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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/24473/2015

ACPR/911/2021 du 21.12.2021 ( MP ) , ADMIS

Recours TF déposé le 24.01.2022, rendu le 10.11.2022, REJETE, 6B_112/2022
Descripteurs : QUALITÉ POUR AGIR ET RECOURIR;PRINCIPE DE LA TRANSPARENCE(SOCIÉTÉ);EXÉCUTION DES PEINES ET DES MESURES;SÉQUESTRE(LP);PRÉTENTION DE DROIT PUBLIC;NULLITÉ
Normes : CPP.382.al1; CPP.439.al1; CPP.442.al1; CP.71.al1; CP.71.al3

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/24473/2015 ACPR/911/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 22 décembre 2021

 

 

Entre

 

A______, B______, feu C______ et D______, comparant tous les quatre par Me G______, avocat, ______ Genève

recourants

 

contre la décision du Ministère public rendue le 4 mai 2020

 

et

 

E______ SA, comparant par Me Clara POGLIA, avocate, rue des Alpes 15bis, case postale 2088, 1211 Genève 1

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3

intimés


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié au greffe de la Chambre de céans le 13 mai 2020, A______, B______ (ci-après : B______), C______ et D______ (ci-après : D______) recourent contre la décision rendue le 4 mai précédent, à teneur de laquelle le Ministère public a levé, dans la P/24473/2015 dirigée contre F______, deux séquestres maintenus par l’autorité de jugement sur les comptes bancaires de A______ et C______ auprès de E______ SA (ci-après également la banque) en vue de garantir l'exécution de quatre créances compensatrices allouées à cette dernière société.

Ils concluent, sous suite de frais et dépens chiffrés à CHF 5'385.-, sur mesures provisionnelles, au maintien desdits séquestres, et, sur le fond, au constat de la nullité de l’ordonnance entreprise, subsidiairement à son annulation, les saisies devant être maintenues et E______ SA, invitée à agir par la voie de la poursuite pour dettes.

b. Le 15 mai 2020, la Direction de la procédure de la Chambre de céans a accordé l’effet suspensif au recours et maintenu, jusqu’à droit jugé, les deux séquestres litigieux; elle a, en outre, astreint les recourants à verser des sûretés en CHF 2'000.- (OCPR/15/2020).

c. Ces derniers s’en sont acquittés dans le délai imparti.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. Par jugement rendu le 9 février 2018 dans la procédure P/24473/2015 dirigée contre F______ (JTCO/16/2018), le Tribunal correctionnel a, notamment :

·         prononcé, en faveur de l'État de Genève, deux créances compensatrices, la première à l’encontre de A______ (à concurrence d’USD 532'262.-, EUR 1'667'228.- ainsi que GBP 79'500.-; ch. 6.2 du dispositif) et la seconde, de B______ (à hauteur d’USD 17'300'000.-; ch. 6.3);

et maintenu, à cet égard, le séquestre ordonné sur le compte n° 1______ – ouvert par le premier nommé dans les livres de E______ SA, relation qui comprend des avoirs en liquidités et en titres – en vue de l’exécution de ces créances (ch. 6.4), conformément à la théorie de la transparence (Durchgriff ; cf. p. 172 in fine du jugement);

·         prononcé deux créances compensatrices supplémentaires, l’une à l’encontre de C______ (à concurrence d’USD 693'151.-, EUR 1'085'500.- ainsi que GBP 79'500.-; ch. 7.1) et l’autre, de D______ (à hauteur d’USD 25'800'000.-; ch. 7.2);

et maintenu, à cet égard, le séquestre ordonné sur le compte n° 2______ – détenu par le premier nommé auprès de la banque précitée, relation qui comprend uniquement des avoirs en liquidités – à hauteur de CHF 28 millions, en vue de l’exécution de ces créances (ch. 7.3), conformément à la théorie de la transparence (p. 173, 3ème paragraphe, du jugement);

·        alloué à E______ SA – partie plaignante –, jusqu'à concurrence du dommage que F______ lui avait causé (soit USD 92'484'773.-, EUR 31'186'105.- et GBP 352'460.-;ch. 3 et 13.1), les quatre créances compensatrices précitées (ch. 13.1.4 et 13.1.5).

a.b. Ces points du dispositif du jugement de première instance ont été successivement confirmés par la Chambre pénale d'appel et de révision (AARP/217/2019 du 26 juin 2019), puis le Tribunal fédéral (sur recours [arrêt 6B_1002/2019 rendu le 19 février 2020] et demande en révision [arrêt 6F_13/2020 du 24 avril 2020]).

Dans le cadre de l’arrêt AARP/217/2019 précité, une partie des frais de la procédure d’appel a été mise à la charge de A______, B______, C______ et D______ (cf. consid. 11.2, confirmé ultérieurement dans l’AARP/396/2020 du 30 novembre 2020).

b. Parallèlement, le 10 juillet 2019, E______ SA a informé A______ et C______ qu’elle compensait ses quatre créances avec les avoirs en liquidités figurant sur leurs comptes. Dites compensations seraient exécutées ultérieurement, les relations étant, en l’état, bloquées.

c. Le 1er mai 2020, la banque a requis du Ministère public qu’il lève les deux saisies litigieuses pour permettre l’exécution des compensations sus-évoquées, respectivement qu’il l’autorise à vendre de gré à gré les titres déposés sur le compte de A______ [ces biens étant grevés d’un droit de gage selon l’art. 8 de ses conditions générales, clause qui l’autorise à procéder à leur réalisation privée] et ordonne la levée du séquestre sur le produit de cette vente.

C. Dans sa décision déférée, le Procureur a levé les deux séquestres maintenus par l’autorité de jugement sur les comptes de A______ et C______. Il se justifiait de s’écarter, in casu, du principe selon lequel la saisie pénale ordonnée en vue de l’exécution d’une créance compensatrice devait être maintenue jusqu’à "son remplacement par une mesure civile", cela afin de ne pas privilégier un créancier parmi d’autres. En effet, E______ SA avait invoqué la compensation et, de la sorte, "valablement fait valoir ses droits par la voie civile". De plus, aucun des quatre débiteurs de la banque n’avait allégué avoir d’autres créanciers en Suisse que la précitée.

D. a. Le 5 mai 2020, E______ SA a exécuté les deux compensations sus-évoquées, retirant ("withdraw") environ : EUR 4.4 millions du compte de A______ (en paiement partiel de ses créances contre ce dernier et B______) et CHF 27.5 millions de la relation de C______ (en paiement intégral des dettes du prénommé et de D______).

b. Le 7 mai suivant, A______, B______, C______ et D______ ont informé la banque qu’ils s’opposaient à ces compensations. Ils entendaient recourir contre la levée des séquestres, raison pour laquelle ils lui faisaient "formellement ( ) défense" de disposer de leurs avoirs. Eux-mêmes entendaient invoquer une compensation à l’égard de E______ SA.

c. Le 8 mai 2020, la banque leur répondait que la décision du Ministère public du 4 précédent était immédiatement exécutoire. Par ailleurs, la compensation dont ils se prévalaient, au demeurant tardivement, était infondée.

E. a.a. Dans leurs recours et réplique, A______, B______, C______ et D______ s’estiment légitimés à recourir, au motif qu’ils disposent d’"un intérêt juridique évident" à invoquer la nullité de l’ordonnance déférée, subsidiairement à solliciter son annulation, puisque celle-ci lésait "directement [leurs] droits ( ) dans l’exécution des créances compensatrices prononcées à leur encontre", respectivement permettait à E______ SA de "se servir" sur leurs avoirs.

Au fond, le Ministère public ne pouvait statuer sur le sort de séquestres maintenus en exécution de créances compensatrices, prérogative qui ressortait exclusivement aux autorités de droit des poursuites. Le Procureur avait outrepassé ses compétences, en estimant bien-fondée la compensation opérée par la banque, de surcroît sans tenir compte de leurs propres droits à la compensation.

a.b. Le décès de C______ est survenu le ______ 2021 aux dires de ses enfants, qui s’en prétendent héritiers et déclarent lui succéder au sens de l’art. 382 al. 3 CPP.

b. Entre mai 2020 et début 2021, les recourants et E______ SA ont spontanément informé la Chambre de céans de la survenance d’éléments nouveaux, pièces à l’appui, qu’elles ont commentés.

En particulier, la banque a signalé que les séquestres maintenus sur effet suspensif (OCPR/15/2020) avaient porté : pour A______ sur un solde négatif d’EUR 48'000.- environ, une "garantie en faveur de E______ Lux à hauteur d’EUR 7.2m" [sic] et des "sous-comptes de dépôts contenant [d]es titres ( ) sans valeurs de marché"; pour C______, sur un solde positif en liquide.

c.a. Le 9 octobre 2020, les recourants ont sollicité le prononcé de nouvelles mesures provisionnelles, E______ SA devant être enjointe de recréditer, sur leurs comptes, les sommes qu’elle y avait prélevées, "en diligente exécution" de l’OCPR/15/2020.

c.b. La Direction de la procédure a rejeté cette demande, faute d’un quelconque préjudice irréparable.

d. Invité à se déterminer, le Procureur conclut à l’irrecevabilité du recours. En effet, la décision entreprise ne causait nul préjudice aux tiers saisis, puisqu’elle levait la mesure qui bloquait, jusqu’alors, leurs avoirs; il appartenait à ces parties d’agir civilement si elles s’opposaient à la compensation invoquée par E______ SA.

Subsidiairement, dit recours était infondé, dès lors que A______, B______, feu C______ et D______ étaient domiciliés à l’étranger. En l’absence d’un for de la poursuite en Suisse, la règle selon laquelle le séquestre pénal devait être maintenu jusqu’à son remplacement par une mesure du droit des poursuites, ne pouvait pas s’appliquer in casu. Pour la même raison, lui-même était compétent pour lever les saisies, en application de l’art. 39 al. 2 LaCP.

e. E______ SA conclut, sous suite de frais et dépens chiffrés à CHF 2'280.-, à l’irrecevabilité du recours – pour des motifs similaires à ceux développés par le Procureur –, subsidiairement à ce qu’il soit déclaré sans objet, l’argent inscrit aux crédits des relations litigieuses ouvertes en ses livres ayant déjà été prélevé par ses soins.

En tout état, l’acte devait être rejeté, aux motifs que les avoirs saisis étaient précisément destinés à "couvrir" les créances compensatrices cédées, que la compensation effectuée le 5 mai 2020 s’était valablement substituée aux séquestres pénaux – cette institution de droit civil ne requérant, pour son exécution, aucune démarche matérielle ou de droit des poursuites, mais une simple déclaration –, et qu’elle-même disposait d’un droit de gage sur les valeurs concernées, si bien qu’elle se trouvait dans une position de "créancier prioritaire d’un point de vue de droit civil". Enfin, les recourants ne prétendaient pas avoir d’autres créanciers susceptibles d’être lésés par les levées querellées.

 

 

EN DROIT :

1. Saisie d’un recours en matière d’exécution des peines et mesures (art. 439 al. 1 CPP), la Chambre de céans applique le CPP à titre de droit cantonal supplétif (art. 42 al. 2 LaCP).

2. 2.1. Le recours a été interjeté selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), à l’encontre d’un acte de procédure du Ministère public, comme tel sujet à recours (art. 393 al. 1 let. a CPP).

2.2. Il sied d’examiner la qualité pour agir des recourants.

2.2.1. Toute partie qui a un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification d'une décision a qualité pour contester celle-ci (art. 382 al. 1 CPP).

Cet intérêt doit être juridique et direct. Le recourant est ainsi tenu d’établir que la décision attaquée viole une règle de droit qui a pour but de protéger ses intérêts et qu’il peut, par conséquent, en déduire un droit subjectif (ATF 145 IV 161 consid. 3).

Le titulaire d’un compte bancaire est, en principe, habilité à quereller la mesure de séquestre ordonnée sur ses avoirs (arrêt du Tribunal fédéral 1B_76/2020 du 6 juillet 2020 consid. 1).

Le recours au principe de la transparence (Durchgriff) suppose qu'il y ait identité entre une personne morale et celle qui la domine. Il a pour conséquence que l'indépendance formelle de la première n'est pas prise en considération. Ni le sociétaire ni l’entité ne peuvent se prévaloir de la dualité juridique formelle, de sorte que les rapports de droit qui lient l'une lient également l'autre. En revanche, en ce qui les concerne, ils doivent s'en tenir à la forme d'organisation qu'ils ont choisie et ne peuvent invoquer avec succès l'absence de dualité (arrêt du Tribunal fédéral 6B_122/2017 du 8 janvier 2019 consid. 7.1 et les références citées).

L’intérêt au recours doit, en outre, être actuel et pratique (ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1); il doit donc encore exister au moment où l’arrêt est rendu (ATF 137 I 296 consid. 4.2). De cette manière, les tribunaux sont assurés de trancher uniquement des questions concrètes, et non de prendre des décisions à caractère théorique (ATF 144 IV 81 précité).

2.2.2. En l’espèce, B______ et D______ ne peuvent se prévaloir d’un intérêt juridique propre concernant le sort des comptes bancaires séquestrés, à défaut d’en être les titulaires, respectivement de disposer d’un droit, réel ou personnel, sur les valeurs qui y sont déposées.

L’application du principe de la transparence (Durchgriff) n’est pas non plus envisageable, ces entités devant se laisser opposer la forme juridique que leurs ayants droit ont choisie.

Le recours est donc irrecevable en tant qu’il émane des précitées.

2.2.3. A______ est, pour sa part, titulaire de l’une des deux relations bloquées.

Si la décision déférée prononce la levée du séquestre de ses avoirs, issue qui lui est, en principe, favorable, il demeure toutefois habilité à se plaindre de l’incompétence ratione materiae du Ministère public pour l’ordonner – à défaut de quoi personne ne pourrait s’opposer à l’exécution d’un jugement pénal prononcée par une autorité non compétente pour le faire –. Le prénommé dispose donc d’un intérêt juridique propre au recours.

Dit intérêt demeure actuel et pratique, l’intéressé se prévalant de la nullité absolue de la décision entreprise, grief qui est invocable en tout temps (ATF 144 IV 362 consid. 1.4.3 p. 368).

Le recours est donc recevable, dans la mesure où il émane de ce tiers saisi (art. 105 al. 1 let. f. CPP).

2.2.4. Feu C______ était, quant à lui, titulaire du second compte séquestré.

La validité de substitution de ce dernier par ses deux enfants peut demeurer indécise.

En effet, une unique écriture de recours a été déposée pour l’ensemble des recourants et les deux levées de séquestres litigieuses figurent dans la même décision, ordonnance dont on a vu que A______ est légitimé à contester la validité.

2.3. Les pièces nouvelles produites par les parties sont recevables (arrêt du Tribunal fédéral 1B_368/2014 du 5 février 2015 consid. 3.1 et 3.2).

3. 3.1. L'exécution des peines et mesures ressortit aux cantons (art. 439 al. 1 CPP). À Genève, les compétences décisionnelles en la matière sont essentiellement dévolues au Tribunal d'application des peines et des mesures (art. 3 et 41 LaCP) ainsi qu'au "département" (art. 5 et 40 LaCP), le ministère public disposant d'une compétence résiduelle (art. 39 al. 2 let. a LaCP).

En vertu de l'art. 442 al. 1 CPP, le recouvrement des prestations financières découlant d'une procédure pénale est régi par les dispositions de la Loi fédérale du 11 avril 1889 sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP; RS 281.1).

3.2.1. En cours d'instruction, le ministère public peut placer sous séquestre certains éléments du patrimoine de l'auteur de l'infraction, de provenance licite (art. 71 al. 3 CP; L. JACQUEMOUD ROSSARI, La créance compensatrice : état des lieux de la jurisprudence, in SJ 2019 II 281 et ss, p. 285 et p. 298).

Au terme de l'enquête, l'autorité de jugement qui prononce une créance compensatrice (art. 71 al.  1 CP) – qu'elle peut allouer au lésé à certaines conditions (art. 73 al. 1 let. c CP) – maintient ce(s) séquestre(s), en vue de garantir l'exécution de ladite créance (L. MOREILLON/ Y. NICOLET, La créance compensatrice, in RPS 135 (2017), p. 428 in fine).

L'État/le lésé allocataire ne peut donc pas disposer immédiatement des valeurs séquestrées après l'entrée en force du jugement pénal – contrairement à ce qui prévaut en cas de restitution au lésé (art. 70 al. 1, 2ème phrase, CP) ou de confiscation (art. 70 al. 1 cum 73 al. 1 let. b CP; art. 44 LP) –. Il doit faire valoir ses prétentions selon les règles de la LP, sans bénéficier d'aucun droit préférentiel par rapport aux autres créanciers (art. 71 al. 3, 2ème phrase, CP; ATF 142 III 174 consid. 3.1.2, paru in SJ 2016 I 157; Message du Conseil fédéral concernant la modification du code pénal suisse et du code pénal militaire, in FF 1993 III 306, ch. 223.6 in fine [cité ci-après : message]).

Le séquestre pénal fondé sur l’art. 71 al. 3 CP est maintenu jusqu'à son remplacement par une mesure de droit des poursuites (ATF 141 IV 360 consid. 3.2; message, FF 1993 III 305, ch. 223.6).

Ainsi, l'exécution de la créance compensatrice, la réalisation des valeurs patrimoniales séquestrées et la distribution des deniers interviennent conformément à la LP et auprès des autorités compétentes en la matière (ATF 142 III 174 précité; L. JACQUEMOUD ROSSARI, op. cit., p. 299). Il ne saurait en aller différemment lorsque l'intérêt d'autres créanciers ne semble pas d'emblée s'opposer à l'indemnisation du titulaire de la créance compensatrice (arrêt du Tribunal fédéral 6B_694/2009 du 22 avril 2010 consid. 1.4.2 in fine; M. NIGGLI/ H. WIPRÄCHTIGER (éds), Basler Kommentar Strafrecht II : Art. 111-392 StGB, 4e éd., Bâle 2019, n. 69 ad art. 70/71), seule la voie de l'exécution forcée permettant de s'assurer que tel est effectivement le cas (arrêt du Tribunal fédéral 6B_694/2009 précité).

3.2.2. En pratique, après l'entrée en force du jugement pénal, le titulaire d'une créance compensatrice doit donc introduire une poursuite à l'encontre de la personne détentrice des valeurs patrimoniales séquestrées; ce n'est qu'au terme de cette procédure qu'il se verra éventuellement attribuer lesdites valeurs, le cas échéant en concours avec d'autres créanciers du poursuivi (O. ADLER/ F. BURGENER, Intersections entre le séquestre pénal de valeurs patrimoniales et le droit des poursuites et de la faillite, in Revue de l'avocat 2018, p. 166).

3.3. En application de ces principes, la Chambre de céans a jugé, dans un arrêt ACPR/381/2020 du 5 juin 2020, que seule l’autorité de droit des poursuites était habilitée à exécuter une créance compensatrice – in casu celle prononcée à l’encontre de F______ (décédé le ______ 2020) et allouée à E______ SA –, à l’exclusion du Ministère public. Partant, cette dernière autorité n’était pas compétente ratione materiae pour statuer sur le sort des séquestres maintenus par l’autorité de jugement en vue de l’exécution de cette créance compensatrice.

3.4. Le for de poursuite d’un débiteur domicilié à l’étranger peut, dans certains cas, se situer en Suisse (art. 50 à 52 LP).

Ainsi en va-t-il, par exemple, de la poursuite après séquestre – mesure qui peut notamment être ordonnée quand le créancier d’une dette échue et non garantie par gage possède un jugement exécutoire contre un débiteur (étranger) disposant de biens en Suisse (art. 271 al. 1 ch. 6 LP) –, une telle poursuite pouvant s’opérer au lieu où l’objet séquestré se trouve (art. 52 al. 1, 1ère phrase, LP).

3.5. En l’occurrence, les séquestres pénaux litigieux ont été prononcés sur des valeurs sises à Genève, afin de garantir l’exécution de quatre créances compensatrices ordonnées en faveur de l’État.

Selon la volonté claire du législateur, la collectivité publique ne doit jouir d’aucun privilège sur les avoirs/biens bloqués, par rapport aux éventuels autres créanciers du débiteur saisi. Pour s’en assurer, les effets des séquestres fondés sur l’art. 71 al. 3 CP sont maintenus jusqu'au moment où des mesures de droit des poursuites prennent le relais, ce qui impose à l’État d’agir par la voie de l’exécution forcée pour recouvrer ses créances. Le fait que les débiteurs sont domiciliés à l’étranger n’y fait pas obstacle, la collectivité publique pouvant initier une poursuite au lieu de situation des valeurs.

Lorsque l’État alloue ses créances compensatrices – lesquelles ne sont jamais garanties par gage – à une partie plaignante, cette dernière ne saurait obtenir davantage de droits/d’autres droits que n’en dispose le premier.

Le cessionnaire (in casu la banque intimée) est donc tenu, pour obtenir leur paiement, de procéder comme le ferait l’État.

Qu’en l’espèce la banque dispose, en raison de rapports de droit privé préexistant à la cession des créances, d’autres droits/obligations envers les recourants – d’ordre réel (droit de gage sur les valeurs bloquées, susceptible d’être réalisés de gré à gré) ou personnel (dette envers ce dernier, à même d’être compensée avec lesdites valeurs) –, n’y change rien.

En effet, il convient de distinguer l’exécution des créances compensatrices – qui porte sur des sommes d’argent à fournir par les recourants – de celle desdits droits/obligations civils – qui a trait aux valeurs des débiteurs détenues par la banque –.

L’objet de ces deux exécutions étant distinct, les modalités afférentes à la seconde (faculté de procéder à une réalisation privée/d’opérer une compensation) ne sauraient influer sur la première.

L’intimée devra donc recouvrer ses quatre créances compensatrices par la voie de l’exécution forcée, seul moyen permettant de garantir qu’elle ne jouira d'aucun droit préférentiel par rapport à d’autre(s) créancier(s) (tel que l’État de Genève, qui pourrait également initier une poursuite pour recouvrer les frais afférents à la procédure d’appel).

En conclusion, le Ministère public n’était pas habilité à lever les deux séquestres litigieux. La décision entreprise a donc été rendue par une autorité non compétente ratione materiae.

4. Reste à déterminer la conséquence qu’emporte un tel vice.

4.1.1. La nullité absolue ne frappe que les décisions affectées des vices les plus graves, manifestes ou du moins facilement décelables et pour autant que sa constatation ne mette pas sérieusement en danger la sécurité du droit, ce dernier aspect revêtant une importance particulière dans le domaine pénal. La décision rendue par une autorité fonctionnellement et matériellement incompétente est, en principe, nulle (ATF 147 IV 93 consid. 1.4.4 p. 105; 138 II 501 consid. 3.1 p. 503 s.; arrêt du Tribunal fédéral 1B_51/2020 du 25 février 2020 consid. 2.1.2.), à moins que cette autorité ne dispose d'un pouvoir décisionnel général dans le domaine concerné (ATF 137 III 217 consid. 2.4.3 p. 225; 127 II 32 consid. 3g p. 47; arrêt du Tribunal fédéral 6B_120/2018 du 31 juillet 2018 consid. 2.2).

4.1.2. La Chambre de céans a, dans l’arrêt ACPR/381/2020 sus-évoqué (cf. consid. 3.3), annulé la décision que le Ministère public avait rendue en se substituant à l’autorité du droit des poursuites; cet arrêt ne comporte toutefois aucun développement sur la conséquence que doit, en principe, entraîner un tel vice, la problématique de la nullité n’ayant, alors, pas été soulevée.

Elle a, dans un arrêt subséquent (ACPR/803/2021 du 23 novembre 2021), déclaré sans objet le recours formé par E______ SA contre le refus du Procureur (daté du 10 octobre 2019) de lever les deux séquestres bloquant les comptes de A______ et de feu C______, au motif que ce magistrat avait rendu, entretemps, une seconde décision (admettant cette fois-ci les levées), objet du présent recours; dit arrêt ne se prononce aucunement sur la validité de l’ordonnance du 10 octobre 2019.

4.2. In casu, le vice dont est affectée la décision du 4 mai 2020 est particulièrement grave.

Comme tel, il était, sinon manifeste, du moins facilement décelable, compte tenu des dispositions légales topiques et de la jurisprudence limpide citées au considérant 3. supra.

Les autorités pénales en général, et le Ministère public en particulier, ne disposent d’aucune prérogative en matière d’exécution d’une créance compensatrice. L’art. 73 al. 1 CP n’autorise d’ailleurs pas l’allocation au lésé de valeurs séquestrées en application de l’art. 71 al. 3 CP.

L’on ne voit pas en quoi le constat de la nullité de la décision attaquée menacerait, en l’espèce, la sécurité juridique. Le Ministère public ne le prétend du reste pas.

Un tel constat n’irait pas non plus à l’encontre de la jurisprudence préalablement rendue par la Chambre de céans.

Inversement, opter pour le système de l'annulabilité – institution qui est dépourvue d’effet rétroactif – ne permettrait pas d’offrir aux recourants une protection suffisante. En effet, la décision querellée était immédiatement exécutoire et la banque l’a appliquée (pour effectuer la compensation souhaitée) sans délai, soit avant que la juridiction de recours ne statue, tout d’abord, sur mesures provisionnelles, puis sur l’invalidité alléguée de l’ordonnance.

La constatation de la nullité de la décision déférée s’impose donc.

Aussi, le recours se révèle-t-il fondé.

5. B______ et D______ succombent, s’étant vu dénier la qualité pour agir (art. 428 al. 1, 2ème phrase, CPP).

Elles seront donc condamnées solidairement (art. 418 al. 2 CPP) à la moitié des frais de la procédure, fixés à CHF 2’000.- en totalité (art. 3 cum art. 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale [RTFMP; E 4 10.03]), soit au paiement de CHF 1’000.-, montant qui sera prélevé sur les sûretés versées.

A______ et feu C______ obtiennent gain de cause.

Le solde desdits frais (CHF 1’000.-) sera donc laissé à la charge de l'État.

Quant aux sûretés restantes (CHF 1’000.-), elles seront restituées aux recourants – dont on ignore, à teneur des données bancaires fournies, lequel d’entre eux les a versées –.

6. 6.1. La décision sur les frais préjugeant de la question de l'indemnisation (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1462/2020 du 4 février 2021 consid. 2 in fine), des dépens seront alloués aux recourants (à l’exclusion de B______ et D______).

Leur avocat commun chiffre à CHF 5'385.- ses honoraires (correspondant à 10 heures d’activité facturées au tarif de CHF 500.- l’heure, majorées de la TVA), pour la rédaction d’un mémoire de 9 pages.

Le temps précité apparaît excessif, compte tenu du caractère ciblé du litige, circonscrit à l’incompétence ratione materiae du Ministère public. Il sera donc ramené à 4 heures, durée qui apparaît raisonnable pour rédiger des écritures sur ce point.

Les recourants seront donc indemnisés à raison de cette dernière durée, au tarif de CHF 450.- l’heure (ACPR/424/2021 du 24 juin 2021 consid. 8.2 in fine), hors TVA, vu leur domicile à l’étranger, soit à hauteur de CHF 1'800.- TTC.

6.2. La banque intimée succombe, puisqu’elle estimait le Ministère public compétent pour lever les deux séquestres litigieux.

Il n’y a donc pas lieu de lui allouer des dépens.

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Admet le recours dans la mesure de sa recevabilité.

Constate, en conséquence, la nullité de la décision rendue par Ministère public le 4 mai 2020.

Condamne solidairement B______ et D______ à la moitié des frais de la procédure, fixés à CHF 2’000.-, soit au paiement de CHF 1’000.-.

Dit que ce dernier montant (CHF 1’000.-) sera prélevé sur les sûretés versées (CHF 2'000.-).

Laisse le solde des frais de la procédure de recours (CHF 1’000.-) à la charge de l’État.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______, B______, feu C______ et D______ le solde (CHF 1’000.-) des sûretés versées.

Alloue à A______ et à feu C______, à la charge de l'État, une indemnité de CHF 1’800.- TTC pour la procédure de recours.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, à A______, B______, feu C______, D______ et E______ SA, soit pour eux leurs conseils respectifs, ainsi qu'au Ministère public.

Siégeant : Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).

 

P/24473/2015

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

50.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'875.00

-

CHF

Total (Pour calculer : cliquer avec bouton de droite sur le montant total puis sur « mettre à jour les champs » ou cliquer sur le montant total et sur la touche F9)

CHF

2’000.00