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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/1978/2021

ACJC/722/2021 du 07.06.2021 sur JTBL/199/2021 ( SBL ) , JUGE

Recours TF déposé le 09.07.2021, rendu le 13.01.2022, CASSE, 4A_376/21
Normes : CPC.257; CO.257.letd; CO.119; CO.259.letd
En fait
En droit
Par ces motifs

republique et

canton de geneve

POUVOIR JUDICIAIRE

C/1978/2021 ACJC/722/2021

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU LUNDI 7 JUIN 2021

 

Entre

A______ SARL, sise ______, recourante contre un jugement rendu par le
Tribunal des baux et loyers le 9 mars 2021, comparant par Me Jean-Philippe FERRERO, avocat, boulevard des Philosophes 13, 1205 Genève, en l'étude duquel elle fait élection de domicile,

et

B______, [société coopérative] sise ______, intimée, comparant par
Me Nadia CLERIGO CORREIA, avocate, quai des Bergues 23, 1201 Genève, en l'étude de laquelle elle fait élection de domicile.

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/199/2021 du 9 mars 2021, reçu par A______ SARL le 17 mars suivant, le Tribunal des baux et loyers, statuant par voie de procédure sommaire en protection de cas clair, a condamné la précitée à évacuer immédiatement de sa personne, de tout tiers dont elle était responsable et de ses biens le local commercial de 116,16 m2 situé au sous-sol de l'immeuble sis chemin 1______ [no.] ______, à Genève (ch. 1 du dispositif), a autorisé la B______ à requérir l'évacuation par la force publique de A______ SARL dès le 30ème jour après l'entrée en force du jugement (ch. 2), a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 3 ) et a dit que la procédure était gratuite (ch. 4).

En substance, le Tribunal a retenu que les conditions d'une résiliation selon l'art. 257d al. 1 CO étaient manifestement réunies en l'espèce.

B. a. Par acte déposé au guichet universel le 29 mars 2021, transmis au greffe de la Cour de justice le même jour, A______ SARL a formé recours contre ce jugement. Elle a conclu à ce que la Cour, principalement, annule le jugement entrepris, et, subsidiairement, renvoie la cause en première instance pour nouvelle décision et à ce qu'il soit ordonné au Tribunal de débouter la B______ de ses toutes ses conclusions.

Elle a fait grief aux premiers juges d'avoir violé le droit en ne tenant pas compte "de l'impossibilité de la prestation, de son exorbitance et de l'imprévisibilité de la situation actuelle", fondées sur l'art. 119 CO et la clausula rebus sic stantibus.

Elle a produit deux pièces nouvelles et a formé de nouveaux allégués.

b. A______ SARL a préalablement conclu à la suspension du caractère exécutoire du jugement entrepris, conclusion à laquelle la Cour a fait droit par arrêt ACJC/417/2021 du 6 avril 2021.

c. Dans sa réponse du 9 avril 2021, la B______ a conclu à la confirmation de la décision querellée.

d. En l'absence de détermination spontanée de A______ SARL, les parties ont été avisées par plis du greffe du 28 avril 2021 de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. Le 17 avril 2008, les parties ont conclu un contrat de bail à loyer portant sur la location d'un local commercial de 116,16 m2 situé au sous-sol de l'immeuble sis chemin 1______ [no.] ______, à Genève.

Le dancing "C______" est exploité dans les locaux.

Le montant du loyer et des charges a été fixé en dernier lieu à 980 fr. par mois.

b. Le 16 mars 2020, le Conseil d'Etat genevois a ordonné, en lien avec l'épidémie de COVID-19, la fermeture, dès le même jour, de toutes les boîtes de nuit, discothèques, dancings, cabarets-dancings et installations assimilées.

Cette mesure a été levée le 6 juin 2020.

Par ordonnance sur les mesures destinées à lutter contre l'épidémie de COVID-19 en situation particulière (Ordonnance COVID-19 situation particulière) du 19 juin 2020, entrée en vigueur le lendemain, le Conseil fédéral a interdit l'exploitation des établissements de restauration, des bars, des boîtes de nuit, des discothèques et des salles de danse (art. 5a). Cette interdiction est toujours en vigueur.

c. Par avis comminatoire du 11 septembre 2020, la B______ a mis en demeure A______ SARL de lui régler dans les 90 jours le montant de 5'571 fr. 65 à titre d'arriéré de loyer et de charges pour les mois d'avril à septembre 2020, sous déduction d'un solde de décompte de charges de 308 fr. 35 et l'a informée de son intention, à défaut du paiement intégral de la somme réclamée dans le délai imparti, de résilier le bail conformément à l'art. 257d CO.

d. Considérant que la somme susmentionnée n'avait pas été intégralement réglée dans le délai imparti, la B______ a, par avis officiel du 17 décembre 2020, résilié le bail pour le 31 janvier 2021.

e. Par requête en protection de cas clair du 4 février 2021 au Tribunal, la B______ a introduit action en évacuation, assortie de mesures d'exécution du jugement d'évacuation. Elle a également conclu au paiement de 1'651 fr. 65, avec intérêts à 5% l'an dès le 1er février 2021, à titre d'indemnités pour occupation illicite pour les mois de janvier et février 2021.

f. A l'audience du Tribunal du 9 mars 2021, la B______ a persisté dans ses conclusions, précisant que l'arriéré s'élevait désormais à 2'631 fr. 65, et a amplifié ses conclusions en paiement à hauteur de ce montant. Elle a produit un décompte actualisé.

A______ SARL a déclaré avoir versé la veille le montant de 2'940 fr. et a produit des pièces. Elle s'est opposée à la requête. Elle a fait valoir que la situation était à jour et qu'elle avait besoin des locaux pour exercer son activité lorsqu'elle pourrait la reprendre. Elle s'engageait en outre à verser, en deux fois, six mois supplémentaires d'indemnités, en plus des indemnités courantes.

La cause a été gardée à juger à l'issue de l'audience.


 

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC). Le recours est recevable contre les décisions finales, incidentes et provisionnelles de première instance qui ne peuvent faire l'objet d'un appel (art. 319 let. a CPC).

Lorsque le litige porte sur une décision prise dans le cadre d'une procédure en cas clair portant sur une requête en expulsion, la valeur litigieuse correspond à la valeur du loyer pour la chose louée pour six mois (ATF 144 III 346 consid. 1.2.1).

En l'espèce, le prononcé, par le Tribunal, de l'évacuation de la recourante est contesté, de sorte que la voie du recours est ouverte, la valeur litigieuse étant inférieure à 10'000 fr. au vu du loyer des locaux loués de 980 fr. par mois (980 fr. x 6 mois = 5'880 fr.).

Interjeté selon la forme et dans le délai prescrits, le recours est recevable (art. 321 al. 1 et 2 CPC).

1.2 Les conclusions, les allégations de faits et les preuves nouvelles sont irrecevables (art. 326 al. 1 CPC).

Les faits notoires sont ceux dont l'existence est certaine au point d'emporter la conviction du juge, qu'il s'agisse de faits connus de manière générale du public ou seulement du juge. Pour être notoire, un renseignement ne doit pas être constamment présent à l'esprit; il suffit qu'il puisse être contrôlé par des publications accessibles à chacun (ATF 135 III 88 consid. 4.1; 134 III 224 consid. 5.2), à l'instar par exemple des indications figurant au registre du commerce, accessibles par internet (ATF 138 II 557 consid. 6.2; arrêt du Tribunal fédéral 4A_509/2014 du 4 février 2015 consid. 2.1).

En ce qui concerne internet, seules les informations bénéficiant d'une empreinte officielle (par ex. : Office fédéral de la statistique, inscriptions au Registre du commerce, cours de change, horaire de train des CFF etc.) peuvent être considérées comme notoires, car facilement accessibles et provenant de sources non controversées (ATF 143 IV 380 consid. 1.2).

Une nouvelle motivation juridique doit être distinguée des faits nouveaux. Elle n'est pas visée par l'art. 317 al. 1 CPC et peut, dès lors, être présentée tant en appel que même devant le Tribunal fédéral, dans le cadre de l'objet du litige (ATF
136 V 362 consid. 4.1). Ceci résulte en particulier du principe de l'application du droit d'office (art. 57 CPC; arrêt du Tribunal fédéral 5A_351/2015 du 1er décembre 2015 consid. 4.3).

En l'espèce, les deux pièces nouvellement versées par la recourante sont irrecevables. Elles ne sont en tout état pas déterminantes pour l'issue du litige.

Les faits allégués en lien avec la pandémie et les fermetures des établissements publics ordonnées par les autorités cantonales puis fédérales constituent des faits notoires, recevables.

Quant à la nouvelle argumentation juridique développée par la recourante, elle est admissible au regard des principes rappelés ci-avant.

1.3 Dans le cadre d'un recours, le pouvoir d'examen de la Cour est limité à la violation du droit et à la constatation manifestement inexacte des faits (art. 320 CPC). L'autorité de recours a un plein pouvoir d'examen en droit, mais un pouvoir limité à l'arbitraire en fait.

2. La recourante reproche au Tribunal d'avoir admis que les conditions de la protection de cas clair étaient réunies.

2.1 Aux termes de l'art. 257 al. 1 et 3 CPC, relatif à la procédure de protection dans les cas clairs, le tribunal admet l'application de la procédure sommaire lorsque les conditions suivantes sont remplies : (a) l'état de fait n'est pas litigieux ou est susceptible d'être immédiatement prouvé et (b) la situation juridique est claire (al. 1); le tribunal n'entre pas en matière sur la requête lorsque cette procédure ne peut pas être appliquée (al. 3).

2.1.1 Selon la jurisprudence, l'état de fait n'est pas litigieux lorsqu'il n'est pas contesté par le défendeur; il est susceptible d'être immédiatement prouvé lorsque les faits peuvent être établis sans retard et sans trop de frais. En règle générale, la preuve est rapportée par la production de titres, conformément à l'art. 254 al. 1 CPC. La preuve n'est pas facilitée : le demandeur doit ainsi apporter la preuve certaine des faits justifiant sa prétention; la simple vraisemblance ne suffit pas. Si le défendeur fait valoir des objections et exceptions motivées et concluantes, qui ne peuvent être écartées immédiatement et qui sont de nature à ébranler la conviction du tribunal, la procédure du cas clair est irrecevable (ATF 144 III 462 consid. 3.1).

La situation juridique est claire lorsque l'application de la norme au cas concret s'impose de façon évidente au regard du texte légal ou sur la base d'une doctrine et d'une jurisprudence éprouvée (ATF 144 III 462 consid. 3.1). En règle générale (cf. toutefois arrêt du Tribunal fédéral 4A_185/2017 du 15 juin 2017 consid. 5.4 et les références), la situation juridique n'est pas claire si l'application d'une norme nécessite l'exercice d'un certain pouvoir d'appréciation de la part du tribunal ou que celui-ci doit rendre une décision en équité, en tenant compte des circonstances concrètes de l'espèce (ATF 144 III 462 consid. 3.1 et les références citées).

Si le tribunal parvient à la conclusion que les conditions du cas clair sont réalisées, le demandeur obtient gain de cause par une décision ayant l'autorité de la chose jugée et la force exécutoire. Si elles ne sont pas remplies, le tribunal doit prononcer l'irrecevabilité de la demande (ATF 144 III 462 consid. 3.1; arrêt du Tribunal fédéral 4A_422/2020 du 2 novembre 2020 consid. 4.1).

2.1.2 Selon l'art. 257d CO, lorsque le locataire a reçu la chose louée et qu'il tarde à s'acquitter d'un terme ou de frais accessoires échus, le bailleur peut lui fixer par écrit un délai de paiement et lui signifier qu'à défaut de paiement dans ce délai, il résiliera le bail; ce délai doit être d'au moins trente jours pour les baux d'habitations ou de locaux commerciaux (al. 1). A défaut de paiement dans le délai fixé, le bailleur peut résilier le contrat avec effet immédiat; les baux d'habitations ou de locaux commerciaux peuvent être résiliés avec un délai de congé minimum de trente jours pour la fin d'un mois (al. 2).

L'action en expulsion pour défaut de paiement du loyer au sens de l'art. 257d CO, comme celle pour défaut de paiement du fermage au sens de l'art. 282 CO, selon la procédure de protection dans les cas clairs (art. 257 CPC), présuppose que le bail ait valablement pris fin, puisque l'extinction du bail est une condition du droit à la restitution des locaux (art. 267 al. 1 CO, respectivement art. 299 al. 1 CO). Le tribunal doit donc trancher à titre préjudiciel la question de la validité de la résiliation, laquelle ne doit être ni inefficace, ni nulle, ni annulable (une prolongation du bail n'entrant pas en ligne de compte lorsque la résiliation est signifiée pour demeure conformément aux art. 257d ou 282 CO). Les conditions de l'art. 257 al. 1 CPC s'appliquent également à cette question préjudicielle (ATF 144 III 462 consid. 3.3.1; 142 III 515 consid. 2.2.4 in fine; 141 III 262 consid. 3.2 in fine).

2.1.3 La question du paiement du loyer des locaux commerciaux pendant la pandémie de Covid-19, en particulier concernant les établissements publics dont la fermeture a été ordonnée par les autorités tant cantonales que fédérales, n'a pas encore été tranchée à ce jour. Cette question doit faire l'objet d'une analyse approfondie. En effet, il doit être définitivement jugé, que ce soit sous l'angle de l'art. 259d CO (réduction de loyer), de l'impossibilité subséquente (art. 119 CO), de l'exorbitance (art. 97 al. 1 CO) ou de la clausula rebus sic stantibus, si le loyer reste dû - totalement ou partiellement - durant cette période ou non.

De nombreux avis de droit ont été requis et publiés par les milieux concernés et parviennent à des conclusions diamétralement opposées, les premiers considérant que la cessation de règlement des loyers ne peut être envisagée (https://www.cgionline.ch/wp-content/uploads/2020/03/avis-de-droit.pdf), et les seconds que le loyer n'est pas dû, en application des règles sur le défaut de la chose louée (art. 259d CO), l'impossibilité subséquente d'exécution (art. 119 CO), la notion d'exorbitance (art. 97 al. 1 CO) et l'adaptation du contrat par le juge (https://www.asloca.ch/wp-content/uploads/2020/03/Avis-de-droit-loyers_locaux_ commerciaux_ASLOCA-1.pdf).

2.2 Dans le présent cas, l'intimée a résilié le contrat de bail la liant à l'appelante pour défaut de paiement. La recourante fait valoir qu'elle est dans l'impossibilité d'exploiter les locaux en raison des mesures prises par les autorités liées à la crise sanitaire qui sévit depuis plus d'une année. Tel est effectivement le cas dès lors que tant le Conseil d'Etat genevois, dans un premier temps, puis le Conseil fédéral, dans un second temps, ont ordonné la fermeture de tous les dancings, depuis le mois de mars 2020, cette mesure étant toujours en vigueur.

La recourante se prévaut de l'impossibilité subséquente d'exécuter le contrat, au sens de l'art. 119 CO, ainsi que de la théorie de l'imprévisibilité, rendant inefficace toute résiliation du bail. La doctrine est partagée sur ces questions, de sorte qu'elle est loin d'être éprouvée au sens de l'art. 257 CPC. Par ailleurs, elles n'ont pour l'heure pas non plus été tranchées par le Tribunal fédéral. La situation juridique n'est donc pas claire.

Ces questions devront être examinées dans le cadre de la procédure au fond.

2.3 Par conséquent, c'est à tort que le Tribunal a retenu que la situation juridique était claire. Le jugement sera dès lors annulé. La cause étant en état d'être jugée (art. 327 al. 3 let. b CPC), il sera statué en ce sens que la requête formée par l'intimée sera déclarée irrecevable.

3. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers :

A la forme :

Déclare recevable le recours interjeté le 29 mars 2021 par A______ SARL contre le jugement JTBL/199/2021 rendu le 9 mars 2021 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/1978/2021-8-SE.

Au fond :

Annule ce jugement.

Cela fait et statuant à nouveau :

Déclare irrecevable la requête en protection de cas clair du 4 février 2021 formée par la B______ à l'encontre de A______ SARL.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN,
Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Madame Zoé SEILER, Monsieur Nicolas DAUDIN, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

La présidente :

Nathalie LANDRY-BARTHE

 

La greffière :

Maïté VALENTE

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 113 à 119
et 90 ss LTF. Le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.