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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/5662/2022

ACPR/758/2022 du 03.11.2022 sur OMP/17382/2022 ( MP ) , IRRECEVABLE

Recours TF déposé le 06.12.2022, rendu le 23.02.2023, ADMIS, 1B_615/2022
Descripteurs : CONFRONTATION
Normes : CPP.394

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/5662/2022 ACPR/758/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 3 novembre 2022

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de G______, comparant par Me B______, avocat, ______, Genève,

recourant,

contre l'ordonnance rendue le 10 octobre 2022 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A.           Par acte déposé le 21 octobre 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 10 octobre 2022, communiquée par pli simple, par laquelle le Ministère public a refusé sa réquisition de preuve d'une nouvelle audition EVIG de ses enfants D______ et C______, en contradictoire.

Le recourant conclut à l'annulation de ladite ordonnance et à ce qu'une seconde audition EVIG soit ordonnée.

B.            Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. À la suite d'une dénonciation par le Service santé de l'Enfance et de la Jeunesse d'une suspicion d'abus sexuel commis par A______ sur C______, né le ______ 2018, la police a entendu la directrice de la crèche à laquelle l'enfant avait parlé.

b. Les enfants C______ et D______, née le ______ 2016, ont été entendus par la police le 11 mars 2022 conformément au protocole National Institute of Child Health and Human Development (NICHD).

c. Par décision du 11 mars 2022, confirmée le 5 avril suivant, le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant a retiré la garde des enfants aux parents ainsi que le droit de déterminer leur lieu de résidence et instauré plusieurs curatelles (d'assistance éducative et d'organisation et de surveillance des relations personnelles).

D______ et C______ ont été placés à la pédiatrie des HUG et, dès le 11 avril 2022, au foyer E______ à F______[GE].

d. Le 12 mars 2022, le Procureur a prévenu A______ d'actes d'ordre sexuel sur un enfant (art. 187 CP), contrainte sexuelle (art. 189 CP) voire viol (art. 190 CP), actes d'ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance (art. 191 CP), inceste (art. 213 CP), pornographie (art. 197 CP) et violation du devoir d'assistance ou d'éducation (art. 217 CP).

e. Le 22 avril 2022, le Service de protection des mineurs (SPMi) a adressé une dénonciation au Ministère public à la suite des confidences des 13 et 21 avril 2022 quee D______ avait faites à une intervenante du foyer.

f. À teneur du rapport du 29 avril 2022 des médecins chargés d'établir un constat de lésions traumatiques et d'agression sexuelle, D______, qui avait refusé l'examen médico-légal et l'examen gynécologique, avait fait allusion au secret qu'elle partageait avec son père.

g. Le 4 mai 2022, le Procureur a confronté A______ aux déclarations de sa fille.

h. Lors de l'audience du 9 mai 2022, l'intervenante du foyer a confirmé la teneur des déclarations de D______ des 13 et 21 avril 2022 et fait état d'un troisième épisode survenu le mercredi précédent. A______ a déclaré qu'il ne répondrait plus à aucune question et qu'il allait contre-attaquer.

i. Par email du 7 juin 2022, le SPMi a complété sa dénonciation après une nouvelle déclaration de D______ à une collaboratrice.

j. Lors de l'audience du 22 juin 2022, A______ a été interrogé notamment sur ses recherches internet liées à la pornographie.

k. À teneur des rapports d'expertise de crédibilité du 5 juillet 2022, les déclarations de C______ et D______ étaient plutôt crédibles.

l. Le 23 août 2022, la curatrice des enfants a informé le Procureur que les enfants avaient, tout récemment, fait de nouvelles révélations aux assistantes sociales du foyer E______ et demandait l'audition de ces dernières.

m. Le 29 août 2022, A______, faisant suite à sa demande du 17 mai 2022 d'une nouvelle audition EVIG en contradictoire, a transmis au Procureur les questions à poser à ses enfants.

n. Le 19 septembre 2022, la curatrice s'y est opposée, rappelant que les enfants étaient âgés de 6 et 4 ans et considérant que cela porterait gravement atteinte à leur santé psychique, déjà fortement entamée dès lors qu'un diagnostic de stress post-traumatique avait d'ores et déjà pu être posé; une nouvelle audition des enfants ne ferait que les maintenir dans un climat incestuel en les y replongeant, faisant ainsi perdurer l'abus mais également accentuer leur sentiment de culpabilité en lien avec l'emprisonnement de leur père.

o. Le 28 septembre 2022, le Procureur a entendu les éducatrices du foyer qui avaient reçu les confidences de D______. Le prévenu a posé ses questions.

C.            Dans son ordonnance querellée, le Ministère public relève que les enfants avaient été entendus dans le cadre d'une audition EVIG et que le prévenu avait pu s'exprimer, lors de différentes audiences, sur leurs déclarations, de sorte que son droit au contradictoire avait été respecté. La plupart des questions que le prévenu souhaitait voir poser à ses enfants ne pourraient vraisemblablement pas l'être dans le cadre d'une audition EVIG tant elles paraissaient orientées et fermées. De nombreuses questions n'étaient pas liées aux faits, mais portaient sur les rapports entre les enfants et leur père et sur les éventuelles influences externes qui auraient pu s'exercer sur les premiers; il ne paraissait pas utile de les entendre sur ces points, lesquels pouvaient être déterminés par l'audition d'autres personnes, telles que les intervenants du foyer, de l'hôpital si nécessaire, du prévenu lui-même et de son épouse.

Une nouvelle audition EVIG des enfants ne paraissait ni pertinente ni justifiée pour garantir le droit au contradictoire du prévenu et pourrait vraisemblablement porter une atteinte psychique grave à la santé psychique des enfants compte tenu de leur jeune âge et de la nature des faits.

D.            a. À l'appui de son recours, A______ considère que la décision de rejet de sa réquisition de preuve, soit une nouvelle audition EVIG de ses enfants, devait pouvoir faire l'objet d'un recours immédiat, vu le risque concret d'altération de ce moyen de preuve au cours de la procédure. Si une telle audition devait finalement être ordonnée dans plusieurs mois, tout portait à croire que cette preuve serait altérée par l'effet du temps et des influences extérieures, ce qui lui causerait un préjudice irréparable.

Sur le fond, il considère qu'aucune occasion ne lui avait été donnée de faire valoir son droit à la confrontation vis-à-vis de ses enfants. Leur première audition EVIG avait été menée le jour de son arrestation, hors sa présence ou celle de son avocat. Depuis lors, les déclarations des enfants avaient été recueillies de manière informelle, par leurs éducatrices ou leurs enseignantes, et rapportées aux autorités par ces tiers.

Rien au dossier ne permettait d'affirmer qu'une seconde audition EVIG porterait atteinte à la santé des mineurs. Les questions avaient été rédigées de manière large afin de permettre de couvrir l'entier des points qui pourraient être soulevés dans le cadre d'une audition; celles en lien avec les circonstances des dévoilements successifs revêtaient un intérêt crucial, puisque les accusations les plus graves avaient été rapportées de manière indirecte. Les questions seraient par ailleurs reformulées par les inspecteurs en charge de l'audition EVIG.

Le refus de la réquisition de preuve revenait à préjuger de sa culpabilité et portait une atteinte grave à son droit au contradictoire.

b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger, sans échange d'écritures ni débats.

EN DROIT :

1.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

2.             Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) et émane du prévenu qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a en principe qualité pour agir (art. 382 al. 1 CPP).

3.             Encore faut-il, toutefois, que la décision attaquée soit sujette à recours auprès de la Chambre de céans.

3.1.       À teneur de l'art. 393 al. 1 let. a CPP, le recours est ouvert contre les décisions et les actes de procédure de la police, du ministère public et des autorités pénales compétentes en matière de contraventions. Cependant, les décisions qualifiées de définitives ou de non sujettes à recours par le CPP ne peuvent pas être attaquées par le biais d'un recours (art. 380 en lien avec les art. 379 et 393 CPP ; ATF 144 IV 81 consid. 2.3.1).

Selon l'art. 394 let. b CPP, le recours est irrecevable lorsque le ministère public ou l’autorité pénale compétente en matière de contraventions rejette une réquisition de preuves qui peut être réitérée sans préjudice juridique devant le tribunal de première instance.

En adoptant cette disposition, le législateur a voulu écarter tout recours contre des décisions incidentes en matière de preuve prises avant la clôture de l'instruction parce que, d'une part, la recevabilité de recours à ce stade de la procédure pourrait entraîner d'importants retards dans le déroulement de celle-ci et que, d'autre part, les propositions de preuves écartées peuvent être réitérées dans le cadre des débats (Message du Conseil fédéral relatif à l'unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005 [FF 2006 1057 p. 1254]). La loi réserve toutefois les cas où la réquisition porte sur des preuves qui ne peuvent être répétées ultérieurement sans préjudice juridique. En l'absence de précision sur cette notion dans la loi ou dans les travaux préparatoires, le préjudice juridique évoqué à l'art. 394 let. b CPP ne se différencie pas du préjudice irréparable visé à l'art. 93 al. 1 let. a LTF, lequel s'entend, en droit pénal, d'un dommage juridique à l'exclusion d'un dommage de pur fait tel l'allongement ou le renchérissement de la procédure. L'existence d'un tel préjudice a ainsi été admise lorsque le refus d'instruire porte sur des moyens de preuve qui risquent de disparaître, tels que l'audition d'un témoin très âgé, gravement malade ou qui s'apprête à partir dans un pays lointain définitivement ou pour une longue durée ; la possibilité théorique que des moyens de preuve soient détruits ou perdus ne suffit pas (arrêt du Tribunal fédéral 1B_193/2019 du 23 septembre 2019 consid. 2.1 et les arrêts cités ; récemment : arrêt du Tribunal fédéral 1B_596/2020 du 5 mars 2021 consid. 2.2).

Hormis ces cas de figure, les décisions relatives à l'administration des preuves ou celles rejetant une réquisition de preuves ne causent généralement pas de préjudice irréparable, dès lors qu'il est possible de renouveler les griefs qui s'y rapportent jusqu'à la clôture définitive de la procédure, par exemple en exerçant ultérieurement son droit d'être confronté à des témoins à charge (arrêts du Tribunal fédéral 1B_246/2021 du 14 mai 2021 consid. 2 ; 1B_384/2019 du 9 août 2019 consid. 3.2 et 3.3 ; 1B_50/2016 du 22 février 2016 consid. 2, tous avec références).

Pour qu'une dérogation à l'irrecevabilité du recours contre un refus de procéder à des actes d'instruction entre en considération, les moyens de preuve invoqués doivent en toute hypothèse porter sur des faits pertinents (cf. art. 139 al. 2 CPP ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_189/2012 du 17 août 2012 consid. 2.1, publié in SJ 2013 I 89 ; B. STRÄULI, in Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2e éd., Bâle 2019, n. 13 ad art. 394).

3.2.       En l'espèce, force est de constater que l'ordonnance querellée rejette une réquisition de preuve qui pourra être réitérée sans préjudice irréparable devant le tribunal de première instance. En effet, s'il est renvoyé en jugement, le recourant pourra renouveler sa demande d'audition devant le tribunal compétent (art. 318 al. 2, 3ème phrase et 331 al. 2 et 3 CPP), puis en appel voire, enfin, dans le cadre d'un recours en matière pénale au Tribunal fédéral ; il pourra dans ce cadre se prévaloir du droit, tiré de l'art. 6 par. 3 let. d CEDH, à être confronté aux témoins à charge, parmi lesquels figurent les personnes appelées à donner des renseignements (et donc les parties plaignantes ; cf. arrêt du Tribunal fédéral 6B_14/2021 du 28 juillet 2021 consid. 1.3.4). Il n'apparaît du reste pas que les moyens de preuve litigieux risqueraient de disparaître dans l'intervalle : les enfants vivent à Genève. Rien ne permet de considérer – concrètement et non théoriquement – qu'il ne serait plus possible de recevoir les déclarations des enfants lors de l'audience de jugement ou que celles-ci seraient altérées.

Pour le surplus, le recourant ne démontre pas en quoi la décision querellée lui causerait un préjudice juridique, au sens de l'art. 394 let. b CPP. Il fait référence à son droit à être confronté à ses enfants. Or, il pourra faire valoir ce droit devant l'autorité de jugement dans le respect de l'art. 154 CPP.

Il en résulte que, faute de préjudice juridique (et irréparable) au sens de l'art. 394 let. b CPP, le recours est irrecevable.

4.             Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui comprendront un émolument de CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03). En effet, l'autorité de recours est tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4).

5.             L'indemnité du défenseur d'office sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Déclare le recours irrecevable.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, qui comprennent un émolument de CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant (soit, pour lui, son défenseur) et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

P/5662/2022

ÉTAT DE FRAIS

ACPR/

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

 

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

 

- délivrance de copies (let. b)

CHF

 

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

 

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

900.00

 

-

CHF

 

 

Total (Pour calculer : cliquer avec bouton de droite sur le montant total puis sur « mettre à jour les champs » ou cliquer sur le montant total et sur la touche F9)

CHF

985.00