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Décisions | Chambre pénale de recours

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PS/78/2020

ACPR/142/2021 du 04.03.2021 ( PSPECI ) , REJETE

Descripteurs : RÉCUSATION;MINISTÈRE PUBLIC
Normes : CPP.56; CPP.58; CPP.59

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

PS/78/2020 - PS/82/2020 ACPR/142/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du jeudi 4 mars 2021

Entre

A______ LIMITED, ayant son siège ______, HONG KONG,

B______, domiciliée c/o Me Hrant HOVAGEMYAN, avocat, Demole Hovagemyan, boulevard du Théâtre 3bis, case postale 5740, 1211 Genève 11,

comparant toutes deux par Me Hrant HOVAGEMYAN, avocat, Demole Hovagemyan, boulevard du Théâtre 3bis, case postale 5740, 1211 Genève 11,

requérantes,

et

C______, Procureure, p.a. Ministère public, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

D______, Procureur ______, p.a. Ministère public, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

cités.


EN FAIT :

A. a. Par courrier du 12 novembre 2020, A______ LIMITED (ci-après : A______) et B______ ont requis la récusation de la Procureure C______, chargée de la procédure P/1______/2019, ainsi que du Procureur général D______.

b. Le 16 novembre 2020, C______ a transmis à la Chambre de céans ladite requête de récusation, ainsi que ses déterminations du même jour, tout en réservant une copie de celles-ci au conseil des requérantes (procédure PS/78/2020).

c. Par courrier du 17 novembre 2020, A______ et B______ ont derechef requis la récusation de C______ et de D______, en raison des observations de la prénommée à la Chambre de céans.

d. Le 18 novembre 2020, C______ a transmis à la Chambre de céans cette seconde requête de récusation (procédure PS/82/2020).

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 15 avril 2019, A______ a déposé plainte pénale contre E______ (SUISSE) SA (ci-après : E______ ou la Banque) pour tentative de contrainte (art. 181 cum 22 CP). En substance, elle a exposé être détenue, au travers de sociétés, par trois trusts constitués au bénéfice des membres de la famille B______. Depuis 2018, elle se trouvait en litige avec E______ - établissement auprès duquel elle avait ouvert des comptes - au sujet d'honoraires de gestion et de rétrocessions inter-groupe, pour un montant total de l'ordre de CHF 2 millions. Le 10 juillet 2018, la Banque lui avait remboursé la somme de CHF 785'780.- sur son compte, en signe de bonne volonté. Les pourparlers n'ayant toutefois pas abouti, la Banque avait laissé entendre que ce versement était conditionné à la poursuite de la relation commerciale avec elle et l'avait menacée de retenir cette somme si elle transférait ces avoirs vers d'autres établissements.

b. À l'époque, la procédure avait été attribuée au Procureur F______ et une instruction ouverte sous le numéro P/1______/2019.

Dans ce cadre, le Ministère public a procédé à l'audition, le 13 mai 2019, de deux représentants de la partie plaignante et, le 24 juin 2019, de deux représentants de la Banque, entendus en qualité de personnes appelées à donner des renseignements. À l'issue de cette dernière audition, le Procureur a signifié qu'il n'entendait pas poursuivre l'instruction car il estimait qu'il n'y avait pas de charges suffisantes de tentative de contrainte, la somme litigieuse de CHF 785'780.- faisant toujours partie des avoirs de la plaignante et n'étant pas bloquée.

c. Le 25 juin 2019, le Ministère public a rendu un avis de prochaine clôture de l'instruction, annonçant à A______ son intention de classer la procédure.

Le 31 juillet 2019, A______ s'est opposé au classement de la procédure et a notamment requis de pouvoir poser des questions complémentaires aux représentants de la Banque.

Le Ministère public a fait suite à cette requête et convoqué les deux représentants à une nouvelle audition, le 4 septembre 2019, toujours en qualité de personnes appelées à donner des renseignements.

d. Le 6 septembre 2019, le Ministère public a rendu un nouvel avis de prochaine clôture de l'instruction, annonçant son intention de classer la procédure, et a imparti à A______ un délai pour présenter ses éventuelles réquisitions de preuve.

Le 25 septembre 2019, A______ a requis une prolongation du délai, précisant être dans l'attente de l'intégralité de son dossier auprès de la Banque. Elle suggérait d'ailleurs que le Ministère public ordonne directement sa production. Le Ministère public a uniquement accepté de prolonger le délai pour présenter des réquisitions de preuve.

Le 29 octobre 2019, A______ a requis une nouvelle prolongation de délai, afin notamment de pouvoir récolter des informations en vue du dépôt d'une plainte complémentaire. Le Ministère public a accepté de prolonger ce délai au 15 décembre 2019, puis, successivement, au mois de février, mars, juin et août 2020.

e. Le 21 août 2020, A______ et B______ ont déposé une plainte pénale complémentaire contre E______ pour violation du secret bancaire (art. 47 LB), extorsion et chantage (art. 156 CP) et contrainte (art. 181 CP), en lien avec une procédure civile pendante.

Cette plainte était accompagnée d'un courrier du conseil de A______, dans lequel il annonçait se constituer pour B______ également, et demandait au Ministère public de mener une perquisition dans les locaux de E______.

f. Le 4 novembre 2020, le Ministère public, sous la plume de C______, a rendu un troisième avis de prochaine clôture de l'instruction, informant A______ et B______ notamment de ce qu'une ordonnance de classement serait prochainement rendue, et leur impartissant un délai au 23 novembre 2020 pour présenter d'éventuelles réquisitions de preuve.

g. Le 9 novembre 2020, le conseil de A______ et B______ a consulté le dossier de la procédure dans les locaux du Ministère public.

Le dossier consiste en deux petits classeurs fédéraux, le premier (en partie numéroté) comprenant la plainte pénale du 15 avril 2019 et ses annexes, la correspondance, les procès-verbaux d'audition et les pièces de forme, le second (non numéroté) comprenant la plainte pénale complémentaire du 21 août 2020 et ses annexes.

C. a. Dans leur première requête de récusation du 12 novembre 2020 (procédure PS/78/2020), A______ et B______ prient C______ de révoquer l'avis de prochaine clôture du 4 novembre 2020 et de reprendre ab ovo la procédure, en donnant suite à leurs réquisitions de preuve, à défaut de quoi leur missive devait être interprétée comme une demande de récusation visant la prénommée ainsi que le Procureur général.

Sur le fond, elles formulaient les griefs suivants, qui trahissaient le parti pris des deux Procureurs :

Premièrement, le dossier n'était pas tenu conformément à la directive C.11 du Procureur général (aucune mention de la seconde plainte, des infractions qu'elle visait, des audiences et des requêtes ; seconde plainte pas numérotée), l'index de la procédure contenait de fausses indications (procédure menée contre inconnu et pour la seule infraction de contrainte ; absence de la seconde plainte) et rien ne permettait de retenir que la seconde plainte avait été traitée ou même seulement enregistrée.

Deuxièmement, l'avis de prochaine clôture faisait redouter la volonté de classer la procédure en opportunité et non en droit, sans la moindre instruction des faits dénoncés dans la seconde plainte, contrairement au principe in dubio pro duriore.

Troisièmement, l'avis de prochaine clôture trahissait une inimité envers elles et/ou leur conseil et une complaisance vis-à-vis de la Banque et/ou ses conseils. Cet avis faisait suite aux tentatives infructueuses de leur conseil d'atteindre le cabinet de C______ depuis un mois. Le 4 novembre 2020, leur conseil avait finalement envoyé un e-mail à la prénommée pour lui demander de le rappeler, en annexant la seconde plainte pénale et son courrier d'accompagnement. C______ avait lu cet e-mail à 14h35, puis avait décidé de rendre l'avis de prochaine clôture. Toutefois, elle avait aussi demandé à son greffier (probablement par e-mail, dont la production était requise) d'appeler leur conseil pour lui dire que la décision résultant de l'avis de prochaine clôture avait été prise avant d'avoir reçu l'e-mail du 4 novembre 2020, et non après, et lui demander de ne plus lui envoyer d'e-mails directs. Compte tenu de la "chronologie des évènements", il était légitime de douter de la véracité de cette affirmation péremptoire. Rien n'indiquait dans le dossier que cette seconde plainte ait seulement été lue par la Procureure. On pouvait se demander si l'avis de prochaine clôture n'avait pas été en définitive décidé par le Procureur général lui-même, sur question de C______, nouvellement en charge de la procédure. Dans ce cadre, la Banque ou ses conseils auraient pu influencer d'une manière ou d'une autre D______ et/ou C______ dans leur prise de décision.

b. Dans ses déterminations du 16 novembre 2020 (procédure PS/78/2020), C______ - qui précise avoir repris la charge de la procédure le 17 juin 2020 seulement, à son arrivée à la section 2______ du Ministère public - conclut au rejet de la requête, dans la mesure de sa recevabilité. Tous les documents étaient présents au dossier, dans deux classeurs, que le conseil de la plaignante avait pu consulter à première demande. L'absence de numérotation et l'éventuelle mise à jour de la tenue du dossier n'appelaient pas de commentaires. Les autres griefs n'étaient étayés par aucun élément concret. Le classement annoncé s'agissant de la première plainte n'était pas une surprise pour la plaignante, puisqu'annoncé à deux reprises par son prédécesseur. Les éléments transmis dans le complément de plainte, neuf mois après leur annonce, ne permettaient pas de retenir la commission d'une infraction, ce qui serait développé dans l'ordonnance de classement annoncée. La plaignante avait tout le loisir, dans le délai imparti, de requérir de nouveaux actes d'instruction, qui seraient examinés en toute objectivité et impartialité. Les seuls actes qu'elle avait personnellement réalisés étaient l'avis de prochaine clôture, le renouvellement d'une prolongation de délai, la réception et l'analyse du complément de plainte et de ses annexes et la mise en oeuvre de la consultation du dossier. Lui prêter inimitié ou faveur pour une des parties semblait donc totalement fantaisiste. Enfin, ni le greffe central, ni son greffier ne lui avaient relaté que le conseil des plaignantes avait cherché à la joindre à de nombreuses reprises, sans quoi elle-même ou son greffier l'aurait recontacté. Cela avait d'ailleurs été le cas après l'e-mail du 4 novembre 2020, reçu après la mise au courrier de l'avis de prochaine clôture du même jour. Le fait que ces deux documents se soient croisés était un hasard complet de calendrier, comme son greffier l'avait expliqué par téléphone au conseil des plaignantes.

c. Dans leur seconde requête de récusation du 18 novembre 2020 (procédure PS/82/2020), A______ et B______ estiment que les déterminations de C______ sont incompatibles avec la garantie d'un juge indépendant et impartial. La prénommée avait émis une opinion péremptoire sur la suite de la procédure, annonçant qu'une ordonnance de classement serait effectivement et certainement rendue, tout en refusant d'instruire les faits de leur seconde plainte pénale. Elle avait également reproché à leur conseil d'avoir déposé (en son nom propre, ce qui était faux) cette seconde plainte neuf mois après l'avoir annoncée, ce qui montrait une inimitié à leur égard. Ce reproche était par ailleurs fondé sur une contre-vérité, car la seconde plainte se fondait essentiellement sur des faits survenus en mai 2020, dans le cadre de la procédure civile qui les opposait à la Banque. Le refus d'instruire ces faits dénotait une prévention de la Procureure.

d. Dans ses déterminations du 26 novembre 2020 sur cette seconde requête de récusation (procédure PS/82/2020), C______ conclut à son rejet.

e. Dans leur réplique du 7 décembre 2020 (commune aux procédures PS/78/2020 et PS/82/2020), A______ et B______ se plaignent d'un déni de justice et d'une violation de leur droit d'être entendues, car le Procureur général, qui était expressément visé par leur requête de récusation, ne s'était pas déterminé sur celle-ci. Elles requéraient notamment une prise de position de ce dernier, la jonction des procédures PS/78/2020 et PS/82/2020 et la mention de B______ comme requérante aux côtés de A______. Sur le fond, elles réitéraient leurs griefs liés à l'absence au dossier de leur seconde plainte pénale, qui n'avait "aucune existence légale". Cette seconde plainte était fondée sur un autre état de fait que la première et visait une infraction différente et subséquente. Il convenait de l'enregistrer et de communiquer l'ouverture de la procédure à la FINMA, conformément à la directive C.4 du Procureur général. Elles soulevaient encore divers griefs à l'encontre de la teneur des déterminations de C______ du 16 novembre 2020.

f. Dans ses déterminations du 9 décembre 2020 (communes aux procédures PS/78/2020 et PS/82/2020), D______ conclut à l'irrecevabilité des demandes de récusation en tant qu'elles le concernent, subsidiairement à leur rejet. Il n'avait jamais entendu parler de la procédure P/1______/2019 et ne s'en était jamais entretenu avec C______, une partie à la procédure ou ses avocats, les suppositions du conseil des requérantes à ce propos relevant de la fantasmagorie. Même si C______ avait pris conseil auprès d'un collègue ou de lui-même, le collègue en question ou lui-même ne seraient pas récusables, seul le magistrat effectivement en charge de la procédure ou y ayant accompli des actes pouvant l'être.

g. Le 11 janvier 2021, A______ et B______ ont répliqué aux déterminations de D______ (procédures PS/78/2020 et PS/82/2020). Ce dernier ne pouvait affirmer n'avoir jamais entendu parler de la procédure P/1______/2019, car leur conseil lui avait envoyé personnellement, par efax, courriel direct et courrier recommandé, les deux requêtes de récusation le concernant. Les déterminations du prénommé démontraient que C______ ne l'avait pas informé des requêtes de récusation le visant, ce qui dénotait une apparence de prévention chez cette dernière. Par ailleurs, leur seconde plainte pénale se référait à un arrêt du Tribunal fédéral (6B_247/2019 du 22 juin 2020) qui avait fait grand bruit, car traitant de la violation du secret bancaire par un avocat dans le cadre d'une procédure civile. Il était "impensable" que l'organe de direction du Ministère public (composé du procureur général, des premiers procureurs et du directeur ; art. 3 RMinPub) n'ait pas discuté de cet arrêt et que C______ n'ait pas, dans ce cadre, demandé à D______ - par l'intermédiaire du premier Procureur en charge de sa section - la politique à suivre en matière de poursuite des violations du secret bancaire. D______ serait alors bien intervenu dans la procédure, ce qui permettait de demander sa récusation. Il fallait également tenir compte du fait que G______, auparavant Procureure à la section des affaires complexes, était entrée en fonction chez E______ fin décembre 2019, soit avant la production, par cet établissement, de pièces couvertes par le secret bancaire dans une procédure civile. La Chambre de céans devait donc demander des explications complémentaires à C______, mais aussi au premier Procureur responsable de sa section. Cette même Chambre devait également donner sa composition pour juger de la présente cause, vu que les déterminations de D______ débutaient par "Mesdames, Messieurs les Juges", ce qui laissait imaginer une composition différente que d'ordinaire.

h. Les cités n'ayant pas dupliqué, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT :

1.             1.1. Selon l'art. 59 al. 1 let. b CPP, lorsqu'un motif de récusation au sens de l'art. 56, let. a ou f, est invoqué ou qu'une personne exerçant une fonction au sein d'une autorité pénale s'oppose à la demande de récusation d'une partie qui se fonde sur l'un des motifs énumérés à l'art. 56, let. b à e CPP, le litige est tranché sans administration supplémentaire de preuves et définitivement, par l'autorité de recours, lorsque, comme en l'espèce, le ministère public est concerné.

À Genève, l'autorité de recours, au sens de cette disposition, est la Chambre pénale de recours de la Cour de justice (art. 128 al. 2 let. a LOJ), siégeant dans la composition de trois juges (art. 127 LOJ), ce qui suffit à lever toute incertitude liée à la formule d'appel utilisée par le cité dans ses déterminations ("Mesdames, Messieurs les Juges"). Par ailleurs, l'identité des juges appelés à statuer ne doit pas nécessairement être communiquée de manière expresse au justiciable ; il suffit en effet que le nom de ceux-ci ressorte d'une publication générale facilement accessible, par exemple l'annuaire officiel. La partie assistée d'un avocat est en tout cas présumée connaître la composition régulière du tribunal saisi (arrêt du Tribunal fédéral 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 2.1).

1.2.       Conformément à l'art. 58 al. 1 CPP, la récusation doit être demandée sans délai, dès que la partie a connaissance du motif de récusation, c'est-à-dire dans les jours qui suivent la connaissance de la cause de récusation, sous peine de déchéance (ATF 140 I 271 consid. 8.4.3 p. 275 et les arrêts cités). En matière pénale, est irrecevable pour cause de tardiveté la demande de récusation déposée trois mois, deux mois ou même vingt jours après avoir pris connaissance du motif de récusation. En revanche, n'est pas tardive la requête formée après une période de six ou sept jours, soit dans les jours qui suivent la connaissance du motif de récusation (arrêt du Tribunal fédéral 1B_118/2020 du 27 juillet 2020 consid. 3.2 et les arrêts cités).

En l'espèce, la première requête de récusation a été formulée dans les jours qui ont suivi la découverte du motif de récusation, en l'occurrence au moment de la consultation du dossier, respectivement la réception de l'avis de prochaine clôture. Elle est ainsi recevable. La seconde requête de récusation a été déposée immédiatement après l'évènement sur lequel elle repose, soit les déterminations de la citée du 16 novembre 2020. Elle est également recevable. Tel n'est en revanche pas le cas des nouveaux griefs formulés par les requérantes dans leur réplique du 7 décembre 2020 à l'encontre des mêmes déterminations. Ces griefs auraient dû être soulevés sans délai, et non au détour d'une réplique, près de trois semaines après les déterminations litigieuses. Ils ne seront donc pas examinés dans le cadre de la présente procédure.

Les requêtes sont, sous cette dernière réserve, recevables.

1.3.       Elles seront traitées dans un seul et même arrêt, car elles concernent la même procédure, visent les mêmes magistrats et soulèvent des griefs similaires. Ce qui précède rend sans objet la conclusion des requérantes tendant à la jonction des procédures PS/78/2020 et PS/82/2020. C'est le lieu de préciser que la requérante B______ figure bien comme partie à la présente procédure de récusation. Enfin, dès lors que le cité s'est déterminé (cf. art. 58 al. 2 CPP) sur les requêtes de récusation, en date du 9 décembre 2020, le grief des requérantes à cet égard, tiré d'un déni de justice et d'une violation du droit d'être entendu, est désormais sans portée.

2.             Les requérantes reprochent aux cités divers comportements et manquements, qui trahiraient selon elles leur parti pris et justifieraient leur récusation.

2.1.       Un magistrat est récusable, aux termes de l'art. 56 let. f CPP, lorsque d'autres motifs que ceux prévus à l'art. 56 let. a à e, notamment un rapport d'amitié étroit ou d'inimitié avec une partie ou son conseil juridique, sont de nature à le rendre suspect de prévention. Cette disposition a la portée d'une clause générale recouvrant tous les motifs de récusation non expressément prévus aux lettres précédentes. Elle correspond à la garantie d'un tribunal indépendant et impartial instituée par les art. 6 par. 1 CEDH et 30 al. 1 Cst. Elle n'impose pas la récusation seulement lorsqu'une prévention effective du magistrat est établie, car une disposition interne de sa part ne peut guère être prouvée. Il suffit que les circonstances donnent l'apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat. Seules les circonstances constatées objectivement doivent être prises en considération. Les impressions purement individuelles d'une des parties au procès ne sont pas décisives (ATF 144 I 159 consid. 4.3 p. 162 ; 143 IV 69 consid. 3.2 p. 74).

Des décisions ou des actes de procédure qui se révèlent par la suite erronés ne fondent pas en soi une apparence objective de prévention; seules des erreurs particulièrement lourdes ou répétées, constitutives de violations graves des devoirs du magistrat, peuvent fonder une suspicion de partialité, pour autant que les circonstances dénotent que la personne en cause est prévenue ou justifient à tout le moins objectivement l'apparence de prévention. En effet, la fonction judiciaire oblige à se déterminer rapidement sur des éléments souvent contestés et délicats. Il appartient en outre aux juridictions de recours normalement compétentes de constater et de redresser les erreurs éventuellement commises dans ce cadre. La procédure de récusation n'a donc pas pour objet de permettre aux parties de contester la manière dont est menée l'instruction et de remettre en cause les différentes décisions incidentes prises notamment par la direction de la procédure (ATF 143 IV 69 consid. 3.2 p. 74 s.).

Selon l'art. 61 CPP, le ministère public est l'autorité investie de la direction de la procédure jusqu'à la mise en accusation. À ce titre, il doit veiller au bon déroulement et à la légalité de la procédure (art. 62 al. 1 CPP). Durant l'instruction, il doit établir, d'office et avec un soin égal, les faits à charge et à décharge (art. 6 CPP) ; il doit statuer sur les réquisitions de preuves et peut rendre des décisions quant à la suite de la procédure (classement ou mise en accusation), voire rendre une ordonnance pénale pour laquelle il assume une fonction juridictionnelle. Dans ce cadre, le ministère public est tenu à une certaine impartialité même s'il peut être amené, provisoirement du moins, à adopter une attitude plus orientée à l'égard du prévenu ou à faire état de ses convictions à un moment donné de l'enquête. Tout en disposant, dans le cadre de ses investigations, d'une certaine liberté, le magistrat reste tenu à un devoir de réserve. Il doit s'abstenir de tout procédé déloyal, instruire tant à charge qu'à décharge et ne point avantager une partie au détriment d'une autre (ATF 141 IV 178 consid. 3.2.2 p. 180; 138 IV 142 consid. 2.2.1 p. 145 ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_305/2019 du 26 novembre 2019 consid. 3.1.1).

2.2.       En l'espèce, aucun des éléments mis en exergue par les requérantes dans leur première, puis leur seconde requête de récusation, ne permet de fonder une suspicion de partialité à l'égard des cités.

Premièrement, les griefs liés à la tenue du dossier, à supposer qu'ils soient fondés - ce qui est déjà douteux : le dossier contient bien la seconde plainte pénale, dans un classeur à part, étiqueté "Complément de plainte de A______ LTD" et sous le même numéro de procédure ; l'index critiqué par les requérantes n'est en réalité que la page de garde de la procédure ; et la directive sur laquelle elles se fondent ne permet pas de retenir que le dossier de la procédure, qui tient en deux petits classeurs fédéraux, devrait obligatoirement être indexé ou même numéroté (cf. les ch. 7 et 9 de la directive C.11) -, ont manifestement trait à la conduite de l'instruction. Ces griefs doivent être soumis au Ministère public, dont la décision pourra ensuite faire l'objet d'un recours auprès de la Chambre de céans (voir ACPR/871/2019 du 11 novembre 2019, cité par les requérantes). Il ne s'agit pas de motifs de récusation (cf. l'arrêt du Tribunal fédéral 1B_564/2018 du 9 avril 2019 consid. 3.2, s'agissant de l'absence d'index). Il n'en va pas autrement de l'absence de communication à la FINMA, fondée sur une autre directive du procureur général.

Deuxièmement, en tant que les requérantes voient un motif de récusation dans le fait que la citée a annoncé vouloir classer la procédure, sans la moindre instruction des faits dénoncés dans leur seconde plainte, elles choisissent, ici aussi, une voie qui n'est pas la bonne : elles disposeront le moment venu de la possibilité de recourir contre la décision du Ministère public, et pourront dans ce cadre soulever l'entier de leurs griefs devant une autorité - la Chambre de céans - jouissant d'un plein pouvoir de cognition en fait et en droit (art. 391 al. 1 et 393 al. 2 CPP). La voie de la récusation ne leur permet pas de se plaindre de la manière dont les éléments du dossier, notamment les faits dénoncés dans leur seconde plainte pénale, ont été appréciés par la Procureure, étant du reste précisé que celle-ci n'a encore rendu aucune décision formelle à cet égard, se contentant d'annoncer qu'elle entendait classer la procédure.

Troisièmement, la "chronologie des évènements" du 4 novembre 2020 ne trahit ni inimitié des cités envers les requérantes ou leur conseil, ni complaisance envers la Banque ou ses conseils. La citée a expliqué que son avis de prochaine clôture avait été envoyé avant la réception de l'e-mail dudit conseil. Ce dernier estime au contraire que l'avis de prochaine clôture a été généré puis envoyé seulement après son propre e-mail, auquel était annexé le complément de plainte, ce qui démontrait une nouvelle fois que la citée entendait classer la procédure sans instruire les faits. Au-delà du fait que ce grief se confond avec celui, examiné ci-dessus, lié au contrôle du bien-fondé des décisions du Ministère public, cette "chronologie des évènements" est basée sur les seules suppositions des requérantes et de leur conseil, sans que ceux-ci ne parviennent à la rendre ne serait-ce que vraisemblable. On relèvera que la plainte pénale complémentaire est datée du 21 août 2020 et figurait dès lors depuis plusieurs semaines au dossier de la procédure. Peu importe donc que le conseil des requérantes ait décidé de l'envoyer à nouveau à la citée, sur son adresse e-mail personnelle. Dans ses déterminations, celle-ci a d'ailleurs expliqué avoir analysé le complément de plainte et ses annexes. Les requérantes ne soulèvent aucun élément permettant de mettre en doute cette affirmation. Quant à leurs allégations liées à une implication du Procureur général dans le dossier, en plus d'être contestées par l'intéressé, elles ne sont fondées sur aucun élément objectif et consistent, ici aussi, en de pures impressions personnelles. Il n'en va pas autrement de l'exposé contenu dans leur réplique du 11 janvier 2021, qui fait état d'un arrêt du Tribunal fédéral prétendument discuté par l'organe de direction du Ministère public, d'une question posée dans ce cadre par la citée au cité, par l'intermédiaire d'un premier Procureur, ou encore du rôle potentiel joué par une ancienne Procureure, désormais active au sein de la Banque : ces affirmations relèvent de la pure conjecture et ne sont confortées par aucun élément probant au dossier. Surtout, elles ne permettent pas de retenir le moindre soupçon de prévention à l'égard des deux magistrats visés par les demandes de récusation. Les actes d'instruction sollicités par les requérantes à ce sujet (soit la production d'e-mails internes au Ministère public ou une demande d'explication à C______ et au premier Procureur de la section à laquelle elle est rattachée) seront dès lors rejetés.

S'agissant ensuite de la seconde requête de récusation, la teneur des déterminations du 16 novembre 2020 ne dénote aucune apparence de partialité chez la citée. Le fait d'annoncer une future ordonnance de classement relève des attributions du Ministère public, en tant qu'autorité chargée de l'instruction. On ne saurait y voir un motif de récusation. Dans ses déterminations, la citée a précisé que la plainte complémentaire ne contenait pas d'indice de la commission d'une infraction, ce qui paraît cohérent avec son avis de prochaine clôture du 4 novembre 2020, qui annonçait qu'elle entendait classer la procédure. Elle a toutefois relevé que les requérantes disposaient d'un délai pour requérir des actes d'instruction complémentaires, que le Ministère public analyserait en toute objectivité et impartialité. Contrairement à ce qu'affirment les requérantes, elle n'a pas émis d'opinion péremptoire sur la suite de la procédure, mais a annoncé son intention de classer celle-ci, tout en leur laissant la possibilité de se déterminer (ce qui distingue, entre autres éléments, la présente cause de celle à la base de l'arrêt du Tribunal fédéral 1B_310/2019 du 5 septembre 2019 consid. 2.4, cité par les requérantes). De toute manière, il appartiendra aux requérantes de soulever leurs griefs y relatifs par la voie du recours contre l'ordonnance de classement, le cas échéant. Par ailleurs, la citée pouvait souligner que la plainte complémentaire avait été déposée neuf mois après avoir été annoncée pour la première fois - ce qui est exact, au vu de la chronologie exposée sous let. B.d. ci-dessus, et ce, indépendamment des faits finalement dénoncés dans ladite plainte - sans faire preuve d'une quelconque inimitié à l'égard des requérantes ; la tournure des mots ("Me Hrant HOVAGEMYAN a finalement produit un complément de plainte [...]") ne permet pas de distinguer un reproche à l'encontre du conseil des requérantes, et l'imprécision quant à l'auteur de la plainte (les requérantes elles-mêmes, et non leur conseil) ne dénote pas non plus une apparence de prévention ou un manque de distance ou d'impartialité.

Enfin, la réplique des requérantes du 11 janvier 2021 appelle les commentaires suivants : contrairement à ce qu'elles prétendent, le cité pouvait valablement affirmer n'avoir jamais entendu parler de la procédure P/1______/2019, dès lors qu'il n'en avait pas la charge, cela quand bien même les requêtes de récusation lui avaient été personnellement adressées. Par ailleurs, puisqu'il avait connaissance des requêtes en question, on ne saurait reprocher à la citée de ne pas l'en avoir informé ; cette omission ne constitue dans tous les cas pas une erreur de nature à fonder une quelconque suspicion de partialité.

3.             Les requêtes de récusation visant la Procureure C______ et le Procureur général D______ sont, partant, infondées et doivent être rejetées.

4.             En tant qu'elles succombent, les requérantes supporteront, conjointement et solidairement (art. 418 al. 2 CPP), les frais de la procédure (art. 59 al. 4 CPP), fixés en totalité à CHF 2'000.-.

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Rejette les requêtes de récusation, dans la mesure de leur recevabilité.

Condamne A______ LIMITED et B______, conjointement et solidairement, aux frais de la procédure de récusation, arrêtés à CHF 2'000.-.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, aux requérantes, soit pour elles leur conseil, ainsi qu'à C______ et D______.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Monsieur Christian COQUOZ et Madame Daniela CHIABUDINI, juges; Monsieur Sandro COLUNI, greffier.

 

Le greffier :

Sandro COLUNI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

PS/78/2020 - PS/82/2020

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'915.00

-

CHF

Total (Pour calculer : cliquer avec bouton de droite sur le montant total puis sur « mettre à jour les champs » ou cliquer sur le montant total et sur la touche F9)

CHF

2'000.00