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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/9039/2019

ACPR/279/2020 du 05.05.2020 sur OTDP/2361/2019 ( TDP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE PÉNALE;CITATION À COMPARAÎTRE;DÉFAUT(CONTUMACE);PRINCIPE DE LA BONNE FOI;AVOCAT
Normes : CPP.354; CPP.356.al4; CPP.3

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/9039/2019 ACPR/279/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 5 mai 2020

 

Entre

A______, sans domicile connu, comparant par Me B______, avocate,

recourant,

contre l'ordonnance rendue le 20 novembre 2019 par le Tribunal de police,

 

LE TRIBUNAL DE POLICE, rue des Chaudronniers 9, 1201 Genève,

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés.

 


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 2 décembre 2019, A______ recourt contre l'ordonnance du
20 novembre 2019, notifiée sur-le-champ, par laquelle le Tribunal de police a constaté son défaut à l'audience du même jour, dit que son opposition à l'ordonnance pénale du 24 juin 2019 était réputée retirée et assimilée à un jugement entré en force.

Le recourant conclut, avec suite de frais et indemnité de procédure, préalablement, à l'octroi de l'effet suspensif au recours, et, principalement, à l'annulation de l'ordonnance précitée et au renvoi de la cause au Tribunal de police pour qu'il statue sur son opposition.

b. L'effet suspensif au recours a été accordé par ordonnance OCPR/60/2019 de la Direction de la procédure, le 3 décembre 2019.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______, ressortissant gambien, sans domicile connu, serait, selon le procès-verbal de son audition par la police, le 28 avril 2019, au bénéfice d'un titre de séjour biométrique italien, valable au 5 juin 2020. Il a toutefois déclaré ne pas avoir d'adresse.

b. Par ordonnances pénales des 28 avril et 15 mai 2019, le Ministère public l'a condamné à 120 jours de peine privative de liberté au total, pour infractions à la LEI et à la LStup.

Il y a fait opposition.

c. Il s'est présenté devant le Ministère public, assisté de son conseil, aux audiences des 3 et 17 juin 2019.

d. Par ordonnance pénale et de classement partiel du 24 juin 2019, le Ministère public a classé une partie des faits et condamné A______ à 90 jours de peine privative de liberté pour violations des art. 119 LEI et 19 al. 1 let. c LStup, ainsi qu'à une amende pour contravention à la LStup.

e. A______ ayant derechef formé opposition - non motivée - contre cette nouvelle ordonnance pénale, le Ministère public a, le 17 juillet 2019, maintenu celle-ci et transmis la cause au Tribunal de police pour qu'il statue sur la validité de l'ordonnance pénale et de l'opposition.

f. Par mandat de comparution du 14 octobre 2019 notifié à l'adresse de son conseil, A______ a été cité à comparaître à l'audience devant le Tribunal de police, le
20 novembre suivant. Son conseil a reçu un avis d'audience.

g. Le 20 novembre 2019, A______ n'a pas comparu. À teneur du procès-verbal, son conseil a demandé à pouvoir le représenter, expliquant que les faits étaient admis et que son client avait un domicile en Italie. Le Tribunal n'ayant pas accepté, l'absence non excusée du prévenu a été constatée.

C. Dans la décision querellée, le Tribunal de police, après avoir constaté que A______ ne s'était pas présenté à l'audience, sans avoir été excusé ni [autorisé à être] représenté, son opposition à l'ordonnance pénale était réputée retirée.

D. a. Dans son recours, A______ relève avoir donné suite aux convocations du Ministère public après ses oppositions, démontrant ainsi son intérêt à la poursuite de la procédure, ainsi que sa diligence. Initialement, il contestait le séjour illégal - expliquant qu'il vivait et travaillait dans un restaurant à C______, en Italie -, ainsi que la quotité de la peine. Par suite de la nouvelle ordonnance pénale du 24 juin 2019, il contestait désormais uniquement la peine infligée. S'il ne s'était certes pas présenté à l'audience du 20 novembre 2019, la pratique constante depuis de nombreuses années du Tribunal de police était d'autoriser les prévenus à se faire représenter lorsque seule la peine était contestée. Son conseil, qui représentait de la sorte régulièrement ses clients devant ce tribunal, avait demandé au président de pouvoir le représenter, mais le juge, "qui avait d'ores et déjà rédigé l'ordonnance querellée", avait refusé. Le procès-verbal d'audience avait été rédigé après l'ordonnance et son conseil n'avait même pas pu invoquer les motifs de son absence.

Invoquant l'art. 6 CEDH, il estime n'avoir nullement renoncé aux droits garantis par cette disposition, son absence n'étant pas un indice de renonciation au vu des circonstances. Il invoque, en outre, une violation de l'art. 3 al. 2 CPP, estimant que l'ordonnance querellée allait, sans aucune explication, à l'encontre de la pratique courante du Tribunal de police.

b. Dans ses observations, le Tribunal de police, citant la jurisprudence "en la matière" (soit l'ATF 145 I 201 consid. 4.1 et l'arrêt du Tribunal fédéral 6B_747/2012 du 7 février 2014 consid. 3) se réfère à son ordonnance. Il conteste que l'ordonnance querellée ait été rédigée avant l'audition du conseil du recourant. La décision avait été dictée en audience, après avoir entendu l'avocate sur les conséquences de l'absence de son client, qui était sans domicile connu.

c. Le Ministère public s'en rapporte à justice, sans formuler d'observations.

d. Le recourant n'a pas répliqué.

EN DROIT :

1. Le recours est recevable pour avoir été déposé dans le délai et la forme prescrits (art. 90 al. 2, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une décision du Tribunal de police sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. b CPP ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_346/2011 du 1er juillet 2011 consid. 4.2 et 6B_801/2013 du 17 décembre 2013 consid. 1.1) et émaner du prévenu, qui a qualité pour agir (art. 104 al. 1 let. a, 111 et 382 al. 1 CPP) et un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou la modification de l'ordonnance entreprise (382 al. 1 CPP).

2. Le recourant fait grief au Tribunal de police d'avoir considéré que son opposition à l'ordonnance pénale était réputée retirée.

2.1. À teneur de l'art. 356 al. 4 CPP, si l'opposant à une ordonnance pénale fait défaut aux débats devant le tribunal de première instance sans être excusé et sans se faire représenter, son opposition est réputée retirée. Toutefois, à la différence de ce que prévoit l'art. 355 al. 2 CPP pour la procédure d'opposition devant le ministère public, l'opposant qui fait défaut aux débats devant le Tribunal a le droit de se faire représenter, à moins que, lorsqu'il est prévenu, sa présence n'ait, comme en l'espèce, été exigée (Message relatif à l'unification du droit de la procédure pénale (CPP) du 21 décembre 2005, FF 2006 1275 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_289/2013 du 6 mai 2014
consid. 12.2 et références citées ; 6B_747/2012 du 7 février 2014 consid. 3.3).

2.2.  L'art. 356 al. 4 CPP consacre une fiction légale de retrait de l'opposition en cas de défaut injustifié, à l'instar de l'art. 355 al. 2 CPP, auquel elle correspond (ATF
142 IV 158 consid. 3.1 p. 160 et 3.5 p. 162). Eu égard aux spécificités de la procédure de l'ordonnance pénale, l'art. 356 al. 4 CPP doit être interprété à la lumière de la garantie constitutionnelle (art. 29a Cst.) et conventionnelle (art. 6 par. 1 CEDH) de l'accès au juge, dont l'opposition (art. 354 CPP) vise à assurer le respect en conférant à la personne concernée la faculté de soumettre sa cause à l'examen d'un tribunal (cf. ATF 142 IV 158 consid. 3.1 p. 159 s. et 3.4 p. 161 s.; 140 IV 82 consid. 2.3 p. 84 et 2.6 p. 86; arrêts du Tribunal fédéral 6B_365/2018 du 5 juillet 2018 consid. 3.1; 6B_802/2017 du 24 janvier 2018 consid. 2.1). La fiction légale du retrait ne peut s'appliquer que si l'on peut déduire de bonne foi (art. 3 al. 2 let. a CPP) du défaut non excusé un désintérêt pour la suite de la procédure, lorsque l'opposant a conscience des conséquences de son omission et renonce à ses droits en connaissance de cause (arrêt du Tribunal fédéral 6B_801/2019 du 21 novembre 2019 destiné à la publication, consid. 1.1.1). Demeurent réservés les cas d'abus de droit (ATF 142 IV 158
consid. 3.4 p. 162; 140 IV 82 consid. 2.7 p. 86).  

2.3. En l'espèce, le recourant ayant été cité à comparaître personnellement par le Tribunal de police, son conseil n'était en principe pas autorisé à le représenter, conformément aux principes jurisprudentiels sus-rappelé. Il sera à cet égard relevé que dès lors que l'opposition à l'ordonnance pénale du 24 juin 2019 n'était pas motivée, le Tribunal de police ne pouvait pas savoir, à réception du dossier, que seule la quotité de la peine était contestée. Dans un souci de célérité et simplification, le conseil du recourant aurait pu brièvement motiver l'opposition ou informer le Tribunal de police, lorsque la cause lui avait été transmise, que seule la peine était contestée, puis demander, à réception de l'avis d'audience, à être autorisé à représenter son conseil à l'audience pour cette raison.

Cela étant, dans la mesure où le recourant a comparu aux deux audiences fixées par le Ministère public sur ses oppositions aux ordonnances pénales puis a dépêché son conseil à l'audience devant le Tribunal de police, on ne saurait retenir, conformément à la jurisprudence sus-citée, qu'il s'est désintéressé de la suite de la procédure. On ne se trouve en outre pas dans un cas d'abus de droit par le prévenu, quand bien même il a refusé de fournir son adresse à l'étranger.

Partant, la fiction du retrait de l'opposition ne peut s'appliquer ici, sans qu'il soit nécessaire d'examiner, en sus, si l'ordonnance querellée consacre une violation du principe de la bonne foi (art. 3 al. 2 CPP).

La jurisprudence citée par le Tribunal de police dans ses observations (ATF 145 I 201) ne dit pas autre chose, le Tribunal fédéral ayant retenu que l'absence du prévenu ne constituait pas un obstacle à ce que son défenseur participe à l'audience. Ce dernier pouvait en particulier tenter de démontrer qu'en dépit de l'absence de son client, les conditions de la fiction du retrait de l'opposition n'étaient pas réunies (consid. 1). En outre, en refusant au conseil du prévenu le droit de plaider et en constatant qu'il (l'avocat) n'avait pas comparu à l'audience compte tenu de son retard, le Tribunal de police avait fait preuve de formalisme excessif (consid. 4.2.2). Sur la base de ces principes, on ne voit pas en quoi, seule la quotité de la peine étant contestée, le Tribunal de police n'aurait pas pu autoriser le conseil du prévenu à expliquer les raisons de l'absence de celui-ci et à le représenter.

4. Fondé, le recours doit être admis. Partant, l'ordonnance querellée sera annulée et la cause retournée au Tribunal de police pour qu'il examine la validité de l'ordonnance pénale et de l'opposition et, préalablement, détermine si la présence du prévenu en personne à l'audience est nécessaire.

5. L'admission du recours ne donnera pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

6. Le recourant, qui ne bénéficie pas de l'assistance judiciaire, conclut à l'octroi d'une indemnité pour ses frais de recours, qu'il a chiffrée à CHF 969.30. La TVA n'est pas due, le recourant alléguant être domicilié à l'étranger.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l'ordonnance querellée et retourne la cause au Tribunal de police pour qu'il statue sur la validité de l'ordonnance pénale du 24 juin 2019 et de l'opposition.

Laisse les frais à la charge de l'État.

Alloue à A______, à la charge de l'État, une indemnité de procédure en CHF 969.30 pour la procédure de recours.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant (soit pour lui son conseil), au Tribunal de police et Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Madame Sandrine JOURNET, greffière.

 

La greffière :

Sandrine JOURNET

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).