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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1890/2004

ACOM/118/2004 du 16.12.2004 ( CRUNI ) , ADMIS

Descripteurs : ETUDIANT; UNIVERSITE; EXCLUSION; DROIT D'ETRE ENTENDU
Normes : CST.29 al.2; RIOR.10 al.2
Résumé : Droit à une audition orale.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1890/2004-CRUNI ACOM/118/2004

DÉCISION

DE

LA COMMISSION DE RECOURS DE L’UNIVERSITÉ

du 16 décembre 2004

 

dans la cause

 

Madame K_______
représentée par Me Philip Grant, avocat

contre

UNIVERSITE DE GENEVE


et

FACULTE DES SCIENCES ECONOMIQUES ET SOCIALES

(droit à une audition)


1. Madame K_______, née en 1963, est immatriculée auprès de l’Université de Genève depuis octobre 2001. Elle postulait à un diplôme d’études approfondies (DEA) en études européennes auprès de l’Institut européen de l’Université. Elle était titulaire d’un Master of Arts obtenu en Bulgarie, à l’Université de Sofia.

2. En été 2003, elle demandait son changement de faculté, souhaitant être admise en faculté des sciences économiques et sociales (ci-après : la faculté) afin d’y suivre les enseignements du DEA en gestion d’entreprise (HEC), ce qu’elle a été autorisée à faire dès la rentrée 2003-2004.

3. Le 1er mars 2004, deux professeurs des HEC ont adressé deux lettres au doyen de la faculté pour dénoncer des cas de plagiat. La première missive émanait de la Pr Michelle Bergadaà et informait le doyen que Mme K_______ avait plagié l’intégralité de son travail individuel du cours de « Décisions en marketing », recopiant sans modification le mémoire de fin d’études réalisé durant l’année académique 1999/2000 par une étudiante de l’Université de la Sorbonne, à Paris. L’enseignante exigeait des « sanctions exemplaires ». La seconde lettre était signée par le Pr Carlos Jarillo, et dénonçait à son tour un cas de plagiat constaté dans l’examen de Mme K_______ pour son cours de « Stratégie d’entreprise » ; l’étudiante avait une nouvelle fois recopié intégralement un travail élaboré à l’Université de Rennes 1, accessible sur le site internet de cette université, sans aucun ajout personnel. Le Pr Jarillo concluait à ce que la contrevenante soit immédiatement exclue de la faculté.

4. Le 3 mars 2004, une troisième lettre dénonçant un autre cas de plagiat était adressée au doyen de la faculté par la Pr Susan Schneider. Mme K_______ avait une nouvelle fois recopié des parties de son examen « Comportement organisationnel et gestion des ressources humaines » à partir de textes trouvés sur internet. Cet examen étant un travail à domicile, le cas de la fraude était techniquement réalisable. Il était proposé que l’examen reçoive la note de zéro, ainsi que la mention « fraude ». Le doyen était encouragé à réagir rapidement, de manière univoque, et à envoyer un message clair aux autres étudiants sur le caractère inacceptable du plagiat, rendu tentant par la multiplication des textes de niveau universitaire présents sur internet.

5. Par lettre recommandée du 9 mars 2004, le doyen informait Mme K_______ que le Collège des professeurs avait été convaincu qu’elle avait procédé à trois cas de plagiat dans le cadre de trois cours différents. Elle était informée que cette fraude particulièrement grave serait sanctionnée par l’annulation de l’ensemble de la session d’examens de février/mars 2004, se traduisant par la note de zéro à l’ensemble de ces examens, de l’indication de la mention « FRD » (fraude) en regard des trois examens plagiés, de l’exclusion de la faculté et de la transmission de l’ensemble du dossier au Conseil de discipline, assorti de la proposition d’exclusion définitive de l’Université.

6. Le procès-verbal d’examens de la session d’hiver 2003-2004, daté du 10 mars 2004, mettait en application la décision du 9 mars 2004. Tous les enseignements étaient assortis de la note de zéro, les trois cours litigieux comportant l’indication « FRD ». Etait également indiqué, sous « Décision », la phrase suivante : « Exclusion de la faculté (article 11 du Règlement d’études SES et 38 du Règlement de l’Université) ».

7. Par courrier du 8 avril 2004, Mme K_______ adressait au doyen de la faculté une opposition à la décision d’exclusion. Elle y exprimait ses profonds regrets, et tentait d’expliquer son geste fautif. Elle exposait sa situation précaire d’étudiante étrangère, avec à sa charge deux fils mineurs et des parents. Un travail en parallèle à ses études lui permettait de subvenir aux besoins de sa famille. Un horaire exigeant et la peur de se retrouver au chômage lui avait laissé peu de temps pour les études et l’aurait poussé vers le piège du recopiage de travaux trouvés sur internet. Elle soulignait l’importance de ses études, la seule perspective en dehors de celles-ci étant le chômage dans son pays, la Bulgarie. Elle mentionnait également une santé précaire (thyroïde). Elle demandait au doyen un rendez-vous afin de lui expliquer de vive voix sa situation. La lettre était accompagnée d’un courrier de soutien de ses collègues de classe et de copies de récépissés postaux pour des factures d’examens médicaux.

8. Le 3 mai 2004, le doyen informait Mme K_______ que son dossier avait été transmis à la commission chargée d’instruire les oppositions.

9. Par lettre-signature du 9 août 2004, l’opposition de l’étudiante était rejetée. La décision relevait que la commission chargée d’instruire les oppositions avait décidé de recevoir l’opposition à la forme, et à la rejeter quant au fond, estimant que « compte tenu de la gravité des faits que rien ne saurait justifier, la décision d’exclusion devait être maintenue ».

10. En date du 8 septembre 2004, la Commission de recours de l’Université (ci-après : la CRUNI) était saisie d’un recours de Mme K_______ contre la décision sur opposition du 9 août 2004. La recourante y admettait le plagiat et insistait sur le fait qu’elle regrettait profondément la fraude commise. Elle reprenait les arguments développés dans son opposition et concluait à ce que la faculté lui « donne une seconde chance ».

11. Le 10 septembre 2004, Mme K_______ adressait à la CRUNI une demande d’effet suspensif à son recours, afin de pouvoir poursuivre ses études jusqu’à droit jugé. La faculté concluait au rejet de cette demande le 24 septembre 2004, informant par la même occasion la CRUNI que le Conseil de discipline avait rendu, le 14 septembre et dans le même dossier, une décision d’exclusion de l’Université pour fraude.

12. Par décision sur mesures provisionnelles du 7 octobre 2004, la Présidente de la CRUNI rejettait la demande d’effet suspensif de Mme K_______, les conclusions préalables prises par la recourante se confondant avec celles qu’elles avaient prises au fond.

13. Dans sa réponse au fond du 14 octobre 2004, la faculté concluait au rejet du recours. Au vu des faits constatés de plagiat, la faculté maintenait la décision du 9 août 2004. Cette écriture emploie le terme d’ « élimination » plutôt que d’« exclusion » s’agissant de la sanction infligée à la recourante.

14. Par courrier du 1er novembre 2004, la CRUNI a prié l’Université de lui transmettre la décision du Conseil de discipline, et de lui indiquer si la recourante avait été entendue par la commission d’opposition. Dans sa réponse du 10 novembre 2004, l’Université envoyait le document demandé et indiquait à la CRUNI que Mme K_______ n’avait pas été entendue par le doyen, celui-ci, « comme il a déjà été indiqué à la CRUNI », n’étant «absolument pas en mesure de donner suite aux nombreuses demandes de rendez-vous formulées par ses étudiants, dans la mesure où le nombre d’étudiants (…) dépasse 3'500. ». Il était précisé que la recourante avait à plusieurs reprises été reçue par la conseillère aux études et qu’en ce qui concernait la commission d’opposition, Mme K_______ « n’avait pas sollicité expressément son audition auprès de cette instance ».

15. Sur opposition de Mme K_______, le Conseil de discipline avait rendu, le 3 novembre 2004, une décision sur opposition confirmant sa décision du 14 septembre sur l’exclusion de l’Université de Genève. Mme K_______ a contesté cette décision devant la CRUNI (A/2476/2004).

1. Dirigé contre la décision sur opposition du 9 août 2004 et interjeté dans le délai légal et la forme prescrite auprès de l’autorité compétente, le recours est recevable (art. 62 de la loi sur l’université du 26 mai 1973 - LU – C 1 30 ; art. 87 du règlement de l’université du 7 septembre 1988 - RU – C 1 30.06; art. 26 et 27 du règlement interne relatif aux procédures d’opposition et de recours du 25 février 1977 - RIOR).

2. Mme K_______ n’a pas été entendue par le doyen, alors qu’elle l’avait expressément demandé dans son courrier du 8 avril 2004, courrier accompagnant son formulaire d’opposition. Le droit d’être entendu oralement par l’organe prenant la décision sur opposition étant un grief d’ordre formel, il sera examiné en premier.

3. a. Dans une jurisprudence constante, que la faculté des SES s’obstine à ignorer malgré le fait qu’elle en est régulièrement l’objet, la CRUNI a établi que l’art. 10 al. 2 RIOR donne droit à une audition orale par l’organe chargée de l’instruction, pour autant que l’opposant la sollicite (Décisions CRUNI S. du 20 juin 2002 ; N. du 20 juin 2002 ; J. du 14 juillet 2003 ; O.C. du 28 novembre 2003 ; B. du 8 juillet 2004).

b. Mme K_______ a expressément demandé à être entendue par le doyen, et ceci clairement dans le contexte de son opposition, puisque la demande d’audition accompagnait le formulaire d’opposition. Il est dès lors totalement erroné d’affirmer que Mme K_______ n’avait pas fait de demande d’audition auprès de la commission de recours. Le doyen devait comprendre son courrier du 8 avril 2004 comme une demande au sens de l’art. 10 al. 2 RIOR, et transmettre celle-ci à l’autorité compétente, ce qu’il a omis de faire. Pour le surplus, dans la plupart des décisions précitées touchant à cette question, la faculté des SES était la partie intimée. Dans l’exposé des faits de ces décisions, la demande d’audition était également adressée au doyen et refusée de la même manière. Dans ces cas-là, la CRUNI avait établi l’existence d’une violation de l’art. 10 al. 2 RIOR. Il n’y a pas de raison de s’écarter de cette jurisprudence, d’autant plus que la faculté intimée frise les limites de la mauvaise foi en refusant systématiquement l’audition requise par des opposants malgré la jurisprudence clairement établie par la CRUNI. Certes, ladite faculté comporte un nombre important d’étudiants. Il ne s’agit pas ici de donner un rendez-vous à chacun d’entre eux, mais d’entendre ceux qui font une opposition dans la mesure où ils le demandent. Il ne s’agit certainement pas de 3'500 étudiants. Cela mis à part, au vu la gravité des faits et de la sévérité de la sanction infligée, la situation de Mme K_______ constitue incontestablement une situation particulière qui aurait mérité une plus grande disponibilité des autorités facultaires.

c. La violation de l’art. 10 al. 2 RIOR est en soi suffisante pour admettre le recours et renvoyer la décision sur opposition à la commission d’opposition de la faculté, afin que celle-ci prenne une nouvelle décision après audition de la recourante.

4. a. La CRUNI relève d’ailleurs que le procès-verbal d’examens du 10 mars 2004 mentionne l’art. 11 du règlement d’études SES (ci-après : RE) et l’art. 38 RU en regard de l’indication « exclusion ».

 

b. L’art 11 RE prévoit que « toute fraude ou tentative de fraude entraîne, pour leurs auteurs, l’attributions de la note zéro à toutes les épreuves présentées pendant la session », la procédure disciplinaire prévue à l’article 38 RU demeurant réservée. Cette disposition prévoit, à son alinéa premier, qu’en cas de fraude ou tentative de fraude, le jury ou le surveillant fait rapport au doyen ; l’alinéa 2 prévoit que le collège des professeurs peut annuler tous les examens subis par le candidat dans la session et ajourner les examens du candidat à une autre session, l’annulation de la session entraînant l’échec à cette session. L’alinéa 3 prévoit que « le collège des professeurs peut aussi, le cas échéant, proposer au rectorat l’exclusion temporaire, pour une année au plus, ou l’exclusion définitive du candidat ».

 

d. Le Conseil de discipline, dans sa décision du 14 septembre 2004, démontre un conflit de norme entre l’art. 38 RU, qui donne la compétence d’exclure un étudiant au rectorat, et l’art 63 E al. 1 LU, qui donne cette même compétence au Conseil de discipline. La première disposition étant antérieure à la seconde, et la seconde bénéficiant de plus de la suprématie de la loi sur le règlement, le Conseil de discipline conclut à ce que cette compétence lui appartient désormais (Décision du 14 septembre, partie en droit, ch. 2). La CRUNI ne peut qu’adhérer à cette conclusion.

c. En l’espèce, il n’était donc pas de la compétence de la faculté d’exclure Mme K_______, puisque cette compétence appartenait uniquement au Conseil de discipline, qui en a d’ailleurs usé. La seule sanction à disposition de la faculté était l’élimination, et non l’exclusion.

 

5. a. L’art. 61 RE règle le cas de l’élimination d’un étudiant en DEA. Il prévoit qu’est éliminé l’étudiant qui, soit « ne s’est pas présenté aux deux sessions d’examens suivant son admission aux études de diplôme, soit « a enregistré un échec définitif aux examens ou à la soutenance de mémoire », soit enfin « n’a pas obtenu le diplôme dans les délais d’études fixés ».

 

b. L’art. 53 RE fixe la durée du diplôme à trois semestres au maximum. L’art. 56 RE prévoit une possibilité de s’inscrire à un examen de rattrapage.

 

c. Mme K_______ s’est présentée à une session d’examens un semestre après le début de ses études ; c’était la première fois qu’elle présentait des examens ; elle n’avait pas, à la fin de la session d’examens de février/mars 2004, dépassé les délais réglementaires. Il s’impose de constater que non seulement la faculté n’avait pas la compétence de l’exclure, mais que les conditions de son élimination n’étaient pas réunies.

 

6. Il résulte de ce qui précède que la décision sur opposition du 9 août 2004 est entachée de vices à plus d’un titre. Bien que, au cas où la décision du Conseil de discipline d’exclure Mme K_______ de l’Université serait confirmée, la recourante ne pourrait pas être réintégrée, la décision sur opposition doit tout de même être annulée, et la faculté intimée invitée à rendre une nouvelle décision conforme à son règlement et au RIOR.

 

7. Le dossier sera donc retourné à l’université pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Vu la nature du litige aucun émolument ne sera perçu (art. 33 RIOR).

PAR CES MOTIFS,
LA COMMISSION DE RECOURS DE L’UNIVERSITÉ

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 septembre 2004 par Madame K_______ contre la décision de la faculté des sciences économiques et sociales du 9 août 2004 ;

au fond :

l’admet ;

annule la décision sur opposition du 9 août 2004 de la faculté des sciences économiques et sociales ;

renvoie le dossier à l’université pour nouvelle décision dans le sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

communique la présente décision à Me Philip Grant, avocat de la recourante, à la faculté des sciences économiques et sociales, au service juridique de l’université, ainsi qu’au département de l’instruction publique.

Siégeants :

Madame Bovy, présidente ;
Mme Bertossa-Amirdivani, et M. Schulthess, membres.

Au nom de la commission de recours de l’université :

la greffière :

 

 

 

R. Falquet

 

la présidente :

 

 

 

L. Bovy

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :