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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/3643/2022

DCSO/577/2023 du 21.12.2023 ( PLAINT ) , ADMIS

Normes : ORFI.9.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3643/2022-CS DCSO/577/23

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 21 DECEMBRE 2023

 

Requête en nouvelle expertise (A/3643/2022-CS) formée en date du 25 octobre 2022 par A______ SA et B______, représentés par Me Laurent STRAWSON, avocat.

* * * * *

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du 16 janvier 2024
à :

-       A______ SA et B______

c/o Me STRAWSON Laurent

Rue De-Beaumont 3

Case postale 24

1211 Genève 12.

- C______

______

______.

- Office cantonal des poursuites.

 


EN FAIT

A. a. A______ SA est propriétaire des parcelles n° 1______ et n° 2______ et B______ de la parcelle n° 3______, toutes trois sises sur la commune de D______ [GE]. Ces immeubles, contigus, sont grevés de cédules hypothécaires qui ont été remises en nantissement à [la banque] C______ en garantie d'un prêt hypothécaire octroyé à A______ SA et à B______.

b. La C______ a engagé deux poursuites en réalisation de gage immobilier à l'encontre de B______ (poursuite n° 4______) et de A______ SA (poursuite n° 5______), débiteurs solidaires.

c. Dans le cadre des opérations de réalisation, l'Office cantonal des poursuites (ci-après: l'Office) a mandaté E______ aux fins de déterminer la valeur vénale présumée des trois immeubles.

Dans son rapport daté du 15 août 2022, accompagné de photographies et d'extraits du cadastre, E______ (ci-après : le premier expert), qui a visité les bien-fonds en date des 4 mai et 30 juin 2022, a estimé la valeur de la parcelle n° 3______ à 7'400'879 fr., celle de la parcelle n° 1______ à 760'005 fr. et celle de la parcelle n° 2______ à 1'242'282 fr., soit un montant total de 9'403'166 fr.

Les trois parcelles étaient situées en zone 4B protégée, dans un environnement à cheval entre la campagne et la ceinture urbaine du canton de Genève. Bien desservies par les transports publics et à proximité de bâtiments publics, avec des surfaces de 3'804 m2 (parcelle n° 3______), de 372 m2 (n° 1______) et de 891 m2 (n° 2______), elles présentaient un bon potentiel de développement. En reportant les droits à bâtir des parcelles nos 1______ et 2______ sur la parcelle n° 3______, il était possible de construire deux immeubles villageois de 24 logements en PPE, avec garage souterrain. Une demande d'autorisation de construire était en cours d'instruction, l'indice d'utilisation du sol (IUS) étant de 0.55, vu la surface globale supérieure à 5000 m2 et un standard énergétique HPE.

Pour le premier expert, la méthode d'estimation la plus adaptée était celle de la valeur résiduelle, calculée en soustrayant les coûts de construction et de développement, y compris la marge de promotion, de la valeur obtenue pour une construction réalisable et conforme à la zone d'affectation. Concrètement, dans l'hypothèse d'un report des droits à bâtir (IUS = 0.55), le résultat estimé de la vente de 24 appartements était de 27'394'560 fr., correspondant à 2'283 m2 de surface PPE à 12'000 fr./m2, pour un coût total de construction de 17'042'561 fr., soit une valeur résiduelle des trois terrains de 10'351'999 fr. Sans report des droits à bâtir (IUS = 0.48), le résultat estimé de la vente de 16 appartements en PPE était de 17'967'840 fr., soit 1'497 m2 de surface PPE admise à 12'000 fr./m2, pour un coût total de construction et promotion de 10'903'148 fr., soit une valeur résiduelle de la seule parcelle n° 3______ de 7'064'692 fr. S'agissant des parcelles nos 1______ et 2______, leur valeur résultait de leur "apport au différentiel de prix" entre le développement selon un IUS à 0.55 avec report des droits à bâtir et celui sans report des droits à bâtir (IUS à 0.48), les deux parcelles n'ayant pas de valeur pour elles-mêmes et ne pouvant être développées seules.

d. Par courriers datés du 18 octobre 2022, reçus par A______ SA et B______ le lendemain, l'Office a informé les poursuivis qu'il retenait comme valeurs d'estimation celles fixées par le premier expert, soit 7'400'879 fr. pour la parcelle n° 3______, 760'005 fr. pour la parcelle n° 1______ et 1'242'282 fr. pour la parcelle n° 2______.

B. a. Par actes adressés le 25 octobre 2022 à la Chambre de surveillance, A______ SA et B______ ont sollicité qu'il soit procédé à une nouvelle expertise de ces immeubles. La valeur retenue par le premier expert était très inférieure à la réalité "selon deux expertises privées".

b. Par ordonnances du 20 décembre 2022, la Chambre de surveillance a imparti à A______ SA et B______, sous peine d'irrecevabilité, un délai de dix jours pour procéder à une avance de frais de 3'000 fr., a désigné F______, architecte, en qualité de nouvel expert et, sous réserve du paiement en temps utile de l'avance fixée, lui a donné mission d'estimer la valeur des immeubles mis en gage.

c. L'avance de frais requise a été payée dans le délai imparti.

d. F______ (ci-après : le second expert) a communiqué son rapport d'expertise, daté du 17 mars 2023, par courrier reçu par la Chambre de surveillance le 21 mars 2023. Il a joint sa note d'honoraires, pour un montant total de 2'800 fr. 20.

Le second expert, qui a effectué une visite des lieux, a procédé selon la méthode de la valeur résiduelle, à l'instar du premier expert.

La surface des trois terrains était de 3'804 m2, 372 m2 et 891 m2, pour un total de 5'067 m2, ce qui permettait une densification plus importante. Les parcelles se trouvaient en zone 4B protégée et les droits à bâtir des parcelles nos 1______ et 2______ étaient reportés sur la parcelle n° 3______. Le second expert a tenu compte des éléments qui ressortaient du dossier afférent à l'autorisation de construire, dont l'instruction avait avancé depuis le rapport du premier expert. Ainsi, une partie des constructions comprenaient des logements locatifs, en plus d'appartements en PPE. Les emplacements du parking étaient adaptés à la nouvelle réglementation. Le prix de vente moyen au mètre carré était fixé à 10'500 fr./m2, compte tenu des risques et des aléas du marché, l'autorisation de construire n'ayant pas encore été délivrée. Le coût de construction total avait été estimé à 21'820'831 fr., en application de la norme SIA 116 (soit un prix de 900 fr./m3) pour une valeur totale de la promotion de 32'115'350 fr., soit une valeur résiduelle des trois terrains de 10'244'519 fr. (32'115'350 fr. – 21'820'831
– 50'000 fr. de frais supplémentaires).

Cela revenait à un prix du terrain de 2'022 fr./m2, soit respectivement 7'690'950 fr. pour la parcelle n° 3______, 752'100 fr. pour la parcelle n° 1______ et 1'801'450 fr. pour la parcelle n° 2______.

e. Par courriers des 17 avril et 19 avril 2023, A______ SA et B______ ont contesté le résultat de la nouvelle expertise, la valeur retenue étant trop faible. Selon [la société] G______ et H______ Sàrl, la valeur des terrains s'élevait à 12'730'000 fr. respectivement à 12'800'000 fr.

f. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1 Aux termes de l'art. 9 al. 2 ORFI, applicable en matière de poursuite en réalisation de gage immobilier par renvoi de l'art. 99 al. 2 ORFI, chaque intéressé a le droit d'exiger, en s'adressant à l'autorité de surveillance dans le délai de dix jours de l'art. 17 al. 2 LP et moyennant avance des frais, qu'une nouvelle estimation soit faite par des experts. Il s'agit là d'un droit inconditionnel (arrêts du Tribunal fédéral 7B_79/2004 du 10 mai 2004, consid. 3.2; 7B_126/2003 du 31 juillet 2003).

1.2 En l'espèce, après avoir eu connaissance du résultat de l'expertise réalisée par l'architecte mandaté par l'Office, les débiteurs poursuivis, par ailleurs propriétaires des immeubles constitués en gage, ont requis de la Chambre de céans, dans les délai et forme prescrits par la loi, qu'une nouvelle estimation soit effectuée par un second expert. Ils ont en outre payé en temps utile l'avance de frais fixée.

La demande de nouvelle expertise est partant recevable.

2. 2.1. En vertu de l'art. 97 al. 1 LP, applicable par renvoi de l'art. 155 LP, l'Office des poursuites procède à l'estimation des biens immobiliers saisis et peut s'adjoindre des experts à cette fin (cf. ég. art. 99 al. 1 ORFI; Gilliéron, Commentaire de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite, 2000, n. 174 ad art. 140 LP; Foëx, in Commentaire romand LP, 2005, n. 17 ad art. 155 LP).

L'estimation du bien à réaliser aux enchères ne vise pas à déterminer si celui-ci devrait suffire à couvrir la créance à recouvrer ou excéderait cette couverture et ne révèle rien quant au produit effectivement réalisable lors de ces enchères; elle donne tout au plus aux intéressés un point de repère à propos de l'offre défendable; elle sert également à fixer le prix minimal en cas de vente de gré à gré (art. 143b al. 1 LP).

C'est pourquoi l'estimation ne doit pas être la plus élevée possible, mais doit déterminer la valeur vénale présumée de l'immeuble. La loi ne prescrit pas de méthode pour estimer cette valeur vénale présumée (ATF 134 III 42 consid. 4; 120 III 79 consid. 3; JdT 1996 II 1999; arrêts du Tribunal fédéral 5A_450/2008 et 5A_451/2008 du 18 septembre 2008, consid. 3.1; Gilliéron, Commentaire de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite, 2000, n° 16 ad art. 97 LP).

Compte tenu du fait que l'estimation d'un immeuble fait appel à des connaissances spécialisées dans le domaine de l'immobilier et de la construction, l'Office de même que, sur demande de nouvelle expertise, la Chambre de surveillance s'en remettent en principe à l'avis d'un expert, pour autant que celui-ci soit dûment motivé.

Il n'est pas rare que l'estimation du prix de vente d'un immeuble conduise à des résultats divergents entre experts. L'autorité de surveillance peut procéder à une moyenne (ATF 120 III 79 consid. 2b = JdT 1996 II 1999; arrêt du Tribunal fédéral 5A_421/2018 du 13 novembre 2018 consid. 6.2.1; Zopfi, op. cit., n° 10 ad art. 9 ORFI), pour autant que les deux expertises effectuées retiennent toutes deux des critères appropriés et tiennent compte des circonstances pertinentes (ATF
120 III 79 consid. 1 et 2b).

Si l'autorité de surveillance entend s'écarter d'une expertise, elle doit motiver sa position (ATF 120 III 79 consid. 2c = JdT 1996 II 1999).

2.2 En l'espèce, la Chambre de céans constate que les deux expertises ont été réalisées par des experts dont aucun élément ne permet de retenir qu'ils ne disposeraient pas de compétences comparables. Elles comportent toutes les deux une présentation détaillée des biens immobiliers, de leurs caractéristiques et de leur situation géographique, sur laquelle les experts partagent une opinion similaire.

Une visite des lieux a été effectuée par les deux experts, lesquels ont appliqué la même méthode d'estimation, dite de la "valeur résiduelle", qui tient compte du fait que les terrains pourront être valorisés par une promotion immobilière, pour laquelle une autorisation de construire a été sollicitée, conformément à la zone de construction, en optimisant les droits à bâtir.

La valeur totale des trois terrains selon la seconde expertise est de 10'244'519 fr. contre 9'403'166 fr. pour le premier expert, soit une différence inférieure à 10%.

La divergence entre les deux expertises tient à la prise compte, par le second expert, d'éléments nouveaux apportés par l'étude du dossier relatif à la requête d'autorisation de construire, de sorte que la seconde expertise apparaît plus pertinente puisqu'elle reflète une situation actualisée.

Le second expert s'est par ailleurs référé à une norme SIA pour calculer le coût au m3 de la construction, contrairement au premier expert, qui n'a pas explicité les bases de son calcul à cet égard.

Il convient donc de privilégier le résultat de l'expertise judiciaire et de retenir une valeur totale des trois parcelles de 10'244'519 fr.

Les requérants considèrent que cette estimation est trop basse mais ne formulent aucune critique précise à l'encontre de l'un ou l'autre des éléments pris en considération par le second expert, en particulier s'agissant de la méthode employée ou des critères et valeurs appliqués. Ils se limitent à se référer à des évaluations privées, obtenues à leur demande, qui n'offrent pas les mêmes garanties d'indépendance qu'une expertise judiciaire, sans aucune motivation, étant précisé que l'une d'elles est un simple courrier d'une page. Or, il convient de rappeler que le but de l'estimation prévue à l'art. 9 al. 1 ORFI ne consiste pas tant à déterminer le résultat prévisible de la réalisation qu'à donner aux intéressés un point de repère quant au caractère objectivement justifié d'une offre. Dans ce contexte, l'estimation ne doit pas être la plus élevée possible, mais doit établir la valeur vénale présumée de l'immeuble, ce que l'expert judiciaire a fait à satisfaction.

La valeur d'estimation des parcelles sera donc fixée à 7'690'950 fr. pour la parcelle n° 3______, 752'100 fr. pour la parcelle n° 1______ et 1'801'450 fr. pour la parcelle n° 2______, ainsi qu'il résulte de l'expertise F______.

3. Le second expert a arrêté ses honoraires à 2'800 fr. 20 fr., montant qui paraît conforme aux tarifs usuellement pratiqués dans la branche. Sa note d'honoraires du 17 mars 2023 peut donc être approuvée.

La nouvelle expertise ayant été requise par les débiteurs poursuivis, son coût restera à leur charge (art. 9 al. 1 1ère phr. ORFI), et sera compensé à due concurrence avec l'avance de 3'000 fr. qu'ils ont versée. Le solde en 199 fr. 80 sera restitué aux requérants.

La procédure devant la Chambre de céans est pour le surplus gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP et 61 al. 2 let. a OELP) et il ne peut être alloué aucun dépens (art. 62 al. 2 OELP).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :


A la forme :

Déclare recevable la requête en nouvelle expertise formée le 25 octobre 2022 par A______ SA et B______.

Au fond :

Arrête à 7'690'950 fr. la valeur de la parcelle n° 3______ de la Commune de D______.

Arrête à 752'100 fr. la valeur de la parcelle n° 1______ de la Commune de D______.

Arrête à 1'801'450 fr. la valeur de la parcelle n° 2______ de la Commune de D______.

Fixe à 2'800 fr. 20 les frais de la nouvelle expertise invite l'Etat de Genève, soit pour lui les Services financiers du Pouvoir judiciaire, à verser ledit montant à l'expert F______.

Met ces frais à la charge de A______ SA et B______ et les compense à due concurrence avec l'avance versée, qui reste acquise à l'Etat de Genève.

Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ SA et B______ le solde de l'avance de frais en 199 fr. 80.

Siégeant :

Monsieur Patrick CHENAUX, président; Madame Verena PEDRAZZINI RIZZI et Monsieur Jean REYMOND, juges; Madame Véronique AMAUDRY-PISCETTA, greffière.

 

Le président : La greffière :

 

Patrick CHENAUX Véronique AMAUDRY-PISCETTA

 


 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.