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Décisions | Chambre civile

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C/17541/2020

ACJC/1142/2023 du 05.09.2023 sur JTPI/12193/2022 ( OO ) , JUGE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/17541/2020 ACJC/1142/2023

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 5 SEPTEMBRE 2023

 

Entre

A______ LTD, sise ______ (Iles Vierges Britanniques), appelante d'un jugement rendu par la 13ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 14 octobre 2022 et intimée, comparant par Me Jean-François DUCREST, avocat, Ducrest Heggli Avocats LLC, rue de l'Université 4, case postale 3247, 1211 Genève 3, en l'Étude duquel elle fait élection de domicile,

et

B______ SA, sise World Trade Center, ______ (GE), intimée et appelante, comparant par Me Jean-Jacques MARTIN, avocat, Evidentia Avocats, rue Jacques-Grosselin 8, 1227 Carouge (GE), en l'Étude duquel elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A.           Par jugement JTPI/12193/2022 du 14 octobre 2022, notifié à A______ LTD le 18 octobre 2022 et à B______ SA le lendemain, le Tribunal de première instance a annulé la décision de l'assemblée générale de B______ SA du 3 juillet 2020 en tant qu'elle a modifié l'article 6bis de ses statuts de la manière suivante : "Le conseil d'administration peut en outre refuser l'inscription au registre des actions si l'acquéreur n'a pas expressément déclaré qu'il reprenait les actions à son propre nom et pour son propre compte et respecté l'obligation d'annonce prévue à l'article 6 des statuts." (ch. 1 du dispositif).

Le Tribunal a mis les frais judiciaires – arrêtés à 20'620 fr. – à la charge des parties pour moitié chacune, compensé partiellement ces frais avec les avances de frais fournies, condamné A______ LTD et B______ SA à payer respectivement à l'Etat de Genève les sommes de 9'060 fr. et de 9'160 fr. à titre de solde de frais (ch. 2), dit qu'il n'était pas alloué de dépens (ch. 3), ordonné à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, de restituer à A______ LTD les sûretés de 5'500 fr. fournies par celle-ci (ch. 4) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 5).

B.            a.a Par acte expédié au greffe de la Cour de justice le 11 novembre 2022, A______ LTD appelle de ce jugement, dont elle sollicite principalement l'annulation des chiffres 2, 3 et 5 du dispositif. Subsidiairement, elle conclut à l'annulation du dispositif entrepris dans son entier, à l'exception de son chiffre 4.

Dans tous les cas, elle conclut à l'annulation de la décision de l'assemblée générale extraordinaire du 3 juillet 2020 modifiant les articles 6 et 6bis des statuts de B______ SA, avec suite de frais judiciaires et dépens de première et de seconde instance.

a.b Dans sa réponse, B______ SA conclut au déboutement de A______ LTD des fins de son appel, avec suite de frais judiciaires et dépens.

a.c Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions.

A l'appui de sa duplique, formée le 26 avril 2023, B______ SA a produit un article publié sur le site www.C______.ru le ______ 2023.

a.d Par écrit spontané du 2 mai 2023, A______ LTD a contesté la recevabilité et la pertinence de cette pièce. Elle a persisté dans ses conclusions pour le surplus.

b.a Par acte expédié au greffe de la Cour de justice le 18 novembre 2022, B______ SA forme également appel du jugement susvisé, dont elle sollicite l'annulation.

Principalement, elle conclut au déboutement de A______ LTD des fins de son action en annulation de la décision de l'assemblée générale du 3 juillet 2020, avec suite de frais judiciaires et dépens de première et de seconde instance, les premiers étant arrêtés dans les deux cas à 3'000 fr.

Subsidiairement, elle conclut à ce que les frais judiciaires de première et de seconde instance soient arrêtés à 5'000 fr.

Préalablement, elle sollicite que la valeur litigieuse de la cause soit fixée à 30'000 fr.

A l'appui de ses conclusions, B______ SA produit un extrait de site internet partiellement illisible, consulté le 8 juillet 2022.

b.b Dans sa réponse, A______ LTD conclut au déboutement de B______ SA des fins de son appel et indique persister dans les conclusions de son propre appel.

Elle conteste en outre la recevabilité de la pièce nouvelle produite par B______ SA.

b.c Les parties ont répliqué et dupliqué, persistant dans leurs conclusions.

c. Elles ont été informées de ce que la cause était gardée à juger sur les deux appels par plis du greffe du 2 juin 2023.

C.           Les faits pertinents suivants résultent de la procédure:

a. A______ LTD est une société de droit des Iles Vierges Britanniques fondée le ______ 2011. Elle a pour administratrice unique la société D______ LTD.

b. B______ SA est une société de droit suisse, non cotée en bourse, dont le siège est à E______. Elle est active dans le domaine de la recherche technologique et la fourniture de services relatifs à la sécurité informatique des entreprises. Son but social inclut également la fourniture de tels services à des collectivités et à des gouvernements.

b.a Le fondateur de B______ SA est F______, qui était jusqu'à récemment l'administrateur président et délégué de la société.

G______ en est aujourd'hui l'administrateur unique et le Chief Financial Officer.

b.c Le capital-actions de B______ SA est de 4'000'000 fr., entièrement libéré, et divisé en 40'000 actions de 100 fr. chacune, nominatives et entièrement libérées.

c. Depuis le ______ 2016, A______ LTD est inscrite au registre des actionnaires de B______ SA et détient 8'000 actions nominatives de 100 fr. chacune, ce qui représente 20% des actions de la société.

d. Les relations entre A______ LTD et B______ SA ont été paisibles jusqu'en 2019.

e. Par courrier de son conseil genevois du 2 juillet 2019, A______ LTD a sommé B______ SA de lui fournir certains documents et de plus amples informations sur son activité, notamment sur l'existence d'un éventuel intermédiaire au contrat de vente de ses 8'000 actions.

Le 12 juillet 2019, B______ SA a répondu qu'elle était surprise par cette demande de renseignements, puisque toute la documentation requise se trouvait selon elle en mains du représentant de A______ LTD. Dans ce même courrier, B______ SA a demandé à A______ LTD de lui fournir des informations sur son ayant droit économique, notamment son identité, ainsi que sur les questions de savoir si cet ayant droit avait dûment déclaré sa participation dans son pays de résidence, s'il ne faisait pas l'objet de procédures judiciaires pouvant avoir un impact sur les affaires de B______ SA et s'il n'avait pas de conflit d'intérêts avec les affaires et engagements de B______ SA.

f. Par courrier du 25 juillet 2019, A______ LTD a fait savoir à B______ SA qu'elle n'avait aucune obligation contractuelle ou légale de révéler des informations confidentielles la concernant. Elle a réitéré sa demande de renseignements.

Par courrier du 9 août 2019, B______ SA a rétorqué que si les informations qu'elle requérait ne lui étaient pas transmises, elle se réservait le droit de tenir A______ LTD pour responsable de divers dommages et de contacter les autorités et services de lutte contre le blanchiment d'argent.

g. B______ SA a réitéré sa demande d'informations sur l'ayant droit économique de A______ LTD par courriers des 12 novembre 2019 et 14 janvier 2020. Elle a également demandé à la précitée, par courrier du 19 mars 2020, de lui confirmer qu'elle était toujours active et exploitable, qu'elle ne faisait pas l'objet d'une saisie d'actifs ni de poursuites pénales et qu'elle était suffisamment solvable pour pouvoir fournir une indemnisation de 6'000'000 fr. à 9'000'000 fr. B______ SA a réitéré cette dernière demande par courrier du 30 avril 2020.

Par courrier du 8 mai 2020, A______ LTD a maintenu son refus d'entrer en matière sur les demandes de B______ SA.

h. Par courrier du 11 juin 2020, agissant au nom du conseil d'administration de B______ SA, F______ a convoqué une assemble générale extraordinaire pour le 3 juillet 2020, afin de modifier les articles 6 et 6bis des statuts de la société.

h.a Ces dispositions avaient alors la teneur suivante:

"Article 6

Les actions sont nominatives. Elles sont numérotées et signées par un administrateur. Leur cession s'opère par voie d'endossement.

En lieu et place d'actions, la société peut émettre des certificats d'actions.

Les actions nominatives pourront en tout temps être converties en actions au porteur sur décision de l'assemblée générale, prise à la majorité des voix exprimées.

Quiconque acquiert, seul ou de concert avec un tiers, des actions d'une société dont les titres ne sont pas cotés en bourse et dont la participation, à la suite de cette opération, atteint ou dépasse le seuil de 25 % du capital-actions ou des voix, est tenu d'annoncer dans un délai d'un mois à la société le prénom, le nom et l'adresse de la personne physique pour le compte de laquelle il agit en dernier lieu (ayant droit économique).

L'actionnaire est tenu de communiquer à la société toute modification du prénom, du nom ou de l'adresse de l'ayant droit économique.

L'actionnaire ne peut pas exercer les droits sociaux liés aux actions dont l'acquisition est soumise à l'obligation d'annoncer tant qu'il ne s'est pas conformé à cette dernière.

Il ne peut faire valoir les droits patrimoniaux liés à ses actions qu'une fois qu'il s'est conformé à son obligation d'annoncer.

 

Article 6bis :

"La société tient un registre des actions qui mentionne le nom et l'adresse de leurs propriétaires et usufruitiers.

L'inscription au registre des actions n'a lieu qu'au vu d'une pièce établissant l'acquisition du titre de propriété ou la constitution d'un usufruit.

Est considéré comme actionnaire ou usufruitier à l'égard de la société celui qui est inscrit au registre des actions.

Les actions nominatives pourront en tout temps être converties en actions au porteur sur décision de l'assemblée générale."

h.b Les dispositions modifiées étaient libellées comme suit:

"Article 6

"Les actions sont nominatives. Elles sont numérotées et signées par un administrateur. Leur cession s'opère par voie d'endossement et est subordonnée à l'approbation du conseil d'administration aux conditions visées ci-après. Cette restriction vaut aussi pour la constitution d'un usufruit.

En lieu et place d'actions, la société peut émettre des certificats d'actions.

Quiconque acquiert des actions est tenu, pour obtenir l'approbation de transfert du Conseil d'administration, d'annoncer à la société le prénom, le nom et l'adresse de la personne physique pour le compte de laquelle il agit en dernier lieu (ayant droit économique), et attester de la conformité fiscale de la détention des actions de la société, pour l'ensemble des juridictions applicables, tant pour le détenteur direct (personne morale) que le détenteur ultime (ayant droit économique).

L'actionnaire est tenu de communiquer à la société toute modification du prénom, du nom ou de l'adresse de l'ayant droit économique.

L'actionnaire ne peut pas exercer les droits sociaux liés aux actions dont l'acquisition est soumise à l'obligation d'annoncer tant qu'il ne s'est pas conformé à cette dernière.

Il ne peut faire valoir les droits patrimoniaux liés à ses actions qu'une fois qu'il s'est conformé à son obligation d'annoncer.

Article 6bis :

"La société tient un registre des actions qui mentionne le nom et l'adresse de leurs propriétaires et usufruitiers.

L'inscription au registre des actions n'a lieu qu'au vu d'une pièce établissant l'acquisition du titre de propriété ou la constitution d'un usufruit.

Est considéré comme actionnaire ou usufruitier à l'égard de la société celui qui est inscrit au registre des actions.

Le Conseil d'administration peut refuser son approbation au transfert en invoquant un juste motif, eu égard au but social ou à l'indépendance économique de la société.

Les justes motifs sont : la présence de concurrent de la société, ou de personne dont la réputation, l'éthique professionnelle ou l'activité ne sont pas compatibles avec celles de la société.

Le conseil d'administration peut en outre refuser l'inscription au registre des actions si l'acquéreur n'a pas expressément déclaré qu'il reprenait les actions à son propre nom et pour son propre compte et respecté l'obligation d'annonce prévue à l'article 6 des statuts.

Demeure réservé l'article 685 lettre b alinéa 4 du Code des obligations."

(mise en évidence ajoutée)

i. Le 23 juin 2020, le conseil de A______ LTD a annoncé à B______ SA qu'un avocat de son étude prendrait part à l'assemble générale extraordinaire du 3 juillet suivant afin d'y représenter sa mandante, ajoutant que les modifications statutaires envisagées n'étaient pas valables.

Par courrier du 25 juin 2020, B______ SA a répondu que les arguments soulevés par A______ LTD n'étaient pas pertinents. Elle en a fait de même par courrier de son conseil du 29 juin 2020.

j. Le 3 juillet 2020, l'assemblée générale extraordinaire de B______ SA a eu lieu à Genève. A______ LTD y était dûment représentée par un conseil, en vertu d'une procuration de D______ LTD. Etaient également présents les administrateurs et le conseil de B______ SA, ainsi que Me H______, notaire.

A teneur du procès-verbal, 37'120 actions nominatives de 100 fr. chacune étaient représentées, étant précisé que F______, lui-même actionnaire, représentait d'autres actionnaires.

Les nouveaux statuts ont été adoptés par la majorité des actionnaires, soit 29'120 voix pour et 8'000 contre, par-devant le notaire précité.

k. La modification a été inscrite au Registre du commerce et publiée le ______ 2020 dans la FOSC.

l. Le 9 juillet 2020, B______ SA s'est adressée à A______ LTD pour lui demander de fournir, d'ici au 20 juillet suivant, divers renseignements au sujet de son ayant droit économique (copie du passeport, certificat de résidence fiscale, confirmation écrite de la déclaration de la participation aux autorités fiscales et implications dans tout litige civil ou pénal pouvant affecter négativement B______ SA), faute de quoi elle suspendrait les droits d'actionnaire de A______ LTD.

A______ LTD a refusé de transmettre les renseignements requis, ce dont elle a fait part à B______ SA dans un courrier du 11 août 2020.

m. B______ SA a en conséquence suspendu les droits d'actionnaires de A______ LTD, qui le demeurent à ce jour.

n. Le 21 juillet 2020, le conseil d'administration de B______ SA a décidé de suspendre l'activité de la société et de résilier tous ses engagements contractuels, en raison de la modification statutaire et considérant que le comportement de certains de ses actionnaires prétéritait le développement et l'activité commerciale de la société.

o. En date du 22 octobre 2020, A______ LTD a réitéré ses demandes de renseignements auprès de B______ SA et demandé qu'une assemblée générale soit convoquée avant de proposer l'institution d'un contrôle spécial.

En date du 27 novembre 2020, B______ SA a refusé toute information à A______ LTD, motif pris qu'elle avait perdu ses droits sociaux.

p. Par action du 2 septembre 2020, déclarée non conciliée le 29 octobre 2020 et introduite devant le Tribunal le 11 décembre 2020, A______ LTD a conclu, sous suite de frais et dépens, à ce que le Tribunal annule et mette à néant la décision modifiant les articles 6 et 6bis des statuts de B______ SA adoptée lors de l'assemblée générale extraordinaire du 3 juillet 2020.

A l'appui de ses conclusions, A______ LTD a allégué en substance que la modification statutaire opérée par B______ SA restreignait indûment ses droits d'actionnaire minoritaire. Elle a indiqué que la valeur litigieuse de son action s'élevait à 30'000 fr.

q. Par ordonnance du 20 mai 2021, le Tribunal a donné acte à A______ LTD de son engagement à fournir, soit en espèces, soit sous forme de garantie d'une banque établie en Suisse ou d'une société autorisée à exercer en Suisse, des sûretés en garantie des dépens d'un montant de 5'500 fr.

r. Dans sa réponse, B______ SA a conclu au déboutement de A______ LTD de toutes ses conclusions, sous suite de frais et dépens.

B______ SA a exposé que A______ LTD faisait partie d'un groupe de sociétés offshore détenu par I______, dont faisait également partie J______ HOLDINGS (ci-après : J______), et que le précité avait été condamné en Russie pour avoir participé à une fraude à grande échelle, impliquant le détournement d'une somme de 6,6 milliards de roubles (équivalant à 103 millions de dollars).

A l'appui de ses propos, B______ SA a notamment produit un courriel que lui a adressé K______, dans lequel celui-ci se présente comme un cousin de I______ et un ancien fondé de pouvoir de A______ LTD et de J______. Il y conseille à B______ SA de se renseigner auprès des entités précitées sur l'identité et la situation judiciaire de leur ayant droit économique.

s. En cours de procédure, B______ SA a également produit devant le Tribunal un article extrait d'un site internet russe, relatant qu'au mois de décembre 2021, la Cour d'appel du Tribunal régional de Rostov avait confirmé la condamnation de I______ à une peine de douze ans de prison pour fraude à une échelle particulièrement importante. Le verdict prévoyait la saisie des biens du précité au profit de l'Etat russe, à raison du préjudice causé par le détournement des fonds bancaires. Un article ultérieur tiré du même site internet indique que la faillite de I______ a été prononcée à sa requête, ses dettes s'élevant à plusieurs milliards de roubles.

t. Lors de la comparution personnelle du 30 mars 2022, la représentante de A______ LTD a indiqué ne pas être autorisée à révéler l'identité de l'ayant droit économique de la société et ignorer la situation judiciaire de ce dernier.

Pour le compte de B______ SA, F______ a quant à lui expliqué que la société avait des inquiétudes vis-à-vis de sa clientèle, ce d'autant plus qu'actuellement, celle-ci était constituée de grandes entreprises et de collectivités publiques. Compte tenu de cette clientèle, la société était très attentive à son actionnariat et ne souhaitait pas prendre de risques, raison pour laquelle elle avait cherché à obtenir l'identité de l'ayant droit économique de A______ LTD.

u. A l'audience susvisée, B______ SA a produit un courrier qu'elle a reçu le 28 mars 2022 de L______ à M______ [Russie], dans lequel cette agence la prie de procéder au blocage des actions détenues par A______ LTD pour permettre l'exécution des jugements rendus contre I______ et éviter le retrait de Suisse des actifs de celui-ci et de sa famille. Dans ce courrier, la L______ indique disposer de preuves que I______ est le propriétaire ultime de J______ et A______ LTD et que l'intéressé possède 7,2 % des actions de B______ SA, ainsi que 20% desdites actions par l'intermédiaire de A______ LTD. La L______ y requiert en conséquence la saisie de 27,2 % des actions de B______ SA.

v. Dans leurs plaidoiries finales écrites des 9 et 10 mai 2022 les parties ont persisté dans leurs dernières conclusions.

Le Tribunal a gardé la cause à juger à réception de leurs dernières écritures.

D.           Dans le jugement entrepris, le Tribunal a considéré que A______ LTD disposait d'un intérêt suffisant à contester les décisions sociales litigieuses, puisqu'elle agissait en partie dans le but de préserver les intérêts de la société. Les justes motifs pour lesquels B______ SA se réservait la possibilité de ne pas approuver un transfert d'actions, tels que formulés à l'article 6bis de ses statuts révisés, étaient cependant admissibles et suffisamment précis. Sans qu'il ne soit besoin d'exemple, on comprenait notamment que B______ SA ne souhaitait pas avoir pour actionnaire un concurrent, ni une personne dont la réputation était douteuse ou dont l'activité n'était pas compatible avec celle de la société. Elle avait en outre expliqué de manière compréhensible qu'elle ne souhaitait pas prendre de risques et qu'elle était inquiète vis-à-vis de sa clientèle, constituée de grandes entreprises et de collectivités publiques. L'exigence d'une attestation de conformité fiscale et de l'identité de l'ayant droit économique lui permettait quant à elle d'apprécier l'existence d'un motif de refus. Par conséquent la nouvelle teneur des articles 6 et 6bis des statuts ne violait pas la loi sous cet angle.

Dès lors que le non-respect des obligations d'annonce entraînait ex lege la suspension des droits sociaux et financiers, les statuts pouvaient également valablement prévoir que l'actionnaire défaillant ne serait pas inscrit au registre des actions en pareil cas. Le nouvel article 6bis des statuts étendait cependant l'obligation d'annoncer l'ayant droit économique à quiconque acquérait des actions, indépendamment du seuil légal de 25% du capital social. Ce faisant, les statuts restreignaient indûment le droit de tout actionnaire d'exiger de la société qu'elle le radie du registre des ayants-droit économiques si le seuil susvisé n'était pas atteint ni dépassé. Par conséquent, l'art. 6bis in fine dans sa nouvelle teneur était contraire à la loi et la décision de l'assemblée générale du 3 juillet 2020 devait être annulée dans la mesure correspondante. Au surplus, les frais judiciaires devaient être arrêtés à 20'720 fr., dont 20'000 fr. d'émolument de décision, compte tenu de la valeur du capital-actions de B______ SA.

EN DROIT

1.             1.1 Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance lorsque la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 1 et 2 CPC).

L'action en annulation d'une décision de l'assemblée générale est de nature pécuniaire (ATF 133 III 368 consid. 1.3.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_404/2011 du 7 novembre 2011 consid. 1.1). La valeur litigieuse est déterminée de façon concrète d'après les objets des décisions de l'assemblée générale dont l'annulation est requise (arrêt du Tribunal fédéral 4P.344/2006 du 27 février 2007 consid. 5.2, in RSPC 2007 p. 399).

En l'espèce il n'est pas contesté que la valeur litigieuse, compte tenu de l'objet des décisions sociales contestées, s'élève à 10'000 fr. au moins. La voie de l'appel est dès lors ouverte, sans qu'il ne soit nécessaire d'examiner plus avant la valeur susvisée à ce stade.

1.2 Formés dans le délai utile de 30 jours et selon la forme prescrite par la loi (art. 130, 131, 124 al. 1 et 311 al. 1 CPC), les deux appels sont recevables.

Par économie de procédure, ils seront traités dans le même arrêt (art. 125 CPC). Pour respecter le rôle initial des parties et par souci de simplification, A______ LTD sera désignée ci-après comme l'appelante et B______ SA comme l'intimée.

1.3 La Cour revoit la cause avec un plein pouvoir d'examen (art. 310 CPC). En particulier, elle contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC, en relation avec l'art. 310 let. b CPC). Elle applique en outre la maxime des débats et le principe de disposition (art. 55 al. 1 et 58 al. 1 CPC).

2.             L'appelante conteste la recevabilité de deux pièces produites par l'intimée devant la Cour.

2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de diligence (let. b).

Les deux conditions sont cumulatives (ATF 144 III 349 consid. 4.2.1; arrêt du Tribunal fédéral 5A_436/2020 du 5 février 2021 consid. 4.3). Il incombe à la partie qui entend invoquer un novum d'expliquer pourquoi elle agit sans retard et avec la diligence requise, comme de l'établir (cf. Jeandin, in Code de procédure civile, Commentaire romand, 2ème éd., 2019, n. 8s. ad art. 317 CPC).

2.2 En l'espèce, la pièce produite par l'intimée à l'appui de son appel a été consultée par celle-ci sur internet le 8 juillet 2022, soit après que le Tribunal a gardé la cause à juger. L'illisibilité partielle de cette pièce ne permet cependant pas d'exclure que celle-ci ne fût pas disponible à la consultation précédemment, ni que l'intimée ne pût dès lors s'en prévaloir devant le Tribunal. Cette pièce est dès lors irrecevable, étant observé qu'il est en tout état douteux qu'elle soit propre à établir les faits à l'appui desquels elle est invoquée, compte tenu de cette même illisibilité.

L'autre pièce est un article publié sur internet le ______ 2023. Produit par l'intimée à l'appui de sa réplique du 26 avril 2023, soit deux jours plus tard, ce document est quant à lui recevable.

3.             Sur le fond, l'intimée conteste tout d'abord que l'appelante soit fondée à obtenir l'annulation des décisions d'assemble générale litigieuses, faute d'intérêt suffisant à agir. Elle soutient notamment que l'annulation des dispositions statutaires concernées n'affecterait pas directement la situation de celle-ci. Ce grief étant susceptible de sceller le sort des deux appels, il convient de l'examiner en priorité.

3.1 La loi prévoit que le conseil d'administration et chaque actionnaire peuvent attaquer en justice les décisions de l'assemblée générale qui violent la loi ou les statuts; l'action est dirigée contre la société (art. 706 al. 1 CO).

L'action formatrice prévue par l'art. 706 CO tend à l'annulation rétroactive de la décision de l'assemblée générale qui est attaquée. Le jugement qui l'admet est opposable à tous les actionnaires, chacun d'eux pouvant s'en prévaloir (art. 706 al. 5 CO; ATF 136 III 345consid. 2.2.2, in SJ 2010 I 529; ATF 122 III 279, consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_404/2011 du 7 novembre 2011 consid. 5.1).

Celui qui intente l'action doit posséder un intérêt juridique personnel à l'annulation de la décision litigieuse, en ce sens que la constatation ou la modification demandée doit lui être utile. La jurisprudence donne une définition large d'un tel intérêt, puisqu'elle considère comme suffisante, sauf abus de droit, l'intention de préserver les intérêts de la société. Dans ce cas, il est cependant nécessaire que la situation juridique de l'actionnaire demandeur soit elle aussi effectivement modifiée par un jugement qui admettrait sa demande. La procédure judiciaire n'est pas là pour trancher des questions juridiques abstraites sans effet sur des rapports de droit concrets (ATF 122 III 279, consid. 3a, in JT 1998 I 605; arrêt du Tribunal fédéral 4A_404/2011 du 7 novembre 2011, consid. 5.1; Peter/Cavadini, Code des obligations II, Commentaire romand, 2ème éd., 2017, n. 11 ad art. 706 CO).

Pour évaluer l'intérêt juridique du demandeur à l'action, il faut admettre que l'état de fait et l'argumentation juridique présentés par celui-ci sont exacts (ATF 133 III 453 consid. 7).

3.2 En l'espèce, les dispositions statutaires adoptées lors de l'assemblée générale litigieuse ont pour objet de soumettre tout transfert d'action à l'approbation de la société ainsi qu'à une obligation d'annonce de la part de l'actionnaire acquéreur, cette dernière obligation étant réitérée pour obtenir l'inscription d'un acquéreur au registre des actionnaires.

3.2.1 En l'occurrence, l'appelante est d'ores et déjà actionnaire de l'intimée et l'acquisition de sa part du capital social n'est pas remise en cause par celle-ci. L'appelante n'allègue pas avoir l'intention d'acquérir une participation supplémentaire dans l'intimée, ni que l'intimée refuserait concrètement son approbation à une telle acquisition. Conformément aux principes rappelés ci-dessus, l'appelante n'a dès lors pas d'intérêt juridique à contester la décision de l'assemblée générale litigieuse en tant qu'elle soumet le transfert d'actions à l'approbation de la société et prévoit des motifs de refus de cette approbation, dès lors que sa situation juridique personnelle ne serait pas concrètement modifiée en cas d'annulation des dispositions statutaires concernées. Tel est le cas quand bien même l'appelante ferait, en tout ou partie, valoir les intérêts de la société, comme l'a retenu le Tribunal (sans plus de précision). Un effet sur les droits concrets de l'appelante demeure nécessaire en pareil cas également et fait en l'occurrence défaut. Au demeurant, on distingue difficilement en quoi le fait de s'opposer à l'adoption de dispositions statutaires permettant à la société de prévenir une prise de participation, voire de contrôle, par des tiers ne rencontrant pas l'agrément des actionnaires existants, dans un contexte de concurrence économique rendu à tout le moins vraisemblable, reviendrait en l'espèce à agir dans l'intérêt de la société, même partiellement.

Le jugement entrepris sera dès lors confirmé, par substitution de motifs, en tant qu'il a débouté l'appelante de ses conclusions en annulation de la décision de l'assemblée générale soumettant l'acquisition d'actions à l'approbation de la société, et prévoyant des motifs de refus de cette approbation, par voie de modifications statutaires.

3.2.2 L'appelante demeure également inscrite au registre des actionnaires de l'intimée. Pour les mêmes motifs, elle n'a donc pas d'intérêt propre à solliciter l'annulation de la décision adoptant le nouvel art. 6bis des statuts, qui soumet cette inscription à de nouvelles conditions (allant au-delà de ce que prévoit l'art. 685b al. 3 CO). La décision du Tribunal d'annuler les dispositions correspondantes de l'article 6bis des statuts ne saurait donc être maintenue et sera en tant que de besoin annulée.

Comme elle le souligne, l'appelante est en revanche affectée dans sa situation personnelle dans la mesure où le nouvel article 6 des statuts (auquel renvoie l'article 6bis) étend l'obligation d'annoncer qui y était précédemment prévue et où, sur la base de cette disposition modifiée et en application de l'art. 697m al. 1 CO (ainsi que de l'article 6 in fine des statuts, non modifié), l'intimée a suspendu l'exercice des droits sociaux et patrimoniaux liés aux actions qu'elle détient. L'appelante dispose dès lors d'un intérêt juridique à solliciter l'annulation de la décision de l'assemblée générale adoptant les dispositions de l'article 6 susvisé.

A ce propos, on relèvera qu'il n'y a pas lieu d'admettre que l'appelante ne serait pas concrètement affectée par la modification statutaire concernée, au motif que sa participation excéderait 25% du capital social de l'intimée, comme celle-ci le soutient, et qu'elle serait dès lors en tous les cas tenue d'annoncer l'identité de son ayant droit économique, en application de l'art. 697j al. 1 CO. A teneur de la procédure, l'appelante ne détient que 20% du capital-actions de l'intimée et les allégations de cette dernière selon lesquelles l'ayant droit économique supposé de l'appelante, soit le dénommé I______, détiendrait encore, directement ou indirectement, 7,2% du capital de l'intimée, ne sont pas établies à satisfaction de droit. En particulier, le courrier d'une agence étrangère que l'intimée produit à ce propos, dans laquelle celle-ci indique qu'elle "disposerait de preuves" de ce que le prénommé serait l'ayant droit économique de l'appelante et contrôlerait au total 27,2% du capital de l'intimée, ne précise pas quelles sont ces preuves, lesquelles n'ont pas davantage été versées au présent procès. Aucun représentant de l'agence en question – dont il n'est pas démontré qu'elle serait une autorité étatique à proprement parler – n'a par ailleurs été entendu comme témoin, ni n'a autrement confirmé sous serment la véracité de tels propos. Il faut donc admettre que la participation de l'appelante au capital de l'intimée demeure limitée à 20% dudit capital.

On relèvera d'ailleurs que l'intimée n'a pas tenté de suspendre l'exercice des droits d'actionnaire de l'appelante avant d'avoir adopté des dispositions statutaires abaissant le seuil de participation à partir duquel l'appelante serait tenue de lui fournir de plus amples renseignements, ce qu'elle aurait pourtant été en droit de faire selon ses anciens statuts si l'on devait suivre le raisonnement qu'elle tient aujourd'hui.

3.2.3 L'appelante conserve ainsi un intérêt digne de protection à solliciter l'annulation de la décision de l'assemblée générale litigieuse, en tant qu'elle étend son obligation – et celle de tout actionnaire – de renseigner l'intimée sur l'identité et la situation de son ayant droit économique. Il convient dès lors d'examiner les griefs des parties à ce propos.

4.             L'intimée reproche au Tribunal d'avoir considéré que l'obligation d'annoncer étendue, instaurée lors de l'assemblée générale litigieuse, excédait les limites prévues par la loi et justifiait une annulation partielle de la décision prise sur ce point. L'appelante reproche pour sa part au premier juge de ne pas avoir annulé simultanément l'adoption d'autres dispositions, en particulier celles de l'article 6 des statuts décrivant les personnes assujetties à l'obligation d'annoncer et les renseignements devant être fournis.

4.1 Sous le titre "Versements des actionnaires", l'art. 680 al. 1 CO prévoit que les actionnaires ne peuvent être tenus, même par les statuts, à des prestations excédant le montant fixé, lors de l'émission, pour l'acquisition de leurs titres.

Cette disposition consacre la limitation des obligations patrimoniales de l'actionnaire. De droit impératif, elle exclut toute obligation supplémentaire et/ou accessoire à celle de l'apport (Chenaux/Gachet, in Code des obligations II, Commentaire romand, 2ème éd., 2017, n. 1 et 8s ad. art. 680 CO).

L'art. 680 CO ne vise que les obligations qui découlent du rapport de société (causa societatis). Des prestations supplémentaires peuvent être fournies par l'actionnaire à bien plaire, sur une base contractuelle, ou être prévues par la loi (Chenaux/Gachet, op. cit.¸ n. 19 ad art. 680 CO).

4.1.1 L'art. 697j al. 1 CO prévoit que quiconque acquiert, seul ou de concert avec un tiers, des actions d'une société dont les droits de participation ne sont pas cotés en bourse et dont la participation, à la suite de cette opération, atteint le seuil de 25 % du capital-actions ou des droits de vote, est tenu d'annoncer dans un délai d'un mois à la société le prénom, le nom et l'adresse de la personne physique pour le compte de laquelle il agit en dernier lieu (ayant droit économique).

Comme l'art. 697i aCO, qui prévoyait que tout acquéreur d'actions au porteur d'une société non cotée en bourse était tenu d'annoncer cette acquisition dans un délai d'un mois à la société, l'art. 697j CO poursuit un objectif de droit public, soit d'empêcher l'utilisation des personnes morales à des fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme au sens de la Recommandation 24 du Groupe d'action Financière (cf. Trigo Trindade/Berisha, in Code des obligations II, Commentaire romand, 2ème éd., 2017, n. 5 ad art. 697i aCO et n. 2 ad art. 697j CO).

Selon les auteurs susvisés, l'art. 697i aCO ajoutait une obligation supplémentaire à charge des actionnaires et érigeait une exception à l'art. 680 al. 1 CO, en vertu duquel la seule obligation de ces derniers est celle de libérer le capital (cf. Trigo Trindade/Berisha, in Code des obligations II, Commentaire romand, 2ème éd., 2017, n. 5 ad art. 697i aCO). L'art. 697i aCO a été abrogé lors de la mise en œuvre des recommandations du Forum mondial sur la transparence et l'échange de renseignements à des fins fiscales émises dans le rapport de phase 2 de la Suisse, avec effet au 1er mai 2021 (cf. FF 2019 p. 277).

L'art. 697j CO, qui selon son libellé vise aussi bien les actions au porteur que les actions nominatives (cf. Trigo Trindade/Berisha, op. cit., n. 32 ad art. 697j CO), et qui désormais ne concernera que ces dernières, prévoit une exception à l'obligation des actionnaires d'annoncer l'ayant droit économique: celle-ci ne s'applique pas lorsque les actions de la société sont cotées en bourse. Dans ce cas, la transparence est déjà assurée en vertu de l'obligation de déclarer certaines participations (à partir de 3 % des droits de vote) prévue à l'art. 663c CO et à l'art. 20 LBVM (cf. Message concernant la mise en œuvre des recommandations du Groupe d'action financière (GAFI), révisées en 2012, in FF 2014 p. 585ss, p. 640).

4.1.2 L'obligation d'annonce prévue à l'art. 697j al. 1 CO est déclenchée dès qu'un actionnaire acquiert une participation qui atteint ou dépasse un seuil d'au moins 25 % du capital-actions ou des voix. C'est donc l'atteinte ou le dépassement dudit seuil par l'acquéreur direct – et non pas par l'ayant droit économique – qui fonde la naissance de l'obligation (Trigo Trindade/Berisha, op. cit., n. 32 ad art. 697j CO).

L'art. 697j CO ne fait aucune mention d'une annonce lorsque la participation est réduite de telle sorte qu'elle descend en-dessous du seuil de 25 % du capital-actions ou des voix. Dans un tel cas l'actionnaire est en droit d'adresser une demande de radiation à la société afin de faire biffer le nom de l'ayant droit économique de la liste prévue à l'art. 697j CO. En effet, dès lors que les conditions pour y figurer ne sont plus réalisées, la liste doit être considérée comme inexacte; elle doit en conséquence être rectifiée (Trigo Trindade/Berisha, op. cit., n. 32 ad art. 697j CO).

En principe, des règles relatives à l'identification et à la divulgation des actionnaires peuvent être inscrites dans les statuts. Il n'est cependant pas admissible de contourner des prescriptions légales contraignantes – telles que les obligations d'annonce selon les art. 697i ss. CO – par une inscription correspondante dans les statuts (Egle, Das schleichende Ende der Anonymität des Aktionärs unter besonderer Berücksichtigung der neuen Anti-Geldwäscherei-bestimmungen des GwG und der Art. 697i ff. OR., Dike Verlag, 2018, n. 119s. p. 63s.). Selon cet auteur, de telles règles ne peuvent toutefois pas aller plus loin que ce qui résulte déjà de la loi. En particulier, l'actionnaire ne peut pas être obligé de s'identifier vis-à-vis de ses co-associés, ni même de personnes extérieures, en raison de la limitation fondamentale des prestations de l'actionnaire découlant de l'art. 680 CO. Les dispositions statutaires relatives à l'anonymat de l'actionnaire ne peuvent donc avoir qu'un caractère facultatif, répétant la loi, sans avoir d'effet juridique (Egle, loc. cit.).

4.1.3 A teneur de l'art. 697m al. 1 CO, l'actionnaire ne peut pas exercer les droits sociaux liés aux actions dont l'acquisition est soumise aux obligations d'annoncer tant qu'il ne s'est pas conformé à ces dernières. Il ne peut faire valoir les droits patrimoniaux liés à ses actions qu'une fois qu'il s'est conformé à ses obligations d'annoncer (art. 697m al. 2 CO). Si l'actionnaire omet de se conformer à ses obligations d'annoncer dans un délai d'un mois à compter de l'acquisition de l'action, ses droits patrimoniaux s'éteignent. S'il répare cette omission à une date ultérieure, il peut faire valoir les droits patrimoniaux qui naissent à compter de cette date (art. 697m al. 3 CO).

L'objectif poursuivi par cette disposition est de renforcer le système de transparence des personnes morales mis en place par les art. 697i ss CO, afin de faciliter la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme (Trigo Trindade/Berisha, op. cit., n. 2 ad art. 697m).

4.2 En l'espèce, l'article 6 des statuts, tel qu'adopté lors de l'assemblée générale litigieuse, prévoit à son troisième alinéa que pour obtenir l'approbation de la société à un transfert d'actions, tout acquéreur est tenu de lui annoncer l'identité et les coordonnées de la personne physique pour le compte de laquelle il agit en dernier lieu (ayant droit économique), et d'attester de la conformité fiscale de la détention des actions de la société, pour l'ensemble des juridictions applicables, tant pour le détenteur direct que pour ledit ayant droit économique.

Ce faisant, cette disposition prévoit pour l'actionnaire acquéreur des obligations plus étendues que celles prévues à l'art. 697j al. 1 CO rappelé ci-dessus (ainsi qu'à l'ancien article 6 des statuts, qui en reprenait la teneur), en imposant un devoir d'annonce à tout acquéreur, et non seulement à celui qui, à la suite de cette acquisition, détiendrait, seul ou avec des tiers, 25% du capital ou des voix, ainsi qu'en lui imposant de fournir davantage de renseignements que ceux portant sur la seule identité et l'adresse de l'ayant droit économique.

Or, si les statuts ne peuvent pas prévoir de disposition contournant les obligations d'annonce prévues par les art. 697j ss CO, la loi n'empêche pas la société de prévoir des obligations d'annonce plus étendues que celles-ci, étant notamment observé que de telles obligations renforcées existent pour les sociétés dont les actions sont cotées en bourse. L'art. 697j CO consacre en effet des exigences minimales prévues par le législateur pour se conformer aux engagements internationaux de la Suisse et il n'est pas exclu que des sociétés privées puissent décider de se soumettre, de leur plein gré et par voie statutaire, à des règles plus strictes. Contrairement à ce qu'a retenu le Tribunal, il est à cet égard sans incidence que des auteurs indiquent que la société est tenue de radier une personne du registre des ayants droit économiques lorsque la participation détenue pour le compte de celle-ci descend en dessous du seuil de 25%, les auteurs en question n'envisageant clairement pas le cas de figure où ce seuil serait abaissé ou supprimé par voie de dispositions statutaires.

Contrairement aussi à l'avis exprimé par certains auteurs cités ci-dessus, l'art. 680 al. 1 CO ne saurait davantage empêcher une société de prévoir une obligation d'annonce particulière ou plus étendue par voie statutaire. Une telle obligation ne constitue pas une prestation au sens de cette disposition, laquelle ne vise que les obligations patrimoniales de l'actionnaire, comme l'indique son titre marginal. Il est ici relevé que depuis la suppression des actions au porteur pour les sociétés dont les titres ne sont pas cotés en bourse, ni émis sous forme de titres intermédiés (cf. art. 622 al. 1bis CO), tout actionnaire d'une telle société est désormais tenu de s'annoncer auprès de celle-ci. Le droit privé ne saurait donc avoir pour but d'invalider des dispositions statutaires conformes à l'objectif de droit public poursuivi par le législateur, qui est d'empêcher l'utilisation des personnes morales à des fins de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme.

4.3 La disposition statutaire litigieuse étant valable, il s'ensuit que l'appel formé par l'appelante, qui sollicite l'annulation de son adoption, sera intégralement rejeté.

L'appel formé par l'intimée, qui conclut au déboutement de l'appelante des fins de son action en annulation, sera quant à lui admis. Le chiffre 1 du dispositif du jugement entrepris sera annulé et réformé en conséquence.

5.             Il reste à examiner le sort des frais. A ce propos, l'intimée conteste le montant de l'émolument de décision arrêté par le Tribunal, reprochant à celui-ci d'avoir surestimé la valeur litigieuse en cause.

5.1 Les frais judiciaires comprennent notamment l'émolument forfaitaire de conciliation, l'émolument forfaitaire de décision et les frais d'administration des preuves (art. 95 al. 2 CPC). Les cantons fixent le tarif des frais (art. 96 CPC).

Selon l'art. 17 du règlement genevois fixant le tarif des frais en matière civile (RS Ge E 1 05.10, RTFMC), l'émolument forfaitaire de décision est fixé entre 5'000 fr. et 30'000 fr. pour une valeur litigieuse comprise entre 100'001 fr. et 1'000'000 fr., puis entre 20'000 fr. et 100'000 fr. pour une valeur litigieuse comprise entre 1'000'001 fr. et 10'000'000 fr.

5.1.1 La valeur du litige est déterminée par les conclusions (art. 91 al. 1 CPC). Lorsque l'action ne porte pas sur le paiement d'une somme d'argent déterminée, le tribunal détermine la valeur litigieuse si les parties n'arrivent pas à s'entendre sur ce point ou si la valeur qu'elles avancent est manifestement erronée (art. 91 al. 2 CPC).

La valeur litigieuse d'une action en annulation d'une décision de l'assemblée générale est déterminée de façon concrète d'après les objets des décisions de l'assemblée générale dont l'annulation est requise (arrêt du Tribunal fédéral 4P.344/2006 du 27 février 2007 consid. 5.2, in RSPC 2007 p. 399). La valeur déterminante est celle de l'intérêt de la société au maintien de la décision contestée, intérêt dont la valeur est en principe plus élevée que celle de l'intérêt personnel de l'actionnaire demandeur (ATF 133 III 368 consid. 1.3.2 et les arrêts cités).

5.1.2 La juridiction cantonale jouit d'un large pouvoir d'appréciation lorsqu'elle fixe les dépens selon le tarif cantonal visé par l'art. 96 CPC (arrêt du Tribunal fédéral 5A_1007/2017 du 6 avril 2018 consid. 2.2.2 et la référence).

Si la violation du droit invoquée concerne une décision relevant du pouvoir d'appréciation du juge, l'autorité de recours doit faire preuve d'une certaine retenue (arrêt du Tribunal fédéral 5A_265/2012 du 30 mai 2012 consid. 4.3.2).

5.2.1 En l'espèce, le Tribunal a arrêté l'émolument de décision à 20'000 fr. en se référant, pour la valeur litigieuse, au capital-actions de l'intimée, qui s'élève à 4'000'000 fr. Les parties suggèrent quant à elles d'arrêter cette valeur à 30'000 fr.

S'il peut paraître excessif de retenir que l'objet des décisions litigieuses se confond avec le sort de la société dans son ensemble, comme l'a apparemment retenu le Tribunal, on peut néanmoins estimer en l'espèce que la valeur litigieuse de l'objet des décisions contestées correspond au moins, du point de vue de la société comme de celui de l'actionnaire, à la valeur nominale des parts détenues par ledit actionnaire, puisque ces parts se voient notamment privées, de par l'effet desdites décisions, de l'exercice des droits sociaux et patrimoniaux qui y sont rattachés, ce qui revient à leur enlever la totalité ou la quasi-totalité de leur valeur. L'intérêt de la société au maintien des décisions litigieuses est même potentiellement supérieur, puisque celles-ci seraient susceptibles d'affecter les droits d'autres participations à l'avenir.

Dès lors, la valeur litigieuse doit être estimée à 800'000 fr. au moins, correspondant à la valeur nominale des parts détenues par l'intimée. La valeur litigieuse de 30'000 fr. suggérée par les parties est quant à elle manifestement trop faible, au vu de l'enjeu du litige.

5.2.2 Il s'ensuit que le montant de l'émolument de décision fixé par le Tribunal, soit 20'000 fr., n'est pas inadéquat. En effet, si ce montant constitue le minimum prévu par la loi lorsque la valeur litigieuse est comprise entre 1'000'001 fr. et 10'000'000 fr., il se situe encore dans la fourchette prévue par le législateur genevois lorsque cette même valeur est arrêtée, comme en l'espèce, entre 100'001 fr. et 1'000'000 fr. S'il est vrai que ledit émolument se situe alors plutôt vers le haut de la fourchette en question (20'000 fr. étant plus proche de 30'000 fr. que de 5'000 fr.), on relèvera que la valeur litigieuse de 800'000 fr retenue ci-dessus se situe également, voire davantage, vers le haut de la plage de référence (soit plus près de 1'000'000 fr. que de 100'001 fr.).

Par conséquent, la décision du Tribunal d'arrêter l'émolument de décision à 20'000 fr. doit être confirmée.

5.3 Les autres postes des frais judiciaires de première instance n'étant pas contestés, le total desdits frais, arrêté à 20'620 fr., sera mis à la charge de l'appelante, qui succombe (art. 105 al. 1, art. 106 al. 1 CPC). Ces frais seront partiellement compensés avec les avances de frais de 1'300 fr. et 2'200 fr. respectivement fournies par les parties, qui demeurent acquises à l'Etat (art. 111 al. 1 CPC). L'appelante sera condamnée à verser à l'Etat le solde des frais, soit 17'120 fr., ainsi qu'à rembourser à l'intimée le montant de son avance, soit 2'200 fr. (art. 111 al. 2 CPC).

L'appelante sera également condamnée à payer à l'intimée la somme de 31'440 fr. à titre de dépens de première instance (art. 96, 105 al. 2 et 106 al. 1 CPC; art. 84, 85 al. 1 RTFMC), débours et TVA compris (art. 25 et 26 LaCC).

Les chiffres 2 à 4 du dispositif du jugement entrepris seront annulés et réformés en conséquence.

6.             Les frais judiciaires des deux appels seront arrêtés à 15'000 fr. au total (art. 17 et 35 RTFMC) et mis à la charge de l'appelante, qui succombe (art. 105 al. 1, art. 106 al. 1 CPC). Ils seront compensés avec les avances de frais de même total fournies par les parties, qui demeurent acquises à l'Etat (art. 111 al. 1 CPC), et l'appelante sera condamnée à payer à l'intimée la somme de 5'000 fr. à titre de remboursement de son avance (art. 111 al. 2 CPC).

Pour les mêmes motifs, l'appelante sera condamnée à payer à l'intimée la somme de 15'000 fr. à titre de dépens d'appel (art. 105 al. 2, art. 106 al. 1 CPC; art. 84, 85 et 90 RTFMC), débours et TVA compris (art. 25 et 26 LaCC).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 11 novembre 2022 par A______ LTD contre le jugement JTPI/12193/2022 rendu le 14 octobre 2022 par le Tribunal de première instance dans la cause C/17541/2020.

Déclare recevable l'appel interjeté le 18 novembre 2022 par B______ SA contre ce même jugement.

Au fond :

Annule les chiffre 1 à 4 du dispositif du jugement entrepris et, statuant à nouveau:

Déboute A______ LTD des fins de son action en annulation des décisions prises par l'assemblée générale de B______ SA du 3 juillet 2020.

Arrête les frais judiciaires de première instance à 20'620 fr., les met à la charge de A______ LTD et les compense à hauteur de 3'500 fr. avec les avances de frais fournies par les parties, qui demeurent acquises à l'Etat de Genève.

Condamne A______ LTD à payer à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, la somme de 17'120 fr. à titre de solde des frais de première instance.

Condamne A______ LTD à payer à B______ SA la somme de 2'200 fr. à titre de remboursement de son avance des frais de première instance.

Condamne A______ LTD à payer à B______ SA la somme de 31'440 fr. à titre de dépens de première instance.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires des deux appels à 15'000 fr. au total, les met à la charge de A______ LTD et les compense avec les avances de frais fournies par les parties, qui demeurent acquises à l'Etat de Genève.


Condamne A______ LTD à payer à B______ SA la somme de 5'000 fr. à titre de remboursement de son avance des frais d'appel.

Condamne A______ LTD à payer à B______ SA la somme de 15'000 fr. à titre de dépens d'appel.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Pauline ERARD, Madame Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.