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Décisions | Chambre civile

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C/19980/2013

ACJC/769/2015 du 26.06.2015 sur DTPI/1603/2015 ( SCC ) , JUGE

Descripteurs : AVANCE DE FRAIS
Normes : CPC.103
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/19980/2013 ACJC/769/2015

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du VENDREDI 26 JUIN 2015

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______, recourante contre une décision rendue par la 16ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 6 février 2015, comparant par Me Charles Poncet, avocat, 2, rue Bovy-Lysberg, case postale 5824, 1211 Genève 11, en l'étude duquel elle fait élection de domicile,

et

Monsieur B______, domicilié ______, comparant par Me Philippe Juvet, avocat, 2, rue de la Fontaine, 1204 Genève, en l’étude duquel il fait élection de domicile.

 

Le présent arrêt est communiqué aux parties par plis recommandés ainsi qu'au Tribunal de première instance le 2 juillet 2015.

 

 

 

 

 

 

 



EN FAIT

A. a. Le 25 juillet 2014, B______ a déposé à l'encontre de A______ une action en annulation de testament et de donation, en rapports, en réduction et en partage des successions de feu leurs parents, C______ et D______.

b. Dans sa réponse, A______ a notamment conclu à ce qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle ne s'opposait pas au partage de la succession de feu C______, subsidiairement des successions de feu ses deux parents, et qu'il soit dit que, dans le cadre dudit ou desdits partage(s), devaient être rapportées à la succession l'intégralité des libéralités consenties à B______ par feu C______, subsidiairement par feu C______ et D______, subsidiairement que ces libéralités devaient être réunies, libéralités que A______ chiffrait provisoirement à 10'000'000 fr.

B. a. Par décision DTPI/1603/2015 du 6 février 2015, notifiée aux parties le 12 février suivant, le Tribunal a imparti à A______ un délai au 26 février 2015 pour fournir une avance de frais de 95'000 fr., compte tenu de la valeur litigieuse de ses conclusions reconventionnelles.

b. Par acte déposé le 23 février 2015 au greffe de la Cour de justice, A______ recourt contre cette décision. Elle conclut à son annulation, au motif que ses écritures du 30 janvier 2015 ne contiennent pas de demande reconventionnelle. Les conclusions visant le rapport de libéralités constituaient une action dite "réciproque", qui n'était pas soumise à taxation.

c. Le Tribunal a conclu au rejet du recours. Il a exposé que A______ ne s'était pas limitée à prendre des conclusions relatives à l'attribution de sa part successorale, mais avait requis le rapport de libéralités supplémentaires de la part de B______, de sorte qu'elle n'avait pas formé une action dite "réciproque", mais bien reconventionnelle. En tout état de cause, ses conclusions augmentaient la valeur litigieuse du litige, ce qui impliquait un complément d'avance de frais. L'avance de frais requise était donc justifiée, étant rappelé que la question de la répartition des frais finale ne serait tranchée qu'au moment du prononcé du jugement sur le fond.

d. B______ a conclu au rejet du recours, les conclusions de A______ devant être qualifiées de reconventionnelles, puisque l'action en rapport était indépendante de celle en partage.

e. Les parties ont procédé à un second échange d'écritures, persistant chacune dans leurs conclusions respectives.

 

EN DROIT

1. 1.1. Selon l'art. 103 CPC, les décisions relatives aux avances de frais et aux sûretés peuvent faire l'objet d'un recours.

La décision entreprise est une ordonnance d'instruction, soumise au délai de dix jours de l'art. 321 al. 2 CPC (TAPPY, Code de procédure civile commenté, Bohnet/Haldy/Jeandin/Schweizer/Tappy [éd.], 2011, n. 4 et 11 ad art. 103 CPC).

Interjeté dans ce délai (art. 142 al. 3 CPC) et selon la forme prévue par la loi, le recours est recevable (art. 321 al. 1 CPC).

1.2. La cognition de la Cour est limitée à la constatation manifestement inexacte des faits et à la violation du droit (art. 320 CPC).

2. La recourante se plaint d'une violation de l'art. 98 CPC, dans la mesure où ses conclusions ne sont pas reconventionnelles.

2.1.1 A teneur de l'art. 98 CPC, le Tribunal peut exiger du demandeur une avance à concurrence de la totalité des frais judiciaires présumés.

Le demandeur reconventionnel est un demandeur au sens de l'art. 98 CPC (RÜEGG, in Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2e éd., 2013, n. 4 ad art. 8).

La reconvention est une demande, comme la demande principale. C'est une contre-attaque, par laquelle le défendeur fait valoir une prétention qui est indépendante de celle de la demande principale (ATF 124 III 207 consid. 3a, JdT 1999 I 55; 123 III 35 consid. 3c, JdT 1997 I 322). A la différence de la compensation, la reconvention présuppose que le défendeur conteste le bien-fondé de la prétention réclamée dans la demande principale et, partant, conclue à son rejet et que, de son côté, il forme une nouvelle demande (HOHL, Procédure civile, T. I, 2001, n. 362 à 364).

Si la demande principale est liquidée, pour quelque raison que ce soit, par exemple ensuite d'un retrait ou d'un désistement, le tribunal demeure saisi de la demande reconventionnelle et doit la trancher (art. 14 al. 2 CPC; HOHL, Procédure civile, T. II, 2010, n° 191). Le sort de la demande reconventionnelle est indépendant de celui de la demande principale (BOHNET, Procédure civile, 2011, p. 138).

Ne sont pas des conclusions reconventionnelles les conclusions propres que le défendeur peut prendre en cas d'action dont l'admission pourrait impliquer aussi des droits en sa faveur (TAPPY, op. cit., n. 17 ad art. 222 CPC et n° 4 ad art. 224 CPC). Dans certaines procédures particulières, le défendeur peut en effet prendre des conclusions indépendantes sans agir reconventionnellement. L'action est alors dite "réciproque" (actio duplex; "doppelseitige Klage"). En raison de la nature du rapport juridique litigieux, son admission conduit à la liquidation de certains droits du défendeur. C'est par exemple le cas lorsque, dans le procès en divorce, le conjoint défendeur conclut à l'attribution de sa part à la liquidation du régime matrimonial ou lorsque, dans une action en partage (art. 604 CC), l'héritier défendeur conclut à l'attribution de sa part successorale. Le défendeur y fait alors valoir ses propres prétentions, en formulant ses propres conclusions, sans former de demande reconventionnelle (RVJ 2010 p. 244 et les références citées). De telles conclusions ne peuvent pas donner lieu à une avance de frais (cf. ACJC/1058/2014 du 9 septembre 2014 consid. 2.2.1).

2.1.2 En matière successorale, en principe, les créanciers du rapport doivent agir en exécution par une action en partage et demander que le débiteur du rapport soit condamné au rapport en vue de la réalisation du partage (STEINAUER, Le droit des successions, 2006, p. 153).

L'héritier qui est en mesure de réclamer le partage ne saurait plaider d’abord en rapport, le cas échéant en réduction, et réserver les autres questions pour une procédure ultérieure. En revanche, l’intérêt à une constatation immédiate pourrait être admis en cas de convention de partage nécessitant un complètement par le juge ou lorsque la communauté héréditaire doit être maintenue (ATF 123 II 49, in SJ 1997 342 et références citées).

2.2. En l'espèce, la recourante ne conclut, certes, pas au rejet de l'action en partage. Elle ne conclut toutefois pas au partage. Ses conclusions se limitent à ce qu'il lui soit donné acte de ce qu'elle ne s'oppose pas au partage et que, dans le cadre dudit partage, des rapports soient ordonnés. Il y a donc lieu de constater qu'elle fait dépendre ses conclusions en constatation de l'obligation de rapporter de l'admission de l'action en partage.

Dès lors que le rapport est une partie ou un préalable de l'action en partage (cf. STEINAUER, op. cit. p. 153), la recourante a fait valoir à juste titre ces prétentions dans le cadre de la présente procédure. Certes, elle n'était pas tenue de prendre des conclusions formelles en constatation, ce d'autant moins que la question des rapports sera tranchée préalablement à celle du partage et que l'intéressée n'a aucun intérêt à la constatation de l'obligation de rapporter dans le cadre d'une action en exécution. Cela étant, il ressort clairement de la formulation de ses conclusions que la recourante n'a pas formé une action en rapport indépendante du partage, qui subsisterait en cas de retrait de la demande principale.

Partant, les conclusions de l'intimée ne doivent pas être qualifiées de demande reconventionnelle au sens de l'art. 94 CPC. Aucune avance de frais ne peut ainsi être requise de sa part.

Le recours sera donc admis et la décision entreprise annulée.

3. L'intimé, qui a conclu au rejet du recours, sera condamné aux frais judiciaires de ce dernier, fixés à 400 fr. et compensés avec l'avance de frais de même montant fournie par la recourante (art. 104 al. 1, 105, 106 al. 1 et 111 al. 1 CPC; art. 41 du Règlement fixant le tarif des frais en matière civile du 22 décembre 2010 (RTFMC) RS/GE E 1.05.10).

Il versera, en outre, 1'000 fr. à la recourante à titre de dépens du recours (art. 23 LaCC, 85, 87, 90 RTFMC).

4. La présente décision incidente, rendue dans le cadre d'une procédure dont la valeur litigieuse est supérieure à 30'000 fr., est susceptible de recours de droit civil au Tribunal fédéral, dans les limites de l'art. 93 LTF (arrêt du Tribunal fédéral 4A_608/2012 du 3 décembre 2012 consid. 2.2).

* * * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté par A______ contre la décision DTPI/1603/2015 rendue le 6 février 2015 par le Tribunal de première instance dans la cause C/19980/2013-16.

Au fond :

Annule la décision querellée.

Sur les frais :

Arrête les frais judiciaires du recours à 400 fr., les met à la charge de B______ et dit qu'ils sont compensés avec l'avance de frais, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Condamne, par conséquent, B______ à verser 400 fr. à A______.

Condamne B______ à verser à A______ 1'000 fr. à titre de dépens de recours.

Siégeant :

Madame Florence KRAUSKOPF, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Ivo BUETTI, juges; Madame Marie NIERMARÉCHAL, greffière.

 

La présidente :

Florence KRAUSKOPF

 

La greffière :

Marie NIERMARÉCHAL

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.