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Décisions | Chambre civile

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C/24295/2011

ACJC/734/2013 du 07.06.2013 ( SOM ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : CONDUITE DU PROCÈS; DROIT À LA PREUVE; AVANCE DE FRAIS
Normes : CPC.319; CPC.102
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/24295/2011 ACJC/734/2013

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du vendredi 7 JUIN 2013

 

Entre

A______, ayant son siège ______ Genève, recourante contre une ordonnance rendue par la 3ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 8 février 2013, comparant par Me François Membrez, avocat, rue Verdaine 12, case postale 3647, 1211 Genève 3, en l'étude duquel elle fait élection de domicile,

et

B______, ayant son siège ______ Zurich, prise en son établissement à ______ Genève, intimée, comparant par Mes Carlo Lombardini et Emma Lombardini, avocats, rue de Hesse 8-10, case postale 5715, 1211 Genève 11, en l'étude desquels elle fait élection de domicile,

 


EN FAIT

A. a. Le 9 mai 2012, A______, dont le siège est à Genève, a déposé devant le Tribunal de première instance une demande en paiement portant sur une somme de 203'000 $, plus intérêts à 5% l'an dès le 18 février 2008, contre B______, sise à Zurich, prise en son établissement à Genève.

A l'appui de sa demande, A______ a exposé avoir effectué, en février 2008, sur conseil de B______, un investissement de 200'000 $ dans un fond C______ et avoir tout perdu en moins d'un an. Selon ses explications, il s'était avéré que ce fonds était en réalité un fonds relais de Bernard MADOFF. Or, dès juin 2000 déjà, B______ avait demandé à ses gérants de vendre les produits MADOFF des portefeuilles sous mandat de gestion. A______ reproche ainsi à B______ d'avoir traité différemment ses clients sous mandat de conseil de ses clients sous mandat de gestion. Elle avait violé son devoir d'information, en n'attirant pas son attention sur les doutes qu'elle nourrissait à l'égard de l'activité financière de Bernard MADOFF.

b. Lors de l'audience du 3 décembre 2012, après l'audition des parties, A______ a notamment requis l'audition de D______, ancien directeur de l'Unité ______ de B______, E______, chef du ______ [type de d'unité] de B______ et F______, membre du conseil d'administration de G______ de 1999 à 2002. Ces personnes avaient, selon A______, participé à une réunion avec Bernard MADOFF, durant l'été 2000, au terme de laquelle ils avaient considéré que les fonds MADOFF ne constituaient pas un bon investissement.

c. Par ordonnance du 8 février 2013, communiquée aux parties par plis du 14 suivant, puis notifiée une nouvelle fois en raison d'une erreur matérielle par plis du 19 mars 2013, le Tribunal a autorisé les parties à apporter les preuves des faits qu'elles allèguent, contestés par leur partie adverse (ch. 1 du dispositif), rejeté la demande d'audition des témoins D______, E______ et F______, au motif qu'ils n'avaient aucune connaissance des faits de la cause, admis l'audition des cinq autres témoins sollicitée par A______ (ch. 2) et celle de trois témoins requise par B______ (ch. 3), réservé l'admission éventuelle d'autres moyens de preuve à un stade ultérieur de la procédure (ch. 4) et imparti un délai au 15 mars 2013 à la demanderesse et à la défenderesse pour verser, à titre d'avance de frais, les sommes respectives de 3'750 fr. (ch. 5) et 1'250 fr. (ch. 6).

Les cinq témoins dont l'audition a été sollicitée par A______ et admise par le Tribunal sont : H______, c/o B______, à Genève, I______, administrateur de J______, à Genève, K______, c/o L______, à Istanbul (Turquie), M______, directrice de A______, à Genève, et N______, associé-gérant de O______, à


Genève. A______ a estimé le temps d'audition de ces personnes à 2h10 en tout (20min. + 20min. + 1h. + 15min. + 15min.).

B______ a également demandé à ce que H______ soit entendu. Son témoignage devait, en partie, porter sur d'autres faits que ceux que A______ souhaitait établir par l'audition de ce même témoin. B______ a en outre sollicité l'audition de deux autres de ses employés, P______ et Q______, et a évalué le temps nécessaire pour entendre ces trois témoins à 1h10 (20min. + 20min. + 30min).

B. a. Par acte expédié au greffe de la Cour de justice le 12 février 2013, A______ recourt contre les chiffres 2 et 5 du dispositif de cette décision, contestant le refus d'entendre les témoins D______, E______ et F______ et le montant de l'avance de frais. Elle conclut à l'annulation de ces chiffres, à l'admission des témoignages précités, à la fixation d'une avance de frais qui lui est réclamée pour l'administration des preuves de 1'500 fr. au maximum, à la confirmation de l'ordonnance entreprise pour le surplus et à la condamnation de sa partie adverse en tous les frais et dépens.

S'agissant du chiffre 2, elle motive la recevabilité de son recours ainsi : "les faits que ces trois témoins pourront venir appuyer étant pertinents et contestés par son adverse partie, il va de soi que le refus de ces témoins-clés constitue manifestement un préjudice difficilement réparable pour [elle]", au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC.

b. Par arrêt du 4 avril 2013, la Cour de céans a rejeté la demande d'effet suspensif sollicité par A______, l'effet exécutoire de la décision entreprise n'étant pas susceptible de provoquer de conséquences irréversibles pour la recourante. Les frais et dépens de l'incident ont été réservés avec la décision au fond.

c. Dans sa réponse du 8 avril 2013, transmise par pli du lendemain à A______, B______ conclut à l'irrecevabilité du recours, faute de préjudice difficilement réparable. Elle propose au surplus le déboutement de sa partie adverse, avec suite de frais et de dépens.

d. Le 19 avril 2013, A______ a répliqué spontanément. Elle a en outre produit une pièce nouvelle, datée du 5 juin 2012.

e. Le 24 avril 2013, B______ s'est opposé à la recevabilité de cette réplique au motif qu'elle était tardive, ainsi qu'à celle de la pièce nouvelle.

f. L'argumentation juridique développée devant la Cour sera reprise ci-après dans la mesure utile.

 

EN DROIT

1. 1.1 Selon l'art. 319 let. b CPC, le recours est recevable notamment contre les ordonnances d'instruction de première instance dans les cas prévus par la loi (ch. 1) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudicie difficilement réparable (ch. 2).

Les décisions relatives aux avances de frais sont susceptibles d'un recours immédiat pour être prévu par la loi (art. 103 et 319 let. b ch. 1 CPC).

Les ordonnances de preuve au sens de l'art. 154 CPC déterminent les moyens de preuve admis pour établir les faits de la cause. Elles sont susceptibles de recours immédiat aux conditions restrictives de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC, soit
lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (JEANDIN, in CPC, Code de procédure civile commenté, Bohnet/Haldy/Jeandin/Schweizer/
Tappy [éd.], 2011, n. 14 ad art. 319 CPC; GUYAN, in Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, Spühler/Tenchio/Infanger [éd.], 2010, n. 1 et 2 ad art. 154 CPC; HASENBÖHLER, in Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung [ZPO], Sutter-Somm/Hasenböhler/Leuenberger [éd.], 2010, n. 6 et 25 ad art. 154 CPC).

1.2 Le recours a été interjeté dans le délai de dix jours et suivant la forme prescrite par la loi (art. 130, 131 et 321 al. 2 et 3 CPC).

Une réplique suivant une réponse au recours doit, pour être recevable, être déposée dans un délai raisonnable qui ne devrait à tout le moins pas être supérieur à celui du recours (cf. arrêt du Tribunal fédéral 5A_777/2011 du 7 février 2012 consid. 2.2; ATF 133 I 100 consid. 4.8).

En l'occurrence, la recourante ayant reçu, au plus tôt, la réponse de sa partie adverse le 10 avril 2013, il convient de retenir qu'elle a répliqué, le 19 avril 2013, dans le délai encore admissible. Partant, son courrier est recevable. La pièce nouvelle produite avec ces écritures doit en revanche être écartée de la procédure (art. 326 al. 1 CPC).

Le recours est donc recevable en tant qu'il vise l'annulation du chiffre 5 de l'ordonnance entreprise.

La recevabilité du recours contre le chiffre 2 de l'ordonnance suppose en revanche que la décision entreprise puisse causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC).

1.3 La notion de "préjudice difficilement réparable" est plus large que celle de "préjudice irréparable" au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (cf. ATF 137 III 380 consid. 2, in SJ 2012 I 73; 138 III 378 consid. 6.3). Est considérée comme

"préjudice difficilement réparable", toute incidence dommageable (y compris financière ou temporelle), pourvu qu'elle soit difficilement réparable. Il y a toutefois lieu de se montrer exigeant, voire restrictif, avant d'admettre la réalisation de cette condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu (JEANDIN, op. cit., n. 22 ad art. 319 CPC).

Si cette condition n'est pas remplie, la partie doit attaquer l'ordonnance avec la décision finale sur le fond (Message du Conseil fédéral CPC, FF 2006 6841, ad art. 316 p. 6984; BRUNNER, in Schweizerische Zivilprozessordnung, Paul Oberhammer [éd.], 2010, n. 13 ad art. 319 ZPO; BLICKENSTORFER, in Schweizerische Zivilprozessordnung [ZPO], Brunner/Gasser/Schwander [éd.], 2011, n. 40 ad art. 319 ZPO).

En l'espèce, la recourante indique que le chiffre 2 de l'ordonnance querellée lui cause un préjudice difficilement réparable, dès lors qu'il rejette l'audition de témoins qui pourraient venir confirmer un point décisif pour le sort du litige. Or, cette motivation ne suffit pas pour admettre la réalisation des conditions de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC.

Si la recourante estime que le premier juge a refusé à tort l'audition de témoins pouvant influencer l'issue du litige, elle pourra diriger ses griefs contre la décision finale par la voie de l'appel de l'art. 308 CPC (cf. JEANDIN, op. cit., n. 25 ad art. 319 CPC). Le seul fait que la recourante ne puisse se plaindre d'une violation des dispositions en matière de preuve qu'à l'occasion d'un appel sur le fond ne saurait être considéré comme suffisant pour retenir que la décision entreprise est susceptible de lui causer un préjudice difficilement réparable. Retenir le contraire équivaudrait à permettre à un plaideur de contester immédiatement toute ordonnance d'instruction pouvant avoir un effet sur le sort de la cause, ce que le législateur a justement voulu éviter.

Dès lors que la recourante n'allègue aucune autre circonstance susceptible de lui causer un préjudice difficilement réparable, le chef de conclusions tendant à la réforme du chiffre 2 de l'ordonnance entreprise est irrecevable.

1.4 Le recours est ainsi recevable uniquement en tant qu'il conteste le montant de l'avance de frais de 3'750 fr. (chiffre 5 de l'ordonnance).

1.5 Le recours peut être formé pour violation du droit et constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).

2. La recourante invoque une violation de l'art. 102 al. 1 CPC. Elle reproche au Tribunal d'avoir fixé l'avance de frais due par elle à 3'750 fr., alors que celle de sa

partie adverse a été arrêtée à 1'250 fr. Selon elle, le montant de 3'750 fr. est excessif; par ailleurs, une telle différence de traitement entre les parties, qui estiment le temps d'audition de leurs témoins à 2h10 pour la recourante contre 1h10 pour l'intimée, ne se justifie pas et est arbitraire.

2.1 Selon l'art. 102 al. 1 et 2 CPC, chaque partie avance les frais d’administration des preuves qu’elle requiert (al. 1). Lorsque les parties requièrent les mêmes moyens de preuve, chacune avance la moitié des frais (al. 2).

Pour déterminer les montants à exiger, le juge peut se fonder sur les tarifs édictés selon l'art. 96 CPC (TAPPY, in CPC, Code de procédure civile commenté, Bohnet/Haldy/Jeandin/Schweizer/Tappy [éd.], 2011, n. 6 ad art. 102 CPC).

L'art. 74 du Règlement fixant le tarif des frais en matière civile (RTFMC - E 1 05.10), applicable par renvoi de l'art. 96 CPC, prévoit que les témoins sont dédommagés de leurs frais de déplacement (al. 1) et qu'ils ont droit à une indemnité fixée par le juge pour autant qu'ils subissent une perte de gain en raison de leur audition (al. 2).

2.2 En l'espèce, le Tribunal a fixé l'avance de frais réclamée à la recourante à 3'750 fr. pour l'audition de cinq témoins, dont l'un d'entre eux est domicilié à Istanbul. Dans ces circonstances, le montant de l'avance de frais requise ne paraît de loin pas excessive : l'audition d'un témoin domicilié à l'étranger, par commission rogatoire internationale ou à la suite d'un déplacement à Genève, implique alternativement des frais de traduction ou de déplacement, voire d'hébergement, sans compter l'éventuelle indemnisation. Le seul temps à consacrer à l'audition des témoins invoqué à l'appui du recours, respectivement 2h10 pour cinq témoins et 1h10 pour trois témoins, ne permet pas de retenir que le montant requis a été arrêté de manière contraire à l'art. 102 al. 1 CPC; la recourante occulte seulement les différences de situations. En tous les cas, l'avance des frais de l'administration des preuves n'a pas à être fixée de manière forfaitaire pour chaque témoin ou de façon proportionnelle au temps annoncé d'audition; elle doit correspondre au contraire aux frais effectifs prévisibles qu'il y a lieu d'évaluer cas par cas.

En fixant le montant de l'avance de frais à 3'750 fr., le premier juge n'a ainsi pas excédé son pouvoir d'appréciation et sa décision ne consacre pas de violation de la loi. Le moyen de la recourante doit donc être écarté.

3. La recourante, qui succombe, sera condamnée aux frais du présent recours ainsi que de la décision sur effet suspensif du 4 avril 2013, fixés à 1'000 fr. au total (art. 104 al. 1, 105 et 106 al. 1 CPC; art. 23 et 41 RTFMC). Ce montant est partiellement compensé par l'avance de frais de 700 fr. effectuée par la recourante,

qui reste acquise à l'Etat (art. 111 CPC). La recourante sera condamnée à payer à ce titre 300 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui aux Services financiers du Pouvoir judiciaire.

La recourante sera également condamnée aux dépens de l'intimée, lesquels seront arrêtés à 1'000 fr. (art. 105 al. 2 et 106 al. 1 CPC; art. 84 ss, 90 RTFMC; 18, 20 et 21 LaCC).

4. Le présent arrêt, qui ne constitue pas une décision finale, peut être porté au Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière civile (art. 51 al. 1 let. c et 72 ss LTF; cf. arrêt du Tribunal fédéral 4A_85/2007 consid. 2.1), aux conditions de l'art. 93 LTF.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare irrecevable le recours interjeté par A______ contre le chiffre 2 du dispositif de l'ordonnance rendue le 8 février 2013 par le Tribunal de première instance dans la cause C/24295/2011 - 00 - 3.

Déclare recevable le recours interjeté par A______ contre le chiffre 5 du dispositif de cette même ordonnance.

Au fond :

Rejette le recours contre le chiffre 5 du dispositif de l'ordonnance précitée.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais de la présente décision et de la décision sur effet suspensif du 4 avril 2013 à 1'000 fr. au total et les met à la charge de A______.

Les compense à due concurrence avec l'avance de frais de 700 fr. effectuée par A______, qui reste acquise à l'Etat.

Condamne A______ à payer 300 fr. aux Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Condamne A______ à payer 1'000 fr. à B______, à titre de dépens.

Siégeant :

Monsieur Jean RUFFIEUX, président; Madame Ariane WEYENETH et Madame Elena SAMPEDRO, juges; Madame Nathalie DESCHAMPS, greffière.






Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.