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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/2987/2018

ACPR/13/2022 du 11.01.2022 sur OPMP/9638/2019 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : JONCTION DE CAUSES;CONNEXITÉ;PRINCIPE DE LA CÉLÉRITÉ
Normes : CPP.30; CPP.29

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/2987/2018 ACPR/13/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 12 janvier 2022

 

Entre

A______, domicilié ______[GE], comparant par Me Romain JORDAN, avocat, Merkt & Associés, rue Général-Dufour 15, case postale , 1211 Genève 4,

recourant,

contre l'ordonnance de jonction rendue le 24 juin 2021 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié au greffe de la Chambre de céans le 7 juillet 2021, A______ recourt contre l'ordonnance du 24 juin 2021, notifiée par pli simple, par laquelle le Ministère public a joint les procédures P/2987/2018 et P/1______/2015, sous ce dernier numéro.

Le recourant conclut à l'annulation de cette décision, sous suite de dépens.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. Depuis février 2016, le Ministère public mène une procédure pénale, sous le numéro P/1______/2015, contre A______ et d'autres prévenus, pour notamment faux dans les titres (art. 251 CP), escroquerie (art. 146 CP), gestion déloyale aggravée (art. 158 al. 2 CP), subsidiairement abus de confiance (art. 138 CP), vol (art. 139 CP) et utilisation frauduleuse d'un ordinateur (art. 147 CP).

Il lui est, en substance, reproché d'avoir, dès 2008, agi au préjudice de sociétés du groupe B______, leur causant un important préjudice financier. Il avait, pour cela, utilisé le canal de trois sociétés, C______ SA, D______ SA et E______ SA, qui ne semblaient pas avoir d'activités réelles.

Par ailleurs, en décembre 2016, un ressortissant brésilien en situation irrégulière à Genève avait été arrêté et avait spontanément expliqué travailler irrégulièrement auprès de F______, société dirigée par A______ et son frère, G______.

Ces faits ont conduit à l'ouverture d'une procédure, référencée sous le numéro P/2______/2016, et à la mise en prévention des prénommés pour emploi de personnel étranger sans autorisation (art. 117 LEtr; désormais LEI), facilitation, en Suisse ou à l'étranger, d'entrée de sortie ou de séjour illégal d'étrangers (art. 116 al. 1 let. b LEtr), usure (art. 157 CP), et infractions à l'AVS (art. 87 LAVS), à la LAA (art. 112 LAA), ainsi qu'à la LPP (art. 76 LPP).

Cette procédure a été jointe à la P/1______/2015 par ordonnance du Ministère public du 23 mars 2017.

a.b. Le 23 décembre 2020, le Ministère public a notifié aux parties un avis de prochaine clôture de l'instruction annonçant la rédaction d'un acte d'accusation à l'encontre de A______, notamment.

b.a. Parallèlement, il a ouvert en 2018 une autre instruction pénale, sous le numéro P/2987/2018, contre A______ seulement, pour avoir, à tout le moins depuis le mois d'avril ou mai 2017, employé H______, ressortissant philippin, en qualité de manutentionnaire au sein de F______, alors que celui-ci ne disposait d'aucune autorisation d'exercer une activité lucrative sur le territoire helvétique. Dans les mêmes circonstances, il lui est également reproché d'avoir exploité la gêne du prénommé, en situation irrégulière en Suisse, pour le sous-payer pour son travail.

b.b. Par ordonnance pénale du 29 juin 2018, A______ a été reconnu coupable d'usure (art. 157 CP) et d'emploi d'étrangers sans autorisation (art. 117 al. 1 LEtr).

b.c. À la suite de l'opposition formée par l'intéressé contre cette ordonnance, le Ministère public a rendu une ordonnance pénale et de classement partiel, le 22 octobre 2019, le reconnaissant coupable d'infraction à l'art. 117 LEtr mais classant les faits en tant qu'ils concernaient l'infraction d'usure (art. 157 CP).

b.d. Le 8 novembre suivant, A______ a formé opposition à l'ordonnance pénale précitée et demandé la confrontation des parties. La procédure est actuellement pendante par-devant le Ministère public.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public considère qu'il y avait lieu de joindre les procédures P/2987/2018 et P/1______/2015, puisqu'elles étaient dirigées contre la même personne et qu'il ne se justifiait plus de les traiter séparément, eu égard au renvoi en jugement annoncé le 23 décembre 2020.

D. a. À l'appui de son recours, A______ fait grief au Ministère public d'avoir rendu son ordonnance querellée sans lui avoir permis de se déterminer préalablement, ce qui violait son droit d'être entendu.

Par ailleurs, il n'existait aucune connexité entre les deux procédures. La P/1______/2015 était dirigée contre de nombreux autres prévenus, de sorte que l'ajout de la P/2987/2018 était aussi inopportune que contraire aux droits de la défense, les faits étant contestés dans l'une et l'autre des procédures.

Dans la P/2987/2018, le Ministère public avait, au demeurant, déjà classé une partie des faits qui lui étaient reprochés. Il avait, pour sa part, sollicité des actes d'enquête, qui n'avaient, à ce jour, pas été exécutés.

La P/1______/2015 n'était, quant à elle, aucunement en état d'être renvoyée en jugement. Hormis le fait qu'aucune des mesures d'instruction qu'il avait sollicitées n'avaient, à ce jour, été exécutées, une demande de répétition d'actes d'enquête était pendante au titre de violation des règles sur l'accès au dossier – qui avait du reste été constatée par la Chambre de céans (ACPR/697/2018 du 28 novembre 2018) –, mais n'avait toujours pas été réparée par le Ministère public.

Dans ces circonstances, une jonction ne présentait aucun intérêt, pratique, juridique, ou même sous l'angle de l'opportunité, de sorte que la décision entreprise devait être annulée.

b. Dans ses observations, le Ministère public conclut au rejet du recours et s'en tient à sa décision, avec suite de frais. Il n'y avait pas lieu d'inviter le recourant à se déterminer préalablement au sujet de la jonction. Pour le surplus, l'intéressé avait pu faire valoir ses arguments devant la Chambre de céans, qui disposait d'un plein pouvoir d'examen, de sorte qu'aucune violation de son droit d'être entendu ne pouvait être retenue.

Conformément au principe de l'unité des poursuites, il paraissait nécessaire que l'ensemble des infractions dont était prévenu le recourant soient poursuivies conjointement. La seule nature différente desdites infractions ou la contestation des faits par l'intéressé n'étaient pas déterminantes, puisque l'absence de connexité ne constituait pas un motif permettant de déroger au principe susmentionné.

Pour le surplus, les motifs avancés par le recourant pour s'opposer à la jonction, soit que des actes d'enquêtes aient été sollicités dans le délai imparti par l'avis de prochaine clôture ou devaient être répétés, ne constituaient pas des motifs suffisants.

c. A______ maintient sa position dans sa réplique, précisant que le Ministère public semblait admettre, dans ses observations, qu'il n'existait aucun lien de connexité entre les faits relatifs aux deux procédures. Le Procureur ne semblait plus considérer le critère de la connexité comme étant pertinent, bien qu'il s'agissait de l'un des motifs principaux ayant fondé sa décision.

Des actes d'instruction devaient être annulés dans le cadre de la P/1______/2015 depuis plus de deux ans. En outre, le Procureur n'avait pas donné suite aux nombreux courriers de son conseil réclamant un tirage de l'index de la procédure et la répétition des actes d'enquête en violation du droit d'accès au dossier. Il était par conséquent évident que cette procédure n'était pas en état d'être jugée.

Finalement, aucune raison objective ne justifiait d'ordonner la jonction des procédures en cause. Une telle mesure, outre le fait qu'elle violerait son droit d'être entendu, ne servirait pas le principe de célérité.

 

EN DROIT :

1.             Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 90 al. 2, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) – les formalités de l'art. 85 al. 2 CPP n'ayant pas été observées – concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émane du prévenu, qui partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             Le recourant invoque une violation de son droit d'être entendu, au motif qu'il n'a pas été invité à se déterminer avant que l'ordonnance querellée ne soit rendue.

2.1.  Le droit d'être entendu découlant des art. 29 al. 2 Cst féd., 3 al. 2 let. c et 107 CPP comprend le droit, pour le justiciable, de s'exprimer sur les éléments pertinents avant qu'une décision ne soit prise le concernant (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1067/2018 du 23 novembre 2018 consid. 2.1.1 et les références citées).

Une violation de ce droit peut être réparée lorsque le lésé a la possibilité de s'exprimer devant une autorité de recours jouissant d'un plein pouvoir d'examen. Une réparation n'est toutefois admissible que dans l'hypothèse où l'atteinte concernée n'est pas particulièrement importante ou, en présence d'un vice grave, quand le renvoi à l'autorité inférieure constituerait une vaine formalité et aboutirait à un allongement inutile de la procédure (ibidem).

2.2.  En l'espèce, la question de savoir si le Procureur était tenu de consulter le recourant avant de joindre les procédures P/2987/2018 et P/1______/2015 souffre de rester indécise.

En effet, à supposer que tel fût le cas, la violation du droit d'être entendu résultant de cette omission aurait été réparée, l'intéressé ayant eu la possibilité d'exposer ses arguments et griefs devant la Chambre de céans, juridiction qui dispose d'un plein pouvoir d'examen (art. 391 al. 1 et 393 al. 2 CPP).

En tout état, un renvoi de la cause au Ministère public constituerait une vaine formalité, pour les raisons qui seront exposées au point 3. infra.

Ces considérations scellent le sort de ce grief.

3.             Le recourant conteste le bien-fondé de la jonction.

3.1.  À teneur de l'art. 29 CPP ("Principe de l'unité de la procédure"), les infractions sont poursuivies et jugées conjointement lorsqu'un prévenu a commis plusieurs infractions (al. 1 let. a) ou s'il y a plusieurs coauteurs ou participants (al. 1 let. b).

Si des raisons objectives le justifient, le ministère public et les tribunaux peuvent ordonner la jonction ou la disjonction de procédures pénales (art. 30 CPP).

Le principe d'unité de la procédure découle déjà de l'art. 49 CP et, sous réserve d'exceptions, s'applique à toutes les situations où plusieurs infractions, respectivement plusieurs personnes, doivent être jugées ensemble (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand du Code de procédure pénale suisse, Bâle 2019, n. 1 ad art. 29). Ce principe tend à éviter les jugements contradictoires quant à l'état de fait, l'appréciation juridique ou la quotité de la peine. Il sert en outre l'économie de la procédure (ATF 138 IV 214 consid. 3; 138 IV 29 consid. 3.2).

3.2.  L'art. 30 CPP prévoit la possibilité de déroger au principe de l'unité de la procédure. Cette faculté entraîne une extension de l'unité de la procédure à des situations qui ne sont pas incluses dans l'art. 29 CPP (ACPR/133/2013 du 10 avril 2013; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 3 ad art. 30). Une telle dérogation exige toutefois des raisons objectives, ce qui exclut de se fonder, par exemple, sur de simples motifs de commodité (ibid., n. 2 ad art. 30).

La disjonction des causes en vertu de l'art. 30 CPP doit cependant rester l'exception et l'unité de la procédure la règle, dans un but d'économie de procédure, d'une part, mais aussi afin de prévenir le prononcé de décisions contraires, d'autre part. Ainsi, le Tribunal fédéral a considéré qu'en vertu du principe de l'unité de procédure, le ministère public était tenu de joindre des procédures à l'encontre du même prévenu quand bien même la nature des infractions était fort différente, en l'occurrence violences domestiques et escroquerie (ATF 138 IV 214 consid. 3.6 et 3.7; L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, Petit commentaire du CPP, Bâle 2016, n. 5 ad art. 29; ACPR/581/2016 du 14 septembre 2016).

3.3.  En l'espèce, le recourant est prévenu, dans deux procédures instruites distinctement, de la commission de plusieurs infractions. Conformément au principe de l'unité des poursuites, il paraît nécessaire que ces infractions soient poursuivies conjointement et qu'un seul juge se prononce, le cas échéant, sur l'ensemble.

Si la connexité entre les infractions reprochées à un prévenu appelle évidemment une jonction des causes, l'absence de connexité ne constitue inversement pas un motif pour déroger au principe de l'unité de la procédure de l'art. 29 CPP, qui veut que l'ensemble des infractions reprochées à un prévenu soit poursuivi et jugé en même temps, sous peine de quoi cette disposition n'aurait quasiment aucune portée. Peu importe dès lors que la nature de certaines infractions reprochées au recourant soit, en l'occurrence, différente, étant relevé, pour le surplus, que les deux procédures présentent des similitudes, puisqu'elles sont dirigées contre l'intéressé pour la même infraction, soit celle d'emploi d'étrangers sans autorisation (art. 117 LEI).

Certes la poursuite de procédures séparées peut s'avérer opportune, notamment lorsque l'une d'entre elles est en état d'être jugée et que la prescription pénale est proche ou que l'un des prévenus se trouve en détention. Or, le recourant ne prétend pas que tel serait le cas en l'occurrence. Tout au plus fait-il valoir que la P/1______/2015 ne serait pas en état d'être jugée – bien qu'un avis de prochaine clôture lui ait été notifiée le 23 décembre 2020 – dans la mesure où il aurait demandé la répétition de certains actes d'enquête. Quoiqu'il en soit, le fait qu'une des procédures soit désormais à un stade plus avancé n'est pas de nature à empêcher la jonction des causes, étant relevé que la P/2987/2018 est toujours pendante devant le Ministère public. Ces éléments ne permettent ainsi pas d'affirmer, à ce stade tout du moins, que la jonction litigieuse entraînerait en elle-même, la violation du principe de célérité (art. 5 CPP). Le recourant ne se plaint du reste pas explicitement d'une violation de ce principe en lien avec l'instruction de la cause P/1______/2015 jusqu'à la jonction.

Finalement, le fait qu'il s'estime innocent des faits dans le cadre des deux procédures en cause ne change rien à ce qui précède, étant précisé qu'il a formé opposition à l'ordonnance pénale du 22 octobre 2019 et pourra ainsi faire valoir ses moyens dans ce cadre-là.

Aussi, la décision querellée ne prête pas le flanc à la critique.

4.             Justifiée, elle sera donc confirmée.

5.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, fixés en totalité à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Sandro COLUNI, greffier.

 

Le greffier :

Sandro COLUNI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/2987/2018

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

-

CHF

Total (Pour calculer : cliquer avec bouton de droite sur le montant total puis sur « mettre à jour les champs » ou cliquer sur le montant total et sur la touche F9)

CHF

900.00