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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/10476/2012

ACPR/299/2014 (3) du 18.06.2014 ( MP ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : CONDITION DE RECEVABILITÉ; INTÉRÊT JURIDIQUEMENT PROTÉGÉ; ACTE D'ACCUSATION; ORDONNANCE DE CONDAMNATION; CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE; ÉTAT DE FAIT; COMPLÉMENT; CONNEXITÉ; HOMICIDE
Normes : CPP.9; CPP.324; CPP.329; CPP.333; CPP.344; CP.22; CP.111
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/10476/2012 ACPR/299/2014

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 18 juin 2014

 

Entre

A.______, domicilié______, comparant par Me Robert ASSAEL, avocat, rue de Hesse 8-10, case postale 5715, 1211 Genève 11,

recourant,

 

contre l'ordonnance de classement partiel rendue le 17 avril 2014 par le Ministère public,

 

Et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6b, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565 - 1211 Genève 3,

Intimé.


EN FAIT :

A. Par acte déposé au greffe de la Chambre de céans le 5 mai 2014, A.______ recourt contre l'ordonnance de classement partiel rendue par le Ministère public, le 17 avril 2014, notifiée le 23 suivant, dans la cause P/10476/2012, par laquelle cette autorité a classé partiellement la procédure à l'égard de B.______ s'agissant des infractions de tentative de meurtre (art. 22 et 111 CP), de lésions corporelles simples (art. 123 CP) et de voies de fait (art. 126).

Le recourant conclut à l'annulation de l'ordonnance querellée et au renvoi de la procédure au Ministère public afin qu'il renvoie B.______ en jugement pour tentative de meurtre (art. 22 et 111 CP).

B. Les faits pertinents pour l'issue du litige sont les suivants :

a. Le 23 juillet 2012, la police est intervenue au Grand-Lancy et a constaté qu'une altercation avait eu lieu entre B.______, citoyen italien et installateur sanitaire, né en 1968, d'une part, et, d'autre part, C.______, l'ex-compagne du susnommé, et A.______, le compagnon de celle-ci.

Selon un témoin présent sur les lieux, qui n'avait pas vu toute la scène, un échange d'insultes et de menaces avait eu lieu, puis la femme avait reçu un projectile en porcelaine à la tête. L'un des hommes avait poursuivi l'autre, qui s'éloignait en courant. Le témoin susmentionné avait porté secours à la femme qui se plaignait de brûlures aux yeux et sur le corps, brûlures causées vraisemblablement par un liquide brunâtre contenu dans le récipient en porcelaine susmentionné. Un des hommes était revenu et avait menacé la femme au moyen d'un couteau, avant de lui donner un coup de pied et de lui dire « je t'aurai ».

Deux véhicules avaient été endommagés.

B.______ a été interpellé dans son appartement.

Un peu plus tard, la centrale avait annoncé la découverte d'une personne brûlée à l'acide : les policiers en avaient déduit qu'il s'agissait de A.______.

b. Entendu par la police le 24 juillet 2012, B.______ a expliqué avoir échangé, peu avant les faits du jour précédent, des sms et des appels de provocation et d'insultes avec A.______. Les messages de ce dernier disaient, notamment, qu'il allait se rendre chez lui pour venir lui « casser la gueule ». Il avait alors bu une tasse de whisky, puis était descendu attendre A.______. Comme il ne venait pas, il était remonté dans son appartement. Il avait alors reçu un dernier sms du susnommé lui disant qu'il l'attendait.

« C'est alors que tout s'est embrouillé dans ma tête. J'ai pris un couteau de cuisine. Il s'agissait d'un couteau à manche noir et à longue lame, du style couteau à fruits ou à poisson. Je l'ai mis dans la poche avant gauche du pantalon que je porte encore sur moi. Il y avait aussi de l’acide, que j'utilise pour déboucher les éviers. […] J'ai alors rempli le fond de ma tasse à whisky avec ce liquide. Je me souviens que j'étais dans un état d'angoisse très profond. Je n'étais plus moi-même. J'ai fait une prière et je suis descendu avec le couteau dans ma poche et la tasse d'acide dans ma main droite, couverte par un chiffon.[…] »

Il avait marché tout droit sur A.______ et avait jeté l'acide dans sa direction, sans viser son ex-compagne, C.______. Puis, il avait lancé la tasse à la tête de cette dernière.

« J'ai alors sorti le couteau de ma poche pour impressionner A.______. J'ai marché derrière lui sur une centaine de mètres […]. »

c. Le même jour, A.______ et C.______ ont été entendus par la police.

Le premier a déclaré qu'après avoir reçu le jet d'acide projeté par B.______ - qui l'avait brûlé aux yeux notamment -, celui-ci avait sorti un couteau et s'était dirigé vers lui en criant qu'il allait le planter. Il était parti en courant et s'était caché entre deux voitures. Son agresseur ne l'avait pas rejoint.

La seconde a indiqué avoir reçu elle aussi de l'acide, puis aperçu B.______ courir avec un couteau derrière A.______ qui s'enfuyait. Elle les avait ensuite perdus de vue.

d. Les 24 et 25 juillet 2012, une instruction pénale a été ouverte contre B.______ pour lésions corporelles graves (art. 122 CP) et lésions corporelles simples (art. 123 CP), pour avoir jeté de l'acide sulfurique au visage et sur le corps de C.______ et au visage de A.______, le touchant aux yeux de sorte qu'il pourrait perdre la vue, et pour avoir lacéré le t-shirt de la susnommée avec un couteau, lui causant des coupures superficielles sur le torse, ainsi que pour des menaces (art. 180 CP) pour avoir poursuivi A.______ en criant qu'il allait le planter.

e. Le même jour la police a entendu D.______, éducatrice agissant sous mandat du Service de protection des mineurs dans le contexte familial de B.______ et de son fils.

Elle a indiqué avoir reçu le message suivant de B.______ sur sa boîte vocale le jour des faits : « Bonjour, c'est Monsieur B.______, ils ont réussi à me faire péter un plomb, je les ai assommés tous les deux, E.______ [son fils] serait tout seul chez sa mère, la police va venir me rechercher ».

f. Entendu par le Ministère public, le 30 juillet 2012, B.______ a fait la déclaration suivante en rapport avec les instants précédant immédiatement les faits : « J'ai alors eu un gros trou noir dans ma tête, j'ai pris un couteau et rempli le fond de ma tasse avec de l'acide (2 doigts, soit environ un demi-décilitre). Je ne savais pas si j'allais l'utiliser ou seulement leur faire peur, toutefois lorsque je l'ai vu face-à-face, ma tête a explosé et j'ai fait un geste pour lui jeter le produit sans toutefois viser le torse ou la tête. […] Après avoir aspergé A.______, puis lancé la tasse sur C.______, j'ai sorti le couteau de ma poche et menacé A.______ en lui disant que s'il voulait en arriver là, il avait gagné. Il est alors parti en courant et je l'ai suivi en marchant sur une centaine de mètres. Je me suis arrêté en réalisant que j'avais fait « une grosse merde ».

g. Le 10 août 2012, F.______, employée à la Fondations des services d'aide et de soins à domicile (ci-après, FSASD) a été entendue par la police.

Elle s'occupait de la centrale téléphonique de la FSASD le 23 juillet 2012. Ce jour-là, elle avait reçu un appel d'un homme inconnu qui disait avoir cherché à atteindre le SPMi et s'être fait rediriger sur le numéro de la FSASD, ce qui était effectivement le cas à partir de 17h00 ce jour-là. L'individu avait dit qu'il venait de « massacrer » son ex-femme ainsi que le compagnon de cette dernière et qu'il fallait prendre en charge son fils. La conversation avait été confuse et peu claire.

h. Entendue par le Ministère public le 20 septembre 2012, C.______ a précisé qu'après avoir été aspergée d'acide, elle avait reçu un coup sur la tête et vu la lame d'un couteau briller, avant de tomber au sol. Elle ne se souvenait de rien entre sa chute et l'arrivée de l'ambulance. Elle est revenue sur ses précédentes déclarations à la police : contrairement à ce qu'elle avait indiqué, elle n'avait pas vu B.______ courir après A.______.

i. A.______ a déclaré, lors d'une audience devant le Ministère public le 10 octobre 2012, qu'il avait été poursuivi sur quelques mètres par B.______ qui tenait un couteau.

À cette occasion, B.______ a évoqué avoir été menaçant envers A.______ à une reprise par le passé, lorsque ce dernier et C.______ étaient venus à son domicile donner des coups de pied dans sa porte en juin 2011. Il avait dit qu'il « le planterait » s'il n'arrêtait pas, mais avait ajouté, selon un rapport de police du 19 octobre 2011 produit à l'audience, que ces paroles étaient dites « en l'air », sous le coup de la colère et qu'il ne ferait jamais cela.

j. Le 31 octobre 2012, un rapport d'expertise médicale a été rendu par le Dr G.______, psychiatre et psychothérapeute, concernant B.______.

Le diagnostic posé est celui d'une anxiété généralisée, de trouble explosif intermittent, de troubles mentaux et troubles du comportement liés à l'utilisation d'opiacés, syndrome de dépendance, actuellement abstinent.

k. Lors d'une audience de confrontation du 23 janvier 2013, A.______ a déclaré que B.______ l'avait poursuivi avec le couteau, qu'il était à deux ou trois mètres de lui, mais qu'il ne se rappelait plus s'il marchait ou s'il courait. Il imaginait que, si B.______ l'avait voulu, il aurait pu le tuer.

B.______ a, quant à lui, indiqué que s'il avait suivi A.______ avec le couteau sur une cinquantaine de mètres, c'était pour l'impressionner. Il a précisé qu'il aurait pu facilement le rattraper s'il l'avait voulu. Il avait eu le sentiment que A.______ venait pour « lui régler son compte, c'est-à-dire lui casser la gueule voire pire ». Il le craignait parce qu'il l'avait déjà menacé par le passé.

l. Le 9 octobre 2013, le Dr G.______ a été auditionné par le Ministère public.

Le médecin a alors déclaré : « Sur question de Me SANTONINO, lorsque j'explique que B.______ a été emporté par son élan, je veux dire qu'il a été soumis à un stress chronique, qu'il ne voyait plus d'issue, ce qui a dû l'amener à la conclusion qu'il devait se « débarrasser » de ses deux contradicteurs. […] Lorsque je parle de « volonté de se débarrasser », il faut bien entendre l'intention de tuer, étant précisé que c'était surtout destiné à A.______ et non à C.______. S'il s'en est pris à elle, c'est parce qu'elle était présente. Il n'avait aucune intention homicide envers elle. Vous me demandez si B.______ a exprimé une intention de tuer A.______ ou C.______. Je vous réponds que non, il s'agit d'une extrapolation de ma part des termes qu'il a utilisés, à savoir « se débarrasser de ». De plus, je précise qu'une volonté homicide n'était pas pertinente dans mon analyse eu égard au risque de récidive. Sur question de Me HESS, je répète que B.______ m'a dit qu'il n'avait pas l'intention de tuer A.______, mais voulait s'en débarrasser. Sur le moment je l'ai compris comme une volonté de se débarrasser non seulement de la situation, mais également des personnes. Sur question de Me SANTONINO, j'ai compris les termes « se débarrasser de » comme « mettre fin à leur vie ». Je précise bien qu'il s'agit de mon interprétation, mais qu'il y en a d'autres possibles. »

m. Le 25 novembre 2013, A.______ a sollicité la mise en prévention de B.______ pour tentative de meurtre.

Il s'est fondé sur les dépositions déjà résumées ci-dessus.

n. Lors de l'audience finale du 19 mars 2014, le Ministère public a annoncé qu'il allait renvoyer le prévenu en jugement pour lésions corporelles graves (art. 122 CP), menaces (art. 180 CP) et dommages à la propriété (art. 144 CP). La mise en prévention complémentaire demandée par A.______ pour tentative de meurtre était écartée.

C. À teneur de la décision querellée, après un rappel des faits reprochés, l'infraction de tentative de meurtre (art. 22 et 111 CP) n'était à l'évidence pas réalisée, en l'absence d'intention homicide. En effet, aucune déclaration ou témoignage recueilli ne permettait d'inférer que B.______ avait l'intention de tuer A.______ en le poursuivant. Au demeurant, si tel avait été sa volonté, force était d'admettre qu'il aurait facilement pu mettre ses menaces à exécution. En se trouvant seulement à quelques mètres de la victime, aveuglée par l'acide, il aurait tôt fait de la rattraper et de la poignarder, ce qui n'a pas été le cas. Enfin, les extrapolations de l'expert en audience, alors même que son rapport d'expertise est muet sur ce point, ne sauraient constituer une prévention pénale suffisante. Ce complexe de fait était donc appréhendé sous la qualification de menaces (art. 180 CP).

D. a. À teneur du recours, A.______, après un exposé des faits pertinents, a considéré son recours recevable, car dirigé contre une décision attaquable du Ministère public.

Au fond, il a contesté l'affirmation du Ministère public selon lequel il n'existait pas d'intention homicide, car il aurait prétendument été facile au prévenu de la mettre à exécution s'il en avait eu une. Un tel raisonnement vidait de sa substance l'art. 23 CP.

Il existait des indices permettant d'inférer une intention de tuer, soit des menaces passées et le couteau dégainé au moment des faits. Le prévenu avait en outre fait part de sa volonté de « se débarrasser » du recourant.

b. La cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter, sans échange d'écritures, ni débats, les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 CPP a contrario).

Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

2. La première question à examiner au titre de la recevabilité consiste à déterminer si l'acte querellé est sujet à recours (art. 393 CPP).

2.1. Une infraction ne peut faire l'objet d'un jugement que si le ministère public a déposé auprès du tribunal compétent un acte d'accusation dirigé contre une personne déterminée sur la base de faits précisément décrits (art. 9 al. 1 CPP).

Selon l'art. 324 al. 2 CPP, l'acte d'accusation n'est pas sujet à recours.

Certains codes de procédure pénale cantonaux prévoyaient que la mise en accusation était attaquable alors que d’autres excluaient une telle possibilité. Les experts participant à l'unification de la procédure pénale en Suisse entendaient que la mise en accusation soit sujette à recours. Si l’art. 324 al. 2 CPP exclut cette possibilité, c’est notamment par respect de la maxime de célérité. Cette renonciation se justifie parce que, selon l’art. 329 al. 1 let. a CPP, la direction de la procédure du tribunal saisi est tenue de procéder à un examen provisoire de l’acte d’accusation dès réception de celui-ci ainsi que du dossier qui l’accompagne, afin de déterminer si l’acte d’accusation et le dossier ont été établis régulièrement. Au demeurant, c’est la tâche même du tribunal chargé de juger au fond de déterminer si les accusations portées contre le prévenu l’ont été à bon droit (Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale (CPP) du 21 décembre 2005, FF 2006 1258).

L'acte d'accusation doit, notamment, désigner les actes reprochés au prévenu, le lieu, la date et l'heure de leur commission ainsi que leurs conséquences et le mode de procéder de l'auteur (art. 325 al. 1 let. f CPP), les infractions réalisées et les dispositions légales applicables de l'avis du ministère public (let. g).

2.2. À teneur de l'art. 329 CPP, la direction de la procédure examine prima facie l'acte d'accusation (al. 1). Le tribunal décide ensuite s'il estime nécessaire de renvoyer l'accusation au ministère public pour qu'il la complète ou la corrige (al. 2), voire de suspendre ou de classer tout ou partie de la procédure (al. 3 à 5).

L'art. 333 al. 1 CPP prévoit que le tribunal donne au ministère public la possibilité de modifier l'acte d'accusation, lorsqu'il estime que les faits exposés dans celui-ci pourraient réunir les éléments constitutifs d'une autre infraction, mais qu'il ne répond pas aux exigences légales. Dans ce cadre, le Message du Conseil fédéral relatif à l'unification du droit de la procédure pénale (CPP) du 21 décembre 2005 donne comme exemple le cas du prévenu accusé d’abus de confiance qualifié. Le tribunal peut être d’avis que le comportement incriminé pourrait aussi être qualifié juridiquement d’escroquerie. Il est donc compréhensible que l’acte d’accusation ne décrive, par exemple, pas par quel comportement le prévenu a agi dolosivement. Il manque ainsi un élément factuel nécessaire pour permettre au tribunal de qualifier juridiquement le comportement d’escroquerie. En pareille situation, l’al. 1 permet au tribunal d’inviter le ministère public à modifier son acte d’accusation. Il lui impartit un délai à cet effet. Toutefois, le ministère public n’est pas tenu de modifier son acte d’accusation (FF 2006 1263 et 1264).

Enfin, lorsque le tribunal entend s'écarter de l'appréciation juridique que porte le ministère public sur l'état de fait dans l'acte d'accusation, il en informe les parties présentes et les invite à se prononcer (art 344 CPP). Dans cette situation, les faits, tels qu'ils sont présentés dans le texte de l'acte d'accusation, forment les éléments constitutifs objectifs et subjectifs de plusieurs infractions. La doctrine cite par exemple le cas du vol contenu dans l'infraction de brigandage ou la commission à titre de complice contenue dans celle d'auteur principal (M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER, Schweizerische Strafprozessordnung / Schweizerische Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, Bâle 2011, n. 5 ad art. 344).

Tant dans le cas de l'art. 333 CPP que dans celui de l'art. 344 CPP, le tribunal souhaite s'écarter du contenu de l'acte d'accusation. Dans la première hypothèse, c'est la partie factuelle qui ne correspond pas à l'appréciation qu'il s'est fait de l'affaire : un renvoi devant le ministère public de l'acte d'accusation s'impose; dans la seconde, c'est la partie juridique, un tel renvoi n'est pas nécessaire.

Toutefois, selon la doctrine, le tribunal du fond est en principe lié par le complexe de faits (« Lebensvorgang »), c'est-à-dire par le « thème » du procès, ce conformément à la maxime d'accusation. Les compléments de l'acte d'accusation doivent donc se situer dans le cadre fixé par le complexe de faits qu'il décrit (A. DONATSCH / T. HANSJAKOB / V. LIEBER (éds), Kommentar zur Schweizerischen Strafprozessordnung (StPO), Zurich 2010, n. 3 ad art. 333). En d'autres termes, il arrive que la maxime d'accusation se heurte à d'autres principes cardinaux de la procédure pénale, tels que le principe de la légalité et le principe de la vérité matérielle. Il en découle que toute adaptation de l'acte d'accusation ne constitue pas une violation du principe d'accusation, y compris lorsque l'acte d'accusation doit être complété par des éléments de faits nouveaux. Cependant, un complément à l'acte d'accusation ne peut se concevoir que si les faits y sont pour l'essentiel ("im Kern") déjà contenus (M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER, op. cit., n. 52 et suivants ad art. 9; ACPR/243/2013 du 31 mai 2013).

2.3. Lorsque le ministère public estime que seule une partie des faits présente une prévention suffisante d'infraction et rend une ordonnance pénale pour ces derniers, cela implique, pour les autres faits, pour lesquels les charges sont insuffisantes, que l'ordonnance pénale vaut alors classement partiel implicite. Dès lors que le classement doit faire l'objet d'un prononcé séparé, écrit et motivé, il ne saurait être glissé et mélangé au contenu d'une ordonnance pénale. La voie de l'opposition est ouverte à la partie plaignante contre l'ordonnance pénale lorsqu'elle dispose d'un intérêt juridique à faire prévaloir une qualification juridique plutôt qu'une autre par rapport à un état de fait non contesté. Contre le classement, implicite ou explicite, c'est la voie du recours qui est ouverte. De surcroît, la voie de l'opposition aurait pour effet de renvoyer le prévenu devant le tribunal de première instance sans qu'il existât un acte d'accusation complet, le prévenu se voyant alors reprocher des faits non retenus pour lesquels le classement implicite a été prononcé. Cette situation pourrait rendre confus ce qui est exactement reproché au prévenu (ATF 138 IV 241 consid. 2.4 à 2.6 p. 244 et suivantes).

2.4. La qualité de prévenu s’acquiert moins par un acte formel que par le simple fait qu’une procédure est ouverte contre une personne soupçonnée; une ordonnance d’ouverture d’instruction, au sens de l’art. 309 al. 3 CPP, suffit à cet égard (Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale (CPP) du 21 décembre 2005, FF 2006 1247; ACPR/364/2011 du 8 décembre 2011; ACPR/56/2012 du 10 février 2012), sans que soit nécessaire une « mise en prévention » ou une notification des charges (ACPR/230/2011 du 31 août 2011; ACPR/358/2011 du 2 décembre 2011; ACRP/56/2012 du 10 février 2012 ; ACPR/182/2012 du 2 mai 2012). Cette ordonnance a une portée purement interne (Message, loc. cit.) et revêt un caractère déclaratoire (N. SCHMID, Handbuch des schweizerischen Strafprozessrechts, Zurich 2009, n. 1227); elle sert notamment à fixer à partir de quand la police est dessaisie du dossier (A. KUHN / Y. JEANNERET (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, Bâle 2011, n. 32 ad art. 310) et ne pourra plus agir que sur délégation du ministère public (J. PITTELOUD, Code de procédure pénale suisse - Commentaire à l'usage des praticiens, Zurich/St-Gall 2012, n. 759).

Par ailleurs, une extension de l’instruction, au sens de l’art. 311 al. 2 CPP, n’est pas nécessaire à la poursuite de simples infractions connexes (« Nebendelikte »; N. SCHMID, op. cit.. n. 6 ad art. 311). Si cette souplesse semble critiquée sous l’angle du droit d’être entendu, en tant qu’elle conduirait à une poursuite tacite de ces faits-là (« stillschweigender Tatvorwurf »; M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER, ibid., n. 15 ad art. 311), elle n’est pas mise en question lorsque ceux-ci ressortaient déjà des pièces du dossier et n’ont pas dicté en eux-mêmes la prise de mesures de contrainte (Ibid.). Ainsi, lorsque les faits dénoncés procèdent tous d'un même complexe, une extension formelle de l’instruction à d'autres infractions, au sens de l’art. 311 al. 2 CPP, n'apparait alors pas nécessaire. Une requête en ce sens est sans objet, donc irrecevable (ACPR/142/2012 du 10 avril 2012). Au contraire, le recours contre un refus de mettre en prévention pour des faits non connexes doit être traité comme une ordonnance de non-entrée en matière (ACPR/230/2011 précité).

Afin de délimiter les faits connexes de ceux qui ne le sont pas, il convient d'examiner si la requête de la partie plaignante peut être assimilée à une plainte pénale, auquel cas le ministère public doit statuer; dans le cas contraire, une décision formelle n'est pas nécessaire, le requérant ne disposant d'ailleurs d'aucun intérêt juridiquement protégé à recourir (A. KUHN / Y. JEANNERET (éds), op. cit., n. 17 ad art. 311; L. MOREILLON / A. PAREIN-REYMOND, CPP, Code de procédure pénale, Bâle 2013, n. 16 ad art. 311).

3. En l'espèce, le Ministère public a, lors de l'audience du 19 mars 2014, indiqué aux parties qu'il s'apprêtait à renvoyer en jugement le prévenu pour lésions corporelles graves (art. 122 CP), menaces (art. 180 CP) et dommages à la propriété (art. 144 CP). Nonobstant une requête en ce sens du recourant, il a rejeté la prévention de tentative de meurtre (art. 22, 23 et 111 CP). Il a, par ordonnance du 17 avril 2014, prononcé le classement partiel de la procédure s’agissant, notamment, de cette infraction.

Il convient donc de déterminer si la décision du Ministère public de classer une prévention de tentative d'homicide, lorsqu'il renvoie en jugement le prévenu pour des faits immédiatement connexes en les qualifiant de lésions corporelles graves et de menaces, est sujette à recours. En d'autres termes, le Ministère public rend-il une ordonnance sujette à recours lorsqu'il classe une qualification juridique ou des faits complémentaires qui ne ressortent pas de son acte d'accusation, mais qui y sont si étroitement liés qu'ils pourraient être appréhendés par le tribunal de première instance conformément à la loi ?

3.1. En l'occurrence, l'acte d'accusation, au vu de la décision querellée, ne retiendra pas l'intention de tuer. Par conséquent, il est manifeste que le tribunal de première instance saisi ne pourrait pas - au cas où il estimerait, contrairement à l'opinion actuelle du Ministère public, qu'une telle intention existe - requalifier juridiquement les faits, au sens de l'art. 344 CPP, dès lors qu'un des éléments constitutifs de l'homicide ferait défaut dans l'acte d'accusation.

La seule voie qui pourrait donc être empruntée serait celle prévue par l'art. 333 CPP, qui autorise le tribunal de première instance à renvoyer l'acte d'accusation au ministère public si l'état de faits présenté peut remplir les conditions d'une autre infraction, mais qu'il apparaît nécessaire, en vertu du principe d'accusation, de le compléter.

Admettre que le ministère public rende une ordonnance de classement partiel pour tout ce qui n'est pas expressément retenu dans l'acte d'accusation viendrait à priver, d'emblée et définitivement, le tribunal de première instance de la faculté accordée par l'art. 333 CPP, qui deviendrait ainsi lettre morte. En effet, l'entrée en force d'un tel classement interdirait systématiquement la saisine du tribunal et le retour du dossier au ministère public en vertu du principe ne bis in idem. Théoriquement, la partie plaignante pourrait ainsi demander la mise en accusation pour chacune des infractions de la partie spéciale du CP et obtenir à chaque fois une ordonnance de classement partiel attaquable, ce qui n'est pas admissible.

Si l'on reprend l'exemple cité ci-dessus par le Message du Conseil fédéral, des faits initialement qualifiés d'abus de confiance ne pourraient jamais être complétés, sous l'angle de la tromperie astucieuse, pour remplir les éléments constitutifs d'une escroquerie, en raison du classement partiel intervenu à l'endroit des faits non retenus dans l'acte d'accusation.

C'est pourquoi, le prononcé d'un classement partiel, distinct de l'acte d'accusation, ne répond à aucun intérêt juridiquement protégé, lorsque le complexe de faits visé par les deux actes est le même. Même plus, un tel prononcé va à l'encontre de la loi, car il interdit au tribunal de première d'instance d'exercer une compétence qui lui est expressément assurée par le CPP, à savoir de renvoyer l’acte d’accusation au Ministère public pour compléter l’état de fait et pour permettre d'appréhender une infraction qui n'y était pas contenue, et donc exercer une sorte de contrôle juridictionnel sur l'acte d'accusation qui n'incombe pas à la Chambre de céans.

Bien entendu, il en va différemment lorsque deux constellations factuelles distinctes (par exemple un brigandage et un trafic de stupéfiants) sont appréhendées par une même procédure, mais que seule l'une d'entre elles est renvoyée en jugement. Dans ce cas, il est évident que la victime (du brigandage, par exemple), qui ne sera, par hypothèse, pas présente aux débats de première instance en raison du classement de cette partie de la procédure, a un intérêt à obtenir une décision sujette à recours.

3.2. Ainsi que cela ressort de la jurisprudence citée ci-dessus, la raison d'être de l'obligation de rendre une ordonnance de classement partiel, lorsque le ministère public prononce une ordonnance pénale seulement sur une partie des faits instruits, est de permettre à la partie plaignante de se plaindre, indirectement, de l'établissement des faits retenus par l'ordonnance pénale. Il existe donc un certain parallélisme entre le droit d'opposition du prévenu contre l'ordonnance pénale et le droit de recours de la partie plaignante contre l'ordonnance de classement partiel.

Par ailleurs, le recours contre l'ordonnance de classement partiel rendue simultanément à une ordonnance pénale répond à la nécessité d'assurer un contrôle juridictionnel de l'activité du ministère public. En effet, à défaut de prévoir une telle voie de recours et à supposer que l'ordonnance pénale entre en force faute d'opposition, la décision de ne pas poursuivre une partie des faits ne serait contrôlée par aucun tribunal. Or, une telle nécessité n'existe pas lors de la notification de l'acte d'accusation, puisque le tribunal de première instance vérifie d'office son caractère complet, les parties étant autorisées à faire spontanément valoir, cas échéant par le biais d'un incident, que certaines infractions commises n'ont pas été poursuivies.

Le principe de l'égalité des armes serait ainsi violé si la partie plaignante disposait d'une voie de recours supplémentaire contre l'ordonnance de classement partiel rendue en parallèle à un renvoi en jugement et pouvait par là se plaindre de l'établissement des faits, alors que le prévenu, de son côté, ne dispose d'aucune voie de droit spécifique pour se plaindre du contenu de l'acte d'accusation.

3.3. En outre, une demande de mise en prévention pour des faits qui sont connexes à ceux déjà poursuivis n'a pas à être traitée par une décision sujette à recours.

En l'occurrence, les faits pour lesquels le recourant a demandé une mise en prévention complémentaire, soit un renvoi en jugement, sont connexes, voire identiques, à ceux pour lesquels le prévenu sera, très vraisemblablement, renvoyé en jugement, et découlent du même complexe. Comme on l'a déjà évoqué ci-dessus, la seule différence soulignée par le Ministère public est l'intention de tuer, qui faisait défaut selon lui.

D'ailleurs, le recourant ne prétend pas que l'état de faits pour lequel il entendait obtenir une mise en prévention soit distinct. Les dépositions sur lesquelles il s'appuie ont toutes été effectuées dans le même cadre.

Par conséquent, la demande formée par le recourant ne saurait être assimilée à une plainte pénale dénonçant des faits autres que ceux connus de l'autorité. Il en découle que le recourant n'avait pas d'intérêt juridiquement protégé à voir sa requête traitée à l'égal d'une plainte pénale et à obtenir une décision de classement sujette à recours.

3.4. Enfin, il découle de la volonté claire du législateur de ne pas admettre de recours contre l'acte d'accusation.

Reconnaître au ministère public la compétence de prononcer une ordonnance de classement partiel sujette à recours sur des faits qui sont essentiellement contenus dans l'acte d'accusation, reviendrait à créer, de manière détournée, une voie de recours contre l'acte d'accusation lui-même, partant à contourner la loi. En effet, cela permettrait à la partie plaignante de faire valoir des droits dans la rédaction de l'acte d'accusation, alors qu'une telle prérogative n'existe pas pour le prévenu, qui ne peut pas contraindre le Ministère public à écarter des accusations qu'il estime infondées, mais doit attendre le prononcé du tribunal de première instance. La partie plaignante, en multipliant les demandes de mise en prévention pour des infractions connexes, pourrait donc, à supposer qu'on les considère sujette à recours, façonner l'acte d'accusation à sa guise, ce qui ralentirait d'autant la procédure de renvoi en jugement. Or, c'est précisément pour des questions de célérité que le législateur a refusé d'ouvrir une voie de recours contre l'acte d'accusation.

La décision querellée n'est donc pas, contrairement à son intitulé, une ordonnance de classement partiel, mais, bien plutôt, une partie de l'acte d'accusation, qui explicite cet écrit, et n'est, dès lors, pas sujette à recours.

4. Dans cette mesure, les infractions visées par l'ordonnance querellée ne sont donc pas classées.

Aucune voie de droit n’étant ouverte contre l’ordonnance querellée, le recours est irrecevable, conformément à la jurisprudence de la Chambre de céans (ACPR/243/2013 précité).

5. Le recourant, dont le recours est déclaré irrecevable, supporte, en principe, les frais de la procédure envers l'État (art. 428 al. 1 CPP).

L'irrecevabilité du recours était notoire, car conforme à la jurisprudence accessible de la Chambre de céans, mais le Ministère public avait indiqué, sur l'ordonnance entreprise, des voies de recours, qui se sont révélées erronées.

Il en sera tenu compte et les frais seront donc mis pour moitié à la charge de l'État.

* * * * *


 


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Déclare irrecevable le recours formé par A.______ contre l'ordonnance de classement partiel rendue par le Ministère public le 17 avril 2014.

Fixe les frais de la procédure de recours à CHF 1'095.-, y compris un émolument de CHF 1'000.-.

Condamne A.______ au paiement de la moitié desdits frais, soit CHF 547.50.

Laisse, pour le surplus, les frais à la charge de l'État.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président ; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Alix FRANCOTTE CONUS, juges ; Monsieur Julien CASEYS, greffier.

 

Le greffier :

Julien CASEYS

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 







Indication des voies de recours
 :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110) ; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.


 

 

éTAT DE FRAIS

P/10476/2012

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10 03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

20.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

     

- délivrance de copies (let. b)

CHF

     

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision indépendante (let. c)

CHF

1'000.00

-

CHF

     

Total (Pour calculer : cliquer avec bouton de droite sur le montant total puis sur « mettre à jour les champs » ou cliquer sur le montant total et sur la touche F9)

CHF

1'095.00