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Décisions | Chambre civile

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C/6552/2013

ACJC/353/2019 du 01.03.2019 sur ORTPI/541/2018 ( OO ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ ; CONDUITE DU PROCÈS; DÉCISION ; DOMMAGE IRRÉPARABLE
Normes : CPC.319b.al2
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/6552/2013 ACJC/353/2019

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

du vendredi 1er mars 2019

 

Entre

A______ LTD, sise ______ (Irlande), recourante contre l'ordonnance ORTPI/541/2018 rendue par la 18ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 29 juin 2018, comparant par Me Guillaume Vionnet et Me Boris Vittoz, avocats, faisant élection de domicile en l'étude de ce dernier, avenue d'Ouchy 18, 1006 Lausanne,

et

B______ S.P.A, sise ______ (Italie), intimée, comparant par Me Philippe Neyroud et Me Stephan Fratini, avocats, rue François-Versonnex 7, 1207 Genève, en l'étude desquels elle fait élection de domicile.

 

 


EN FAIT

A. a. A______ est une société irlandaise appartenant au GROUPE A______, responsable de la production et de la commercialisation d'un médicament distribué sous le nom de C______, utilisé pour le traitement palliatif du cancer avancé de la tête et du cou et qui doit exclusivement être administré dans des centres spécialisés en cancérologie dans lesquels une équipe évalue le traitement sous la surveillance de médecins connaissant bien le traitement photodynamique (qui utilise la lumière).

B______ est une société italienne appartenant au GROUPE B______, actif dans le domaine de la santé.

b. A______ et B______ ont conclu, les 20 et 27 octobre 2008, un Distributorship Agreement portant sur la distribution du C______ en Italie.

Par ce contrat, B______ s'est engagée à des achats minimaux pour une somme de 505'000 euros la première année, augmentant chaque année pour atteindre 1'500'000 euros la cinquième année. Elle devait promouvoir et distribuer le C______ en Italie afin de maximiser les ventes et consacrer 1'000'000 euros ou alternativement 30% du résultat de ses ventes nettes de produits, selon ce qui était le plus élevé, à des études cliniques.

A______ devait s'efforcer de fournir à B______, pour la durée et sous réserve des dispositions du Distributorship Agreement, des quantités suffisantes de produits pour couvrir les ventes annuelles minimales et répondre à la demande pour les produits sur le territoire.

Le Distributorship Agreement était convenu pour une période de dix ans à partir du 27 octobre 2008, sous réserve de résiliation ou de force majeure. Le contrat pouvait être résilié de manière anticipée notamment si l'autre partie commettait une violation substantielle de l'un des termes du Distributorship Agreement et, s'il pouvait être remédié à l'infraction, n'y remédiait pas dans un délai de trente jours après avoir reçu une notification écrite contenant tous les détails de la violation et la demande de réparation. Le droit suisse était applicable et le for situé à Genève.

c. Par courrier du 1er mars 2012, B______ a déclaré annuler le Distributorship Agreement, invoquant les art. 28 (dol) et 23 (erreur) CC, faisant notamment valoir que le volume minimal d'achat avait été accepté sur la base des chiffres exagérés fournis par A______.

A______ a contesté ladite annulation et a considéré le Distributorship Agreement comme valide et effectif.

d. Par demande du 21 mars 2013, A______ a conclu à la constatation que B______ n'avait pas valablement invalidé le Distributorship Agreement signé entre les parties les 20 et 27 octobre 2008, et à la condamnation de celle-ci à lui payer, sous réserve d'amplification en cours de procédure, un montant de 54'682'855 euros avec intérêts à 5% dès le 1er janvier 2013, sous suite de frais et dépens.

A______ a allégué que B______ n'avait pas exécuté ou mal exécuté ses obligations découlant du Distributorship Agreement. Elle a pour le surplus contesté le bien-fondé de l'invalidation par B______ de celui-ci, niant lui avoir fourni des chiffres exagérés dans le cadre des négociations.

e. Par mémoire réponse et demande reconventionnelle du 14 février 2014, B______ a conclu, sur demande principale, au déboutement de A______ de toutes ses conclusions, et, sur demande reconventionnelle, à la condamnation de celle-ci à lui payer la somme de 1'607'145 euros, avec intérêts à 5% dès le 1er mars 2012, le tout sous suite de frais et dépens.

B______ a allégué s'être fondée sur des prémisses complètement irréalistes au moment de la conclusion du Distributorship Agreement. A______ n'avait pas exécuté de bonne foi des engagements découlant de ce contrat et avait commis plusieurs fautes, raison pour laquelle B______ l'avait invalidé pour dol et, subsidiairement, erreur essentielle.

f. Par écriture du 12 septembre 2014, A______ a conclu au rejet de la demande reconventionnelle formée par B______.

g. Par ordonnance du 24 septembre 2014, le Tribunal a notamment invité les parties à produire leurs listes de témoins complètes mentionnant les allégués et le temps d'audition par témoin.

h. Les 1er décembre 2014 et 30 mars 2015, les parties ont déposé des listes contenant leurs offres de preuve. Celle de A______ mentionnait, notamment, sous lettre D., "Expert(s)", soit expert(s) à nommer par le Tribunal sur proposition des parties. La liste de B______ comprenait 25 témoins.

i. Dans un courrier du 18 septembre 2015 au Tribunal, remis à la partie adverse, qui l'a accepté, le 22 septembre 2015, A______ a notamment exposé que l'expert à nommer devrait traiter de sujets à caractère médical, réglementaire, économique et financier. Il était fondamental de confier l'expertise à un expert principal aguerri, chargé de coordonner des co-experts. Elle a indiqué les allégués pour lesquels elle renonçait à la preuve par expertise.

j. Lors de l'audience de débats d'instruction du 22 septembre 2015, A______ a persisté à solliciter une expertise, à laquelle B______ s'est opposée. A l'issue de l'audience, le Tribunal a indiqué qu'une ordonnance de preuve serait rendue.

k. Par ordonnance de preuve n° 679/2015 du 14 octobre 2015 le Tribunal a admis, au titre de moyens de preuve, l'audition des témoins et l'interrogatoire et la déposition des parties, sur lesquels les parties s'étaient entendues lors de l'audience du 22 septembre 2015, et a réservé l'admission éventuelle d'autres moyens de preuve à un stade ultérieur de la procédure.

Ces témoins ont été entendus.

l. A l'issue d'une nouvelle audience de débats d'instruction du 31 janvier 2017, le Tribunal a, notamment, réservé sa décision sur l'opportunité d'une expertise.

m. Par requête motivée du 22 février 2017, A______ a sollicité du Tribunal la mise en oeuvre et l'administration sans délai de la preuve par expertise offerte par elle à l'appui de ses allégués.

n. Par ordonnance du 6 juin 2017, le Tribunal a fixé un délai au 31 août 2017 aux parties pour se prononcer sur le principe de l'expertise, le nom d'un ou des experts et leurs questions, délai prolongé en dernier lieu au 29 septembre 2017.

o. Dans une autre ordonnance du même jour, il a fixé un délai aux parties pour leurs questions aux témoins devant être entendus par voie de commissions rogatoires.

p. Dans des conclusions motivées sur le principe de l'expertise du 29 septembre 2017, B______ a conclu au déboutement de A______ de toutes ses conclusions
et à ce qu'il soit dit qu'il n'y a pas lieu d'ordonner une expertise, au motif que
le gain manqué dont A______ réclame réparation repose sur une "longue série d'hypothèses" totalement infondées.

q. Le 6 octobre 2017, A______ a déposé des déterminations sur le principe de l'expertise, la proposition d'experts et des propositions de questions aux experts, concluant en substance à ce que le Tribunal admette la preuve par expertise d'une liste d'allégués, ordonne la mise en oeuvre d'une telle expertise et nomme un expert à cette fin.

r. Par ordonnance du 10 novembre 2017, le Tribunal a imparti un délai au 15 décembre 2017 aux parties pour leur "réplique" concernant les déterminations sur expertise, a renvoyé la cause pour plaider sur expertise au 23 janvier 2018 et dit que la cause serait gardée à juger sur expertise à l'issue de l'audience.

s. Par déterminations du 15 novembre 2017 sur les conclusions motivées du 29 septembre 2017 de B______ sur le principe de l'expertise, A______ a persisté dans ses conclusions du 6 octobre 2017.

B______ a également persisté dans ses conclusions du 29 septembre 2017 par écritures du 15 décembre 2017, au motif que l'expertise sortait du cadre prévu par le code de procédure civile et que les questions proposées étaient formulées contrairement au droit.

t. Lors de l'audience du 23 janvier 2018, les parties ont persisté dans leurs conclusions sur expertise.

B. a. Par ordonnance ORTPI/541/18 du 29 juin 2018, le Tribunal a réservé l'éventualité d'une expertise au stade de la détermination du dommage et rejeté pour le surplus la demande d'expertise de A______.

Il a notamment considéré, d'une part, que certains allégués ne pouvaient faire l'objet d'une expertise et, d'autre part, que, par économie de procédure, il convenait de limiter la procédure aux questions de la validité de l'invalidation opérée par B______, des violations contractuelles reprochées à A______ et de la qualification juridique du dommage allégué (détermination de son caractère réparable et le cas échéant du degré de vraisemblance nécessaire pour que soit établie sa quotité), voire, d'ores et déjà examiner la question de la causalité adéquate entre les violations contractuelles avérées et le dommage, ces points devant pouvoir être tranchés au retour des commissions rogatoires ordonnées. L'expertise requise sous l'angle du dommage et de sa quotité, en admettant qu'elle soit admissible, était prématurée.

b. Par jugement JTPI/18808/2018 du 29 novembre 2018, le Tribunal a
débouté A______ des fins de sa requête en interprétation et en rectification de l'ordonnance susmentionnée, formée par courrier du 16 juillet 2018.

c. Par ordonnance motivée ORTPI/542/18 du 29 juin 2018, le Tribunal a ordonné l'audition de plusieurs témoins, cités par A______ et B______, par commissions rogatoires en Allemagne, en Italie, en France, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Cette ordonnance a fait l'objet d'un recours de B______, rejeté par arrêt de ce jour de la Cour de céans.

C. a. Par acte du 17 août 2018, A______ forme recours contre l'ordonnance ORTPI/541/18 précitée, concluant à sa réformation en ce sens que l'expertise requise à l'appui de ses allégués est admise et doit être immédiatement mise en oeuvre, conformément à ses déterminations du 6 octobre 2017.

b. Par requête du 26 septembre 2018, B______ a sollicité la suspension de l'instruction du recours y compris du délai pour répondre, jusqu'à droit jugé sur la requête en interprétation et rectification de l'ordonnance querellée déposée par A______ le 16 juillet 2018.

Par arrêt ACJC/1350/2018 du 4 octobre 2018, la Cour de céans a rejeté la requête de suspension et dit qu'il serait statué sur les frais liés à la décision dans l'arrêt rendu sur le fond.

c. Selon le Track & Trace de la Poste, B______ a reçu le recours de A______ le 25 septembre 2018, un délai de dix jours dès réception lui étant imparti pour y répondre.

Par mémoire de réponse du 5 octobre 2018, B______ a conclu à l'irrecevabilité du recours et, subsidiairement, à son rejet, sous suite de frais et dépens.

d. Par réplique du 19 octobre 2018, A______ a conclu à l'irrecevabilité de la réponse de B______, car tardive, et persisté pour le surplus dans les conclusions de son recours.

e. Le 2 novembre 2018, B______ a également persisté dans ses conclusions prises le 5 octobre 2018.

f. Les parties ont été informées par courrier du greffe de la Cour du 6 novembre 2018 de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Le recours, écrit et motivé, doit être introduit dans les dix jours à compter de la notification de la décision motivée (art. 321 al. 2 CPC).

In casu, le recours a été déposé dans les délai et forme légaux (art. 130, 131 et 321 al. 1 CPC). Il est recevable à cet égard.

Il en va de même de la réponse de l'intimée, déposée dans le délai de dix jours dès la réception du recours le 25 septembre 2018.

2. 2.1 Le recours est recevable contre une ordonnance d'instruction de première instance, si cette ordonnance peut causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC).

2.2 En l'espèce, il n'est pas contesté que la décision entreprise soit une ordonnance d'instruction portant sur l'administration des preuves, laquelle ordonnance entre dans le champ d'application de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC.

Il convient ainsi de déterminer si la décision querellée est susceptible de causer un préjudice difficilement réparable à la recourante.

3. Celle-ci fait grief au Tribunal d'avoir reporté une éventuelle expertise à un stade ultérieur de la procédure, report entraînant une violation du principe de célérité et du droit à la preuve, en raison du risque d'expertise déficiente dû à l'écoulement du temps et lui causant de la sorte un dommage irréparable.

3.1.1 La notion de "préjudice difficilement réparable" est plus large que celle du "préjudice irréparable" au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (ATF 138 III 378 consid. 6.3). Constitue un "préjudice difficilement réparable" toute incidence dommageable y compris financière ou temporelle qui ne peut être que difficilement réparée dans le cours ultérieur de la procédure. L'instance supérieure doit se montrer exigeante, voire restrictive avant d'admettre l'accomplissement de cette condition, sous peine d'ouvrir le recours à toute décision ou ordonnance d'instruction, ce que le législateur a clairement exclu : il s'agit de se prémunir contre le risque d'un prolongement sans fin du procès (ACJC/1311/2015 du 30 octobre 2015 consid. 1.1; Jeandin, Code de procédure civile commenté, 2ème éd., 2019, ad art. 319 CPC n. 22).

Une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de
celle-ci ne constitue pas un préjudice difficilement réparable (Spühler, Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 3ème éd. 2017, n. 7 ad art. 319 CPC). De même, le seul fait que la partie ne puisse se plaindre d'une administration des preuves contraire à la loi qu'à l'occasion d'un recours sur le fond, n'est pas suffisant pour retenir que la décision attaquée est susceptible
de lui causer un préjudice difficilement réparable (Colombini, Condensé de la jurisprudence fédérale et vaudoise relative à l'appel et au recours en matière civile, in JdT 2013 III 131 ss, 155; Spühler, op. cit., n. 8 ad art. 319 CPC). Retenir le contraire équivaudrait à permettre à un plaideur de contester immédiatement toute ordonnance d'instruction pouvant avoir un effet sur le sort de la cause, ce que le législateur a justement voulu éviter (ACJC/35/2014 du 10 janvier 2014 consid. 1.2.1; ACJC/943/2015 du 28 août 2015 consid. 2.2).

La décision refusant ou admettant des moyens de preuve offerts par les parties
ne cause en effet en principe pas de préjudice difficilement réparable
puisqu'il est normalement possible, en recourant contre la décision finale, d'obtenir l'administration de la preuve refusée à tort ou d'obtenir que la preuve administrée à tort soit écartée du dossier (Colombini, Code de procédure civile, Lausanne 2018, p. 1024; arrêts du Tribunal fédéral 4A_248/2014 du 27 juin 2014, 4A_339/2013 du 8 octobre 2013 consid. 2, 5A_315/2012 du 28 août 2012 consid. 1.2.1).

La condition du préjudice difficilement réparable n'est ainsi réalisée que dans des circonstances particulières, par exemple dans le cas de la mise en oeuvre d'une expertise qui pourrait causer une augmentation importante des frais de la procédure (Blickenstorfer, Schweizerische Zivilprozessordnung Kommentar, Brunner/Gasser/Schwander éd., 2ème éd., 2016, n. 39 ad art. 319 CPC, p. 1815; CREC 10 avril 2014/131).

Le préjudice sera ainsi considéré comme difficilement réparable s'il ne peut pas être supprimé ou seulement partiellement, même dans l'hypothèse d'une décision finale favorable au recourant (Reich, Schweizerische Zivilprozessordnung, Baker & McKenzie éd., 2010, n. 8 ad art. 319 CPC; ATF 134 III 188 consid. 2.1 et 2.2).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision incidente lui cause un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie : ATF 134 III 426 consid. 1.2).

Si la condition du préjudice difficilement réparable n'est pas remplie, le recours est irrecevable et la partie doit attaquer la décision incidente avec la décision finale sur le fond (Brunner, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2016, n. 13 ad art. 319 CPC).

3.1.2 Selon l'art. 154 CPC, une ordonnance de preuves peut être modifiée ou complétée en tout temps. Cela signifie que le tribunal peut modifier et compléter ses ordonnances de preuve aussi longtemps qu'il n'a pas jugé (Schweizer, CPC Commenté, 2ème éd., 2019, n. 11 ad art. 154 CPC; Guyan, Basler Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung, Spühler/Tenchio/Infanger Hrsg, 2e éd. 2013, n. 9 ad art. 154 CPC).

3.1.3 Aux termes de l'art. 29 al. 1er Cst., toute personne a droit, dans une procédure judiciaire ou administrative, à ce que sa cause soit traitée équitablement et jugée dans un délai raisonnable. Cette disposition consacre le principe de la célérité. Le juge viole cette garantie constitutionnelle s'il ne prend pas la décision qui lui incombe dans le délai prescrit par la loi ou dans un délai que la nature de l'affaire, ainsi que toutes les autres circonstances, font apparaître comme raisonnable (ATF 130 I 312 consid. 5.1 et les réf. citées; 119 Ib 311 consid. 5).

Ce qui doit être considéré comme une durée raisonnable de la procédure doit être déterminé selon le cas concret, eu égard au droit à une procédure équitable ainsi qu'aux circonstances particulières de fait et de procédure. Il faut notamment prendre en considération la difficulté et l'urgence de la cause, ainsi que le comportement des autorités et des parties (arrêts du Tribunal fédéral 5A_684/2013 du 1er avril 2014 consid. 6.2, 4A_744/2011 du 12 juillet 2012 consid. 11.2).

3.1.4 Pour simplifier le procès, le tribunal peut notamment limiter la procédure à des questions ou des conclusions déterminées (art. 125 let. a CPC).

Le tribunal peut rendre une décision incidente lorsque l'instance de recours pourrait prendre une décision contraire qui mettrait fin au procès et permettrait de réaliser une économie de temps ou de frais appréciable (art. 237 al. 1 CPC).

Tel est par exemple le cas d'une décision rejetant l'exception de prescription ou admettant le principe de la responsabilité. On évite ainsi de devoir procéder à une administration de preuve, pour le calcul du dommage par exemple (arrêt du Tribunal fédéral 4A_267/2014 du 8 octobre 2014 consid. 1.1).

3.2 En l'espèce, la procédure au fond porte sur des sommes de plusieurs dizaines de millions, revêt un caractère éminemment international, le seul lien avec la Suisse résultant d'une clause d'élection de for et de droit, et pose des questions techniques complexes. Les écritures des parties sont très volumineuses, les pièces remplissent des dizaines de classeurs fédéraux. D'ailleurs, les parties ont presque systématiquement sollicité la prolongation des délais fixés par le Tribunal, au vu de la complexité de la cause et du temps nécessaire à la rédaction des écritures en résultant. De nombreux courriers sont en outre régulièrement adressés au Tribunal, en particulier par la recourante, hors des délais fixés pour ce faire. Certains témoins ont été entendus et des commissions rogatoires ont été ordonnées dans plusieurs pays, devant conduire à l'audition de dizaines de témoins supplémentaires sur des centaines d'allégués.

A la lumière de ces éléments, la violation du principe de célérité invoquée par la recourante doit être relativisée. Le refus du juge d'ordonner à ce stade, sans pour autant en exclure la possibilité, une expertise ne peut raisonnablement être considéré comme une entrave inadmissible au bon déroulement de la procédure, causant un dommage difficilement réparable. Au contraire, la justification tirée de la volonté de statuer d'abord sur le principe de la responsabilité éventuelle de l'intimée avant d'ordonner une expertise devant essentiellement porter sur la quotité du dommage allégué par la recourante paraît plutôt de nature à rationaliser une procédure tentaculaire, en sériant les problèmes. De plus, s'il devait rendre une décision incidente retenant que la responsabilité de l'intimée n'est pas engagée, l'expertise s'avérerait inutile, du moins en ce qui concerne le dommage, de sorte que l'ordonner prématurément engendrerait des coûts importants potentiellement inutiles et de nature à causer un dommage difficilement réparable, comme le retient la jurisprudence susmentionnée.

Quand bien même l'expertise doit aussi porter, mais dans une moindre mesure, sur des éléments en relation avec les points sur lequel le Tribunal a limité la procédure, attendre le résultat des mesures probatoires importantes déjà ordonnées, avant d'en prévoir de nouvelles, paraît de nature à limiter la durée de la procédure plutôt que le contraire et relève d'une saine conduite de la procédure. En effet, il se peut qu'en possession des preuves recueillies, le juge, par appréciation anticipée des preuves, renonce à ordonner de nouvelles mesures, dont l'expertise.

Enfin, la recourante ne fournit aucune explication concrète relative au prétendu risque d'expertise déficiente dû à l'écoulement du temps. L'arrêt de la Cour qu'elle cite ne lui est d'aucun secours, puisque contrairement à ce qui valait dans l'affaire jugée - relative à une expertise à ce point lacunaire qu'elle aurait de manière quasi certaine nécessité un complément - aucune expertise n'a en l'espèce été ordonnée, de sorte qu'on ne saurait considérer que de toute façon un complément devrait être prévu. Comme retenu ci-dessus, par appréciation anticipée des preuves, il pourrait au contraire s'avérer que les très nombreuses preuves au dossier suffisent au juge pour rendre sa décision sur le fond, sans expertise.

A titre superfétatoire, il sera encore relevé que si la recourante obtenait gain de cause dans la décision sur le fond, sans qu'une expertise n'ait été ordonnée, elle ne subirait plus de dommage.

Compte tenu des considérations qui précèdent, le recours est irrecevable, faute de préjudice difficilement réparable subi par la recourante.

4. La recourante qui succombe, sera condamnée aux frais du recours, arrêtés à 3'000 fr. (art. 95 al. 1 let. a et al. 2, 104 al. 1, 105 al. 1 et 106 al. 1 CPC; art. 5
et 41 RTFMC) et partiellement compensés avec l'avance fournie, acquise à l'Etat (art. 111 al. 1 CPC).

L'intimée qui succombe sur arrêt concernant la suspension, sera condamnée aux frais y relatifs, arrêtés à 500 fr.

La recourante sera en conséquence condamnée à verser à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, la somme de 2'000 fr. au titre de solde des frais de recours, et l'intimée la somme de 500 fr. au titre de frais relatifs à l'arrêt sur suspension.

La recourante sera en outre condamnée à verser à l'intimée, la somme de 3'000 fr. à titre de dépens de recours (art. 95 al. 1 let. b et al. 3 CPC; art. 84, 85 al. 1, 87
et 90 RTFMC; art. 23, 25 et 26 al. 1 LaCC). Compte tenu de la brièveté de la réponse de la recourante sur suspension, des dépens de 500 fr. lui seront alloués.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Déclare irrecevable le recours formé par A______ le 17 août 2018 contre l'ordonnance ORTPI/541/2018 rendue le 29 juin 2018 par le Tribunal de première instance dans la cause C/6552/2013-18.

Arrête les frais judiciaires du recours à 3'000 fr., les met à la charge de A______, dit qu'ils sont partiellement compensés avec l'avance fournie par celle-ci, acquise à l'Etat.

Condamne A______ à verser à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, la somme de 2'000 fr. au titre de solde des frais judiciaires de recours.

Arrête les frais de l'arrêt sur suspension à 500 fr., les met à la charge de B______. et condamne en conséquence celle-ci à verser la somme de 500 fr. à l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire.

Condamne A______ à verser à B______ la somme de 3'000 fr. à titre de dépens de recours.

Condamne B______ à verser à A______ la somme de 500 fr. à titre de dépens relatifs à la décision sur suspension.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Pauline ERARD et Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.

 

Le président :

Cédric-Laurent MICHEL

 

La greffière :

Sophie MARTINEZ

 

 

 

Indications des voies de recours :

 

La présente décision incidente (ATF 137 III 475 consid. 1 et 2) est susceptible d'un recours en matière civile (art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005; LTF - RS 173.110), les griefs pouvant être invoqués étant toutefois limités (art. 93 LTF), respectivement d'un recours constitutionnel subsidiaire (art. 113 ss LTF). Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la décision attaquée.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.