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C/25108/2020

ACJC/544/2022 du 07.04.2022 sur JTPI/15914/2021 ( SFC ) , CONFIRME

Normes : LP.294; LP.295.alB
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/25108/2020 ACJC/544/2022

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 7 AVRIL 2022

 

Entre

A______ SA, sise ______, recourante contre un jugement rendu par la 8ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 17 décembre 2021, comparant par
Me Philippe GRUMBACH, avocat, Grumbach Sàrl, rue Saint-Léger 6, case
postale 181, 1211 Genève 4, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par jugement du 17 décembre 2021, le Tribunal de première instance, statuant par voie de procédure sommaire, a refusé de prolonger le sursis concordataire définitif accordé à A______ SA par jugement du 24 juin 2021 avec effet au 17 décembre 2021 (ch. 1 du dispositif), prononcé la faillite de A______ SA avec effet au 17 décembre 2021 à 15h. (ch. 2), ordonné la publication du chiffre 2 précité dans la FAO et la FOSC, aux frais de A______ SA (ch. 3), condamné en conséquence celle-ci à payer à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, les frais de publication et les émoluments y relatifs (ch. 4), arrêté les frais judiciaires de la procédure concordataire à 1'000 fr. (ch. 5), compensés à due concurrence avec l'avance fournie par A______ SA (ch. 6), arrêté les frais et honoraires du commissaire au sursis, B______, à 6'500 fr. TTC pour la période du 17 juin au 15 décembre 2021 (ch. 7), mis à la charge de A______ SA (ch. 8), ordonné aux Services financiers du Pouvoir judiciaire de verser à B______ la somme de 6'500 fr. par prélèvement sur les provisions versées par A______ SA (ch. 9), relevé B______ de sa mission de commissaire au sursis (ch. 10) et débouté A______ SA de toutes autres conclusions (ch. 11).

B. a. Par acte déposé à la Cour de justice le 30 décembre 2021, A______ SA a formé recours contre ce jugement. Elle a conclu, avec suite de frais, à son annulation et à la prolongation de trois mois du sursis concordataire définitif qui lui avait été octroyé par jugement JTPI/8434/2021 du 24 juin 2021.

b. Invité à se déterminer sur le recours, B______, commissaire au sursis, a déclaré s'en rapporter à l'appréciation de la Cour.

c. Par arrêt du 5 janvier 2022, la Cour a accordé, sur requête de A______ SA, la suspension de l'effet exécutoire attaché au jugement attaqué ainsi que la suspension des effets juridiques de l'ouverture de la faillite jusqu'à droit jugé sur le recours et aux conditions précédemment en vigueur.

d. A______ SA a été informée par avis de la Cour du 1er février 2022 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure.

a. A______ SA est une société anonyme fondée le ______ 2018, dont le siège est à Genève. Son but est le commerce de détail, notamment dans le domaine de l'équipement de la personne et de la maison.

Elle fait partie du "Groupe C______", actif dans le domaine du luxe, dont la société holding est C______ SA et qui comprend également les sociétés D______ SA et E______ SA.

A______ SA était jusqu'à début 2020 la société suisse opérationnelle du groupe exploitant des commerces, notamment deux à Genève, désormais fermés, et un à F______ (France), fermé en 2019.

b. Ces sociétés ont rencontré des difficultés en raison de la crise sanitaire liée au COVID 19.

c. Les quatre sociétés précitées ont dès lors requis du Tribunal l'octroi d'un sursis provisoire le 7 décembre 2020, lequel a été octroyé par jugement du 12 février 2021, puis prolongé par jugement du 22 avril 2021.

d. Par jugement JTPI/8434/2021 du 24 juin 2021, le Tribunal a accordé à A______ SA un sursis définitif de six mois, soit jusqu'au 17 décembre 2021, se fondant sur divers éléments, à savoir:

– L'octroi d'un dividende de 100% pour les créanciers de 1ère et de 2ème classe et d'un dividende de 80% pour les créanciers de 3ème classe,

– Les discussions en cours avec l'Administration fiscale cantonale,

– Les négociations en cours avec H______ pour une levée de fonds de 600'000 GBP,

– La possible introduction en bourse à G______/UK (Initial Public Offering, IPO),

– La recherche active de nouveaux investisseurs, notamment par le biais d'une procédure de "crowdfunding",

– Les négociations avec le créancier I______ Ltd.

e. Il ressort des états financiers au 30 novembre 2021 que A______ SA a réalisé une perte de 3'454'589 fr. 66, pour l'exercice 2021, aggravant d'autant le montant de son surendettement, qui se chiffre désormais à 8'381'412 fr. 29 (valeur de continuation / solde fonds propres au 31 décembre 2020: 4'926'822 fr. 63).

Elle est en situation de cessation de paiement. Sa trésorerie s'est péjorée au cours de l'exercice 2021, passant de 7'028 fr. 14 au 31 décembre 2020 à 997 fr. 66 au 30 novembre 2021. Ses engagements à court terme s'élèvent à 2'049'157 fr. 75.

Elle a financé son activité 2021 en recourant essentiellement au crédit-fournisseur et en augmentant ses engagements à court terme, qui sont passés de 821'830 fr. 05 au 31 décembre 2020 à 1'299'168 fr. 21 au 30 novembre 2021, en augmentant son endettement envers les sociétés du groupe, passant de 524'674 fr. 52 à 1'460'802 fr. 08 et en ne payant pas ou plus les intérêts courus sur emprunts obligataires convertibles, créant une nouvelle dette de 2'431'845 fr. 67 (valeur de continuation).

g. Dans son rapport du 6 décembre 2021, le commissaire a indiqué qu'une proposition de concordat avait été présentée aux créanciers mais qu'en l'état, qu'aucune des majorités prévues par l'art. 305 al. 1 let. a et b LP n'était atteinte.

f. Lors de l'audience devant le Tribunal du 13 décembre 2021, A______ SA a conclu à ce que le Tribunal prolonge le sursis concordataire pour une durée de trois mois supplémentaires.

A l'appui de cette requête, elle a exposé qu'elle détenait 42% des actions de J______ Ltd. La proposition faite aux créanciers était d'échanger ces actions contre l'abandon des créances admises.

A______ SA n'était pas mesure de désintéresser à 100% les créanciers de 1ère classe (174'039 fr. ) et de 2ème classe (302'368 fr.), soit un montant total de 476'407 fr. Elle a cependant exposé que la proposition de concordat visait à payer rapidement ces créanciers grâce à un apport de fonds externe. Le délai requis devait permettre d'alimenter le compte ouvert pour le paiement des classes privilégiées.

Le commissaire a indiqué qu'il n'avait pas préavisé de prolongation du sursis définitif car la double majorité requise par l'art. 305 LP n'était pas acquise et qu'il n'y avait pas de garantie pour les deux classes privilégiées.

La cause a été gardée à juger à l'issue de l'audience.

i. Par courriel du 15 décembre 2021, le commissaire a informé le Tribunal de ce que les majorités requises selon l'art. 305 LP étaient atteintes à la suite de nouvelles adhésions de créanciers au projet de concordat.

j. Dans son jugement du 17 décembre 2021, le Tribunal a relevé que les actions J______ Ltd détenues par A______ SA étaient valorisées à 1'907'905 fr. au 31 décembre 2020 (note 5 du rapport de révision). Cette évaluation n'avait pas été revue depuis cette date en dépit de la situation économique actuelle.

Le montant total des créanciers, toutes classes confondues, était de 13'218'241 fr. Dans l'hypothèse de la vente des titres J______ Ltd à la valeur comptabilisée dans les comptes, le solde disponible après désintéressement à 100% des dettes de la masse et des créanciers de 1ère et 2ème classe, serait de 1'380'498 fr., ce qui représentait le 10,8% des créanciers de 3ème classe, soit en d'autres termes un dividende probable de 10%.

Cette hypothèse n'était pas crédible à court terme, tant s'agissant de la valorisation et de la vente des titres J______ Ltd, que l'acceptation des créanciers.

En outre, A______ SA avait allégué un dividende de 80% pour les créanciers de 3ème classe.

Il n'y avait pas d'autres sources de financement. Les financements par la trésorerie à hauteur de 650'000 fr. et par les stocks à hauteur de 450'000 fr. n'étaient ni documentés, ni crédibles (rapport du commissaire du 6 décembre 2021). En effet, la trésorerie de A______ SA au 30 novembre 2021 s'élevait à un montant dérisoire de 997 fr. 60. Les stocks de A______ SA étaient valorisés à 167'785 fr. en valeur de continuation et à 16'778 fr. 50 en valeur de liquidation.

Contrairement aux allégations de A______ SA, le rapport du commissaire du 6 décembre 2021 n'évoquait plus l'éventuelle introduction en bourse à G______ et il n'y avait pas de nouveaux investisseurs, notamment par le biais d'une procédure de "crowdfunding". Ledit rapport ne disait par ailleurs rien au sujet des négociations en cours avec H______ pour une levée de fonds de 600'000 GBP. Les discussions avec l'Administration fiscale cantonale n'étaient pas documentées. En outre, les négociations avec le créancier I______ Ltd n'avaient manifestement pas abouti, à supposer qu'elles aient été entreprises.

La sursitaire avait d'ores et déjà bénéficié de 7,5 mois de sursis provisoire et de 6 mois de sursis définitif, soit un total de 13,5 mois, ce qui était considérable. La première requête en sursis avait été déposée le 22 juin 2020, soit 18 mois auparavant, en vain, aboutissant à une situation financière gravement péjorée. Le cas n'était pas particulièrement complexe (art. 295b al. 1 LP) et l'application de l'art. 295b al. 2 LP n'était pas envisageable, compte tenu du temps écoulé.

Par conséquent, il n'existait aucune perspective d'assainissement à court ou moyen terme, de telle sorte que la prolongation du sursis concordataire définitif devait être refusée.

Le refus de prolonger le sursis entraînait le prononcé de la faillite de la sursitaire.

EN DROIT

1. 1.1 Le débiteur et les créanciers peuvent attaquer la décision du juge du concordat par la voie du recours, conformément au Code de procédure civile (art. 295c LP; art. 309 let. b ch. 7 CPC et 319 let. a CPC).

1.2 Formé dans le délai et selon la forme prescrits par la loi (art. 321 al. 1 et al. 2 CPC), le recours est recevable.

1.3 Le pouvoir d'examen de la Cour est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC).

1.4 Le recours est instruit en procédure sommaire (art. 251 let. a CPC) et la maxime inquisitoire s'applique (art. 255 let. a CPC).

1.5 Dans le cadre d'un recours, les conclusions, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables (art. 326 al. 1 CPC). Les dispositions spéciales de la loi sont réservées (al. 2).

1.5.1 L'art. 192 LP prévoit que la faillite est prononcée d'office sans poursuite préalable dans les cas prévus par la loi, notamment dans le cadre d'une procédure concordataire (Talbot, Kommentar zum SchKG, 4ème éd., 2017, n. 1 ad art. 192 LP).

Dans le cadre du recours de l'art. 174 LP – applicable par renvoi de l'art. 194 al. 1 LP –, les parties peuvent faire valoir des faits nouveaux, lorsque ceux-ci se sont produits avant le jugement de première instance (art. 174 al. 1, 2ème phrase, LP). Dans le cadre d'un recours contre un prononcé de faillite sans poursuite préalable, seuls les pseudo-nova sont en principe recevables, les hypothèses énumérées exhaustivement à l'art. 174 al. 2 ch. 1-3 LP étant étrangères à ce type de procédure (arrêt du Tribunal fédéral 5A_243/2019 du 17 mai 2019 consid. 3.1).

1.5.2 En l'espèce, la recourante a formé des allégations et déposé des pièces nouvelles devant la Cour. Celles-ci sont irrecevables en tant qu'elles ne sont pas datées, dans la mesure où il ne peut être nécessairement retenu qu'il s'agit de pseudo-nova, ou sont postérieures au 17 décembre 2021. Les autres pièces nouvelles sont recevables.

2. La recourante soutient que le Tribunal aurait violé l'art. 295b LP al. 1 LP en refusant de prolonger de trois mois le sursis concordataire définitif qui lui avait été octroyé par jugement JTPI/8434/2021 du 24 juin 2021, lequel avait accordé un sursis définitif de six mois, soit jusqu'au 17 décembre 2021, ce qui conduirait à bénéficier d'un sursis définitif de neuf mois. Elle soutient que les perspectives d'assainissement sont bien réelles. La proposition de concordat avait été acceptée par 20 créanciers sur trente représentant 98% des créances.

2.1 Si, durant le sursis provisoire, des perspectives d’assainissement ou d’homologation d’un concordat apparaissent, le juge du concordat octroie définitivement un sursis de quatre à six mois (art. 294 al. 1 LP). Sur demande du commissaire, le sursis peut être prolongé jusqu’à douze mois et, dans les cas particulièrement complexes, jusqu’à 24 mois (art. 295b al. 1 LP).

Seul le commissaire a qualité pour soumettre au juge du concordat une proposition selon l’art. 295b LP. Le débiteur ou le créancier qui a demandé le sursis concordataire n’a donc pas qualité pour le faire (Bauer/Luginbühl, Basler Kommentar SchKG, 3ème éd., 2021, n. 4 ad art. 295b LP; Umbach-Spahn/Kesselbach/Fink, Kommentar zum SchKG, 4ème éd., 2017, n. 3 ad art. 295b LP).

2.2 En l'espèce, la recourante a déjà bénéficié d'un sursis définitif de six mois selon le jugement du 24 juin 2021, soit la durée maximale prévue par l'art. 294 al. 1 LP. La demande de prolongation a été formulée devant le Tribunal par cette dernière, mais pas par le commissaire, comme cela devait être le cas en application de l'art. 295b al. 1 LP. Le commissaire a expressément indiqué lors de l'audience du 13 décembre 2021 qu'il n'avait pas requis de prolongation et il ne l'a pas davantage fait lorsqu'il a transmis au Tribunal la dernière version du tableau des adhésions à la proposition de concordat. Dans ses déterminations sur le recours adressées à la Cour, le commissaire s'est par ailleurs limité à s'en remettre à l'appréciation de la Cour.

Les conditions pour l'obtention d'un délai supplémentaire, qui excède le délai de six mois déjà accordé par jugement du 24 juin 2021 et échu le 17 décembre 2021, ne sont donc pas remplies.

Le recours n'est dès lors pas fondé à cet égard.

3. La recourante invoque une violation de l'art. 294 al. 3 LP. Elle soutient qu'au vu de ses perspectives d'assainissement, sa faillite ne se justifierait pas.

3.1 Selon l'art. 294 al. 3 LP, le juge prononce d’office la faillite s’il n’existe aucune perspective d’assainissement ou d’homologation d’un concordat.

Si la demande de prolongation du sursis concordataire définitif est rejetée ou n’est pas déposée à temps (avant l’expiration de la durée du sursis accordée jusqu’ici), cela déploie les mêmes effets que la révocation du sursis concordataire (art. 296b LP) et entraîne l’ouverture de la faillite (Bauer/Luginbühl, op. cit., n. 28 ad art. 295b LP; Umbach-Spahn/Kesselbach/Fink, op.cit., n. 17 ad art. 295b LP).

3.2 En l'espèce, aucune prolongation du sursis n'a été requise par le commissaire avant son échéance, ni, a fortiori, accordée. La conséquence est donc la faillite de la recourante.

Le recours n'est dès lors pas non plus fondé sur ce point.

4. Les frais judiciaires, arrêtés à 1'500 fr., seront mis à la charge de la recourante, qui succombe, et compensés avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Il ne sera pas alloué d'honoraires au commissaire qui s'est déterminé par un simple courrier et n'en a pas sollicité. Le montant de l'avance de 2'000 fr. fourni par la recourante à ce titre lui sera dès lors restitué.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté par A______ SA contre le jugement JTPI/15914/2021 rendu le 17 décembre 2021 par le Tribunal de première instance dans la cause C/25108/2020–8 SFC.

Au fond :

Rejette ce recours.

Déboute A______ SA de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires à 1'500 fr., les met à la charge de A______ SA et dit qu'ils sont compensés avec l'avance fournie, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ SA la somme de 2'000 fr.

Siégeant :

Monsieur Laurent RIEBEN, président; Madame Sylvie DROIN, Madame
Fabienne GEISINGER-MARIETHOZ, juges; Madame Laura SESSA, greffière.

 

Le président :

Laurent RIEBEN

 

La greffière :

Laura SESSA

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.