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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/21003/2020

ACPR/52/2022 du 25.01.2022 sur OMP/6496/2021 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : CONSULTATION DU DOSSIER;ADMINISTRATION DES PREUVES;MESURE(DROIT PÉNAL);INVESTIGATION SECRÈTE
Normes : CPP.101; CPP.108

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/21003/2020 ACPR/52/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 25 janvier 2022

Entre

 

A______, actuellement détenu à la prison de B______, comparant par Me C______, avocate,

recourant,

 

contre l'ordonnance de consultation partielle du dossier du 4 mai 2021 rendue par le Ministère public,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A.           Par acte déposé le 17 mai 2021, A______ recourt contre l'ordonnance du 4 précédent, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public ne l'a pas autorisé, pas plus que les autres prévenus, à consulter les rapports de police des 10 février, 10 mars et 23 avril 2021, respectivement leurs annexes, avant les audiences des 25 mai, 8 et 18 juin, 8 et 26 juillet 2021 et toutes celles qui devraient être convoquées ultérieurement en lien avec ces mêmes rapports.

Le recourant conclut à l'annulation de la décision querellée et à ce qu'il soit ordonné au Ministère public d'accorder la libre consulation immédiate de l'intégralité de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier mis à la disposition de la Chambre de céans:

a. À teneur du rapport de renseignements du 16 novembre 2020, depuis plusieurs mois, des habitants de [l'immeuble sis] 9______ se plaignaient d'un trafic de drogue. Un appartement, sis 9______, serait utilisé dans le cadre d'un trafic de cocaïne et de haschich. Lors de la perquisition du même jour, la police a trouvé de nombreux sachets minigrips et une balance électronique; personne ne se trouvait dans l'appartement.

b. Selon le rapport du 10 janvier 2021, depuis plusieurs semaines, la police menait des investigations sur un dénommé "D______", trafiquant de cocaïne opérant à Genève, identifié comme étant D______. Ce dernier disposait quasiment exclusivement d'une clientèle africaine, à laquelle il vendait la cocaïne par "doigts" de 10 grammes, la mesure-étalon d'une valeur d'environ CHF 550.-. Les trafiquants de rue conditionnaient ensuite la drogue sous la forme de "boulettes" vendues dans les rues genevoises au prix de CHF 60.- à 100.-. D______ avait également fourni quelques toxicomanes en "boulettes". Il utilisait sa voiture [de la marque] E______ pour les transactions de drogue ou pour les déplacements sur les lieux des transactions. Plusieurs mesures de surveillance avaient été ordonnées.

Le 9 janvier 2021, la police a interpellé D______, qui utilisait des documents au nom de F______, au volant de sa E______, en présence de G______, la mère de son enfant. La perquisition de son domicile a permis la découverte de 85.5 grammes brut de cocaïne (sous forme de plusieurs gros "parachutes") dans une boîte Coconut, de CHF 1'000.-, USD 100.- et EUR 480.-, ainsi que de matériel de conditionnement.

Le prévenu a admis participer à un trafic portant sur 90 grammes, dont une partie avait été trouvée à son domicile, et 20 grammes de stupéfiants qu'il avait vendus; il n'avait pas agi avant décembre 2020 malgré les constatations de la police concernant "D______".

b. Le 11 janvier 2021, le Procureur a prévenu D______ d’infractions aux art. 19 al. 1 et 2 LStup et 118 al. 1 LEI pour avoir, en particulier, depuis une date à déterminer, participé, notamment à Genève, à un important trafic de produits stupéfiants, portant sur plusieurs centaines de grammes de cocaïne, en détenant cette drogue, respectivement en fournissant celle-ci à des tiers, vendeurs sur le marché local.

c. À teneur du rapport de police du 25 janvier 2021, la police avait identifié un dénommé "H______", transporteur pour le compte de "D______", comme étant A______, trafiquant de cocaïne ayant un rôle actif dans la livraison de cocaïne à d'autres trafiquants d'origine africaine et ayant également vendu cette drogue à des toxicomanes.

A______ a été interpellé en possession de deux boulettes de cocaïne (7.6 gr). La perquisition de son logement a permis la découverte de 4 emballages contenant des boulettes de cocaïne, pour un total de 17.6 grammes, 1.2 grammes de haschich et du matériel de conditionnement.

Le prévenu a déclaré que la drogue était destinée à son usage personnel et celui des membres de son groupe de musique.

d. Le 26 janvier 2021, le Procureur a prévenu A______ d'infractions aux art. 19 al. 1 et 2 LStup et 115 al. 1 let. a et b LEI, de faux dans les certificats étrangers (art. 252 cum 255 CP) pour avoir, en particulier, depuis une date à déterminer, à tout le moins en 2019, participé, notamment à Genève, à un important trafic de produits stupéfiants, portant sur plusieurs centaines de grammes de cocaïne, en détenant et transportant cette drogue, respectivement en fournissant celle-ci à des tiers, actifs sur le marché local (vendeurs).

Le prévenu a déclaré que, de 2017 à novembre 2020, il se trouvait en Espagne et habitait depuis à I______ [France]; il n'avait ainsi pas participé à un trafic de stupéfiants. La drogue saisie était destinée à sa consommation et celle des huit membres de son groupe de musique; il l'achetait, prête à la consommation, à un dénommé "J______". Il ne portait pas le surnom de "H______". Il a refusé de communiquer le nom de son employeur en France. Les trois téléphones portables lui appartenaient; il utilisait un téléphone portable [de la marque] K______ avec la carte Sim d'un ami, dont il ne voulait pas donner l'identité, depuis le 9 février 2021, un [téléphone portable de la marque] L______ pour le WiFi et n'utilisait plus un second L______ depuis février 2019.

Il avait quitté la Suisse en 2017, à la suite du refus de sa demande d'asile, pour l'Espagne, pays qui avait également refusé de le lui octroyer; il avait fait faire les cartes d'identité en Espagne pour passer les frontières.Lors des audiences des 26 février et 9 avril 2021, D______ a déclaré qu'un ami, surnommé "M______" qui habitait Genève, lui avait envoyé A______ pour l'aider à trouver du travail auprès de son employeur; ils s'étaient vus à deux reprises à ce sujet, [au centre commercial] N______; la seconde fois, A______ était venu avec son CV et une photocopie de sa pièce d'identité (un permis de séjour français); il lui avait dit qu'il ne pouvait pas lui trouver de travail sans passeport européen. Son épouse ne connaissait pas A______. Ce dernier ne lui avait jamais remis d'argent et il ne lui en avait pas non plus remis; ils ne s'étaient pas rendus dans un bureau de change.

A______ a déclaré qu'ils s'étaient vus à N______; il s'était rendu au bureau de change; il avait EUR 300.- et non EUR 8'000.-. Il ne connaissait pas "M______" (sic).

Le Procureur a informé les deux prévenus que diverses mesures secrètes avaient été ordonnées dans la P/1______/2020, P/2______/2020 et la P/3______/20.

Ainsi, le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après, TMC) avait autorisé, en substance, dans la P/1______/2020:

-          la surveillance active du raccordement téléphonique 4______ utilisé par D______ du 17 septembre 2020 au 14 janvier 2021 et la surveillance rétroactive de ce raccordement du 20 mai au 19 novembre 2020;

-          la surveillance rétroactive du raccordement téléphonique 5______, utilisé par un complice présumé de D______, du 7 mai au 6 novembre 2020;

-          la surveillance active du raccordement téléphonique 6______, utilisé par A______, du 27 novembre 2020 au 27 janvier 2021, la surveillance rétroactive de ce raccordement du 20 mai au 19 novembre 2020 ainsi que la surveillance active du raccordement 7______, également utilisé par le précité, du 13 novembre 2020 au 27 janvier 2021;

-          la surveillance active du raccordement téléphonique 8______, utilisé par un complice présumé de D______, surnommé "O______", du 8 janvier au 8 mars 2021.

Dans la procédure P/2______/2020, le TMC avait autorisé la pose d'une balise sur le véhicule E______ de D______ du 24 août 2020 au 26 février 2021 et d'un dispositif de sonorisation, sur le même véhicule, du 31 août 2020 au 26 février 2021.

Dans la procédure P/3______/2020, le TMC avait autorisé la pose de caméras dans les étages supérieurs de l'allée de l'immeuble sis au 9______, du 13 novembre 2020 au 8 mars 2021.

Les prévenus, informés des voies de recours contre ces décisions, n'ont pas saisi la Chambre de céans.

f. Par ordonnances du 20 avril 2021, le Procureur a joint, à la P/21003/2020, la procédure dans laquelle P______est prévenu d'infractionsl'art. 19 al. 1 let. d LStup, rupture de ban (art. 291 CP), faux dans les certificats (art. 252 CP) et infractions aux art. 90 al. 1 et 95 al. 1 LCR et celle dans laquelle Q______ est prévenu d'infractions aux art. 291 CP, 115 LEI, 286 CP ainsi qu'aux art. 19 al. 1 et 2 et 19a LStup.

g. Le 4 mai 2021, le Ministère public a rendu la décison querellée.

h. Le 11 mai 2021, le TMC a autorisé l'exploitation à l'encontre de D______, A______, Q______ et P______ des résultats des données recueillies au moyen des mesures de surveillances secrètes et des mesures de surveillance active et rétroactive des télécommunications recueillies dans les procédures P/1______/2020, P/2______/2020 et P/3______/2020.

i. Le Procureur a ensuite tenu les audiences suivantes:

o  le 20 avril 2021, confrontation de D______, A______, Q______ et P______; audition d'une personne appelée à donner des renseignements;

o  le 25 mai 2021, audition d'un témoin;

o  le 7 (ou 8) juin 2021, confrontation des quatre prévenus;

o  le 18 (ou 17) juin 2021, audience portant sur l'analyse de messages vocaux entre D______ et Q______ et d'une conversation entre le premier cité et A______ dans la E______, le 13 octobre 2020.

A______ a déclaré être monté dans la voiture pour demander du travail. "M______", l'ami de D______ qui était en France, lui avait dit que ce dernier allait lui remettre de l'argent (2'700.-) pour son compte. Ce jour-là, il n'avait pas remis son CV et ses papiers d'identité à D______ et, par la suite, "M______" lui avait dit qu'il transmettrait ces documents par email au précité, mais le patron avait dit vouloir la photo en format papier. Il avait revu D______, une seconde fois, pour la confirmation de son travail. Dans la voiture, il y avait également une femme et un enfant.

Les deux prévenus ont déclaré ne pas connaître R______, dont la photographie leur a été soumise, et qui était soupçonné d'être "M______";

o  le 8 juillet 2021, audience portant sur des conversations entre D______ et Q______ et des messages entre le premier cité et R______; A______ a déclaré que ce dernier était l'ami de "M______" et le cousin de D______;

o  les 26 juillet, 8 et 20 septembre 2021, audiences portant sur des conversations entre D______ et Q______ P______;

o  le 18 octobre 2021, mise en prévention de G______, compagne de D______, pour infraction à l'art. 19 LStup et confrontation avec les autres prévenus;

o  le 18 novembre 2021, audience portant sur des conversations et messages entre D______ A______ et S______;

o  le 2 décembre 2021, audience portant sur des conversations tenues par P______.

i. L'audience du 1er octobre 2021 a porté, en particulier, sur des conversations entre D______ et A______.

Confronté à celle du 31 octobre 2020, D______ a fini par admettre que A______ était impliqué dans le trafic de drogue avec R______, alias "R______", et lui-même. A______ avait transporté 250 grammes de drogue de France à Genève pour le compte de ce dernier.

A______ a alors déclaré, après avoir jusque là contesté toute implication dans le trafic de stupéfiants, avoir reçu quelque chose, qui ressemblait à une balle de ping-pong, d'un poids de 50 grammes, qu'il avait remise à D______, lequel a réaffirmé qu'il s'agissait de 250 grammes. A______ a confirmé qu'il savait que les CHF 8'000.-, qu'il avait comptés le 31 octobre 2020, avec D______, dans la E______, provenaient du trafic de drogue.

Tous deux ont été prévenus complémentairement de blanchiment d'argent pour avoir changé cette somme en euro, le 31 octobre 2020.

k. Le 19 novembre 2021, le Procureur a donné accès aux parties au rapport de renseignements du 10 mars 2021.

C.                a. Dans sa décision querellée, le Ministère public relève que les mesures de surveillance secrètes précitées avaient fait l'objet des rapports de police des 10 février, 10 mars et 23 avril 2021. Vu les nombreux faits, conversations téléphoniques et autres messages vocaux à instruire et du nombre de prévenus détenus, d'autres audiences¸ que celles déjà prévues jusqu'à juillet 2021, devraient être convoquées de sorte que l'administration des preuves principales, au sens de l'art. 101 al. 1 CPP, n'était pas achevée et qu'il se justifiait de ne pas autoriser les prévenus à consulter lesdits rapports de police ni leurs annexes, avant les audiences prévues et à convoquer en lien avec ces mêmes rapports.

Il rappelle que les prévenus contestaient toute implication dans l'important trafic de cocaïne et que les autoriser à avoir accès aux rapports avant les audiences nécessaires pour établir l'éventuelle ampleur de leur activité délictuelle, reviendrait à leur permettre de préparer à l'avance leurs réponses en lien avec les contenus des messages. Cela étant, les prévenus étaient en mesure d'invoquer leur droit au silence.

D.                a. À l'appui de son recours A______ allègue que le refus de la consultation complète du dossier de la procédure violait son droit d'être entendu au sens des art. 29 Cst, 101, 102, 107 et 108 CPP ainsi que le principe de proportionnalité et d'opportunité. Les preuves principales avaient été administrées; plusieurs témoins et personnes appelées à donner des renseignements avaient été auditionnées et les perquisitions exécutées. Lui-même avait été entendu à cinq reprises sur les charges retenues contre lui et trois audiences de confrontations avaient eu lieu. Aucune des preuves administrées n'avait permis d'établir, ou laisser penser, qu'il serait mêlé à un important trafic de stupéfiants; il était dès lors contraire au droit de lui refuser l'accès complet au dossier. Aucun intérêt public ou privé prépondérant ne justifiait le maintien du secret autour desdits rapports de police. La motivation du Ministère public reposait sur le fait que les prévenus pourraient préparer à l'avance leurs réponses en fonction du contenu des messages; or, il ne s'agirait que de son droit de mettre en place une stratégie procédurale. En outre, les prévenus seraient également en droit de se taire durant l'entier des écoutes prévues, et de ne se prononcer à leur égard qu'ultérieurement.

Les restrictions du droit d'être entendu devaient être appliquées avec retenue et dans le respect du principe de la proportionnalité. Rien ne permettait d'établir de manière concrète, et non abstraite, que l'accès au dossier serait susceptible de compromettre l'instruction de la procédure dans une mesure sortant de l'ordinaire.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours. Il se déclare incapable de préciser le nombre d'audiences nécessaires pour instruire les mesures secrètes ordonnées. Le bon déroulement de l'instruction permettait, en lien avec l'art. 108 al. 1 CPP, de fonder une restriction d'accès au dossier au motif qu'existait de bonnes raisons de soupçonner qu'une partie abuse de ses droits, soit qu'elle utilise son droit de consulter le dossier pour un objectif étranger à la préparation et à l'organisation de sa défense; tel était le cas


lorsque la consultation du dossier comportait un risque de compromettre concrètement la recherche de la vérité, d'orienter des participants à des procédures civiles ou pénales parallèles, d'instrumentaliser des témoins ou la procédure, voire de perturber le travail des autorités de poursuite pénale, notions qui correspondent au "danger concret de collusion".

c. Le recourant n'a pas répliqué.

EN DROIT :

1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 102 al. 1 et 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du prévenu qui, en tant que partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2. Le recourant estime avoir droit de prendre connaissance de l'intégralité du dossier.

2.1. L'art. 101 al. 1 CPP permet aux parties, sous réserve de l'art. 108 CPP, de consulter le dossier de la procédure dès la première audition du prévenu et l'administration des preuves principales par le Ministère public. Il s'agit de conditions cumulatives (arrêt du Tribunal fédéral 1B_667/2011 du 7 février 2012 consid. 1.2).

La manifestation de la vérité et le bon déroulement de l'enquête sont des intérêts publics prépondérants, qui ont amené le législateur à clairement refuser de reconnaître de manière générale au prévenu un droit de consulter le dossier dès le début de la procédure. Au contraire, une restriction est admissible pour éviter de mettre en péril la recherche de la vérité matérielle ou d'exposer les éléments de preuve principaux avant terme, ou pour parer au risque de collusion (ATF
137 IV 172 consid. 2.3; M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER, Schweizerische Strafprozessordnung / Schweizerische Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 2ème éd., Bâle 2014, n. 14 ad art. 101 CPP).

La première audition peut s'étendre à plusieurs audiences si, en raison de la richesse factuelle de la cause, celles-ci sont nécessaires afin que le prévenu puisse se prononcer sur l'ensemble des charges retenues. En d'autres termes, les audiences subséquentes ne peuvent être assimilées à une première audition que si elles servent à entendre le prévenu pour la première fois sur des faits relevant de sa mise en prévention (M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER, Schweizerische Strafprozessordnung / Schweizerische Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, Bâle 2014, n. 14 ad art. 101).

La seconde condition cumulative est l’administration des preuves principales par le ministère public. Cette notion indéterminée doit être interprétée au cas par cas et de manière restrictive, afin que les parties puissent disposer le plus rapidement possible de l’accès au dossier. Les preuves principales au sens de l'art. 101 CPP sont des moyens de preuve sans l'administration desquels la vérité matérielle ne peut pas être établie ou la procédure ne peut pas être close par une mise en accusation, un non-lieu ou une ordonnance pénale. Comme principales preuves, on peut également citer la réalisation de perquisitions et de saisies, l'édition de documents bancaires, l'obtention de rapports de police scientifique et d'expertises médico-légales. L'établissement des preuves les plus importantes peut également comprendre la première présentation des résultats déterminants des preuves ou des preuves recueillies (A. DONATSCH / V. LIEBER / S. SUMMERS / W. WOHLERS (éds), Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung (StPO), 3e éd., Zürich 2020, n. 5 ad art. 101; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 4b ad art. 101).

Il est évident que les avis sur le moment où la condition de l'existence des preuves les plus importantes est remplie divergent en fonction des intérêts en présence, notamment du ministère public et de la défense. Le moment où les preuves les plus importantes sont réunies s'apprécie en fonction de l'objet et notamment de la complexité de l'enquête pénale concrètement en cours. En particulier dans le cas de procédures de grande ampleur, l'administration des preuves les plus importantes peut prendre un certain temps, par exemple lorsque de volumineux fichiers électroniques (de téléphones portables) doivent d'abord être analysés, traduits et conservés. Des raisons pratiques, telles que le fait que l'autorité n'a pas encore pu analyser des dossiers consultés pour des raisons de temps, peuvent également s'opposer à une consultation immédiate du dossier. Un refus total de consultation sous prétexte que tous les moyens de preuve importants n'ont pas encore été recueillis pourrait violer le principe de la proportionnalité. Dans de tels cas, il convient d'examiner la possibilité d'autoriser la consultation d'une partie du dossier (A. DONATSCH / V. LIEBER / S. SUMMERS / W. WOHLERS (éds), op. cit., n. 6 ad art. 101).

2.2. Le Tribunal fédéral a déclaré compatible avec l'art. 101 al. 1 CPP le refus d'autoriser l'accès au dossier, au motif qu'une confrontation entre trois prévenus, déjà entendus une première fois par le Ministère public, n'avait pas pu avoir lieu et qu'une telle confrontation était, selon le Ministère public, indispensable, compte tenu des "contradictions majeures" entre les déclarations des intéressés et les pièces essentielles du dossier, une connaissance de celles-ci étant susceptible de mettre en danger la découverte de la vérité. Notre Haute Cour a admis que cette appréciation du ministère public était conforme à la pratique qui prévalait sous l'empire des anciennes lois de procédure ayant inspiré l'art. 101 al. 1 CPP, qui n'admettaient la consultation du dossier qu'à la condition que l'instruction n'en soit pas compromise et que, dans le cas de la procédure qui lui était soumise, la découverte de la vérité pourrait en effet être compromise si les prévenus étaient en mesure d'adapter leurs déclarations en fonction des éléments du dossier, notamment pour corriger les contradictions relevées par le ministère public (arrêt du Tribunal fédéral 1B_597/2011 du 7 février 2012 consid. 2.2 in SJ 2012 I 215 et le références citées).

Dans ce même arrêt, les juges fédéraux ont rappelé que la formulation ouverte de l'art. 101 al. 1 CPP conférait à la direction de la procédure un certain pouvoir d'appréciation qu'il convenait, en principe, de respecter (ATF 137 IV 280 consid. 2.3), précisant que l'autorité compétente ne saurait cependant différer indéfiniment la consultation du dossier en se fondant sur cette disposition, mais qu'elle devait établir que l'accès au dossier était susceptible de compromettre l'instruction et exposer les "preuves importantes" qui devaient être administrées auparavant. C'est ainsi que, dans un arrêt du 24 mai 2012 (BB.2012.27, consid. 2.3), le Tribunal pénal fédéral a jugé que l'intérêt de l'enquête pouvait amener à opposer des éléments du dossier à une partie pour la première fois lors de son audition, le risque de collusion étant ici à fonder dans la possibilité qu'aurait la personne entendue, si elle connaissait d'avance tout ou partie du contenu de sa future audition, de faire des déclarations différentes de celles qu'elle effectuerait spontanément (cf. ACPR/409/2012 du 1er octobre 2012). En revanche, la simple éventualité que "les intérêts de la procédure soient (abstraitement) mis en péril" par un comportement régulier relevant de la tactique procédurale ne suffisait pas (ATF 139 IV 25 consid. 5.5.4.1).

Cela étant, si les preuves principales peuvent être administrées sans limitation dans le temps dans un certain nombre de cas, par exemple, lors de la découverte, en cours de procédure, de témoins, dont l'audition, voire la confrontation avec le ou les prévenus ainsi qu'avec d'autres témoins, s'avère nécessaire à la recherche de la vérité matérielle – qui est le but de toute procédure pénale (art. 6 CPP ; FF 2006 1105) –, il convient de ne pas perdre de vue que les parties à la procédure, en particulier le prévenu, ont le droit, à teneur de l'art. 101 al. 1 CPP, de consulter le dossier dès que ledit prévenu a été entendu par le ministère public et dès l'achèvement de l'administration des preuves principales et, qu'en matière de détention, le principe de célérité, prévu à l'art. 5 al. 2 CPP, s'applique tout particulièrement. L'administration des preuves principales par le ministère public doit ainsi être effectuée aussi rapidement que le permet le bon déroulement de l'instruction (ACRP/295/2011 du 18 octobre 2011).

2.3. En application de l’art. 108 al. 1 let. a CPP, le ministère public peut restreindre le droit d’être entendu d’une partie et, partant, son droit de consulter le dossier pénal «lorsqu’il y a de bonnes raisons de soupçonner que cette partie abuse de ses droits». Tel est le cas lorsqu’une partie fait usage de son droit de consulter le dossier à des fins étrangères à celles pour lequel ce droit est prévu. Selon la doctrine, c’est notamment le cas lorsque la consultation du dossier comporte un risque d'empêcher la manifestation de la vérité, par exemple en distrayant ou en détruisant des moyens de preuve, d’orienter des participants à des procédures civiles ou pénales parallèles, d’instrumentaliser des témoins ou la procédure, voire de perturber le travail des autorités de poursuite pénale, notions qui correspondent, en somme au "danger concret de collusion" mentionné dans les travaux préparatoires (J.-P. GRETER / F. GISLER, Le moment de la consultation du dossier pénal et les restrictions temporaires à son accès, forumpoenale 5/2013 p. 304 et suivante).

2.3. En l'espèce, le recourant est certes détenu depuis le 26 janvier 2021. En tant que tel, l'écoulement du temps depuis le début de la procédure ne suffit toutefois pas à lui conférer un droit illimité à consulter le dossier, dès lors que perdurent les motifs pour lesquels ce droit lui est refusé, notamment le risque de collusion et celui qu'il ne module ses déclarations en fonction des éléments déjà recueillis, au cas où ceux-ci viendraient à être portés à sa connaissance.

Le recourant n'allègue à cet égard pas que le Ministère public manquerait de célérité dans l'instruction de la cause. À juste titre. Les auditions et actes d'enquêtes se sont succédé jusqu'à présent à un rythme soutenu. La prolongation de la procédure est toutefois liée au peu de coopération dont fait preuve le recourant – quand bien même elle résulte de l'exercice d'un droit qui ne saurait lui être dénié –, attitude qui complique nécessairement la tâche du Ministère public, puisque l'avancement de l'enquête repose, en l'état, essentiellement sur une confrontation systématique des preuves recueillies et des déclarations des uns et des autres, et non pas sur la collaboration spontanée de ces derniers.

Contrairement à ce que soutient le recourant, les soupçons pesant sur lui n'ont fait que se renforcer au cours de la procédure. L'exploitation des données obtenues dans le cadre des mesures secrètes ont conduit à ce que le recourant finisse par admettre son implication dans le trafic de stupéfiants.

À teneur de la jurisprudence et de la doctrine sus-énoncées, il ne fait aucun doute que les auditions et confrontations envisagées par le Ministère public, en particulier en rapport avec le contenu des conversations échangées entre les protagonistes poursuivis, relèvent de l'administration des preuves principales dès lors qu'elles semblent mettre en cause le recourant, alors qu'il persistait, jusqu'il y a peu, à nier toute implication dans le trafic de drogue sous enquête. Par contre, contrairement à ce que soutient le Procureur à cet égard, on ne se trouve pas dans un cas d'application de l'art. 108 CPP, aucun abus de droit ne pouvant être retenu à l'encontre du recourant.

Le Procureur a, cependant, clairement indiqué que plusieurs audiences seraient nécessaires pour passer en revue ces transcriptions, et qu'aux fins de favoriser la recherche de la vérité matérielle, il importait de ne dévoiler leur contenu qu'au moment des auditions des prévenus, en raison des importantes contradictions qui résultaient de leurs précédentes déclarations. Malgré la détention des prévenus concernés, le risque de collusion subsiste, les niveaux d'implication et les rôles de chacun des protagonistes devant encore être élucidés.

Par conséquent, les motifs dont se prévaut le Procureur sont suffisants pour justifier la restriction partielle à l’accès au dossier qu’il a prononcée. Cette restriction imposée au recourant est au surplus proportionnée aux objectifs poursuivis par le Ministère public.

En tout état et ainsi que le souligne le recourant, s'il estime ne pas être en mesure de répondre à des questions faute d’accès complet au dossier – cas de figure envisagé par le Tribunal fédéral –, il peut invoquer son droit au silence (ATF 137 IV 172 consid. 2.4 p. 175).

Le recours sera dès lors rejeté.

3. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

4. Il n'y a pas lieu d'indemniser à ce stade le défenseur d'office (cf. art. 135 al. 2 CPP) la procédure n'étant pas terminée.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 900.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/21003/2020

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

815.00

-

CHF

Total

CHF

900.00