Aller au contenu principal

Décisions | Chambre des baux et loyers

1 resultats
C/31357/2006

ACJC/1308/2008 (3) du 03.11.2008 sur JTBL/145/2008 ( OBL ) , RENVOYE

Descripteurs : PREUVE; LOYER USUEL
Normes : CO.274d; CO.269d; CO.269a
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/31357/2006 ACJC/1308/2008

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre d’appel en matière de baux et loyers

AUDIENCE DU LUNDI 3 novembre 2008

 

Entre

SI X______, appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 29 janvier 2008, comparant par Me Serge PATEK, avocat, boulevard Helvétique 6, 1205 Genève, en l’étude duquel elle fait élection de domicile aux fins des présentes,

d'une part,

et

Les époux Y______, intimés, comparant par l’ASLOCA, rue du Lac 12, case postale 6150, 1211 Genève 6, en les bureaux de laquelle ils font élection de domicile aux fins des présentes,

d'autre part.

 


EN FAIT

A. La SI X______ appelle d’un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 29 janvier 2008, notifié aux parties le 5 février 2008, aux termes duquel le Tribunal a constaté que les parties étaient liées par un contrat de bail à loyer d’une durée de cinq ans, du 1er mars 2007 au 29 février 2012, a fixé le loyer à 31'704 fr., charges non comprises, dès le 1er mars 2007, a constaté que le loyer était adapté à l’indice suisse des prix à la consommation dès le 1er mars 2008 et a débouté les parties de toutes autres conclusions.

B. L’appelante conclut à l’annulation du jugement entrepris et à ce que la Cour, statuant à nouveau, renvoie la cause au Tribunal des baux et loyers afin de lui permettre de compléter son offre de preuves, en particulier produire des exemples de loyers comparatifs supplémentaires. Subsidiairement, l’appelante conclut à ce que le loyer annuel soit fixé à 39'600 fr., charges non comprises, dès le 1er mars 2007, la clause d’indexation et la durée du bail de cinq ans étant admises.

Aux termes de son mémoire de réponse du 8 avril 2008, les intimés ont conclu à la confirmation du jugement entrepris.

C. Les faits suivants résultent de la procédure :

a. Les parties sont liées par un bail portant sur un appartement de 6,5 pièces situé au 4e étage de l’immeuble sis avenue ______ 3 à Genève, depuis le 15 février 1997, pour une durée de cinq ans et 16 jours, soit jusqu'au 28 février 2002.

Le loyer annuel a été fixé à 33’600 fr., charges non comprises. Il a ensuite fait l’objet d’une adaptation régulière à l’indice suisse des prix à la consommation (ci-après : ISPC) jusqu’au 1er novembre 2001, où il a été fixé à 34'812 fr.

b. Par avis de majoration ou d’autres modifications du bail du 19 octobre 2001, la bailleresse a proposé aux locataires de renouveler le bail pour une nouvelle période de cinq ans avec clause d’indexation à compter du 1er mars 2002, le loyer demeurant inchangé. Les locataires ne se sont pas opposés à cet avis si bien que la nouvelle échéance du bail a été arrêtée au 28 février 2007.

c. Le loyer a été fixé en dernier lieu à 36'180 fr., charges non comprises, avec effet au 1er mars 2006, toujours sur la base de l’adaptation à l’ISPC.

d. Le 9 novembre 2006, la bailleresse a déclaré majorer le loyer à 39'600 fr., charges non comprises, avec effet au 1er mars 2007, correspondant à la date d’échéance du bail et de la période d’indexation. L’avis officiel transmis aux locataires prévoit que la nouvelle échéance proposée est fixée au 29 février 2012 et que le bailleur se réserve, durant cette période, le droit de majorer le loyer en cas de prestation supplémentaire au sens des art. 269a lit.b CO et 14 OBLF, en sus de l’adaptation à l’évolution de l’ISPC.

Sous le poste, « motifs précis de la majoration ou des modifications », l’avis stipule que :

« Proposition d’un nouveau bail de 5 ans indexé dès le 01.03.2007 (art. 269B CO). Indice de référence 100.7 (base décembre 2005 = 100). Le loyer proposé se situe dans les limites des loyers usuels du quartier (art. 269 A let. a) CO). Les conditions de résiliation du bail restent inchangées. »

e. Les locataires se sont opposés à cette hausse par requête du 14 décembre 2006 et ont formé reconventionnellement une demande de baisse du loyer. Ils ont réclamé préalablement un calcul de rendement de l’immeuble puis principalement, que le loyer annuel soit réduit à 25'326 fr, charges non comprises sous réserve d’amplification en fonction du résultat du calcul de rendement. Subsidiairement, ils ont conclu à une réduction de 10,71% dès le 1er mars 2007, compte tenu de la baisse du taux hypothécaire, et ce, par rapport au loyer en vigueur lors du renouvellement du bail indexé intervenu le 1er mars 2002.

Cette requête (C/31357/2006) a été déclarée non conciliée le 7 août 2007 et introduite le 15 août suivant devant le Tribunal.

f. Pour sa part, la bailleresse a validé la hausse par requête du 5 septembre 2007. Cette procédure a reçu le même numéro de cause que la demande de baisse des locataires.

La société propriétaire a produit quatre exemples de comparaison à l’appui de ses écritures et a sollicité de pouvoir compléter ses écritures, sans autre précision.

g. Par ordonnance du 28 août 2007, le Tribunal a ordonné une instruction écrite suite à l’introduction par les locataires de leur demande de baisse. Il a ainsi fixé un délai au 16 octobre 2007 à la bailleresse pour effectuer un calcul de rendement, produire les pièces utiles et répondre à la demande des locataires.

Par ordonnance du 18 septembre 2007, le Tribunal a également imparti un délai au 13 novembre 2007 aux locataires pour répondre à la requête en validation de hausse de la bailleresse.

Une audience de plaidoiries a enfin été fixée au 4 décembre 2007 pour les deux demandes.

h. Par mémoire du 25 octobre 2007, la bailleresse a conclu au déboutement des locataires et a invoqué le critère des loyers usuels du quartier à l’encontre de leur demande de baisse. Elle s’est opposée à la présentation d’un calcul de rendement en expliquant que vu l’âge de l’immeuble (1930) dont elle était propriétaire depuis l’origine, elle ne disposait plus des pièces comptables faisant état en particulier des fonds propres investis lors de la construction.

Subsidiairement, la bailleresse s’est fondée sur les critères relatifs que sont le taux hypothécaire et l’ISPC pour arriver à la conclusion que l’évolution du taux de 4%, en vigueur lors de la dernière fixation du loyer (sic), soit le 19 octobre 2001, à 3%, en vigueur lors du dépôt de la demande de baisse, autorisait une baisse du loyer de 10,71%, compensée à hauteur de 1,78% vu la hausse de l’indice intervenue durant la même période.

i. Par mémoire du 13 novembre 2007, les locataires ont conclu au déboutement de la bailleresse s’agissant de la hausse litigieuse vu l’absence d’exemples de comparaison en nombre suffisant. Ils ont contesté, pour le surplus, le caractère comparable de ces logements et relevé le mauvais état général de leur appartement en produisant diverses photographies.

Ils ont admis, par ailleurs, le calcul subsidiaire présenté par la bailleresse, fondé sur les critères relatifs visés supra, autorisant une baisse de 8,93% (10,71% -1,78%). Partant, ils ont conclu à ce que le loyer soit réduit à 31'692 fr., charges non comprises, dès le 1er mars 2007. Les locataires ont ainsi renoncé à la présentation d’un calcul de rendement.

j. La bailleresse n’a pas produit de fiche descriptive au sujet du logement concerné. Celle-ci a cependant allégué, sans être contredite par les locataires, que la surface de l’appartement était d’environ 152 m2 et qu’il était pourvu du double vitrages et d’un balcon. L’immeuble, construit en 1930, était situé à proximité d’écoles, de commerces et des transports publics, et bénéficiait d’un ascenseur et du chauffage central, ainsi que d’un accès protégé suite à l’installation d’un code à l’entrée. La façade a été rénovée en 2002-2003. La cuisine est agencée et équipée. Selon la bailleresse, celle-ci n’a pas fait l’objet de travaux au cours des dix dernières années de même que la salle de bains. Une cave et un grenier ont en outre été mis à la disposition des locataires.

D. L'argumentation juridique des parties sera examinée ci-après, dans la mesure utile.

EN DROIT

L'appel est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 443, 29 al. 3 et art. 444 LPC).

Les dernières conclusions prises en première instance ayant porté sur une contestation ayant trait à la protection contre les loyers abusifs, le Tribunal a statué en dernier ressort. Seul est en conséquence ouvert l’appel extraordinaire en violation de la loi (art. 292 LPC), dans le cadre duquel la Cour est liée par les faits constatés par le Tribunal, sous réserve d’une appréciation juridique erronée d’un point de fait (art. 292 al.1 let. d LPC), à savoir manifestement insoutenable, en contradiction formelle avec les preuves recueillies et causale dans la décision incriminée (BERTOSSA/GAILLARD/GUYET/SCHMIDT, Commentaire de la loi de procédure civile, ad art. 445, n 2 ; ad art. 292, n. 6 ss).

Pour examiner les griefs allégués, la Cour se place dans la situation où se trouvait le premier juge lorsqu’il a rendu sa décision, ce qui implique la prohibition d’allégués ou de moyens de preuve nouveaux, pour autant que l’ordre public ne soit pas en cause ou qu’il ne s’agisse pas de faits dont les tribunaux doivent connaître d’office (BERTOSSA/GAILLARD/GUYET/SCHMIDT, op. cit., et les réf. citées).

La Cour apprécie librement le droit dans le cadre des moyens que lui présentent les parties (SCHMIDT, Le pouvoir d’examen en droit de la Cour en cas d’appel pour violation de la loi, SJ 1995 p. 521 ss).

3. Le droit de la bailleresse d’invoquer le critère des loyers usuels du quartier à l’appui de la hausse contestée (art. 269a lit.a CO) n’est pas litigieux en l’espèce. Il a été, à juste titre, reconnu par le Tribunal dès lors que la majoration a été notifiée pour l’échéance de la période d’indexation (ATF 123 III 76) et qu’il s’agit de surcroît d’un immeuble ancien (SJ 2002 p. 434). Cependant, le Tribunal a refusé de valider la hausse au motif que seul quatre exemples de loyers comparatifs avaient été produits.

La bailleresse invoque en premier lieu une violation de l’art. 274d al. 1 CO mais se réfère plus précisément à l’al. 3, lequel stipule que l’autorité de conciliation et le juge établissent d’office les faits et apprécient librement les preuves, les parties étant tenues de leur présenter toutes les pièces nécessaires à l’appréciation du litige.

3.1 En application de la maxime inquisitoire, le juge doit interroger les parties et les informer de leurs devoirs de collaboration et de production des preuves, enfin s’assurer que les allégations et offres de preuves sont complètes, s’il a des motifs objectifs d’éprouver des doutes sur ce point. Son obligation ne va toutefois pas au-delà de l’invitation faite aux parties de mentionner les preuves et de les présenter (ATF 125 III 231).

Selon la jurisprudence de la Cour, soit le bailleur produit immédiatement, comme il se doit, le nombre d’exemples suffisant, c’est-à-dire cinq au moins (ATF 123 III 319), soit il en produit un nombre insuffisant, c’est-à-dire moins de cinq. Dans la première hypothèse, le bailleur ne peut exiger de pouvoir formuler une seconde offre de preuve, lorsque la première est jugée non probante. Dans la seconde hypothèse, la maxime inquisitoire impose au juge d’impartir un délai au bailleur pour compléter et produire ses pièces justificatives, ou, mieux, de le convoquer en audience de comparution personnelle en spécifiant expressément sur la convocation qu’il est invité, à cette occasion, à compléter ses allégués et à déposer tout document dont il entend faire état (ACJ no 312 du 14 mars 2005).

Selon le Tribunal fédéral, l’art. 274d al. 3 CO commande au juge d’avertir le bailleur, même lorsqu’il est assisté d’un mandataire, de l’insuffisance des documents produits et, en particulier, de l’inviter à compléter sa documentation concernant des logements comparables dans le quartier ou, sinon, à produire les pièces permettant un calcul de rendement de l’appartement, ce d’autant plus lorsqu’il a sollicité la faculté de produire des pièces supplémentaires (arrêt du Tribunal fédéral du 12 novembre 2007, 4A_214/2007 consid. 5).

Ainsi que la Cour l’a déjà retenu (ACJ no 1289/2004 et ACJ no 312/2005), si l’avis de hausse doit être motivé et le locataire doit être en mesure d’obtenir, dès la procédure de conciliation, les éléments sur lesquels le bailleur fonde ses prétentions (art. 269d al.1 et 2 CO, 19 al.1 lit. a ch. 4 OBLF), cette règle ne dispense pas le juge d’exiger du bailleur qu’il complète ses allégués si ceux-ci se révèlent insuffisants. Retenir le contraire aurait pour conséquence de vider la maxime inquisitoire sociale de sa substance dans toute procédure en validation de hausse.

3.2 En l’espèce, la bailleresse n’a produit que quatre exemples de comparaison à l’appui de sa requête en validation de hausse et a expressément conclu à l’octroi d’un délai supplémentaire pour compléter ses écritures, délai sur lequel le Tribunal ne s’est pas déterminé. Celui-ci n’a pas non plus convoqué les parties pour une audience de comparution personnelle. Il a uniquement fixé un délai à la bailleresse pour répondre à la demande de baisse formée par les locataires puis a gardé la cause à juger au terme de cette instruction écrite.

La décision entreprise viole dès lors l’art. 274d al. 3 CO à la lumière de la jurisprudence sus-évoquée, ce d’autant plus que le Tribunal a admis parallèlement que le critère des loyers usuels du quartier était seul pertinent, à l’exclusion de celui du rendement de l’immeuble.

4. Le jugement sera donc annulé et la cause sera renvoyée au Tribunal afin que la bailleresse soit autorisée à produire de nouvelles pièces avant que le Tribunal ne statue au fond.

5. Les intimés qui succombent, seront condamnés au paiement d'un émolument de 300 fr. envers l'Etat (art. 447 al. 2 LPC).

6. La présente décision ne met pas fin à la procédure (art. 90 LTF).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

A la forme :

Reçoit l'appel interjeté par la SI X______ contre le jugement JTBL/145/2008 rendu par le Tribunal des baux et loyers le 29 janvier 2008 dans la cause C/31357/2006–3–L.

Au fond :

Annule ce jugement.

Cela fait, statuant à nouveau :

Renvoie la cause au Tribunal des baux et loyers pour nouvelle décision au sens des considérants.

Condamne les époux Y______, pris conjointement et solidairement, à verser à l'Etat de Genève un émolument de 300 fr.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Monsieur François CHAIX, président; Mesdames Marguerite JACOT-DES-COMBES et Florence KRAUSKOPF, juges; Mesdames Nathalie THURLER et Nathalie LANDRY, juges assesseurs; Madame Muriel REHFUSS, greffier.

 

Le président :

François CHAIX

 

Le greffier :

Muriel REHFUSS

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al.1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours constitutionnel subsidiaire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.