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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/6475/2015

ACPR/485/2015 (3) du 08.09.2015 sur OMP/5380/2015 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : SUSPENSION DE LA PROCÉDURE ; PROCÉDURE CIVILE ; OBLIGATION D'ENTRETIEN
Normes : CPP.314.1.b; CP.217

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/6475/2015ACPR/485/2015

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 8 septembre 2015

 

Entre

A______ et B______, ______ comparant par Me Robert ZOELLS, avocat, rue des Cordiers 14, 1207 Genève,

recourants,

 

contre l'ordonnance de suspension de l'instruction rendue le 22 avril 2015 par le Ministère public,

 

et

C______, ______, comparant par Me Gérald PAGE, avocat, PAGE & PARTNERS, Grand-Rue 23, 1204 Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.

 


EN FAIT :

A.            Par acte expédié au greffe de la Chambre de céans le 4 mai 2015, A______ et B______ recourent contre l'ordonnance du 22 avril 2015, notifiée le 24 suivant, dans la cause P/6475/2015, par laquelle le Ministère public a suspendu l'instruction de la cause.

Les recourants concluent à l'annulation de l'ordonnance susmentionnée et à ce qu'il soit ordonné au Ministère public de reprendre l'instruction. Ils requièrent le versement d'une juste indemnité pour "les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure".

B.            Les faits pertinents pour l'issue du litige sont les suivants :

a. B______ et A______, nés respectivement les ______ 1991 et ______ 1992, tous deux actuellement majeurs, sont les enfants de D______ et C______, dont le divorce a été prononcé par jugement du Tribunal civil de première instance du ______ 2001.

b. Ce jugement est fondé sur les conclusions d'accord des époux, datées du
17 octobre 2001 (ci-après l'Accord), lesquelles font partie intégrante du dispositif.

Le jugement du ______ 2001 (chiffre 4 du dispositif) a donné acte à C______ de son engagement de verser en mains de D______, par mois et d'avance, allocations familiales ou d'études non comprises, pour l'entretien de B______ et A______, les sommes de CHF 4'000.- par enfant jusqu'à l'âge de 15 ans, puis CHF 5'000.- par enfant jusqu'à sa majorité, voire jusqu'à 25 ans au plus si l'enfant concerné poursuit des études sérieuses et régulières. Il l'y a condamné en tant que de besoin.

L'art. 14 de l'Accord prévoyait en outre qu'C______ cédait irrévocablement à son épouse sa part de revenus nets afférents à la maison de ______ – dont ils sont copropriétaires – en règlement de la pension pour elle-même et des contributions d'entretien pour les enfants.

L'art. 17 de l'Accord prévoyait que si la maison de ______ n'était pas louée, "le montant de la pension pour [l'épouse] et des contributions d'entretien pour les enfants à verser par C______ sera[it] fixé en fonction de ses revenus du moment, mais au maximum à concurrence des montants mentionnés aux art. 4 et 7 [de l'Accord]", dont le contenu a été repris, s'agissant des enfants, par le chiffre 4 du dispositif du jugement mentionné ci-dessus.

c. La villa de ______ a été louée jusqu'au 30 juin 2014. Durant cette période, les contributions à l'entretien de B______ et A______ ont été payées par ce biais. Elle est désormais mise en vente.

Depuis le 1er juillet 2014, les précités n'ont plus reçu de contribution à leur entretien de la part de leur père.

d. A______ est aujourd'hui âgée de 22 ans et allègue suivre une formation à l'Ecole hôtelière de Lausanne. Au dossier figure une attestation de ladite école, datée du 23 septembre 2013, indiquant qu'elle était inscrite au cursus menant au Bachelor.

B______ est, quant à lui, âgé de 24 ans. Il allègue étudier à l'Université de Saint-Gall, où il terminerait son Bachelor. Selon l'attestation produite, il était immatriculé dans cette université au semestre de printemps 2015, attestation valable du 1er février au 31 juillet 2015.

e. Le 31 juillet 2014, C______ a adressé au Tribunal civil de Genève une demande en modification du jugement de divorce à l'encontre de sa fille A______. Il a conclu, préalablement, à ce qu'il soit ordonné à A______ et à sa mère de produire toutes pièces utiles afin de déterminer leurs revenus et charges, et, principalement, à la suppression de la contribution d'entretien avec effet au 31 juillet 2014, subsidiairement au 1er juillet 2014.

Il n'a produit, devant la Chambre de céans, qu'un extrait de sa requête, à savoir les conclusions (pages 1 à 3), à l'exclusion des motifs.

f. Le 26 février 2015, C______ a déposé, devant le Tribunal civil de Genève, une demande en modification du jugement de divorce à l'encontre de son fils B______. Il a conclu, préalablement, à ce qu'il soit ordonné à B______ et à la mère de celui-ci, de produire toutes pièces utiles afin de déterminer leurs revenus et charges, et, principalement, au constat que B______ ne poursuit pas d'études régulières et sérieuses "depuis une date à déterminer par le Tribunal en fonction des pièces produites [par les intéressés]", à la suppression de la contribution d'entretien dès cette date, subsidiairement depuis le 1er février 2015.

Il n'a produit, devant la Chambre de céans, qu'un extrait de sa requête, à savoir les conclusions (pages 1 à 3), à l'exclusion des motifs.

g. B______ et A______ ont déposé plainte pénale, le 31 mars 2015, à l'encontre de leur père, pour violation de son obligation d'entretien à leur égard, entre juillet 2014 et mars 2015, soit durant 9 mois.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public retient que l'issue de la procédure pénale dépend de la procédure civile en cours, initiée par C______, dans la mesure où, si sa demande de modification du jugement de divorce était admise, elle supprimerait toute obligation d'entretien envers ses enfants, de sorte que l'infraction pénale dénoncée par ceux-ci ne serait pas réalisée.

D. a. A l'appui de leur recours, B______ et A______ invoquent une violation de la loi (art. 314 CPP et 217 CP). Ils relèvent que leur père a déposé, devant le Tribunal civil, une demande en modification du jugement de divorce respectivement les 31 juillet 2014 s'agissant de sa fille et le 25 [recte : 26] février 2015 s'agissant de son fils, alors qu'il n'a plus payé la contribution à leur entretien depuis le 1er juillet 2014. Il s'ensuit selon eux que, l'éventuelle modification de la contribution ne pouvant rétroagir, au plus tôt, qu'à la date du dépôt de la demande, l'issue du jugement civil n'aurait aucune influence sur la période allant du 1er au 31 juillet 2014 pour Mercedes et du 1er juillet 2014 au 25 [recte : 26] février 2015 pour Salvador. Ils considèrent ainsi que le Ministère public a suspendu à tort la procédure pénale dans l'attente du jugement civil.

Ils allèguent, en outre, que leur père est propriétaire d'une part de copropriété de la villa de ______, de sorte qu'il dispose d'une fortune importante, ce qu'il ne contesterait pas. Partant, il leur paraît improbable que le juge civil supprime intégralement les contributions d'entretien. Ainsi, l'issue du litige civil n'aurait pas d'influence sur la poursuite pénale; tout au plus pourrait-elle influencer légèrement la quotité du montant pour lequel leur père est poursuivi.

Subsidiairement, ils suggèrent que la procédure pénale soit disjointe, afin que la plainte de B______ soit reprise par le Ministère public, celle de A______ restant suspendue dans l'attente du jugement civil.

b. Le Ministère public s'en tient à son ordonnance et propose le rejet du recours. Il considère justifié d'attendre le prononcé de la décision du juge civil, puisque le débirentier de la contribution d'entretien a sollicité la suppression de la contribution due à sa fille dès le 1er juillet 2014, et celle due à son fils dès la date de la fin des études régulières et sérieuses suivies par ce dernier, date à déterminer par le juge civil, mais au plus tard dès le 1er février 2015. C______ avait motivé sa demande, s'agissant de la contribution due à sa fille, par le fait que les loyers de la maison dont il est copropriétaire n'assuraient plus le financement de celle-ci; il avait en outre allégué que son fils ne remplissait plus les conditions justifiant le versement d'une contribution à son entretien. La situation financière d'C______ apparaissait, de plus, fondamentalement modifiée depuis le 1er juillet 2014, dès lors qu'il ne réalisait plus de revenus par la location de la maison précitée, revenus qui assuraient l'entretien des enfants jusqu'alors. Les deux contributions d'entretien étaient ainsi susceptibles d'être supprimées, ou à tout le moins réduites. Le Ministère public ne pouvait dès lors se fonder sur la convention de divorce, puisque le débirentier avait saisi le juge civil pour faire modifier son obligation d'entretien "pour un motif fondé". Certes, le Ministère public pouvait examiner lui-même si le débirentier disposait encore, après le 1er juillet 2014, de ressources suffisantes pour verser une contribution d'entretien à ses enfants majeurs, pour fixer celle-ci et pour déterminer s'il avait l'intention de violer son obligation d'entretien. Cela étant, compte tenu que des procédures civiles visant à trancher ces questions étaient pendantes, le Procureur avait fait usage du pouvoir d'appréciation à lui conféré par l'art. 314 al. 1 let. b CPP, pour suspendre la procédure pénale jusqu'à droit jugé au civil.

c. C______ conclut au rejet du recours. Dans sa discussion juridique, il conclut, en outre, à l'irrecevabilité du recours, ses enfants n'exposant pas en quoi la décision de suspension leur causerait un préjudice, ceux-ci n'invoquant au surplus pas de violation du principe de la célérité.

Il allègue que son fils B______ serait, à teneur du profil qu'il a lui-même posté sur le site internet LinkedIn, directeur d'une société E______, et fondateur ou co-fondateur de nombreuses sociétés étrangères. Les dénégations de B______ à cet égard, et l'affirmation selon laquelle il effectuerait un Bachelor à Saint-Gall depuis 5 ans, n'étaient corroborées par aucun élément concret, par exemple son plan d'études et ses procès-verbaux de notes. B______ serait bien plutôt un jeune entrepreneur actif qui envisagerait d'obtenir son Bachelor en 6 ans – ayant requis une année supplémentaire pour la rédaction de son travail de mémoire –, ce qui ne correspondait nullement à des études sérieuses et régulières justifiant le versement d'une contribution d'entretien. Il paraissait en outre peu plausible, au vu de la bonne médiatisation de la société E______, que cette dernière ne réalisât aucun revenu, son fils n'ayant pas produit les comptes de celle-ci, malgré ses demandes. Si le juge civil parvenait à cette même conclusion, la plainte pénale deviendrait sans objet.

En outre, comme l'indiquait clairement le jugement de divorce, et la convention qui en fait partie intégrante, la contribution n'était pas due lorsque la villa n'était pas louée. Dans ce cas, elle devait être fixée en fonction de ses revenus, ce que le juge civil devait justement déterminer.

C______ allègue par ailleurs avoir tenté de prendre contact avec son ex-épouse, mais les courriers qu'il lui avait adressés étaient revenus avec la mention "a déménagé". Le constat d'huissier judiciaire qu'il avait fait dresser – produit à l'appui de ses écritures – établissait que la maison de ______ – sise ______ – était vide, le facteur confirmant que plus aucun courrier n'était distribué à cette adresse depuis plusieurs mois. Toutefois, son ex-épouse et leurs enfants étaient, selon les registres de l'Office cantonal de la population, toujours officiellement domiciliés à cette adresse. Cela posait ainsi la question du for de l'action pénale, puisque lui-même était domicilié en Espagne, son fils B______ était immatriculé à l'Université de Saint-Gall et directeur de sociétés à l'étranger, et sa fille A______ inscrite à l'Ecole hôtelière de Lausanne et apparemment en séjour en Asie.

Au surplus, C______ indique être âgé de 66 ans et sans aucun revenu. C'est pourquoi il dit attendre la vente de la maison. Ses enfants n'entretiendraient plus de relations avec lui. Alors qu'il est atteint d'un cancer depuis environ un an, ces derniers, pourtant au courant de ce fait, n'avaient pris aucune nouvelle de lui.

d. Dans leur réplique, B______ et A______ allèguent avoir un intérêt juridiquement protégé à l'annulation de l'ordonnance querellée dès lors que celle-ci violait le principe de célérité et que, depuis plusieurs mois, ils se trouvaient sans argent pour subvenir à leurs besoins. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le juge civil ne modifiait en principe pas une contribution d'entretien pour une date antérieure à celle du dépôt de l'action en modification, le débirentier restant tenu de payer les contributions aussi longtemps qu'il n'avait pas été libéré par le nouveau jugement. Au vu de la fortune que représentait la propriété de ______, C______ disposait d'une capacité financière suffisante pour verser à tout le moins une partie de la contribution qui leur était due. S'agissant du for de la poursuite, ils allèguent être domiciliés à Genève, le lieu de leurs études ne constituant pas un domicile principal, étant relevé que leur père avait lui-même introduit sa demande en modification du jugement de divorce devant les autorités civiles genevoises.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner des parties plaignantes, qui ont un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification de la décision (art. 382 al. 1, 104 al. 1 let. b et 118 al. 1 CPP ; ACPR/203/2012 du 18 mai 2012 consid. 1, ACPR/210/2012 du 31 mai 2012 consid. 1 et ACPR/466/2012 du 25 octobre 2012 consid. 1). Il est formé pour violation du droit, comme la loi l'y autorise (art. 393 al. 2 let. a CPP).

2.             Les recourants reprochent au premier juge d'avoir suspendu la cause dans l'attente de l'issue de la procédure civile initiée par leur père en vue de faire supprimer les contributions à leur entretien dues en vertu du jugement de divorce du ______ 2001.

2.1. Selon l'art. 314 al. 1 lit. b CPP, le Ministère public peut suspendre une instruction, lorsque l'issue de la procédure pénale dépend d'un autre procès dont il paraît indiqué d'attendre la fin. Cet autre procès peut être de nature civile, pénale ou administrative. Le Ministère public dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour décider d'une éventuelle suspension, mais il doit examiner si le résultat de l'autre procédure peut véritablement jouer un rôle pour le résultat de la procédure pénale suspendue et s'il simplifiera de manière significative l'administration des preuves dans cette même procédure. La suspension ne doit pas avoir pour effet de retarder de manière injustifiée la procédure en cours, mais des retards sont, en général, inévitables dans ce genre de situation (arrêt du Tribunal fédéral 1B_421/2012 du
19 juin 2013 consid. 2.1 et référence citée).

Le principe de la célérité qui découle de l'art. 29 al. 1 Cst. pose des limites à la suspension d'une procédure. Ce principe, qui revêt une importance particulière en matière pénale (ATF 119 Ib 311 consid. 5 p. 323), garantit en effet aux parties le droit d'obtenir que la procédure soit achevée dans un délai raisonnable. Il est notamment violé lorsque l'autorité ordonne la suspension d'une procédure sans motifs objectifs. Pareille mesure dépend d'une pesée des intérêts en présence et ne doit être admise qu'avec retenue, en particulier s'il convient d'attendre le prononcé d'une autre autorité compétente qui permettrait de trancher une question décisive. Dans les cas limites ou douteux, le principe de célérité prime (arrêt du Tribunal fédéral 1B_231/2009 du 7 décembre 2009 consid. 4.1; N. SCHMID, Schweizerische Strafprozessordnung, Praxiskommentar, 2009, n. 1 ad art. 314; A. DONATSCH /
T. HANSJAKOB / V. LIEBER (éds), Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung (StPO), Zurich 2010, n. 4 ad art. 314; E. OMLIN, in Basler Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung, 2011, n. 9 ad art. 314).

2.2. L'art. 217 al. 1 CP punit, sur plainte, celui qui n'aura pas fourni les aliments ou les subsides qu'il doit en vertu du droit de la famille, quoi qu'il en eût les moyens ou pût les avoir.

L'obligation d'entretien est violée, d'un point de vue objectif, lorsque le débiteur ne fournit pas, à temps et à disposition de la personne habilitée à la recevoir, la prestation d'entretien qu'il doit en vertu du droit de la famille. L'infraction est réalisée non seulement lorsque le débiteur n'a fourni aucune prestation, mais également lorsqu'il a fourni moins que ce que prévoyait le jugement ou la convention. Il n'est pas nécessaire que le débiteur ait eu les moyens de fournir entièrement sa prestation, il suffit qu'il ait pu fournir plus qu'il ne l'a fait et qu'il ait dans cette mesure violé son obligation d'entretien (ATF 114 IV 124 consid. 3b).

Pour déterminer si l'auteur a respecté ou non ses devoirs, il ne suffit pas de constater l'existence d'une obligation d'entretien résultant du droit de la famille, mais il faut encore en déterminer l'étendue. La capacité économique de l’auteur de verser la contribution d'entretien se détermine par analogie avec le droit des poursuites relatif au minimum vital (art. 93 LP ; ATF 121 IV 272 consid. 3c).

Lorsque la quotité de la contribution d'entretien a été fixée dans le dispositif d'un jugement civil valable et exécutoire, le juge pénal appelé à statuer en application de l'art. 217 CP est dans la règle lié par ce montant; il n'a pas à se demander s'il aurait lui-même fixé une somme inférieure ou supérieure (ATF 136 IV 122 consid. 2.3 p. 125 s.; arrêt du Tribunal fédéral 6B_509/2008 du 29 août 2008 consid. 2.1 et les références citées). En outre, et suivant la doctrine majoritaire, la jurisprudence précise qu'il faut admettre l'application de l'art. 217 CP, même en l'absence de tout prononcé judiciaire et de toute convention privée. L'auteur sera punissable s'il ne fournit pas les aliments ou les subsides dus en vertu du droit de la famille. Une constatation judiciaire préalable ne sera pas nécessaire dans la mesure où l'obligation d'entretien découle directement de la loi (ATF 128 IV 86 consid. 2b). Dans ce cas, l'autorité pénale, qui est amenée à examiner une violation de l'art. 217 CP et qui n'est pas liée par un jugement civil entré en force ou une convention conclue entre les parties, doit appliquer la méthode dite "indirecte" et déterminer elle-même la prestation due, ce qui est particulièrement important lorsque le procès civil connaît des longueurs et que le débiteur refuse de payer une pension tant qu'elle n'est pas fixée par une autorité (ATF 128 IV 86 consid. abb et les références citées;
J. HURTADO POZO, Droit pénal partie spéciale, Genève 2009, n. 3457 et suivant).

Sur le plan subjectif, l'infraction réprimée par l'art. 217 CP doit être commise intentionnellement (ATF 70 IV 166 p. 169). L'intention suppose que l'auteur a connu les faits qui fondent son obligation d'entretien ou qu'il en a accepté l'éventualité. L'intention de ne pas payer le montant dû sera en règle générale donnée si l'obligation a été fixée dans un jugement ou une convention car elle sera alors connue du débiteur. En revanche, l'intention du débiteur sera plus difficile à établir en l'absence de toute décision et de tout accord; il n'en reste pas moins que le juge pourra prouver l'intention au moins dans les cas patents, notamment lorsque le débiteur n'aura rien payé ou aura versé seulement un montant dérisoire alors qu'il disposait de ressources non négligeables (ATF 128 IV 86 consid. 2b).

L'art. 217 CP n'est pas une infraction de résultat. Il importe dès lors peu que le créancier se retrouve dans une situation de détresse en raison du non-paiement des aliments ou, au contraire, n'ait pas besoin de ces subsides pour vivre (ATF 71 IV 194 p. 195; arrêt du Tribunal fédéral 6P.44/2005 du 27 mai 2005 consid. 4.1 et les références citées).

2.3. En l'espèce, le chiffre 4 du dispositif du jugement de divorce du ______ 2001 a donné acte à l'intimé de son engagement de verser à chacun de ses enfants CHF 5'000.- jusqu'à sa majorité, voire jusqu'à 25 ans au plus si l'enfant concerné poursuivait des études sérieuses et régulières, et l'y a condamné en tant que de besoin. Lesdites contributions ont été, jusqu'au 30 juin 2014, versées conformément à l'art. 14 de l'accord du 17 octobre 2001 (faisant partie intégrante du jugement), soit au moyen des revenus nets provenant de la location de la maison de ______, copropriété des parents. L'art. 17 de la convention prévoyait que si la maison de ______ n'était plus louée, le montant des contributions d'entretien pour les enfants à verser par l'intimé serait fixé en fonction de ses revenus du moment, mais au maximum à concurrence des montants précités, soit CHF 5'000.- par enfant dès l'âge de 15 ans.

Il résulte de ce qui précède que l'intimé s'est engagé à verser une contribution à l'entretien de ses enfants jusqu'à ce qu'ils aient 25 ans au plus, si ces derniers poursuivent des études régulières et sérieuses. Il a d'ailleurs contribué à leur entretien jusqu'au 30 juin 2014 par le biais des revenus perçus de la location de la maison de ______. Ainsi, dès le 1er juillet 2014, date à laquelle la maison précitée n'était plus louée, l'intimé n'a pas été libéré ipso facto de toute obligation d'entretien à l'égard de ses enfants, âgés à l'époque respectivement de 21 et 22 ans, mais le montant de celle-ci devait être calculé en fonction de ses revenus du moment, le maximum étant fixé à CHF 5'000.- par enfant.

Or, lorsqu'un jugement de nature civile ou une convention existe qui fixe la quotité de la contribution d'entretien, l'autorité pénale est liée sur ce point dans son appréciation sous l'angle de l'art. 217 CP. Si, au contraire, la contribution d'entretien n'a pas été fixée judiciairement ou contractuellement, cette même autorité ne peut pas se borner à attendre que les parties saisissent le juge ou s'entendent entre elles pour instruire et, éventuellement, conclure à la commission de l'infraction. Cela reviendrait à méconnaître gravement le fondement légal de l'obligation d'entretien entre époux ou entre parent et enfant, qui résulte de la loi elle-même, et n'a nul besoin d'une concrétisation judiciaire ou contractuelle pour s'imposer aux parties concernées. Dans un tel cas, le juge pénal doit, en application de la méthode dite "indirecte", se documenter afin de déterminer lui-même les obligations d'entretien qui s'imposent (ACPR/466/2012 du 25 octobre 2012).

In casu, il existe un jugement civil en force et une convention qui lient le Ministère public. Au demeurant, l'intimé n'a, jusqu'au 30 juin 2014, pas contesté devoir contribuer à l'entretien de ses enfants majeurs. Ce n'est que lorsqu'il a su que les revenus locatifs s'étaient taris, que l'intimé a contesté devoir contribuer à leur entretien, au motif que ceux-ci n'avaient pas rapporté la preuve qu'ils suivaient des études régulières et suivies. Il résulte toutefois du dossier que B______ était inscrit à l'université de Saint-Gall et que A______ suivait une formation à l'Ecole hôtelière de Lausanne en 2013. L'intimé a saisi le juge civil d'une modification du jugement de divorce en date des 31 juillet 2014 s'agissant de sa fille A______ et du 26 février 2015 s'agissant de son fils B______. Dans la mesure où, en principe, la jurisprudence retient, au plus tôt, la date du dépôt de la demande comme dies a quo de l'éventuelle modification du jugement (ATF 117 II 368 consid. 4c; arrêts du Tribunal fédéral 5A_760/2012 consid. 6 et 5A_290/2010 du 28 octobre 2010 consid. 9.2), il existe quoi qu'il en soit en l'espèce un soupçon suffisant de la violation, par l'intimé, de son obligation d'entretien, au sens de l'art. 217 CP, pour le mois de juillet 2014 s'agissant de A______, et de juillet 2014 à février 2015 s'agissant de B______.

La question soulevée par l'intimé s'agissant de l'existence ou non d'études régulières et suivies des recourants, de leur lieu de domicile respectif, ainsi que d'éventuels revenus perçus par son fils peut être facilement instruite par le Ministère public. Il en va de même de la situation économique de l'intimé, étant précisé que ce dernier semble avoir, devant le juge civil – seul un extrait de la demande civile figurant au dossier pénal –, uniquement requis la production de pièces relatives à ses enfants, alors que la convention stipule que la contribution à leur entretien doit être calculée en fonction de ses revenus du moment à lui. Ainsi, rien ne s'oppose à ce que le Ministère public applique la méthode "indirecte" et procède conformément au principe de célérité. On ne voit pas en quoi le résultat de la procédure civile pourrait simplifier de manière significative l'administration des preuves de la procédure pénale, qui aura notamment pour tâche de maîtriser, par les moyens dont le juge pénal dispose, à l'inverse du juge civil, l'étendue des revenus et de la fortune du débirentier (ACPR/210/2012).

Il appartiendra en conséquence au Ministère public d'instruire ces questions et, s'il admet le for pénal, de calculer l'éventuel entretien dû aux recourants pour les périodes pénales précitées, partant, déterminer si les éléments constitutifs d'une infraction à l'art. 217 CP sont remplis. Il lui incombe en effet de respecter le mandat qui lui est confié par le Code pénal et de ne pas retarder inutilement le déroulement de l'instruction.

Par conséquent, et puisque l'issue de la procédure pénale ne dépend pas d'un autre procès dont il se justifie d'attendre l'issue, ce motif à la suspension de l'instruction invoqué par le Ministère public n'est pas fondé (art. 314 al. 1 let. b CPP).

3. Fondé, le recours doit être admis; partant, l'ordonnance querellée sera annulée et la cause renvoyée à l'autorité précédente pour qu'elle procède conformément aux considérants.

4. 4.1. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

4.2. Les recourants, parties plaignantes, n'ont pas chiffré ni justifié leurs prétentions en indemnités au sens de l'art. 433 al. 2 CPP, applicable en instance de recours
(art. 436 al. 1 CPP), de sorte que la Chambre de céans ne peut entrer en matière sur ce point (cf. art. 433 al. 2, 2ème phrase, CPP).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Reçoit le recours formé par B______ et A______ contre l'ordonnance rendue le 22 avril 2015 par le Ministère public dans la procédure P/6475/2015.

L'admet, annule l'ordonnance entreprise et renvoie la procédure au Ministère public pour qu'il procède au sens des considérants.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, aux recourants, soit pour eux leur conseil, à C______, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.