites lorsque le bénéficiaire précédemment au chômage a, par sa faute, perdu son droit à une mesure cantonale (ATA/809/2005 du 29 novembre 2005). Bien que rendues sous l'ancienne législation genevoise en matière d'assistance, ces jurisprudences demeurent applicables dans le cadre de la LASI, qui a conservé le principe de subsidiarité de ses prestations.

En l'espèce, le recourant ne conteste pas avoir fait l'objet de sanctions de la part de l'OCE qui ont eu pour conséquence une perte de son droit à une mesure cantonale. Il a été ainsi privé d'une possibilité d'emploi et de mesures d'aide à la réinsertion dans le marché du travail. Cela constitue une faute grave de la part de l'intéressé, de sorte que la réduction des prestations est justifiée dans son principe.

9. Selon l'art. 25 al. 1 RASI, les prestations d'aide financière peuvent être réduites pendant une durée maximale de douze mois. En cas de manquement simple, la réduction est de 15 % (art. 35 al 2 RASI). En cas de manquement grave, les prestations sont ramenées au barème minimum (art. 35 al. 3 RASI). Le degré de réduction est fixé en tenant compte des circonstances du cas d'espèce. Cette dernière règle est une application du principe de proportionnalité.

Dans le cas du recourant, la décision de réduction de ses prestations d'aide financière du 1er janvier au 30 juin 2009, n’a procédé à aucun examen de la situation de l'intéressé, se contentant de retenir qu'il avait par sa faute perdu des droits auxquels l'intervention de l'Hospice général était subsidiaire. La décision querellée ne retient que le comportement fautif du recourant. En outre, elle n’a pas pris en compte les conséquences liées au fait que l’intéressé n’a reçu les premières prestations qu’en février 2009, alors qu’il était sans ressources depuis son retour en Suisse. Devant le tribunal de céans, l'Hospice général s'est contenté de reprendre son argumentation antérieure, ne commentant ni ne contestant les allégués du recourant relatif à sa situation personnelle. Or, il ressort des pièces produites que celui-ci s'est adressé pour la première fois à l'Hospice général le 26 novembre 2008 et qu'à cette date il était sans revenu et sans ressources. Si l'on doit admettre que l'Hospice général ne statue sur une demande de prestation qu'une fois tous les documents en sa possession, force est de constater que ce n'est que trois mois plus tard que le recourant a reçu ses premières prestations, sans qu'il ne lui soit reproché d'avoir tardé à fournir les renseignements utiles. Par ailleurs, les montants qui lui ont été versés pour janvier et février 2009 incluaient déjà la réduction au barème minimum, alors même qu'aucune décision ne lui avait été notifiée à cet égard, la seule qui lui ait été remise le 4 février 2009 étant la décision d'octroi de prestations de CHF 1'049,85 par mois dès le 1er janvier 2009. La situation était ainsi non seulement non conforme au droit mais encore de nature à fragiliser davantage le recourant. Enfin, l'Hospice général ne conteste pas l'état dépressif dans lequel le recourant dit s'être trouvé entre 2007 et 2008, suite à une agression et des problèmes familiaux et qui succédait une période de deux ans durant laquelle il avait été suivi médicalement pour une affection de même type. Ainsi, l’Hospice général s’est livré à une appréciation incomplète de la situation du recourant, ce qui l’a amené à prendre une sanction disproportionnée.

Au vu de l'ensemble des circonstances, le Tribunal administratif retiendra qu'une sanction de trois mois au barème minimum est conforme au principe de la proportionnalité.

10. Au vu de ce qui précède, le recours sera admis partiellement. La décision querellée sera annulée en tant qu'elle confirme une réduction des prestations d'aide financière du 1er janvier au 30 juin 2009. La sanction sera ramenée à une réduction de trois mois. Celle-ci ayant été déjà exécutée, l'Hospice général devra verser à Monsieur L______ le solde des prestations financières retenues en sus des trois mois de réduction confirmée, avec intérêt à 5 % dès le 1er juillet 2009.

Un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge du l'Hospice général. Aucune indemnité ne sera allouée au recourant, qui agit en personne et n’a pas exposé avoir eu des frais particuliers (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 31 août 2009 par Monsieur L______ contre la décision de l'Hospice général du 6 août 2009 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

annule la décision de la direction de l'Hospice général en ce qu'elle confirme la décision de l'Hospice général du 16 février 2009 réduisant au barème minimum pour une durée de six mois les prestations financières versées à Monsieur L______ ;

dit que les prestations d'aide financière versées à M. L______ à compter du 1er janvier 2009 sont réduites au barème minimum pour une durée de trois mois, jusqu'au 31 mars 2009 ;

condamne l'Hospice général à verser à Monsieur L______ le solde des prestations correspondant à la différence entre les montants versés et les prestations auxquelles il a droit selon la décision du 4 février 2009, pour les mois d'avril, mai et juin 2009, avec intérêts à 5 % dès le 1er juillet 2009 ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de l’Hospice général ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur L______ ainsi qu'à l'Hospice général.

Siégeants : M. Thélin, président, Mmes Bovy et Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

M. Tonossi

 

le vice-président :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :