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Décisions | Sommaires

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C/25111/2020

ACJC/547/2022 du 07.04.2022 sur JTPI/15908/2021 ( SFC ) , CONFIRME

Normes : LP.294; LP.295.alB
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/25111/2020 ACJC/547/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 7 AVRIL 2022

 

Entre

A______ SA, sise ______[GE], recourante contre un jugement rendu par la 8ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 17 décembre 2021, comparant par Me Philippe GRUMBACH, avocat, Grumbach Sàrl, rue Saint-Léger 6, case postale 181, 1211 Genève 4, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par jugement du 17 décembre 2021, le Tribunal de première instance, statuant par voie de procédure sommaire, a refusé de prolonger le sursis concordataire définitif accordé à A______ SA par jugement du 24 juin 2021 avec effet au 17 décembre 2021 (ch. 1 du dispositif), prononcé la faillite de A______ SA avec effet au 17 décembre 2021 à 15h. (ch. 2), ordonné la publication du chiffre 2 précité dans la FAO et la FOSC, aux frais de A______ SA (ch. 3), condamné en conséquence A______ SA à payer à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, les frais de publication et les émoluments y relatifs (ch. 4), arrêté les frais judiciaires de la présente procédure concordataire à 1'000 fr. (ch. 5), compensé à due concurrence avec l'avance fournie par A______ SA (ch. 6), arrêté les frais et honoraires du commissaire au sursis, B______, à 6'500 fr. TTC pour la période du 17 juin au 15 décembre 2021 (ch. 7), mis à charge de A______ SA (ch. 8), ordonné aux Services financiers du Pouvoir judiciaire de verser à B______ la somme de 6'500 fr. par prélèvement sur les provisions versées par A______ SA (ch. 10), relevé B______ de sa mission de commissaire au sursis (ch. 11) et débouté A______ SA de toutes autres conclusions (ch. 12).

B. a. Par acte déposé à la Cour de justice le 30 décembre 2021, A______ SA a formé recours contre ce jugement. Elle a conclu, avec suite de frais, à son annulation et à la prolongation de six mois, soit jusqu'au 17 juin 2022, subsidiairement, trois mois, soit jusqu'au 17 mars 2022, du sursis concordataire définitif qui lui avait été octroyé par jugement JTPI/8452/2021 du 24 juin 2021.

b. Invité à se déterminer sur le recours, B______, commissaire au sursis, a déclaré s'en rapporter à l'appréciation de la Cour.

c. Par arrêt du 5 janvier 2022, la Cour a accordé, sur requête de A______ SA, la suspension de l'effet exécutoire attaché au jugement ainsi que la suspension des effets juridiques de l'ouverture de la faillite jusqu'à droit jugé sur le recours et aux conditions précédemment en vigueur.

d. A______ SA a été informée par avis de la Cour du 1er février 2022 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure.

a. A______ SA est une société anonyme fondée le ______ 2012, dont le siège se trouve à Genève.

Son but tel quel ressort du registre du commerce est le suivant: "dans le sens d'une holding, et à l'exclusion de toutes participations et de tous financements dans des sociétés ayant un but d'acquisition d'immeubles en Suisse: prise, achat, vente, administration et gestion de participations dans toutes sociétés ou entreprises, directement ou indirectement, en Suisse et à l'étranger; toutes opérations d'achat, gestion et vente de biens immobiliers à l'étranger; financement de sociétés affiliées".

A______ SA est une entité du groupe de sociétés "C______", actif dans le domaine du luxe, et qui comprend les sociétés D______ SA et E______ SA.

b. Ces sociétés ont rencontré des difficultés en raison de la crise sanitaire liée au COVID 19.

c. Les quatre sociétés précitées ont dès lors requis du Tribunal l'octroi d'un sursis provisoire le 7 décembre 2020, lequel a été octroyé par jugement du 12 février 2021, puis a été prolongé par jugement du 22 avril 2021.

d. Par jugement JTPI/8452/2021 du 24 juin 2021, le Tribunal a accordé un sursis définitif à A______ SA de six mois, soit jusqu'au 17 décembre 2021, se fondant sur divers éléments, à savoir:

– L'octroi d'un dividende de 100% pour les créanciers de 1ère et de 2ème classe et d'un dividende de 80% pour les créanciers de 3ème classe,

– Les discussions en cours avec l'Administration fiscale cantonale,

– Les négociations en cours avec F______ pour une levée de fonds de 600'000 GBP,

– La possible introduction en bourse à Londres/UK (Initial Public Offering, IPO),

– La recherche active de nouveaux investisseurs, notamment par le biais d'une procédure de "crowdfunding",

– Les négociations avec le créancier H______ Ltd.

e. Il ressort des états financiers au 30 novembre 2021 que A______ SA a réalisé une perte de 407'828 fr. 17 pour l'exercice 2021. Elle n'a réalisé aucun produit en 2021.

A______ SA est en situation de cessation de paiement. Sa trésorerie est inexistante. Son financement à court terme est pratiquement inexistant (2'003 fr. 95). Ses engagements à court terme s'élèvent à 3'527'561 fr. 41.

Elle est en situation de surendettement. Le montant du surendettement est de 5'800'455 fr. 58.

Elle a financé son activité 2021 en recourant essentiellement au crédit-fournisseur qui est passé de 250'504 fr. 93 au 31 décembre 2020 à 1'344'381 fr. 41 au 30 novembre 2021, et en augmentant les prêts de tiers, passant de 2'006'608 fr. 89 à 2'385'394 fr. 33 (valeur de continuation).

Ses fonds propres se chiffrent à 11'334'427 fr. 18. Toutefois, l'essentiel de ses actifs est constitué de prêts actionnaires (1'078'918 fr. 52), de prêts à des sociétés du groupe (1'512'887 fr. 03) et de participations (8'740'617 fr. 68), dont la valorisation est sujette à caution.

f. Selon le rapport du commissaire du 6 décembre 2021, bien que régulièrement convoquée pour le 24 novembre 2021, l'assemblée des créanciers ne s'est finalement pas tenue et a été annulée, faute pour A______ SA de pouvoir déjà, à cette date, présenter un projet de concordat au sens de l'art. 301 LP.

Le commissaire expose que pour autant que le concordat de D______ SA puisse être homologué– faite de quoi toutes les sociétés du groupe tomberaient alors évidemment en faillite –, il pourrait proposer de donner une suite favorable à la requête de A______ SA d'obtenir une prolongation du sursis définitif de 6 mois au sens de l'art. 295b LP. Le moratoire supplémentaire permettrait de mener à bien la vente des actions de I______ Ltd et de mener à bien la procédure initiée en matière fiscale.

g. Lors de l'audience devant le Tribunal du 13 décembre 2021, A______ a requis une prolongation de trois mois du sursis définitif.

Le commissaire a indiqué qu'il n'avait pas préavisé de prolongation du sursis définitif car la double majorité requise par l'art. 305 LP n'était pas acquise et qu'il n'y avait pas de garantie pour les deux classes privilégiées.

Les trois sociétés C______ SA, E______ et A______ SA devaient être traitées de la même manière.

La cause a été gardée à juger à l'issue de l'audience.

h. Dans son jugement du 17 décembre 2021, le Tribunal a exposé qu'à l'instar de D______ SA – dont il a considéré qu'il n'existait aucune perspective d'assainissement à court ou moyen terme, a ainsi refusé la prolongation du sursis concordataire définitif et prononcé la faillite – le rapport du commissaire du 6 décembre 2021 n'évoquait plus l'éventuelle introduction en bourse à G______ et il n'y avait pas de nouveaux investisseurs, notamment par le biais d'une procédure de "crowdfunding". Ledit rapport ne disait par ailleurs rien au sujet des négociations en cours avec F______ pour une levée de fonds de 600'000 GBP. Les discussions avec l'Administration fiscale cantonale n'étaient en outre pas documentées, à l'exception d'une demande d'information adressée à la Confédération en date du 15 septembre 2021. Il ignorait cependant quelle suite avait été donnée à cette démarche.

De plus, la sursitaire avait d'ores et déjà bénéficié de 4,5 mois de sursis provisoire et de 6 mois de sursis définitif, soit un total de 10,5 mois, ce qui était considérable. La requête en sursis avait été déposée le 7 décembre 2020, soit il y avait 12 mois, en vain. Le cas n'était pas particulièrement complexe (art. 295b al. 1 LP) et l'application de l'art. 295b al. 2 LP n'était pas envisageable, compte tenu du temps écoulé.

Par conséquent, il fallait retenir qu'il n'existait aucune perspective d'assainissement à court ou moyen terme, de telle sorte que la prolongation du sursis concordataire définitif devait être refusée.

Le refus de prolonger le sursis entraînait le prononcé de la faillite de la sursitaire.

EN DROIT

1. 1.1 Le débiteur et les créanciers peuvent attaquer la décision du juge du concordat par la voie du recours, conformément au Code de procédure civile (art. 295c LP; art. 309 let. b ch. 7 CPC et 319 let. a CPC).

1.2 Formé dans le délai et selon la forme prescrits par la loi (art. 321 al. 1 et al. 2 CPC), le recours est recevable.

1.3 Le pouvoir d'examen de la Cour est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).

1.4 Le recours est instruit en procédure sommaire (art. 251 let. a CPC) et la maxime inquisitoire s'applique (art. 255 let. a CPC).

1.5 Dans le cadre d'un recours, les conclusions, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables (art. 326 al. 1 CPC). Les dispositions spéciales de la loi sont réservées (al. 2).

1.5.1 L'art. 192 LP prévoit que la faillite est prononcée d'office sans poursuite préalable dans les cas prévus par la loi, notamment dans le cadre d'une proicédure concordataire (Talbot, Kommentar zum SchKG, 4ème éd., 2017, n. 1 ad art. 192 LP).

Dans le cadre du recours de l'art. 174 LP – applicable par renvoi de l'art. 194 al. 1 LP –, les parties peuvent faire valoir des faits nouveaux, lorsque ceux-ci se sont produits avant le jugement de première instance (art. 174 al. 1, 2ème phrase, LP). Dans le cadre d'un recours contre un prononcé de faillite sans poursuite préalable, seuls les pseudo-nova sont en principe recevables, les hypothèses énumérées exhaustivement à l'art. 174 al. 2 ch. 1-3 LP étant étrangères à ce type de procédure (arrêt du Tribunal fédéral 5A_243/2019 du 17 mai 2019 consid. 3.1).

1.5.2 En l'espèce, la recourante a formé des allégations et déposé des pièces nouvelles. Celles-ci sont irrecevables en tant qu'elles ne sont pas datées, dans la mesure où il ne peut être nécessairement retenu qu'il s'agit de pseudo-nova, ou sont postérieures au 17 décembre 2021. Les autres pièces nouvelles sont recevables.

1.6 Les conclusions nouvelles sont irrecevables (art. 326 al. 1 CPC).

La recourante a conclu à la prolongation de six mois du sursis concordataire qui lui avait été accordé par jugement du 24 juin 2021. Elle avait toutefois conclu en dernier lieu devant le Tribunal à l'octroi d'un délai de trois mois. La conclusion tendant à une prolongation d'une durée supérieure est dès lors irrecevable.

2. La recourante soutient que le Tribunal aurait violé l'art. 295b LP al. 1 LP en refusant de prolonger le sursis concordataire définitif qui lui avait été octroyé par jugement du 24 juin 2021. Il devait être procédé, dans un premier temps, à l'assainissement de D______ SA par l'homologation d'un premier concordat. Dans ce contexte, A______ SA, qui est créancière de D______ SA, obtiendrait des actions de I______ LTD qu'elle pourrait réaliser.

2.1 Si, durant le sursis provisoire, des perspectives d’assainissement ou d’homologation d’un concordat apparaissent, le juge du concordat octroie définitivement un sursis de quatre à six mois (art. 294 al. 1 LP). Sur demande du commissaire, le sursis peut être prolongé jusqu’à douze mois et, dans les cas particulièrement complexes, jusqu’à 24 mois (art. 295b al. 1 LP).

Seul le commissaire a qualité pour soumettre au juge du concordat une proposition selon l’art. 295b LP. Le débiteur ou le créancier qui a demandé le sursis concordataire n’a donc pas qualité pour le faire (Bauer/Luginbühl, Basler Kommentar SchKG, 3ème éd., 2021, n. 4 ad art. 295b LP; Umbach-Spahn/Kesselbach/Fink, Kommentar zum SchKG, 4ème éd., 2017, n. 3 ad art. 295b LP).

2.2 En l'espèce, la recourante a déjà bénéficié d'un sursis définitif de six mois selon le jugement du 24 juin 2021, soit la durée maximale prévue par l'art. 294 al. 1 LP. La demande de prolongation a été formulée devant le Tribunal par cette dernière, mais pas par le commissaire, comme cela devait être le cas en application de l'art. 295b al. 1 LP. Le commissaire a certes indiqué dans son rapport du 6 décembre 2021 qu'il pourrait proposer de donner une suite favorable à la requête de A______ SA d'obtenir une prolongation du sursis définitif de six mois au sens de l'art. 295b LP mais, lors de l'audience devant le Tribunal du 13 décembre 2021, il n'a pas sollicité de prolongation de délai. En outre, dans ses déterminations sur le recours adressées à la Cour, le commissaire s'est limité à s'en remettre à l'appréciation de la Cour, sans toujours déclarer être favorable à une prolongation du sursis.

Les conditions pour l'obtention d'un délai supplémentaire, qui excède le délai de six mois déjà accordé par jugement du 24 juin 2021 et échu le 17 décembre 2021, ne sont donc pas remplies.

Le recours n'est dès lors pas fondé à cet égard.

3. La recourante invoque une violation de l'art. 294 al. 3 LP. Elle soutient qu'au vu de ses perspectives d'assainissement, sa faillite ne se justifie pas.

3.1 Selon l'art. 294 al. 3 LP, le juge prononce d’office la faillite s’il n’existe aucune perspective d’assainissement ou d’homologation d’un concordat.

Si la demande de prolongation du sursis concordataire définitif est rejetée ou n’est pas déposée à temps (avant l’expiration de la durée du sursis accordée jusqu’ici), cela déploie les mêmes effets que la révocation du sursis concordataire (art. 296b LP) et entraîne l’ouverture de la faillite (Bauer/Luginbühl, op. cit., n. 28 ad art. 295b LP; Umbach-Spahn/Kesselbach/Fink, op. cit., n. 17 ad art. 295b LP).

3.2 En l'espèce, aucune prolongation du sursis n'a été requise par le commissaire avant son échéance, ni, a fortiori, accordée. La conséquence est donc la faillite de la recourante.

Le recours n'est dès lors pas non plus fondé sur ce point.

4. Les frais judiciaires, arrêtés à 1'500 fr., seront mis à la charge de la recourante, qui succombe, et compensés avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Il ne sera pas alloué d'honoraires au commissaire qui s'est déterminé par un simple courrier et n'en a pas sollicité. Le montant de l'avance de 2'000 fr. fourni par la recourante à ce titre lui sera dès lors restitué.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté par A______ SA contre le jugement JTPI/15908/2021 rendu le 17 décembre 2021 par le Tribunal de première instance dans la cause C/25111/2020–8 SFC.

Au fond :

Rejette ce recours.

Déboute A______ SA de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires à 1'500 fr., les met à la charge de A______ SA et dit qu'ils sont compensés avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ SA la somme de 2'000 fr.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Sylvie DROIN, Madame Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Madame Laura SESSA, greffière.

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Laura SESSA

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.